Sujet : Essai de barrage à un nouvel assaut anglomaniaque de Bruxelles
Date : 21/06/2005
De : Albert Salon (albertsalon@noos.fr)


Essai de barrage à un nouvel assaut, provenant des pressions de Bruxelles....

 

Il faudrait vraiment que M. de Villepin se décidât à enjoindre à nos administrations centrales de renvoyer systématiquement à Bruxelles tous les documents de travail qui leur parviennent uniquement en anglais.

 Quand la France aura-t-elle le courage de se faire respecter, tout en faisant simplement respecter la propre réglementation linguistique européenne ? 

La conjoncture est pourtant beaucoup plus favorable depuis le 29 mai, puis le 1er juin !

 

 

  A. Salon.

              

 

 

nos réf. : SD MP 2005/076

CONSEIL D’ÉTAT  

SECTION DU CONTENTIEUX REQUÊTE INTRODUCTIVE D’INSTANCE

 

POUR : L’association Avenir de la langue française, représentée par son président en exercice, M. Albert Salon, domicilié en cette qualité au siège de l’association, 34 bis rue de Picpus, 75012 Paris.

 

CONTRE : L’instruction du 21 février 2005 aux services de contrôle, pour l’application de la loi n°94.665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (instruction publiée au bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en date du 26 avril 2005).

L’association requérante défère à la censure du Conseil d’État, pour excès de pouvoir, l’instruction ci-dessus mentionnée, prise sous la signature du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dont l’objet est de préciser les conditions d’application de la loi n°94.665 de 4 août 1994 en matière de désignation, d’offre et de présentation des biens, produits et services commercialisés en France, au regard des exigences du droit communautaire tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes.

I – RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE

L’instruction ministérielle dont il s’agit va au-delà de la simple interprétation de la loi du 4 août 1994 puisqu’elle remet en cause l’application de l’article 2 de ce texte par des prescriptions de portée générale, applicables sur le territoire national. À ce titre, elle est susceptible de recours.

Par ailleurs, l’association Avenir de la langue française, régie par la loi de 1901 et agréée par le ministre de la Culture et de la Communication, a qualité et intérêt pour agir car, selon l’article II de ses statuts, elle « a pour but la défense et la promotion de la langue française ». Sa requête est signée du président de l’association en vertu des statuts de celle-ci, l’habilitant à ester en justice en son nom.

II – MOYENS SOULEVÉS

Ils se rangent sous les trois chefs d’incompétence, d’erreur de droit et d’erreur manifeste d’appréciation.

L’incompétence.

À la rubrique 1.2 de l’instruction, concernant les mentions rendues obligatoires en vertu de réglementations nationales, les agents de contrôle sont invités à ne pas relever d’infraction aux dispositions de la loi du 4août 1994 relative à l’emploi du français lorsque les indications requises sont données non pas en langue française mais dans des termes étrangers facilement compréhensibles par le consommateur ou par d’autres moyens tels que l’usage de dessins, symboles ou pictogrammes éventuellement accompagnés de termes ou d’expressions en langue étrangère facilement compréhensibles par le consommateur.

Ceci revient, sous couvert d’instructions données aux personnels, à faire obstacle, par des dispositions de portée générale, à l’application du premier alinéa de l’article 2 de la loi du 4 août 1994 selon lequel « dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances, l’emploi de la langue française est obligatoire en France ». Le fait de remettre en cause, par circulaire, le respect d’une telle disposition législative, encourt à l’évidence le grief d’incompétence. Il s’agit bien, en l’occurrence, d’une remise en cause puisque les personnels ayant en charge le contrôle de l’application de cette disposition ont ordre de ne pas sanctionner par des relevés d’infraction des pratiques alternatives d’information qui contreviennent au texte législatif, en se substituant à l’emploi du français imposé par la loi.

Le même grief d’incompétence s’attache à la rubrique 2 de l’instruction qui ne comporte aucune référence à la loi du 4 août 1994 exigeant l’emploi du français et donne donc à entendre que le respect de celle-ci ne s’impose pas dans le libellé des mentions non obligatoires portées sur les produits et services commercialisés en France. Il y a là encore une réduction du champ d’application de la loi, opérée par circulaire, qui ne peut qu’être censurée pour incompétence.

L’erreur de droit.

Elle entache, à notre sens, les points 1.2 et 2 de l’instruction déférée.

