Sujet : Diversité linguistique dans l'Union européenne
Date : 06/01/2004
Source :  Assemblée Nationale

 

Source : site de l'Assemblée Nationale (www.assemblee-nationale.fr)

DIVERSITÉ LINGUISTIQUE DANS L'UNION EUROPÉENNE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Herbillon sur la diversité linguistique dans l'Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président délégué pour l'Union européenne - Pour la deuxième fois depuis le début de la législature, une proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne est débattue en séance publique. En tant que président de cette délégation, je ne puis que me féliciter de constater que notre assemblée prend la mesure des enjeux européens pour l'avenir de notre pays, grâce notamment aux nombreuses initiatives du Président Debré pour placer l'Europe plus au coeur de nos travaux. L' Union européenne est la seule organisation internationale au monde à pratiquer au quotidien la diversité linguistique. C'est d'ailleurs le premier règlement adopté par la Communauté européenne, le règlement n° 1 de 1958, qui garantit l'égalité entre toutes les langues officielles. Rien à voir donc avec ce qui se passe à l'ONU ou au Conseil de l'Europe, où seules quelques langues de travail sont autorisées. Beaucoup considèrent que l'élargissement constitue une menace pour notre langue. Il est vrai que notre pays a manqué le « petit élargissement » de 1995 à l'Autriche, à la Finlande et à la Suède, lequel s'est traduit par un recul sensible du Français au sein des institutions. Pourtant, loin d'être un risque, la réunification de l'Europe est un défi sans précédent car elle ouvre la voie à un plurilinguisme unique au monde et conforme aux valeurs que l'Union entend promouvoir.

L'article 3 du projet de traité de constitution européenne, élaboré par la Convention au sein de laquelle j'ai eu l'honneur de représenter notre assemblée, dispose ainsi que l'UE respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, hissant de ce fait la diversité linguistique au rang de principe constitutionnel européen. Cette avancée ne devrait pas être remise en cause au sein de la conférence intergouvernementale.

Quant au projet d'article 8 sur la citoyenneté communautaire, il tend à constitutionnaliser une stipulation du traité d'Amsterdam, selon laquelle tout citoyen de l'Union peut écrire à une institution dans l'une des langues officielles et recevoir une réponse rédigée dans la même langue.

Je fais le pari que l'Europe apportera beaucoup aux langues, si nous faisons preuve d'une volonté politique forte mise au service d'actions concrètes, notamment auprès de la jeunesse. Il faut encourager le développement des classes européennes et des établissements à vocation internationale et favoriser le rapprochement des institutions culturelles des différents États membres - Goethe Institut, British Council, Institut culturel français. La diversité culturelle et la diversité linguistique sont les deux faces d'une même médaille.

Comment traiter de la question linguistique sans évoquer la relation franco-allemande ? Je me réjouis de la création d'une mission d'information parlementaire franco-allemande sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse, à laquelle participe notre collègue Michel Herbillon, très au fait de ces questions. Le déclin accentué ces dernières années de l'enseignement de l'allemand dans les classes françaises et du français dans les écoles allemandes est préoccupant. Si rien n'est fait, l'enseignement de nos langues respectives risque de descendre à des niveaux marginaux, au moment même où, paradoxe, nos deux pays inscrivent délibérément leur action dans une perspective commune. Sur ce sujet aussi, nos intérêts convergent et, au-delà, nous avons en commune vision du monde fondée sur le respect des identités.

Notre sujet déborde largement du problème de l'usage des langues au sein de l'UE. Il touche aussi à la formation linguistique et je suis personnellement très attaché à ce que s'applique la décision d'enseigner au sein de l'Union deux langues vivantes en plus de la langue naturelle.

La délégation pour l'Union européenne a adopté à l'unanimité la proposition de résolution brillamment présentée par Michel Herbillon. Sur le rapport tout aussi excellent de Juliana Rimane, la commission des affaires culturelles lui a apporté tout son soutien. L'Assemblée nationale aurait pu en rester là, mais l'inscription de cette résolution à l'ordre du jour de la séance publique est une manifestation heureuse de notre détermination à peser de tout notre poids sur les négociations en cours à Bruxelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Juliana Rimane, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Cette proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité par la DUE et elle fait suite au rapport de M. Herbillon intitulé Les langues dans l'Union élargie : pour une Europe en VO. A travers elle, la délégation souhaite que notre assemblée exprime son attachement au principe du plurilinguisme dans le nouveau contexte créé par l'élargissement du 1er mai prochain.

Garant de la diversité culturelle et linguistique, ce principe, qui permet en effet à chacun de s'exprimer dans sa langue au sein des institutions européennes depuis 1958, participe au premier chef de l'originalité du modèle européen. Le projet de constitution européenne le consacre d'ailleurs au nombre des principes constitutionnels. Au reste, il y a tout lieu de réaffirmer notre attachement à la diversité, pour contrer l'hégémonie croissante du modèle anglo-saxon.

Tel est l'enjeu du présent texte. Le régime juridique du plurilinguisme est unique au monde. Garantissant à chacun de pouvoir s'exprimer dans sa langue, il est partie prenante du fonctionnement démocratique des institutions communautaires et il constitue un enjeu essentiel pour la place du Français en Europe.

Si le Parlement européen est l'institution qui applique le mieux le principe de stricte égalité entre les langues, la Commission européenne pour sa part manie depuis longtemps seulement trois langues de travail : l'anglais, le français et, dans une moindre mesure, l'allemand. Quant au Conseil, on y recense presque autant de régimes linguistiques qu'il existe de catégories de réunions !

Le quasi-doublement du nombre de langues officielles né de l'élargissement constitue un véritable défi pour l'UE, laquelle n'en comptera alors pas moins de vingt. A ce sujet, les options retenues varient d'une institution à l'autre, sans pour autant que soient remis en cause les fondements du plurilinguisme. Cependant, force est de constater que les élargissements successifs ont affaibli la position de notre langue au sein de l'Union. Alors qu'il occupait une position dominante jusqu'au début des années 1970, le français a subi l'implacable concurrence de l'anglais à partir de 1973 et la situation s'est encore dégradée avec l'élargissement de 1995. Le risque d'un nouveau recul de l'usage du français du fait de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale est donc bien réel.

Affirmant en préambule l'attachement de l'Assemblée nationale à la diversité linguistique et culturelle, la proposition de résolution comporte dix-neuf points, organisés en cinq chapitres, recouvrant à la fois le respect du plurilinguisme et la promotion du français dans les institutions européennes. S'agissant du respect du plurilinguisme dans le fonctionnement des institutions, l'accent est mis sur la nécessité d'affirmer le principe de l'interprétation intégrale pour les réunions de niveau politique, de pérenniser les pratiques linguistiques en vigueur dans les réunions relatives à la politique étrangère et la sécurité commune - PESC - et du comité des représentants permanents - COREPER - et de rechercher, pour le régime linguistique des autres groupes de travail, une solution consensuelle autour de quelques langues pivots.

Dans le cadre de la réforme du statut des fonctionnaires européens, la promotion au grade immédiatement supérieur à celui d'entrée en fonction sera soumise à la maîtrise de deux langues étrangères. Par ailleurs, les tests de présélection en trois langues, actuellement organisés pour le recrutement de fonctionnaires issus des futurs pays membres, pourront être généralisés. Enfin, en vertu du respect du principe de non-discrimination linguistique, les infractions commises par les institutions et organismes communautaires en violation de leurs obligations seront systématiquement signalées et une charte linguistique applicable aux sites internet communautaires sera adoptée, afin d'éviter la publication d'informations dans une seule langue. Pour sa part, la délégation souhaite effectuer un suivi annuel de l'évolution des pratiques linguistiques dans les institutions européennes.

