DEUXIÈME TRIMESTRE 2003 « La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ?»   

 Numéro 32

              

De Gaulle revient sur terre pour défendre

 la Francophonie à l'OTAN  

 

Un de nos nouveaux lecteurs, Wallon émigré en France, nous envoie le texte d’une allocution qu’il a prononcée, en mai 99, en imitant le général de Gaulle (costume et masque à l’appui) lors de son départ à la retraite comme traducteur anglais-français à l’état-major de l’OTAN, à Bruxelles. Nous lui laissons la parole.

 

Roland FERRIER :

 

Généralement, lors d’un départ à la retraite, il est d’usage de prononcer quelques mots après que le chef de service eut remis un cadeau à l’intéressé au cours d’un repas d’adieu. Voulant innover, j‘ai prétexté d’une certaine pudeur et prétendu faire appel à un ancien qui parlerait mieux que moi puis, sortant de la salle, je suis réapparu déguisé en un général de Gaulle qui s’est lancé dans un discours dont le texte figure ci-dessous. Toutefois, pour bien en comprendre le sens, quelques explications préliminaires sont nécessaires.

Tout d’abord, il faut savoir que de Gaulle n’a jamais pu se départir — dans ses écrits comme dans ses discours — du rythme ternaire (Exemple : « C’est beau, c’est grand, c’est généreux, la France », ou encore : « un peuple d’élite, sûr de lui, dominateur » (Israël), etc.). Je ne m’en priverai pas dans mon imitation.

Par ailleurs, la poignée de traducteurs travaillant à l’état-major de l’OTAN (c.-à-d. la partie militaire) doit s’échiner à traduire des textes généralement rédigés dans un jargon militaire typiquement américain, truffé de termes redondants du genre «aSupport is supported by (...), capabilities are capable of (...) », etc., que l’on adaptera au mieux, par exemple, par : «les moyens d’appui consistent en (...), les capacités (moyens) permettent de (détruire, neutraliser, ...) », etc.

On sait que de Gaulle ne prisait guère les Anglo-Saxons et je me suis délecté en l’imitant sur ce plan. De même ai-je repris certaines de ses formules qui sont passées dans l’histoire et que l’on pourra discerner dans le texte. Rappelons aussi que nous étions en mai 99, période où l’OTAN bombardait Belgrade pour faire plier le dictateur serbe à propos du Kossovo. C’était enfin la période où le président états-unien Bill Clinton avait fait adopter par l’OTAN l’idée d’un élargissement à l’Est, couplé à un partenariat (le fameux "Partnership") avec la Russie ex-soviétique.

Voilà donc planté le décor. Il n’y a plus qu’à imaginer les mimiques et les intonations, en lisant lentement.

Musique (Marseillaise). De Gaulle apparaît :

Chers amis de la francophonie, je me félicite de vous voir (1).

Oui, amis de la francophonie, car, en dépit de tout ce qui scribouille, grouille et grenouille (2) dans la mare Atlantique, vous portez bien haut le flambeau de la francophonie, VOUS Mesdames et Messieurs les traductrices et traducteurs, et vous, officiers et secrétaires qui leur apportez le soutien, le    «asupporta», somme toute l’intendance nécessaire pour que soit assurée la sauvegarde de notre langue française, malgré les aléas, les contingences, les servitudes du machin (3) Atlantique, dont l’appareil militaire intégré est dirigé par un quarteron de généraux anglophones à la pensée desquels j‘expire (4).

 

 

Eh bien, non ! notre nation gauloise n’abdiquera pas, notre peuple se ressaisira (5), notre langue survivra, quoi qu’il arrive, malgré l’influence délétère du parler d’outre-Manche ou celle, plus pernicieuse encore, du jargon d’outre-Atlantique, dont les redondances n’ont d’égale que son obscurité.

Mais, vous, traductrices et traducteurs, là où est l’obscurité, vous mettez la clarté (6) ; là où est la redondance, vous substituez la sobriété ; là où est la complexité, vous apportez la simplicité. Oui, je vous le dis, je vous le répète, je vous l’assure, vous êtes les garants de la pérennité de notre langue, toutes et tous : Bruxelloises et Bruxellois, qui avez accueilli, ici, à Evère (7), nos anciens locataires du Palais de Chaillot ou de la Porte Dauphine ; Wallonnes et Wallons qui, par la Meuse, êtes si proches de ... Colombey-les-Deux-Églises ; Québecoises et Québecois ... libres (8), et vous, Françaises et Français, venus de Champagne ou de Bretagne, toutes et tous, vous êtes là pour que notre langue ne périsse pas.

Par ailleurs, notre vieux continent, vous le savez, est menacé lui aussi. Mais l’espoir renaît et dès que sera terminé le douloureux épisode balkanique actuel, se réalisera alors ma vision de toujours : celle, on m’aura compris (9), d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, une Europe élargie aux pays enfin libérés de la chape du communisme totalitaire.

Mais, que cette idée grandiose ait été reprise à son compte par un président américain porté sur la chose (10), je le regrette, je le déplore, je le désapprouve. Il eût fallu que cette initiative émanât ... de la France (tournant la tête): vous m’entendez, Chirac !

Mais enfin, le partenariat — puisque partenariat il y a — ouvre la voie de l’Atlantique à l’Oural, pour une Europe des Peuples, des États, des Nations, une Europe dans laquelle la langue française aura une place de choix, notamment grâce à vous, traductrices et traducteurs, à qui j’exprime ici ma gratitude, ma reconnaissance et ma sympathie.

Vivent celles et ceux qui se consacrent à cette tâche. Vive la langue française, et vive la France !

Marseillaise (Applaudissements)

 

Notes :

(1) « Je me félicite de vous voir » : formule favorite et habituelle lors de ses conférences de presse.

(2) Termes exacts (visant les journalistes trop critiques) : « tout ce qui grouille, grenouille et scribouille », inversés ici pour introduire « la mare » (Atlantique).

(3) De Gaulle avait jadis qualifié l’ONU de « machin » (Chirac, lui, s’y est raccroché récemment !)

(4) Prononcé intentionnellement « Shakespeare ».

(5) « Notre peuple se ressaisira » : tiré de son discours de mai 68.

(6) Inspiré de saint François d’Assise : « Là où est la haine, que je mette l’amour (...) ».

(7) Evère : partie du grand Bruxelles, où est installé le siège de l’OTAN, après son départ (voulu par de Gaulle) de Paris en 1966.

(8) Cf. son célèbre « Vive le Québec libre », à Montréal, en 1967.

(9) Cf. son non moins célèbre « Je vous ai compris » aux Français d’Algérie, en juin 1958.

(10) Allusion à Bill Clinton et ... Monica (sans commentaire !).

 

 

 

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