î À la rubrique 1.2, traitant du libellé des mentions rendues obligatoires par la réglementation nationale, consigne est donnée aux contrôleurs de la D.G.C.C.R.F. de ne pas sanctionner par des relevés d’infraction à la loi du 4 août 1994 l’usage, aux lieu et place du français, de termes ou d’expressions en langue étrangère « facilement compréhensibles par le consommateur » ou de moyens graphiques d’information tels que dessins, symboles ou pictogrammes, éventuellement accompagnés de commentaires en langue étrangère « facilement compréhensibles par le consommateur ».

Cette acceptation, pour les mentions obligatoires, de termes étrangers ou de signes ou de signes graphiques en substitution pure et simple de la langue nationale et sans primat reconnu à cette dernière, sous la seule réserve d’une appréciation par les personnels de contrôle de ce qui est compréhensible ou non par le public – appréciation inévitablement aléatoire, exposée à la subjectivité et qui ne peut prétendre à couvrir qu’une part limitée des produits et services eu égard à leur très grand nombre –est en contrariété évidente avec l’article 2 (1er alinéa) de la loi du 4 août 1994.

Par delà cette loi elle méconnaît deux dispositions constitutionnelles.

Elle contrevient d’abord à l’article 2 de la Constitution, énonçant que « le français est la langue de la République » et donc la langue des échanges et pratiques de commerce – sur le territoire de la République.

Elle enfreint par ailleurs le principe constitutionnel d’égalité (de traitement), tiré de la Déclaration de 1789 et dont le Conseil Constitutionnel a fait de multiples applications dans les domaines les plus divers, depuis sa décision « Taxation d’office » du 27 septembre 1973. Énoncer, comme il est fait en l’espèce, que les informations obligatoirement données au consommateur en français peuvent être libellées en langue étrangère, directement ou en accompagnement de dessins, symboles ou pictogrammes, même s’il est posé que ces mentions doivent être « facilement compréhensibles », crée en effet une inégalité entre les personnes selon leur degré – ou leur absence – de maîtrise de la langue considérée.

Cette méconnaissance de deux règles de valeur constitutionnelle appelle, selon nous, la censure puisque, suivant la jurisprudence KONÉ (1996), la Constitution – prise dans l’acception de bloc de constitutionnalité – doit l’emporter sur les traités et leurs développements jurisprudentiels.

L’instruction déférée, aux 2e et 3e paragraphes de sa rubrique 1.2, diverge aussi d’avec la jurisprudence de la C.J.C.E. Il ressort en effet des décisions rendues de manière convergente par la Cour, en particulier de l’arrêt COLIM (3 juin 1999), où sont le plus développées l’argumentation et la position de la Haute juridiction :

 

· que les règles édictées par les États membres, pour imposer l’utilisation de leur langue nationale dans l’étiquetage des produits ou dans la rédaction de leur mode d’emploi ou de leur bulletin de garantie, contreviennent à l’article 30 du traité de Rome (devenu article 28 du traité CE) prohibant les obstacles à la libre circulation des marchandises, sauf si ces règles répondent à un but d’intérêt général de nature à primer les exigences de libre circulation et si elles sont proportionnées au but poursuivi ;

· que l’information des consommateurs peut s’effectuer par des moyens non linguistiques, tels que l’usage de dessins, symboles ou pictogrammes ;

· mais que les informations adressées à l’acheteur ou au consommateur final qui ne peuvent être transmises autrement que par des mots doivent être libellées dans une langue qui soit pleinement compréhensible, sous peine d’être dépourvues d’utilité pratique.

On voit mal, s’agissant de produits commercialisés en France, comment la « langue compréhensible » par l’ensemble de la population vivant et achetant en France pourrait être autre que le français.

Or l’instruction du 21 février 2005 (point 2.1, deuxième et troisième paragraphes) va plus loin que la jurisprudence évoquée – reconnaissant la nécessité de libellés établis dans une langue pleinement compréhensible des acquéreurs ou consommateurs, c’est-à-dire, en principe, dans leur langue nationale – puisqu’elle demande aux services de contrôle d’admettre la validité des mentions en langue étrangère non traduite, sous la seule condition, laissée à l’appréciation desdits services, d’être compréhensibles par la clientèle.

Pour les raisons ci-dessus développées, les dispositions dont il s’agit apparaissent bien entachées d’erreur de droit.

