Sujet : À propos de l'AIT, l'Institut Asiatique de Technologie
Date : 14/02/2007
De : Charles Durand  (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

Charles Durand :

Voici ce que j'écrivais récemment dans un article publié sous le titre: « Si ce n'est pas rédigé en anglais, cela ne vaut pas la peine d'être lu ! »
La croyance que des non-natifs peuvent exploiter l’anglais à leur profit au même titre que les natifs anglophones est une pure illusion. Toute organisation qui fonctionne en anglais, mais qui emploie des personnes pour lesquelles l’anglais n’est pas langue maternelle est dans l’impossibilité de délivrer les mêmes bénéfices et la même qualité de service qu’une autre organisation similaire mais pilotée par des natifs anglophones, tous autres facteurs restant identiques.

C’est particulièrement le cas pour les universités prétendument « internationales » ou pour les instituts installés dans des pays non anglophones et qui emploient du personnel n’ayant pas l’anglais comme langue maternelle pour servir les besoins d’une clientèle du même type. « L’Asian Institute of Technology (AIT) » de Bangkok appartient exactement à cette catégorie. L’AIT est actuellement financé par un consortium de pays non anglophones (dont la France) et il accueille un peu moins de 2000 étudiants, tous au niveau des études supérieures (DEA et doctorat), parmi lesquels on ne trouve pratiquement aucun natif anglophone.

L’AIT emploie environ 200 professeurs de 29 pays différents mais seulement 10% d’entre eux sont des anglophones natifs. L’AIT clame haut et fort l’excellence de ses programmes. Cependant, quiconque visite l’AIT et prend la peine d’assister à quelques cours remarque immédiatement que la langue
utilisée à l’intérieur de l’AIT ressemble davantage à un patois qu’à une langue adaptée aux besoins d’une université, avec peu d’exceptions. La triste vérité est que l’AIT officialise des habitudes en communication qui font apparaître ses étudiants et une grande majorité de ses professeurs comme étant mentalement retardés lorsqu’ils font une présentation en anglais à un auditoire de professionnels anglo-saxons. Il est difficile pour quiconque d’être considéré comme un professionnel lorsqu’on utilise un langage qui ne partage pas les caractéristiques du discours professionnel !

Il est difficile d’être considéré comme un expert si l’on n’a pas le discours d’un expert et une complète aisance dans le véhicule linguistique utilisé est une condition absolument nécessaire mais, bien sûr, insuffisante. Même bardé de diplômes, le jeune docteur d’un institut qui semble avoir bonne réputation, a priori, ne peut évider d’être déconsidéré par rapport à ses collègues qui auront terminé leurs études en Angleterre, en Australie ou aux États-Unis, lors d’un entretien. Le désir de mobilité professionnelle est l’une des réponses aux défis de la mondialisation telle qu’elle est perçue. À ce titre, l’AIT n’est pas en mesure d’offrir la mobilité que ses étudiants y sont venus chercher, par le biais d’un enseignement en anglais, mais juste une apparence qui ne résiste pas au test en milieu authentiquement anglophone…

 

Claude Piron :

Mon expérience lorsque j'ai vécu aux États-Unis confirme tout à fait ce que dit Charles Durand. Beaucoup d'immigrants renoncent à leur langue, mais les efforts désespérés qu'ils font pour parler comme les Étatsuniens sont voués à l'échec et ils sont considérés comme inférieurs par les natifs. Il y a là une déculturation déplorable. On retrouve la même chose à Singapour, où beaucoup de familles renoncent au chinois, au tamoul ou au malais pour passer à l'anglais avec l'illusion que leurs enfants auront de meilleures chances de réussir leur vie. Le résultat est une dramatique déculturation.

Les gens perdent leurs racines culturelles, mais elles ne sont remplacées par rien de vraiment consistant.

 

Charles Durand :

La triste vérité est que l'AIT officialise des habitudes en communication qui font apparaître ses étudiants et une grande majorité de ses professeurs comme étant mentalement retardés lorsqu'ils font une présentation en anglais à un auditoire de professionnels anglo-saxons.

 

Claude Piron :

Très juste. J'ai été très frappé un jour par la remarque amère d'un scientifique japonais particulièrement brillant qui disait: "Quand on est obligé de s'exprimer dans une langue qu'on ne maîtrise pas -- et peu de mes compatriotes peuvent arriver à maîtriser une langue aussi différente de la nôtre et aussi incohérente que l'anglais -- on a l'air d'un débile."

À propos de l'incohérence, c'est lui qui m'a fait remarquer que dans presque toutes les langues du monde le mot "dentiste" est dérivé de "dent" (japonais : "dent" "ha" > "dentiste" "ha-isha", allemand "Zahn" > "Zahnarzt", etc.) alors qu'en anglais, se mettre dans le crâne que "dent" se dit "tooth" (et que le pluriel est irrégulier: "teeth"), n'aide en rien pour savoir que "dentiste" se dira "dentist".

Ce problème complique tout le lexique anglais: "year" / "annual", "moon" / "lunar", "city" /"urban", "weapon" / "disarmament", etc.

Les francophones ne se rendent pas compte de ce problème, parce que le mot aberrant est en général tiré de leur langue, mais pour un Hongrois, un
Bulgare ou un Estonien, l'acquisition du vocabulaire anglais demande deux fois plus d'efforts que l'acquisition du vocabulaire d'une autre langue.

Voilà un aspect jamais traité du caractère antidémocratique et antieuropéen de l'usage de l'anglais.