FRATERNIPHONIE

LE JOURNAL DE L’ASSOCIATION FRANCOPHONIE AVENIR - A.FR.AV

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PREMIER TRIMESTRE 2010

« La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ? »   

 Numéro 59

              

L’incroyable saga et les conséquences actuelles

de la perte de l’Amérique française

 

   Aujourd’hui, peu d’Européens en sont conscients, les États-Unis pourraient parler français ! L’histoire en a décidé autrement, suite à une incroyable saga et à une incroyable injustice. Il s’en est même fallu de très  peu, dans les années 60, pour que Montréal devienne anglophone, que le fait français disparaisse complètement du continent nord-américain, que les Canadiens français deviennent  les dernières tribus indiennes francophones d’Amérique. Comment en est-on arrivé là ?

Le premier hasard  malheureux de l’histoire et du déterminisme géographique a voulu que Jacques Cartier prenne possession en 1534 de Gaspé, au nom du roi de France, beaucoup trop au Nord du continent américain, et remonte ensuite  le cours du Saint-Laurent jusqu’à Hochegala (actuellement Montréal, fondé en 1642). Les Anglais, eux, avec les pèlerins du Mayflower (1620) et le démantèlement des possessions hollandaises (New York, Delaware, New Jersey) s’établirent au Sud beaucoup plus attractif pour le peuplement et l’activité économique grâce à des  apports  britanniques, hollandais  suédois et allemands. Par la suite, les colonies anglaises plus fortement peuplées n’eurent de cesse d’éliminer par la force les possesseurs français.

Il s’ensuivit la guerre de cent ans des Français d’Amérique, des « coureurs des bois », qui gagnèrent de magnifiques batailles (Fort Duquesne en 1754, Fort Carillon en 1758), occupèrent les terres vides en se mariant parfois avec les Amérindiens, menacèrent d’encerclement complet  les colonies anglaises, mais perdirent la guerre. En 1713 par le traité d’Utrecht, suite à la guerre de la Succession d’Espagne, Louis XIV cède l’Acadie (actuel Nouveau- Brunswick et Nouvelle-Écosse de l’Est canadien), l’île de Terre-Neuve et la baie d’Hudson.

Se heurtant au refus massif des Acadiens de prêter serment d’allégeance à la couronne britannique, avec l’éventualité de devoir prendre les armes contre la France, les Anglais déportèrent, à partir du 28 juillet 1755, les 13000 Acadiens, descendants des paysans poitevins, en les embarquant sur des bateaux avec leurs maigres biens et en les répartissant dans les colonies anglaises du Sud. Beaucoup périrent en cours de route de faim ou de maladie pendant le « Grand Dérangement ». Certains s’enfuirent au péril de leur vie vers la Louisiane… juste avant que cette colonie française passe sous souveraineté espagnole. Établis dans les mangroves du delta du Mississipi, ils donneront naissance à la communauté des « Cajuns » (une déformation du mot Acadien). Ils seraient aujourd’hui 800 000, mais très peu parlent encore l’ancien dialecte français.

En 1763, le Traité de Paris, met fin à la guerre de Sept Ans entre la France, la Russie et l’Autriche d’un côté, l’Angleterre et la Prusse de l’autre. La mort subite de la tsarine francophile Élisabeth  en 1762 et son remplacement par le tsar  germanophile  Pierre III eut pour conséquence un renversement imprévisible de l’alliance russe. La Prusse de Frédéric II le Grand était sauvée et  l’Amérique du Nord définitivement perdue par la France, cette dernière ayant envoyé peu de troupes outre-mer et préféré privilégier, à tort, le théâtre européen des opérations (Hitler en 1945, en apprenant la mort du Président américain Franklin Roosevelt, crut  un instant qu’il allait connaître un  retournement victorieux inattendu du sort des armes semblable à celui de Frédéric II). Cette défaite calamiteuse de l’Histoire de France scella, bien avant Waterloo, le destin du français dans un continent américain  plein de promesses, et par la suite,  en Europe, comme on le voit aujourd’hui. La    France laissait à leur sort les 70000 Français qui s’étaient valeureusement  battus à environ  un contre dix et cédait alors à l’Angleterre, la Nouvelle-France, c'est-à-dire  le Canada, la vallée de l’Ohio, la rive gauche du Mississipi, sauf la Nouvelle-Orléans, ainsi que  la plus grande partie des Antilles. Ainsi, le français était chassé d’une terre qui allait devenir un des centres mondiaux des affaires. L’anglais, appuyé sur un rivage de l’Atlantique aux États-Unis et sur l’autre à la Grande-Bretagne, devenait la langue des relations entre les continents. Or c’était là, la véritable universalité, et cette universalité était perdue pour le français. Rivarol, dans son célèbre Discours sur l’Universalité de la langue française à l’Académie de Berlin en 1784, n’aperçut pas mieux que ses contemporains les signes annonciateurs du déclin.

Louis XVI, pour se venger du catastrophique Traité de Paris, pour couper le cordon ombilical entre les États-Unis et l’Angleterre, et non pas pour la liberté ou les beaux yeux de l’Amérique, comme le croient les naïfs, conclut, le 6 février 1778, une alliance avec les insurgés d’Amérique qui grâce à La Fayette, aux troupes de Rochambeau et à l’excellente flotte de l’amiral de Grasse obligèrent le général anglais Cornwallis à capituler à Yorktown, le 19 octobre 1781. En 1783, le traité de Versailles reconnait  l’indépendance des États-Unis. Mais là encore, nouvelle injustice de l’histoire ! La Fayette, malgré l’indiscutable et décisive victoire française fit preuve de suffisance et ne poussa pas, alors que beaucoup y songeaient,  à l’adoption du français, langue universelle de l’époque, comme langue officielle des États-Unis. Le comble et le paradoxe de la malchance fut, après le traité de Versailles, l’afflux au Canada de loyalistes britanniques en provenance des États-Unis, qui provoquèrent une infiltration britannique dans le Canada juridiquement anglais depuis le traité de Paris de 1763, mais exclusivement peuplé de Français ; ces arrivants barrèrent définitivement dans l’Ontario,  la route d’expansion à  l’Ouest des Canadiens français. En effet de 1763 à 1783, l’immigration britannique constituée de commerçants avait été peu marquée au Canada.