 

î La rubrique 2 de l’instruction aborde la question des mentions non obligatoires portées à la connaissance de l’acheteur ou du consommateur final, c’est-à-dire de celles qui ne sont imposées ni par une réglementation communautaire ni par une réglementation nationale.

Il y est dit que, pour ce qui concerne les mentions facultatives, apposées sous la responsabilité du professionnel en charge de la mise sur le marché, seules trouvent à s’appliquer les dispositions générales du Code de la consommation relatives à l’information du consommateur, notamment celles de ses articles L 111.1 (information préalables sur les caractéristiques essentielles des biens et des services), L 213.1 (tromperie), L 121.1 (publicité mensongère) et L 221.1 (obligation générale de sécurité des produits et des services dans les conditions normales d’utilisation).

Il résulte de cette rédaction que les mentions en cause seraient exonérées du respect de la loi du 4 août 1994, notamment de son article 2 : ce qui correspond à une réduction arbitraire, par circulaire, du champ d’application de cette loi. L’indication terminale selon laquelle les dispositions du Code de la consommation s’appliquent « dans le respect de la jurisprudence de la CJCE précitée » ne peut en effet s’interpréter comme comportant une référence implicite ou indirecte à la loi de 1994, d’autant que les seules jurisprudences analysées plus haut dans l’instruction portent sur les mentions obligatoires en vertu soit d’une réglementation communautaire, soit d’une réglementation nationale.

Une erreur de droit manifeste s’attache donc à la rubrique 2 de l’instruction, les mentions facultatives portées sur les produits ou leurs documents annexes relevant sans contestation possible de l’application de la loi du 4 août 1994, notamment de celle de son article 2 – premier alinéa, qui ne fait aucune distinction entre mentions obligatoires et mentions facultatives quant à l’emploi obligé de la langue française.

Erreur manifeste d’appréciation.

S’agissant des mentions obligatoires en vertu de réglementations nationales, l’instruction indique à son point 1.2 que peuvent être utilisés, en remplacement du français et sans donner lieu à relevés d’infraction à la loi du 4 août 1994, des mentions graphiques d’information tels que dessins, symboles ou pictogrammes, dont il revient aux personnels de contrôle d’apprécier au cas par cas s’ils « permettent d’assurer un niveau d’information équivalent à celui recherché par la réglementation et ne sont pas de nature à induire le consommateur en erreur ».

Il est évident qu’un tel contrôle, qui ne peut être que partiel et aléatoire – compte tenu du très grand nombre de produits et services mis sur le marché – et qui est exposé au risque de subjectivité, n’offre pas du tout au consommateur ou à l’usager les mêmes garanties de sécurité que l’obligation de libeller en langue française.

L’expérience montre en effet que, bien souvent, les pictogrammes ou dessins sont ambigus ou peu clairs, donc porteurs de risque que l’adjonction éventuelle de termes étrangers ne peut qu’aggraver auprès des personnes qui n’en ont pas la maîtrise.

En méconnaissant les risques ainsi ouverts pour la santé et la sécurité des consommateurs et de leurs familles, l’instruction du 21 février 2005 commet une erreur manifeste d’appréciation constituant un motif supplémentaire d’annulation.

On peut rappeler, en ce sens, que dans le domaine très important des denrées alimentaires, la directive 2000 / 13 / CE du 20 mars 2000 dispose que « toute réglementation relative à l’étiquetage des ces denrées doit être fondée, avant tout, sur l’impératif de l’information et de la protection des consommateurs… Cet impératif implique que les États membres puissent, dans le respect des règles du Traité, imposer des exigences linguistiques ».

Il semble également légitime de considérer que la protection de la santé et de la sécurité du consommateur, par une information adaptée, est un but d’intérêt général de nature à primer les exigences de libre circulation des marchandises et produits, dans les conditions autorisées par l’article 30 du Traité de Rome (devenu article 28 du Traité CE) : ce dont l’instruction du 21 février 2005 prend le contrepied.

 

III – CONCLUSION

Par les motifs ci-dessus développés et tous autre à produire, déduire ou suppléer, l’association requérante conclut à ce qu’il plaise au Conseil d’État d’annuler, pour illégalité, les rubriques 1.2 et 2 de l’instruction du 21 février 2005, soumises à son examen.

 

À Paris, le 15 juin 2005,

Le président de l’association,

Albert Salon,

Ancien ambassadeur.