Afin de promouvoir la langue française, considérant que la formation des fonctionnaires européens représente un enjeu central pour la place du français dans les institutions européennes, la proposition de résolution approuve les actions de formation à la langue française à destination des fonctionnaires de pays membres et candidats. La proposition du rapporteur en faveur de la création d'un pôle européen de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, notamment dans le domaine linguistique, mérite donc d'être soutenue.

Rappelant l'exigence minimale posée dans la circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 relative à l'emploi de la langue française par les fonctionnaires français à l'étranger, la proposition de résolution insiste aussi sur la nécessité de mieux coordonner les actions en faveur du français.

Au-delà du cadre institutionnel, le plurilinguisme repose sur l'enseignement des langues vivantes dans les États membres, et, plus précisément, sur l'obligation d'en apprendre plusieurs, comme cela se pratique chez nous.À cet égard, la proposition de résolution recommande que l'enseignement obligatoire de deux langues vivantes étrangères soit généralisé par les Vingt-Cinq. On constate en effet que lorsque les systèmes éducatifs ne proposent qu'une seule langue vivante, l'anglais est systématiquement choisi, cependant que l'offre d'une seconde langue favorise le français. Le texte préconise également le développement de l'apprentissage des nouvelles langues officielles de l'Union.

Je conclurai en rappelant que la nécessaire promotion des langues nationales au niveau communautaire doit s'accompagner, au nom de l'égalité citoyenne, d'un soutien aux langues régionales dans chaque État membre. Mobilisons-nous pour éviter la disparition des modes d'expression des populations minoritaires. La France possède une grande richesse linguistique. La Guyane, à elle seule, a de nombreuses langues : aux différents créoles, à base lexicale française et anglaise, s'ajoutent des langues amérindiennes comme l'arawak, le kalina ou l'émerillon. La sauvegarde de ces langues contribue à la préservation des cultures traditionnelles locales. Comme l'a dit le Président de la République lors de la 31e conférence générale de l'UNESCO, « la réponse à la mondialisation, laminoir des cultures, c'est la diversité culturelle, fondée sur la conviction que chaque peuple a un message singulier à délivrer au monde, que chaque peuple peut enrichir l'humanité en apportant sa part de beauté et de vérité ».

Au nom de la commission des affaires culturelles, je vous invite à adopter cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon, rapporteur de la délégation pour l'Union européenne - Il est de bon ton, dans les milieux à la mode, de fustiger la « France qui tombe » présentant comme une nouvelle inédite un poncif récurrent. Nous voici réunis aujourd'hui pour démentir cette idée d'un déclin inéluctable de notre pays. En se saisissant de la proposition de résolution que j'ai présentée le 11 juin devant la délégation pour l'Union européenne - qui l'a adoptée à l'unanimité, de même que la commission des affaires culturelles -, notre assemblée prend la mesure de l'enjeu politique que la diversité linguistique constitue pour l'Europe et pour la France.

Dans à peine plus de cent jours, l'Union européenne accueillira dix nouveaux pays et neuf nouvelles langues, en théorie strictement égales entre elles. Or cette nouvelle Europe est face au défi linguistique le plus important de son histoire. En effet, 110 combinaisons sont aujourd'hui possibles avec 11 langues officielles : ce nombre passera à 400 après l'élargissement. Chaque année 1,3 million de pages sont produites par le service de traduction de la Commission : elles pourraient couvrir la moitié du Luxembourg ! Chaque jour, 700 interprètes sont mobilisés dans plus de 11 000 réunions annuelles de la Commission, du Conseil, du comité économique et social et du comité des régions.

Pour éviter que Bruxelles ne devienne une babel moderne, les institutions de l'Union se préparent depuis longtemps à cette nouvelle donne. Mais comment concilier le respect de la diversité linguistique avec l'efficacité du fonctionnement des institutions ? Je ne reviendrai pas sur les régimes en vigueur au sein du Conseil et de la Commission, car Mme Rimane les a excellemment rappelés. J'évoquerai plutôt la négociation en cours au sein du Conseil. Il est trop tôt pour savoir quelle réforme sera décidée, mais la discussion semble s'orienter vers un régime de paiement à la demande, financé pour partie sur le budget communautaire et pour partie sur les budgets nationaux. La présidence italienne sortante a engagé à l'automne une expertise technique des solutions envisagées et procédé à une évaluation budgétaire, selon le nombre de groupes de travail qui bénéficieraient soit d'une interprétation intégrale, soit d'une interprétation à la demande, soit d'aucune interprétation. Il appartient désormais à la présidence irlandaise de poursuivre cette négociation. Pour le français, le coût d'interprétation serait d'environ trois millions d'euros, dont deux millions seraient prélevés sur le budget communautaire et un million sur le budget national.

Sans préjuger de la décision, je vous propose, par cette proposition de résolution, de recommander que le compromis retenu se fonde sur les principes de pluralisme linguistique, de souplesse de gestion, et de répartition équitable de la charge financière au cas où serait retenu un régime de paiement à la demande. Engageons-nous aussi à promouvoir une expérimentation plus large des régimes asymétriques qui permettent à chacun de s'exprimer dans sa langue maternelle en ne disposant d'une interprétation active que dans un nombre restreint de langues de travail. Quelle que soit la solution retenue, il est essentiel d'assurer un financement pérenne garantissant l'emploi de notre langue.

Ne nous voilons pas la face : le français décline en Europe. C'est une réalité, non une fatalité. Il y a vingt ans, près de 60 % des documents du Conseil et de la Commission étaient rédigés initialement en français : cette proportion a diminué de moitié. Est-il admissible que le site internet de la Banque centrale européenne ne soit, pour l'essentiel, disponible qu'en anglais ? Je l'avais signalé en juin, et en janvier rien n'a changé. Est-il normal que, malgré la circulaire du Premier ministre du 14 février dernier sur l'emploi de la langue française, nombre de fonctionnaires français de l'Union européenne s'expriment le plus souvent en anglais ?

Rien ne justifie que nous renoncions à l'usage de notre langue.

Nous aurions toutefois tort de croire que la promotion du français est dirigée contre la langue de Shakespeare. Un combat frontal contre l'anglais serait perdu d'avance. L'ambition de la France est bien plutôt d'être le porte-parole d'un plurilinguisme respectueux de la diversité des cultures et des identités nationales. Le Président de la République s'est personnellement engagé en faveur d'une convention mondiale sur la diversité culturelle, afin de consacrer le respect du pluralisme linguistique et la mobilisation contre la disparition des langues.

Pour la promotion de la langue française, les incantations ne suffisent plus : l'heure est à des actions concrètes et ciblées. Je propose notamment de créer à Strasbourg, capitale européenne, un centre de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, dispensant des formations pluridisciplinaires ainsi qu'une large palette de cours de langues. Je vous propose aussi de recommander que l'enseignement obligatoire de deux langues étrangères devienne la norme dans les systèmes éducatifs de l'union européenne.

