PREMIER TRIMESTRE 2001 « La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ?»   

 Numéro 23

              

Anglais, langue véhiculaire mondiale ? 

 

Dans un discours prononcé à l'occasion d'une rencontre du Club Richelieu d'Ottawa le 29 novembre 2000, le commissaire aux langues officielles du Canada, Madame Dyane Adam, déclarait : « Un constat s'impose : du point de vue linguistique, le Canada est doublement privilégié. L'anglais devient la langue véhiculaire mondiale, pour reprendre l'expression du président de la République française, Jacques Chirac, lors d'un colloque qui s'est tenu récemment à Paris sur le thème de la nouvelle Europe. Mais cette langue, qui est également la langue plate-forme de l'Internet, est une des langues officielles du Canada et notre pays est ainsi privilégié à cet égard. »

Pour faire suite à cette déclaration de Mme Adam dans laquelle elle choisit de faire siens les propos de M. Chirac à l'effet que l'anglais devient « la langue véhiculaire mondiale », Impératif français a demandé à un collaborateur de commenter cette déclaration.

Quelle rhétorique la Francophonie doit-elle utiliser pour contrer ce courant d'anglicisation universelle que semble accepter de plus en plus l'humanité, pour ne pas dire auquel elle participe naïvement, le préambule de la causerie de madame Adam se situant en plein dans cette trajectoire ?

Quels arguments pourrions-nous opposer à ce genre d'affirmation à savoir que l'anglais constitue la langue de communication universelle, la langue véhiculaire mondiale ?

Nous publions, ci-après, les commentaires que nous avons obtenus d'un correspondant d'Impératif français.

 

Rien ne domine s'il n'existe pas avant tout de dominés !

 

Il s'agit d'un argument néocolonial typique. Autrefois, le colonisateur amenait automatiquement le « progrès ». Le néocolonisateur aujourd'hui nous amène une langue prétendument universelle, c'est-à-dire l'anglais.

L'Anglo-Saxon vient d'inventer la communication internationale! Ouf ! Nous étions jusqu'alors démunis! Nous voilà rassurés !

Malheureusement, je n'ironise pas. C'est ainsi que la langue anglaise est souvent perçue, à la fois par les Anglo-Saxons et par ceux qui veulent l'apprendre. C'est à partir de cette base de “croyants” que le mythe se répand. Ce mythe doit absolument être démonté. Ce n'est rien moins que de la propagande qui est perçue comme une vérité première.

Beaucoup de francophones pensent que l'usage de l'anglais s'est répandu un peu par le hasard des circonstances, simplement «aparce qu'il convient ». Même le sociolinguiste Louis-Jean Calvet affirmait que la diffusion de l'anglais n'est plus le fait des anglophones. Or, rien n'est plus faux. Il suffit de se rendre à Expolangues à Paris pour y constater la surreprésentation de la langue anglaise et de se renseigner sur les objectifs poursuivis par le “British council” pour se rendre compte que les Anglo-Saxons ont, au contraire, une politique linguistique extrêmement active.

Par définition, l'hégémonie établit que les injustices sont intériorisées et donc considérées comme naturelles et légitimes, aussi bien par les membres du groupe dominant que par ceux du groupe dominé. L'hégémonie linguistique est de même nature. Elle ne peut exister qu'avec le consentement mental des dominés. Toute forme d'impérialisme suppose un type de relation dans lequel un groupe en domine un autre en mettant en place des mécanismes d'exploitation, de pénétration, de fragmentation et de marginalisation. Sur le plan linguistique, l'impérialisme introduit des idéologies, des structures et des pratiques qui sont utilisées pour légitimer, mettre en œuvre et reproduire une division inégale du pouvoir et des ressources. 

 

C'est une telle structure hégémonique qui a permis l'assimilation des habitants, de la Nouvelle-Zélande aux États-Unis d'Amérique. Je ne pense pas que le but actuellement recherché à l'extérieur des pays anglophones soit l'assimilation. Par contre, il s'agit d'une gigantesque tentative de la part des pays anglo-saxons de se hisser au sommet de la hiérarchie perçue des nations et de s'y maintenir tant que cette place ne sera pas contestée et avec tous les avantages que cela représente. Les abus de la position linguistique des pays anglo-saxons sont évidents : pillage de la recherche scientifique internationale, désinformation généralisée dans les domaines scientifiques et techniques, stérilisation de la créativité chez les « convertis » à l'anglais, mainmise sur les brevets ou tentatives très prononcées, détournements des flux financiers vers les pays anglo-saxons, diffusion du caractère manichéen et souvent simpliste des idées anglo-saxonnes, ignorance généralisée des connaissances développées dans d'autres langues, etc.

Il ne peut exister de langue « supérieure » sans que d'autres deviennent automatiquement inférieures. Le locuteur d'une langue considérée comme « inférieure » est un infériorisé, dans tous les sens du terme. On le voit tous les jours chez les scientifiques qui font des génuflexions devant leurs homologues anglo-saxons, chez les singes qui nous servent de dirigeants et qui, naturellement, entérinent presque systématiquement les desiderata anglo-américains dans les conférences internationales et les rencontres “au sommet”, chez de trop nombreux étudiants en sciences qui caressent souvent le rêve de faire leur pèlerinage en pays anglophone sous la forme d'un stage ou d'un séjour d'études. Le groupe dominé, une fois convaincu, collaborera avec le groupe dominant pour donner forme à sa vision du monde au détriment des autres. Tous les accords obtenus par la suite paraîtront ainsi comme étant dans l'intérêt de tous, alors qu'ils ne représentent que les intérêts d'une toute petite partie de la population mondiale.

À l'heure actuelle, les médias forment le « champ de bataille » le plus important de l'ère moderne dans l'exercice de toute hégémonie. Ils sont l'instrument par excellence qui permet d'exercer une influence sur la société et de créer le consentement. Les couches “culturellement hégémoniques” qui se développent sont essentiellement celles dont l'accès aux médias est assuré. C'est en se donnant les moyens de diffuser notre pensée que nous arriverons à les contrer. L'ironie est également une arme redoutable. De plus, il ne faut pas hésiter à utiliser des mots forts, tels que « néocolonialisme ». Le choc des mots surprend, oblige ainsi à réfléchir.

Il est impératif de se rendre compte que nous ne pouvons rien concéder à l'anglais sans entamer et affaiblir nos propres positions à l'égard du français ou de toute autre langue d'ailleurs : ni le statut de langue scientifique, encore moins le statut de langue internationale ou universelle, ni le statut de langue étrangère favorisée. Au contraire, nous devons sans arrêt souligner les innombrables abus entraînés par les actions anglo-saxonnes qui veulent conférer à leur langue le statut de langue dominante.

                    M. Charles Durand
                    Courriel : Charles.Durand@utbm.fr

      Texte tiré de la revue « Ensemble »

      d'Impératif français :

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