En 1763, au traité de Paris, l’Espagne avait reçu les territoires de la Louisiane situés à l’Ouest du Mississipi, ainsi que la Nouvelle-Orléans, en compensation de la perte de la Floride qu’elle avait donnée aux Anglais. En 1800, le traité de San Idefonso signé entre l’Espagne et la France restitue le territoire de la Louisiane aux Français, en échange d’une promesse d’une principauté en Italie pour le duc de Parme. Contrairement à la croyance populaire, Bonaparte n’a pas vendu la Louisiane de gaieté de cœur et d’une façon insouciante, mais bien au contraire  pour des raisons tactiques et géopolitiques complexes  à l’égard des États-Unis et de l’Angleterre et surtout parce qu’il ne pouvait plus défendre la Louisiane, suite à l’échec de l’expédition et à la mort de son beau-frère, le  général Leclerc, qui, avec 20000 hommes décimés par la fièvre jaune, ne parvint pas à faire de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) la base arrière sûre dont il avait besoin pour défendre la Louisiane, objet d’attaques possibles, tant des États-Unis que de l’Angleterre. La première étape du rétablissement de l’Empire français en Amérique passait par la reprise de l’île tombée aux mains de Toussaint Louverture. L’intention première de Bonaparte était bel et  bien de constituer un empire colonial français en Amérique, le général Claude Victor ayant même rassemblé  pendant l’été 1802 une flotte importante en Hollande et 8000 hommes à Dunkerque en préparation d’un départ pour aller renforcer la Nouvelle-Orléans. Cette décision de Bonaparte, dans le cadre de la fin de la Paix d’Amiens et de la reprise imminente des hostilités avec l’Angleterre, est donc à rapprocher du sort de l’Alaska qui  fut vendu plus tard par la Russie aux États-Unis, de peur de le voir également occupé par l’Angleterre.

 

 

Les États-Unis achetèrent donc la Louisiane à la France, le 30 avril 1803 pour 15 millions de dollars, somme importante qui représentait une fois et demie le PIB des États-Unis de  l’époque. Cette acquisition doublait le territoire des États-Unis en débloquant la frontière symbolique de l’Ouest des États-Unis. La Louisiane formait un immense territoire de 2 144 476 km2, soit 22,3% de la superficie actuelle des États-Unis. En effet la colonie française de Louisiane comprenait beaucoup plus de territoires que l’État actuel de Louisiane, en fait ce qui allait devenir le centre-ouest  des États-Unis, s’étendant du nord au sud  de la frontière  toujours actuelle avec le Canada jusqu’au Golfe du Mexique ; elle incluait la ville de Saint-Louis. Les neuf états américains actuels sont : l’Arkansas, le Dakota, l’Iowa, le Kansas, le Missouri, le Montana, le Nebraska, l’Oklahoma et la Louisiane. Ainsi étaient perdus à jamais pour la France les œuvres de Louis  Joliet et du père Marquette  qui avaient été les premiers à explorer le Mississipi en 1673, de René Cavelier, sieur de la Salle qui avait descendu tout le Mississipi jusqu’à son embouchure en 1682 prenant officiellement possession de la Louisiane au nom de Louis XIV, du sieur de Bienville qui avait fondé en 1718 la Nouvelle Orléans, en l’honneur du régent Philippe d’Orléans.

De surcroît la vente de la Louisiane aux États-Unis parachève le traité de Paris et peut être considérée comme un des plus grands désastres de l’histoire externe du français. En 1812, la première constitution de l’État de Louisiane y imposait l’anglais… contre le français majoritaire. En 1868, l’article 109 de la constitution interdisait formellement l’usage de toute autre langue que l’anglais. En 1916, interdiction d’utiliser le français dans les écoles et dans les foyers. En 1921, la constitution louisianaise n’autorise l’usage que de la seule langue anglaise. Les colons du Mississipi, à l’origine venus de France, n’ont bientôt plus d’écoles ni de livres, et c’est ainsi que passe à l’anglais, en quelques générations, une des populations les plus fermement attachées au français et à son illustration en dehors de l’Europe.

Enfin, cerise sur le gâteau, la pendaison le 16 novembre 1885 à Régina, au Canada, de Louis Riel, patriote francophone, fondateur du Manitoba, qui présentait un danger canadien français dans l’Ouest canadien avec la révolte des Métis, mit fin à une véritable présence francophone dans les deux provinces canadiennes du Manitoba et du Saskatchewan.

Ce sont les raisons pour lesquelles pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la notion d’universalité du français disparaît peu à peu, sans qu’on en prenne clairement conscience, en raison des progrès de l’anglais en tant que langue du commerce sous l’égide de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis, et suite à la disparition des derniers bastions francophones d’Amérique, l’Est du Canada excepté.

Aujourd’hui la France n’est plus que le Québec de l’Europe ! La langue française, tout comme les autres langues nationales européennes, combat pour sa survie en Europe face à l’anglo-américain et, si rien ne change (décision des Européens de faire du français ou de l’espéranto la langue de l’Europe), elle connaitra, en France même, d’ici un siècle, le même sort qu’en Louisiane !

 

M. Marc Rousset

(75) Paris

Courriel : ma.rousset@wanadoo.fr

 

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