C'est désormais en Europe que se joue l'avenir du français dans le monde, tout comme c'est dans le cadre de la francophonie que se déploie notre action en faveur du français en Europe. L'adoption de la présente résolution est une étape importante. Elle devra se prolonger par un suivi régulier non seulement de la délégation, mais de notre assemblée sur ce sujet qui nous concerne tous. Parce que les mots ne suffisent plus pour promouvoir la diversité linguistique, le temps est venu de l'action, au service de « réalisations concrètes », pour parler comme Robert Schuman (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Cette proposition de résolution est le fruit d'un remarquable travail mené par votre délégation pour l'Union européenne et que nous a présenté M. Herbillon. J'adresse à tous ses membres et à son rapporteur, ainsi qu'à ceux de la commission des affaires culturelles, mes remerciements et mes félicitations pour leur analyse approfondie des enjeux linguistiques liés à l'élargissement de l'Union. Je partage entièrement les vues de vos rapports et votre espoir d'une Europe en version originale, pour citer l'un de vos rapporteurs - une Europe respectueuse de la diversité de ses cultures et de ses langues. La promotion de la langue française et celle de la diversité culturelle sont deux combats indissociables. La France, comme l'a rappelé M. Herbillon, est engagée dans une action de longue haleine pour une convention internationale sur la diversité culturelle, et M. le rapporteur a évoqué la part personnelle que le Président de la République a prise dans ce combat. Comme je l'ai dit pour ma part le 13 octobre devant la conférence générale de l'UNESCO, le choix de la diversité ne signifie pas quelque conservation nostalgique des seules expressions traditionnelles. Il signifie au contraire que les cultures sont des réalités vivantes, qu'elles ont un avenir, et que, dans la diversité des langues, les hommes pourront encore demain penser, créer, s'exprimer - et cela dans la perspective de l'échange et du dialogue. Chaque culture est singulière et n'a pas vocation à se replier sur elle-même, mais à contribuer à un patrimoine partagé entre tous les hommes.

Pouvons-nous, nous Français, être crédibles dans ce combat, si nous ne nous donnons pas les moyens de défendre la présence de notre langue dans l'espace européen ? D'autre part, comme l'a dit Mme Rimane, nous ne le serons qu'en manifestant notre attachement à la totalité de notre patrimoine linguistique, et notamment ces langues de France qu'elle a évoquées. Affirmer la présence de la langue française en Europe est un combat d'autant plus nécessaire que les capitales européennes sont des villes francophones : une capitulation de notre part serait bien paradoxale.

Le constat qu'a rappelé Michel Herbillon est préoccupant. Il rejoint le bilan qu'a dressé de son côté le Gouvernement dans un rapport remis à cette assemblée le 15 septembre. La France dispose, cependant, de nombreux atouts face au choc linguistique résultant de l'élargissement et, plus gravement, de la tentation de la banalisation linguistique. Celle-ci érige en langue vulgaire de l'espace européen et international un anglais lui-même banalisé, au point que l'expression d'une pensée sophistiquée y devient difficile...

Dans ce contexte, la proposition de résolution que nous examinons regroupe un ensemble cohérent et réaliste de mesures. Certaines sont déjà appliquées par le Gouvernement. C'est ainsi que les atteintes au principe du plurilinguisme sont régulièrement signalées aux institutions communautaires responsables, et je souhaiterais naturellement, comme le rapporteur, que nos observations soient prises en compte avec davantage de vigueur.

La question de l'enseignement obligatoire de deux langues étrangères dans les systèmes éducatifs européens progresse. Son principe est régulièrement promu dans le cadre des échanges bilatéraux conduits par le ministre de l'éducation nationale, et la Commission européenne soutient notre effort de promotion. Il conviendrait en effet, Monsieur le président de la délégation, que ce principe devienne une norme.

Michel Herbillon souligne la nécessité d'adapter le régime linguistique des institutions européennes. En effet, l'élargissement induira 420 combinaisons linguistiques possibles. Il y a là une source de richesse, mais aussi de nombreuses difficultés. Le risque est grand que derrière une sorte de façadisme linguistique, l'accroissement du nombre des langues officielles conduise à s'en remettre à l'anglais comme langue vernaculaire au sein de l'Union européenne.

Face à cette situation, l'action du Gouvernement se fonde sur plusieurs principes, qui rejoignent exactement ceux de votre proposition.

Nous conduisons concrètement une action en faveur du français, de concert avec nos partenaires francophones, à savoir la communauté francophone de Belgique et du Luxembourg, ce qui renforce encore notre position. Un plan intergouvernemental de promotion du français dans les institutions européennes a été mis en place. Son succès est indéniable.

En second lieu, nous soutenons la pratique d'un plurilinguisme raisonné, qui fasse toute sa place au français dans l'espace européen. Nous agissons également pour affirmer le rôle de langue de conception et de proposition du français, qui ne doit pas être seulement une langue de traduction. Sur ce point, j'ai toujours plaisir à constater que, dans les réunions européennes, certains de mes collègues étrangers, portugais et grecs en particulier, font l'effort, souvent avec élégance et autorité de s'exprimer en français. Nous devons leur en savoir gré.

Il est essentiel que le Gouvernement et l'Assemblée nationale travaillent, comme c'est bien le cas, dans la même direction. Quand l'intérêt culturel de la nation est en cause, il n'y a pas de place pour des attitudes partisanes. Vous écrivez, monsieur Herbillon, que le déclin du français en Europe n'est pas une fatalité. C'est vrai, et la France y travaille. Notre politique produit des résultats encourageants auprès de nos partenaires, qui sont acquis à l'idée que si l'Europe doit parler d'une seule voix, elle doit continuer de s'exprimer en plusieurs langues. La première expression de la diversité culturelle c'est, dans l'espace européen, la diversité linguistique. Le Gouvernement partage entièrement, sur ce point, les vues que vous avez exprimées et c'est pourquoi il soutient sans réserve votre proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Je salue le remarquable rapport de Michel Herbillon ainsi que les travaux de la délégation pour l'Union européenne et de la commission des affaires culturelles.

Vos recommandations rencontrent l'entière approbation du Gouvernement. Comme vous, je suis convaincu que l'avenir du français comme langue internationale se joue d'abord en Europe. A côté de ce front principal, d'autres sont ouverts, par exemple sur le continent africain. Là, il s'agit avant tout d'une question de moyens, à mettre au service des systèmes éducatifs locaux. Cette action recouvre largement le programme international de scolarisation universelle baptisé «Éducation pour tous», dans lequel la France joue un rôle déterminant.

La République démocratique du Congo offre sur ce point un bon exemple. Ce pays de plus de 60 millions d'habitants, qui sort meurtri d'une longue période de conflits, n'a qu'une seule langue officielle, le français. Mais seuls quelques millions de Congolais le parlent. Si nous parvenons à créer un système capable de délivrer un enseignement de base à tous les enfants, le Congo représentera bientôt 60 millions de francophones, et deviendra ainsi le deuxième pays francophone du monde. Mais si nous voulons que le continent africain soit pour le français ce qu'est le continent sud-américain pour l'espagnol et le portugais, encore faut-il qu'il demeure une langue internationale utile, et d'abord en Europe.

Jean-Jacques Aillagon a dit ce que sont nos objectifs et notre détermination. La première de nos priorités consiste à renforcer la coordination de nos actions et de nos moyens, comme le recommande aussi votre proposition de résolution.

La présence de la langue française dans le monde est une compétence actuellement dispersée entre plusieurs ministères, services et organismes. Ce constat n'est pas nouveau. Mes prédécesseurs ayant en charge la francophonie ne sont pas réellement parvenus à améliorer la situation. Monsieur Herbillon a rappelé la lenteur avec laquelle progressent des réformes qui sont pourtant de bon sens.

L'élargissement de l'Europe nous impose de prendre des mesures urgentes et significatives. Parmi les propositions que j'ai avancées figure la création, entre les ministères des affaires étrangères, de l'économie, de la culture et le secrétariat général du comité interministériel chargé de la coopération, d'un réseau de veille et d'alerte sur les questions linguistiques en Europe, afin de pouvoir réagir vivement aux lacunes et défaillances ainsi constatées.

De même, il nous faut mieux coordonner les moyens de promotion du français de nos nombreux services et opérateurs. Nos ambassades dans les pays concernés par l'élargissement disposent pour cela de crédits déconcentrés atteignant près de 10 millions.

Le ministère des affaires étrangères alloue en outre une somme de 610 000 €, sur ses crédits bilatéraux, à des actions de formation ciblées en direction de 3 000 ressortissants des pays d'Europe centrale et orientale occupant des fonctions de responsabilité.

Notre deuxième priorité consiste à appuyer notre politique en faveur du français sur la promotion du plurilinguisme en Europe. La coordination ne doit pas concerner que nos moyens nationaux ; nous devons également rechercher une concertation active avec nos partenaires les plus attentifs à la question linguistique.

Il y a d'abord les francophones, bien sûr, nos amis belges et luxembourgeois. Jean-Jacques Aillagon a cité le « plan pluriannuel pour le français » que nous avons signé en 2002 avec eux. Une enveloppe d' 1,4 million d'euros a permis de le financer sur le budget en 2003. J'examine actuellement, avec l'Agence intergouvernementale de la francophonie, la possibilité d'augmenter ces crédits. Ce plan a permis de financer la formation en français de 2 000 ressortissants des nouveaux pays adhérents et d'équiper 20 000 postes de travail d'un logiciel d'assistance à la rédaction en français.

Nous avons aussi besoin de nouer des alliances avec d'autres partenaires, attentifs au sort de leur propre langue. Je pense à l'Allemagne, dont la langue est parlée par le plus grand nombre d'Européens, en raison de son poids démographique, et qui fait preuve d'une grande vigilance. Nous avons décidé de coordonner nos positions au sein de l'Union.

Nous ne sauverons pas le français seuls contre toutes les autres langues, mais grâce au plurilinguisme. Telle est d'ailleurs l'orientation stratégique capitale qu'a choisie l'Organisation internationale de la francophonie, lors du sommet de Beyrouth en octobre 2002, en se faisant la championne de la diversité culturelle et linguistique dans le monde.

Dans le cadre de la Convention européenne en vue de la future constitution européenne, les négociations, serrées, ont abouti, comme le souhaitait la France, à l'inscription à l'article 3 du projet de constitution du principe du respect par l'Union de la diversité culturelle et linguistique.

Ce projet n'a pas été adopté, pour le moment, c'est regrettable, mais on peut espérer qu'il le sera sans trop tarder. En tout cas, ce n'est pas sur ce point que les négociations ont achoppé. Nous pourrons donc nous appuyer, le moment venu, sur un élément juridique fondamental pour préserver l'usage des langues, donc de la nôtre. Ce principe constitutionnel nous a fait défaut en plusieurs circonstances où l'usage du français a été mis en cause, y compris devant la Cour de justice européenne, parce que les instances européennes ne se référaient qu'au droit du commerce et de la consommation, le seul édicté jusque-là par les traités existants.

La désignation d'un coordinateur pour le multilinguisme auprès des institutions européennes irait également dans le bon sens. Il aurait pour mission d'observer, en toute transparence, l'application des règles.

S'agissant des nouveaux pays adhérents, nous avons entrepris, avec l'OIF, de sensibiliser ceux qui sont membres associés de la francophonie à la nécessité de mettre leurs pratiques en cohérence avec leurs engagements. Je compte organiser à ce sujet, dès que possible, avec le secrétaire général de l'OIF, le Président Abdou Diouf, une réunion des ministres des États membres et futurs membres de l'Union qui appartiennent également à cette organisation.

Troisième orientation : redoubler de vigilance vis-à-vis des régimes linguistiques des institutions européennes.

Je ne m'étendrai pas sur ce point, parce qu'il serait de moindre importance, mais parce que les rapports qui vous ont été remis comportent toutes les indications nécessaires, aussi bien sur la dégradation de la situation que sur les solutions à appliquer.

Le Gouvernement partage les points de vue de vos rapporteurs, repris dans la résolution, sur l'attitude que nous devons adopter. Il faut conforter les régimes qui réservent expressément une place privilégiée au français, PESC et COREPER ; maintenir le régime d'interprétation intégrale pour les réunions politiques majeures comme les Conseils européens et les réunions ministérielles ; pour les autres enceintes, expérimenter les nouveaux dispositifs actuellement envisagés mais pour une période limitée, toute décision définitive devant être précédée d'une évaluation précise ; effectuer des démarches systématiques auprès des instances européennes pour que les textes en français soient rédigés et diffusés simultanément aux textes en anglais.

S'agissant des fonctionnaires européens, à l'initiative de Dominique de Villepin et de Noëlle Lenoir, la France, avec le soutien de plusieurs de ses partenaires, a obtenu que soit inscrite dans leur statut l'obligation de pouvoir travailler dans au moins deux langues de l'Union en plus de la leur pour pouvoir bénéficier d'une promotion. C'est une façon concrète de faire progresser le plurilinguisme dans les services de la Commission et il faudra veiller à ce que cette disposition soit réellement appliquée.

Quatrième orientation : présenter une nouvelle offre d'apprentissage du français aux citoyens des membres actuels et futurs de l'Union. Si nous voulons que le plurilinguisme soit assuré dans les institutions, il faut qu'il progresse également dans les peuples. L'apprentissage obligatoire de deux langues vivantes à l'école est un enjeu déterminant. Dans les pays européens qui ont introduit cette règle dans leur système d'enseignement, l'Espagne et l'Italie par exemple, l'accroissement des élèves choisissant le français est spectaculaire. Il faut donc poursuivre dans cette voie et nous y engager nous-mêmes. Pour répondre à la demande extérieure, j'ai décidé de lancer en 2004 un programme triennal de formation de 2 000 professeurs de français dans les pays qui ont adhéré à l'Union. Nous examinons également les conditions dans lesquelles les études supérieures, les bourses et les diplômes français pourraient être rendus plus attrayants pour les jeunes de ces pays.

S'agissant de l'Allemagne, le Président Chirac et le Chancelier Schröder ont décidé, lors du dernier Conseil des ministres franco-allemand réuni à Berlin, le 18 septembre dernier, de mettre en oeuvre un plan d'enseignement du français en Allemagne et de l'allemand en France pour renverser l'évolution négative constatée ces dernières années.

Il faudrait parler également du rapprochement des systèmes éducatifs des pays de l'Union, de l'harmonisation des diplômes facilitant la mobilité des étudiants, des échanges culturels, de la diffusion du livre, des créations audiovisuelles et de bien d'autres moyens de développer la connaissance mutuelle des pays membres, de leur culture et de leur langue. C'est une politique d'ensemble qui doit promouvoir la langue française en Europe et dans le monde. La tentation de la facilité, c'est-à-dire du repli sur un idiome unique de communication, du reste singulièrement appauvri si on le compare à la langue anglaise, est une menace bien réelle. Raison de plus pour faire preuve de détermination et de persévérance !

Pour ma part, ce combat pour la langue française ne date pas d'aujourd'hui : je l'ai longtemps mené au sein de votre assemblée.

Aujourd'hui, il y a urgence. Le Premier ministre et le Président de la République sont très attentifs à ce sujet, et le Gouvernement est décidé à mobiliser les moyens nécessaires non seulement pour organiser la défense mais pour mener l'offensive.

Nous sommes devant un enjeu national, auquel il faut associer tous nos concitoyens, en montrant que l'avenir n'est pas à l'appauvrissement linguistique et culturel de l'Europe mais, au contraire, à la promotion de la diversité des cultures et des langues.

En vous confirmant, avec mon collègue Jean-Jacques Aillagon, l'approbation du Gouvernement à ce projet de résolution, je remercie l'Assemblée nationale, et particulièrement ses rapporteurs, M. Michel Herbillon et Mme Juliana Rimane, pour la contribution importante que le Parlement apporte aujourd'hui à cette démarche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bruno Bourg-Broc - L'apogée de la langue française remonte au siècle des Lumières, et plus particulièrement au traité de Rastadt de 1714 qui a fait du français la langue diplomatique internationale.

Sans doute de manière quelque peu provocatrice, Antoine de Rivarol, dans son Discours sur l'universalité de la langue française de 1784, affirmait sans complexe que le français était « la langue humaine ». C'est probablement parce que notre langue a été considérée avec tant de grandeur, que nous avons pris conscience de sa particularité ; et cette prise de conscience nous a sans doute ouverts sur les autres langues et sur les autres cultures. C'est peut-être également la raison pour laquelle nous refusons avec tant de vigueur l'uniformité linguistique.

La langue, plus qu'un moyen de communication, est le vecteur de la pensée humaine et l'expression d'un raisonnement. Choisir un mot plutôt qu'un autre, même inconsciemment a une signification précise. Pouvoir s'exprimer en choisissant un terme identifie la personne, son histoire, sa culture. L'uniformisation linguistique, plus qu'une négation d'une autre langue, est la négation d'une culture.

La prochaine entrée dans l'Union européenne de dix nouveaux pays suscite, chez nous Français, un sentiment de crainte d'une uniformisation du régime linguistique de l'Europe, notamment en faveur de l'anglais. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie, nous sommes très inquiets de constater la faible proportion de francophones, ainsi que l'insuffisance de l'enseignement du français dans les États candidats. Cette inquiétude a été relayée dans la résolution que nous avons adoptée en juillet 2003 à Niamey, et qui a été transmise aux instances de l'Organisation internationale de la francophonie.

Auguste Comte disait qu'il faut « prévoir, afin de savoir et de pouvoir ». C'est cette assertion qui nous incite à approuver la résolution relative à la « diversité linguistique en Europe ».

Cette proposition s'inscrit dans la logique d'un rapport qui m'a été confié par la commission des affaires culturelles de l'APF, sur le français dans les institutions européennes. Ce rapport, qui se conjugue parfaitement avec celui de notre collègue Herbillon, montre qu'il est urgent de réagir. Des rencontres que j'ai eues à Bruxelles, je suis ressorti sur constat pessimiste, mais tout n'est pas encore perdu ! Lorsque nous nous battons pour défendre la place du français dans les institutions européennes, nous nous battons également pour que la diversité linguistique soit une des caractéristiques de l'Union.

L'Europe est une entité géographique et politique qui se construit progressivement sur la base de volontariats, dans la négociation et non dans la lutte, à la différence d'un État nation.

L'Union européenne se bâtit autour des diversités culturelles et linguistiques. Les nier serait nier le fondement même de l'Europe. Ne nous trompons pas de combat : ce n'est pas uniquement du français, et de son éventuelle prédominance qu'il est question. Notre devoir est, certes, également d'aider les autres langues à conserver leur place, leur statut, leur caractéristique, leur originalité au sein de l'Union.

M. Pierre Forgues - Très bien !

M. Bruno Bourg-Broc - Nous devons faire évoluer le statut des langues et la France devra être le moteur de cette action, en ayant une attitude ouverte et positive : il ne faut pas jouer le même jeu que la langue anglaise, qui domine et écrase les autres, mais lutter pour la préservation de la diversité linguistique autant que de la diversité culturelle - ces combats sont d'ailleurs très proches. La langue est une composante essentielle de la culture et si l'Europe nie les langues, elle nie les cultures. Je suis convaincu que le destin de l'Europe se jouera autour de cette diversité ! L'Europe sera diversité ou ne sera pas.

Cette préoccupation a heureusement été transcrite dans le projet de constitution. La France, par l'intermédiaire de Valéry Giscard d'Estaing, a obtenu que celui-ci stipule que «l'Union européenne respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique».

Pourtant, en travaillant à un rapport sur « le français dans les institutions internationales », j'ai pu constater à quel point cette diversité linguistique est menacée en Europe même, et lorsque j'ai présenté ce rapport à la commission culturelle de l'APF, j'ai constaté l'étonnement de mes collègues devant cet état de fait et leur volonté d'y remédier.

Respecter la diversité linguistique, c'est d'abord assurer le plurilinguisme. L'exemple de l'Espagne montre que quand les élèves ont la possibilité d'étudier deux langues étrangères, le français devient en général la deuxième langue. Il faut donc offrir un choix plus large dans l'apprentissage des langues. Au passage, arrêtons de parler de «défense» de la langue française, préférons le terme de «promotion» de la langue française, beaucoup plus positif. La promotion d'une langue passe souvent par la connaissance de l'autre, c'est un échange libérateur.

L'accueil des nouveaux pays au sein de l'Union européenne sera plus facile et chaleureux si chacun est assuré de ne pas perdre son identité culturelle et peut s'exprimer dans sa langue.

C'est pourquoi, au nom du groupe UMP, j'approuve cette proposition de résolution. Garantir l'interprétation intégrale au Conseil européen est une nécessité impérieuse. Régulièrement, les parlementaires sont saisis par des citoyens las de la suprématie de l'anglais. Comment ne pas s'offusquer quand on découvre que les offres d'emplois au sein des institutions européennes sont, d'une part, rédigées en anglais, d'autre part, souvent réservées à des personnes de langue maternelle anglaise ? De même, comment ne pas s'indigner de la multiplication des appels d'offres en anglais ?

Enfin, on peut constater les apports des différents droits, en fonction de la langue dans laquelle le document est rédigé. Ainsi, le traité de Nice, rédigé en français, porte l'empreinte du droit français.

Il est temps d'agir en notre nom, et en celui des autres. La demande de respect de la diversité culturelle est très forte, il est de notre devoir d'y répondre.

Chaque pays, à commencer par la France, doit être le premier ambassadeur de sa langue ; cela implique que les Français travaillant dans les institutions européennes utilisent leur langue.

Je terminerai en rappelant quelques-unes des propositions qui figurent dans la résolution de Niamey.

La politique en matière de diversité linguistique doit être réaliste, voire pragmatique. Il ne faut pas formuler de propositions trop coûteuses, ni heurter nos partenaires, sous peine de courir à l'échec.

Mais il faut aussi savoir faire preuve de fermeté en exigeant l'application des textes et des consensus qui se sont dégagés au fil du temps, en veillant à l'usage du français par les fonctionnaires d'origine française.

Dans cet esprit, je ferai diverses suggestions : développer la francophonie à Bruxelles, notamment en favorisant la vie culturelle francophone ; prendre contact avec les représentations permanentes des futurs membres de l'Union ; faire preuve de vigilance en matière de recrutement ; être présent dans les différentes structures ; favoriser l'apprentissage des langues tout au long de la vie professionnelle ; faire savoir aux citoyens et aux entreprises qu'elles n'ont pas à écrire en anglais aux institutions européennes ; insister en permanence pour préserver trois langues de travail, position qui semble recueillir un certain consensus.

Il conviendrait, en particulier, d'exiger des candidats aux concours la parfaite maîtrise d'au moins deux de ces trois langues, en plus de leur langue maternelle, de conforter le trilinguisme modulaire - anglais-français-allemand ou anglais-français-espagnol -, de soutenir la création d'une école européenne d'administration préparant aux concours d'entrée des institutions européennes dans les trois langues de travail, de créer des classes d'immersion dans les différentes langues de l'Union européenne dès le niveau primaire.

Ces propositions sont ambitieuses, mais il s'agit d'une démarche à mener dans la durée.

Notre avenir est entre nos mains, le groupe UMP votera cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Forgues - Le prochain élargissement de l'Union européenne, le projet de constitution européenne, le recul du français comme langue de travail dans les instances européennes sont à l'origine de cette proposition de résolution, adoptée à l'unanimité par la délégation à l'Union européenne.

Il s'agit d'exprimer notre attachement au principe du plurilinguisme et de promouvoir le français comme l'une des langues de travail dans l'Europe élargie.

Le principe de l'égalité des langues, relativement simple à mettre en oeuvre lorsque la Communauté n'avait que quatre langues, est devenu de plus en plus difficile à respecter avec les élargissement successifs et les langues de travail se sont imposées.

Toute langue est le support d'une culture et la culture est le bien le plus précieux de tout citoyen européen. Pourtant la culture est restée à la marge de la construction européenne, qui s'est concentrée sur le développement d'une union économique et monétaire. Il n'est donc pas surprenant que l'Europe soit trop souvent ressentie comme une menace pour la diversité des cultures et aujourd'hui il est essentiel qu'elle sache, au contraire, valoriser cette diversité. Elle ne saurait se réduire à un espace économique, générateur de réglementations que les citoyens ont souvent du mal à accepter. Chacun ne se sentira européen que si sa langue a toute sa place dans l'Union. Il ne peut donc pas y avoir d'harmonisation linguistique et culturelle dans le cadre d'une citoyenneté européenne. Il faut, au contraire, réaffirmer le principe du plurilinguisme et de l'égalité des langues, et le faire vivre. Mais comment ?

Aujourd'hui y a onze langues officielles dans l'Union européenne, en mai prochain, il y en aura une vingtaine. Au Parlement, au Conseil européen, dans les réunions du Conseil des ministres, chacun s'exprime dans sa langue, et l'interprétation dans toutes les langues est assurée. En revanche, les réunions entre fonctionnaires se font dans les trois langues dites de travail - l'anglais, le français et l'allemand - ou en deux langues, - l'anglais et le français - et plus souvent encore en une seule langue - l'anglais.

En effet, les élargissements successifs ont conduit à favoriser l'anglais, au détriment du français et de l'allemand. La majeure partie de la documentation de la Commission est rédigée en anglais, seule langue utilisée, d'ailleurs, lors des négociations d'adhésion. À la Banque centrale européenne, l'unique langue de travail est l'anglais.

Comment faire face au défi logistique, technique et budgétaire que représente le principe d'égalité dans une Europe à vingt langues ?

C'est un exercice très délicat. Le projet de constitution laisse le problème ouvert, se contentant d'affirmer que la Conseil des ministres devra adopter, à l'unanimité, un règlement européen fixant le régime linguistique des institutions de l'Union.

Parmi les propositions avancées, nous retiendrons celle qui ferait passer le Parlement européen du plurilinguisme intégral à un « multilinguisme maîtrisé » autour de trois langues-pivots, l'allemand, l'anglais et le français. La Commission conserverait ses trois langues de travail actuelles, ce qui risque cependant d'être contesté par l'Espagne, l'Italie ou la Pologne...

Sur quels critères définir une langue de travail ? Le seul qui s'impose est celui du nombre d'Européens qui la parlent. L'efficacité voudrait, d'autre part, qu'il n'y ait qu'une seule langue de travail, qui serait inévitablement l'anglais. Personne n'osera faire une telle proposition, que la France ne manquerait pas de récuser. La sagesse commande donc que l'on en reste au statu quo. Mais ce multilinguisme, si maîtrisé soit-il, devra au moins s'ouvrir à l'espagnol et à l'italien. En revanche, le Conseil de l'Union et le Conseil des ministres doivent obéir au régime d'interprétation intégrale.

Maintenir le français comme langue de travail dans les institutions européennes ne suffira pas à assurer sa promotion, qui passe d'abord par l'apprentissage de deux langues dans tous les pays de l'Union. Pour la première, l'anglais s'imposera. Pour la deuxième, le français a de nombreux atouts, qu'il partage avec l'espagnol et l'allemand et, à un degré moindre, avec les autres langues européennes.

M. Salles remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

M. Pierre Forgues - Si le principe est celui de l'égalité de toutes les langues, Espagnols et Italiens pourraient revendiquer l'apprentissage d'une troisième langue. Ce raisonnement ne résiste donc pas à l'analyse.

Il faudra aussi exiger des fonctionnaires européens qu'ils maîtrisent deux langues en plus de leur langue maternelle, et développer les échanges scolaires avec les autres pays de l'Union. Or, l'argent manque pour cela, et en ce domaine, les grands discours ne sauraient suffire. Enfin, nous devons accueillir des fonctionnaires européens dans notre pays pour des stages.

Malgré nos bonnes intentions, la marche vers le monolinguisme dans les échanges de travail semble inexorable. Si elle se fait au profit d'une langue nationale, ce sera l'anglais. Pour parer à toute hégémonie ou discrimination, ne devrait-on pas promouvoir une langue non nationale comme deuxième langue ? Cette langue existe depuis plus d'un siècle : c'est l'espéranto. Cela peut paraître utopique, mais pas plus que l'euro il y a vingt ans ou la construction européenne il y a soixante ans. Cela relève de la raison et de la décision politique.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, rien n'est jamais acquis. Avant le français, le latin fut la langue de travail et d'échange en Europe. Cela ne l'empêchera pas, bien au contraire, de péricliter et de mourir.

Demain comme hier, les philosophes, les savants, les poètes, les artistes, les citoyens feront l'Europe, leur Europe, celle de leur culture, de leur langue, de leur identité, bref l'Europe humanisée au service du progrès économique et social, où chaque Européen se sentira chez lui : la mission des politiques est de les y aider (Applaudissements).

M. Gilbert Gantier - Le groupe UDF se félicite que nous ayons une fois encore l'occasion de débattre de l'Europe, et sur un sujet essentiel : la diversité des langues au sein de l'Union européenne. Notre langue n'est pas seulement un ensemble de mots, c'est toute une culture, une manière de penser et même de vivre, bref, un héritage reçu de nos ancêtres et que nous avons le devoir de transmettre à notre tour.

Si nous attachons tant de prix à la construction européenne, c'est parce que nous y voyons le seul moyen pour la France de demeurer une grande puissance et de nouer des relations de solidarité et d'amitié avec ses voisins. Ce qui fait l'originalité de cette construction européenne, c'est le multilinguisme : les autres organisations internationales ne reconnaissent qu'un nombre limité de langues officielles. Les pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, étaient particulièrement attachés à ce pluralisme linguistique que nous nous devons aujourd'hui de reprendre à notre compte.

Or, la perspective de l'élargissement rend la question de la diversité linguistique très épineuse. Dans notre Europe à quinze, il n'existe pas moins de onze langues officielles et de travail. C'est déjà beaucoup, voire trop. Demain, avec l'élargissement à vingt-cinq, l'horizon linguistique s'ouvrira à neuf langues supplémentaires, du hongrois au polonais, du tchèque au maltais. Nous devrons compter avec pas moins de vingt langues !

Le rapporteur l'a montré, les difficultés liées à la traduction et à l'interprétation de toutes ces langues ne sont pas seulement financières, mais aussi techniques et matérielles. Si le service européen d'interprétation est la plus grosse machine à interpréter au monde, le coût en reste supportable. Le problème porte davantage sur des questions techniques, en particulier le recrutement de traducteurs et d'interprètes dans les nouvelles langues : il n'existe pas de traducteurs maltais parlant le finnois ! (Sourires)

Nous considérons, à l'UDF, que le régime d'interprétation intégrale doit être maintenu au Conseil européen et lors des réunions ministérielles du Conseil de l'Union. Tout représentant du peuple a le droit de s'exprimer dans sa langue maternelle. Il est également souhaitable de pérenniser les régimes linguistiques des réunions sur la politique étrangère et de sécurité commune - l'anglais et le français - et des réunions du comité des représentants permanents, les réunions des ambassadeurs des États membres - l'anglais, le français et, dans une moindre mesure, l'allemand. Sur ces systèmes linguistiques, il existe un consensus fondé sur une pratique ancienne : il nous faut le conserver.

Quant aux réunions des autres groupes de travail du Conseil, il est souhaitable d'aboutir à un accord tenant compte des principes du pluralisme linguistique et de l'efficacité politique et administrative, ainsi que du coût.

Le groupe UDF s'oppose fermement à la généralisation des réunions sans interprétation, qui favoriserait l'utilisation d'une seule langue, contrairement au principe du multilinguisme.

La solution qui s'impose serait un régime « asymétrique » : chacun pourrait parler dans sa langue maternelle mais les débats ne seraient traduits que dans un nombre limité de langues de travail. Il faut donc en fixer le nombre.

L'essentiel est de maintenir le principe selon lequel chacun doit pouvoir s'exprimer dans sa langue, même s'il sera difficile d'empêcher l'utilisation d'une langue véhiculaire, aujourd'hui l'anglais, qui risque de s'imposer plus encore après l'adhésion des nouveaux membres.

L'enjeu de notre discussion d'aujourd'hui est donc la place du français. Il s'agit non seulement de répondre au défi linguistique que représente l'élargissement, mais aussi de promouvoir le français par une démarche volontariste. Comment ne pas être choqué que Malte soit le seul pays candidat où le français est plus enseigné que l'allemand ?

L'avenir du français dans le monde se joue désormais en Europe. C'est pourquoi une politique ambitieuse doit être menée pour le défendre, mais aussi pour le promouvoir. Il faut en particulier défendre l'idée d'une deuxième langue étrangère obligatoire : elle peut être un bon moyen de promouvoir d'autres langues que l'anglais. Il nous faut également encourager l'accueil en France d'étudiants étrangers.

Garantir le plurilinguisme, défendre les langues minoritaires - y compris certaines langues régionales - constitue également un moyen de promouvoir le français. Au moment où nous parlons de la diversité des langues nationales, nous ne pouvons passer sous silence la question des langues régionales.

La défense du plurilinguisme est un moyen de maintenir et de développer les traditions et la richesse culturelles de l'Europe. La protection et la promotion des langues nationales comme des langues régionales contribue en effet à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle.

Mais il s'agit surtout de défendre notre langue contre l'usage, qui tend à s'imposer, d'un anglais utilitaire bien éloigné de celui des grands auteurs de langue anglaise. Or cette dérive est aussi liée au développement d'une « a-culture » hélas caractéristique de notre époque.

La défense du français est donc aussi un élément essentiel de la sauvegarde de la culture européenne dans ce qu'elle a de plus universel. Je rappelle à cet égard que le roi d'Espagne et le Premier ministre de Grande-Bretagne ont tenu à s'exprimer en français à cette tribune, rendant ainsi à notre langue l'hommage qui lui est dû.

C'est dans cet esprit que le groupe UDF approuve cette proposition de résolution et souscrit à ses trois objectifs : garantir un plurilinguisme maîtrisé, promouvoir la langue française et développer l'apprentissage des langues étrangères dans les systèmes éducatifs européens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Brunhes - A travers cette proposition de résolution, deux questions indissociables sont posées. La première concerne le défi linguistique que représente un élargissement qui pourrait consolider la progression de l'anglais au sein des institutions européennes, la deuxième a trait à la place du français dont le recul, tout aussi net depuis le début des années 1990, pourrait s'intensifier. Face à cet enjeu, ce texte préconise à la fois le respect du plurilinguisme sous une forme maîtrisée et une démarche volontariste de promotion de notre langue. Certes, mon groupe soutiendra cette démarche. Mais permettez-moi de faire d'emblée deux observations. D'abord, les voeux, sans moyens, restent pieux et la réaffirmation de principes justes, même mille fois répétés, ne donne pas les résultats escomptés si l'essentiel ne suit pas. En l'espèce, l'essentiel, c'est de conduire une politique dynamique ambitieuse, assise sur les moyens adéquats dans tous les domaines qui font le rayonnement de notre culture. Loin de moi l'envie de polémiquer avec mon ami Pierre Forgues, mais, pour moi, la langue est l'élément constitutif de la nation à laquelle nous sommes viscéralement attachés. Elle ne peut être un vague espéranto ou un quelconque volapük étranger à notre histoire, à notre culture, à notre école, à notre pays et à notre continent.

Au reste, l'avenir du français ne se joue pas, n'en déplaise à notre rapporteur, qu'en Europe : il se joue d'abord en France et aussi dans le monde entier. Depuis fort longtemps, mon groupe se bat en faveur de la diversité culturelle et linguistique et pour la promotion du français car ces deux enjeux constituent les deux fronts d'un même combat contre l'uniformisation du monde et la domination du modèle anglo-saxon. Dans cette perspective, le pluralisme linguistique n'est pas un handicap, car il permet de dépasser l'affrontement stérile car perdu d'avance entre le français et l'anglais. Il est vrai que l'équilibre à atteindre n'est pas aisé, comme l'atteste la situation communautaire, cependant même que l'Union consacre le principe d'égalité des langues officielles de l'Union. Las, ce régime est plus ou moins théorique en fonction des règles retenues par chaque institution faisant que certaines langues sont « plus égales » que les autres...

Mais au-delà des distinctions d'usage entre elles, une réalité incontournable nous interpelle : le rôle croissant de l'anglais et le déclin parallèle du français, accentué depuis 1995. Nous en avons de multiples exemples : chute libre des documents de la Commission initialement rédigés en français ; sites internet des institutions disponibles uniquement en anglais tel celui de la Banque centrale européenne ; appels d'offres rédigés en anglais, annonces de recrutement spécifiant que les candidats doivent obligatoirement être de langue maternelle anglaise...

La situation risque encore d'empirer avec l'élargissement aux Dix et le passage d'onze langues officielles à vingt ou vingt et une. Il est à craindre que face aux problèmes matériels que posera une telle évolution, le principe juridique d'égalité devienne un peu plus théorique encore et que, de fait, s'instaure un régime de domination sans partage de l'anglais.

Rappelons en effet que cette langue est maîtrisée par une très forte proportion des étudiants de la nouvelle Europe et qu'elle était la langue unique des négociations d'adhésion. Elle est la première langue étrangère parlée par 82 % des 162 observateurs au Parlement européen, issus des futurs pays adhérents. J'ai observé avec effarement que le français n'était parlé que par 4 % d'entre eux, contre 14 % pour l'allemand ! Ce constat n'est d'ailleurs que le reflet de la situation de notre langue dans le système éducatif de ces pays, où elle arrive en troisième position, dans quasiment tous les cas, loin derrière l'allemand !

Dans ces conditions, les mesures que contient la résolution sont certes utiles, mais elles restent très insuffisantes eu égard à la situation critique de notre langue et aux défis qu'elle doit affronter. L'avenir du français, contrairement à ce qu'affirme le rapporteur, ne se joue pas essentiellement en Europe mais d'abord au plan national. Il dépend des moyens donnés à l'école pour l'apprentissage du français et des langues étrangères, du rayonnement de notre culture dont l'appauvrissement est synonyme d'appauvrissement de la langue, de l'état de notre recherche, de la valorisation de notre potentiel économique, soit autant de domaines où la politique gouvernementale est désastreuse et tend à renforcer l'omniprésence de l'anglais, déjà bien ancrée dans les sciences, dans l'informatique, dans les techniques. Nous en sommes au point où le français risque de devenir un dialecte dans notre propre pays.

L'avenir du français se joue aussi à l'échelle internationale, où le constat du déclin, dressé dans de nombreux rapports d'information remis ces dernières années au Premier ministre ou au Parlement, est sans appel. Ainsi, aux Nations unies, le français, pourtant langue officielle, recule en faveur de l'anglais dont l'usage est prépondérant dans le travail quotidien, à New York, à Vienne et même à Genève !

Les enjeux linguistiques sont vitaux et nous ne pouvons nous résigner à un déclin qui n'a rien de fatal. En effet, notre langue ne manque pas d'atouts : 160 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents, un riche réseau de promotion de la francophonie, le véhicule de valeurs universalistes et une incomparable créativité.

La défense de la langue est affaire de volonté politique et celle-ci se jauge à l'aune des mesures effectivement mises en _uvre pour contrer les difficultés. Il est urgent de conduire une réflexion globale, bien au-delà des propositions lacunaires pour répondre au défi de l'élargissement de l'Union, sur l'ensemble des causes de ce déclin et sur celles de l'efficacité limitée de l'action gouvernementale en la matière.

Cela m'avait conduit à déposer une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les politiques publiques de promotion de la langue française. Las, elle n'a pas été reprise par la commission des affaires culturelles, au motif sans doute que bien des initiatives avaient déjà été prises à ce sujet depuis le début des années 1980. Il reste que nous manquons toujours d'une vision synthétique et globale de ces enjeux alors que nous sommes très nombreux sur ces bancs, dans tous les groupes, à vouloir défendre avec acharnement la place du français dans le monde.

M. le Président - Il faut conclure.

M. Jacques Brunhes - Pour reprendre la belle formule du délégué général à la langue française, il faut attiser le désir du français et ne jamais se résigner au désenchantement qui semble pouvoir gagner le reste du monde à son endroit. Le désir du français est indissociable du regard porté sur nos valeurs. Plus la France sera porteuse d'un projet alternatif au schéma libéral dominant, plus elle défendra les valeurs de solidarité et d'égalité des cultures, plus elle répondra à sa vocation de promoteur inlassable des valeurs humanistes, plus la place de notre langue dans le monde sera confortée (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Céleste Lett - La perspective de l'élargissement du 1er mai prochain et le projet de constitution européenne élaboré par la Convention sur l'avenir de l'Europe ont remis sous les feux de l'actualité les enjeux linguistiques, qu'il s'agisse de l'utilisation des différentes langues officielles des États membres ou de la place des langues régionales.

Dès l'origine de la construction européenne, la Communauté a édifié un ensemble juridique particulièrement protecteur de la diversité linguistique, en affirmant l'égalité des langues officielles et en soutenant les langues régionales. Pour l'Union, la pluralité linguistique constitue une richesse sans équivalent. Le fait que chacun se voit reconnaître le droit de s'exprimer dans sa propre langue participe du fonctionnement démocratique des institutions communautaires. Parallèlement, la reconnaissance des langues régionales - souvent langues internationales ou langues reconnues officiellement dans d'autres États, tels le catalan en Espagne - témoigne de l'orientation tolérante et respectueuse de l'altérité dont est porteuse l'oeuvre communautaire.

La valorisation du français au sein de l'Union passe par la reconnaissance de nos langues régionales à l'intérieur de nos frontières. Il serait vain de revendiquer une place prépondérante pour notre langue si nous sommes incapables de reconnaître toutes celles qui vivent sur notre propre sol.

La France a signé la charte des langues régionales ou minoritaires. Elle se doit désormais de trouver les voies de sa ratification. Au-delà des dispositions en faveur de la langue française concernant les fonctionnaires et les diplomates, son enseignement, ou les activités culturelles en français en Europe, la France serait à la hauteur de sa mission en Europe et dans le monde en servant de modèle pour le développement du plurilinguisme. Il est souhaitable que l'enseignement obligatoire de deux langues vivantes devienne une norme européenne, et que les langues des nouveaux pays membres soient largement enseignés dans l'Union. D'autre part, une large information des citoyens français sur l'utilité de cette diversité, et la mise en place d'une large palette de langues proposées à l'enseignement en France - y compris en tant que « langue vivante 1 », pour éviter le monopole impérial de l'anglais - sont souhaitables. Cela suppose une démarche volontariste, tout comme le pôle européen de formation initiale et continue peut aussi être envisagée et pourquoi pas à Strasbourg ?

Pour ce qui est des langues régionales, M. le ministre de la culture, lors des premières assises nationales des langues de France le 4 octobre, a souhaité que des initiatives parlementaires permettent l'expérimentation de nouveaux dispositifs dans le cadre de la décentralisation. Il a également souhaité qu'un statut législatif et réglementaire pour les langues régionales vienne combler le vide actuel. Aujourd'hui leur présence dans le cadre réglementaire se limite à l'enseignement. Deux dispositifs existent : soit un enseignement extensif de deux heures, soit un enseignement bilingue paritaire de treize heures dans chaque langue. Cet enseignement ne doit pas se concevoir seulement comme une initiation, mais aussi développer l'apprentissage bilingue précoce dès la maternelle, permettant l'utilisation de la langue seconde pour l'acquisition de différentes matières. Ce sont les méthodes utilisées par les écoles françaises à l'étranger. À titre d'exemple, je citerai les dialectes alémanique et francique en Alsace-Moselle, et leur forme standard, le haut-allemand, utilisé par plus de cent millions de locuteurs.

Il importe d'introduire une troisième langue vivante dès la sixième. Ces innovations, en France, permettront à la langue nationale de connaître un nouveau développement dans l'Europe des Vingt-Cinq. Mais ces enseignements devront se développer plus vite qu'aujourd'hui, avec une réglementation plus contraignante à l'égard de l'éducation nationale. Toutes ces avancées traduiront le respect d'une tradition plurilingue et d'un enjeu où la France doit s'investir fortement pour être digne du rôle de moteur européen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Forgues - Très bien !

La discussion générale est close.

ARTICLE UNIQUE

 

M. le Rapporteur de la délégation - L'amendement 1 a pour but de tenir compte de l'évolution intervenue depuis l'adoption du texte par la délégation. En effet, la Commission européenne a récemment approuvé les termes du compromis intervenu le 19 mai dernier, tendant à introduire dans le statut des fonctionnaires européens l'obligation de maîtriser deux langues vivantes, en plus de leur langue maternelle.

L'amendement propose donc une nouvelle rédaction du troisième alinéa du V de l'article, demandant au Gouvernement de veiller à ce que les termes de ce compromis soient transcrits dans le statut des fonctionnaires, et que celui-ci prévoie une procédure objective d'évaluation des compétences linguistiques.

L'amendement 1, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur de la délégation - L'amendement 2 tend à supprimer l'avant-dernier alinéa du V. Celui-ci est devenu sans objet depuis que la délégation s'est prononcée, le 23 octobre, sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le statut des fonctionnaires européens.

L'amendement 2, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article unique, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

M. Pierre Forgues - Je souhaite faire une mise au point sympathique, dans un débat qui a été serein, et où chacun s'est exprimé dans sa langue, en évitant la langue de bois (Sourires). M. Brunhes ne m'a pas bien compris. Quand il dit que la langue est constitutive de la nation, j'irai plus loin : elle est constitutive de l'individu. Je ne propose pas que l'espéranto se substitue, par exemple, au gascon, qui est ma langue maternelle. Je demande, pour éviter toute hégémonie d'une langue nationale et tout conflit que l'espéranto puisse être une deuxième langue de travail, que connaîtraient tous les Européens. Cela conforterait toutes les autres langues. Moi qui ai été un défenseur de la langue gasconne, me voici occupé ici, par un étrange retour de l'histoire, à défendre la langue française...