Sujet : Francophonie africaine
Date : 23/03/2008
De : Charles Durand  (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

Opinion

Libre-Opinion : Le français en état de siège ?

    

Si la Francophonie représente « l'ensemble des peuples parlant français », il appert pertinent de parler de l'évolution du français en Afrique, surtout en cette Journée internationale de la Francophonie. Un bref recul historique nous enseigne qu'à la veille de la Première Guerre mondiale, la France possédait le deuxième empire colonial du monde, composé essentiellement de pays africains. Pour ces derniers, le français devenait donc la langue officielle, la langue d'enseignement et la langue de communication internationale.

Au Sénégal, pays d'Abdou Diouf, bon gardien de la Francophonie en sa qualité de secrétaire général de la Francophonie, de 15 à 20 % seulement des Sénégalais parlent la langue de Molière, de 80 % à 90 % des jeunes Sénégalais ne parlent pas le français et 82 % des Sénégalais vivant en milieu rural ne savent ni lire ni écrire aucune langue (données issues de www.languefrancaise.net/news/index).

Alors que cette chère langue française n'est parlée parfaitement que par 10 % des Africains et que les Français de France se mettent à l'anglicisme, la cohabitation linguistique et le désir des Africains de parler français en leur propre langue donne naissance à une langue française inspirée des langues locales : la « franco-débrouille ».

En effet, l'analphabétisme récurrent des pays africains francophones a donné naissance à une nouvelle langue, dépendamment des pays, laquelle combine l'utilisation d'un français africain que même le Français de France ne comprend pas. En effet, peu importe la manière dont cette expression est présentée, pourvu que ce soit une langue qui ressemble au français et qui sonne français même si elle est nettement incompréhensible.

Un nouveau vocabulaire souvent imagé et puisé à même les langues nationales est donc né, ce qui nous donne en substance des expressions comme : Bloquer ses sciences » (au Cameroun : « Ne me prends pas pour un imbécile, cesse de te moquer de moi »). Au pays des hommes intègres, le Burkina Faso, vous pourrez choisir entre le « poulet bicyclette », le poulet grillé au barbecue (en référence aux poulets transportés par centaines sur des bicyclettes faisant le trajet des poulaillers situés en banlieue jusqu'en ville) et le «poulet télévisé» (poulet de rôtisserie où on peut voir l'oiseau tourner en vitrine, celle-ci faisant office d'écran) pour enfin massacrer le français avec du «poulet à l'aille», en plein centre-ville de Dakar, au Sénégal, pays de Senghor.

Le français serait-il en état de siège? En combinant la langue française et la « franco-débrouille », la Francophonie reste à être réinventée en Afrique. « Les 29 États africains membres de la Francophonie représentent environ 200 millions de personnes réparties sur 41,8 % de la superficie de l'Afrique... L'Afrique subsaharienne compte à elle seule presque 39,5 millions de francophones (estimations pour l'année 1997), dont 34 % en Afrique équatoriale de l'Ouest, 29 % en Afrique tropicale, 25 % en Afrique équatoriale de l'Est et enfin 14 % en Afrique sahélienne » (Statistiques de la Banque internationale d'information sur les États francophones : http://www.acctbief.org/).

Mais le français en Afrique est en chute libre. La concurrence américaine devient palpable dans une Afrique désabusée de l'aliénation en Francophonie. D'où une lutte d'hégémonie menée par la France contre le géant américain face à une jeunesse africaine, aujourd'hui très loin des idées senghoriennes de francité. La prise de conscience par les nouvelles générations africaines voulant que l'apprentissage de la langue anglaise soit primordial dans un contexte de mondialisation, au même titre que les mathématiques et les sciences technologiques, fait de l'« exception culturelle », fruit d'une «francité accidentelle», une communauté d'influence dont ils se doivent de profiter afin de défendre leurs propres intérêts.

Loin derrière, les affirmations des fiers sujets français d'origine africaine et de leurs prétendus ancêtres, les Gaulois. «La Francophonie [...], cet humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre [...]», comme le disait si bien Léopold Sedar Senghor, n'est plus d'actualité dans cette bataille nouveau genre imposée par l'implantation graduelle de la puissance économique américaine et de la langue de Shakespeare sur le continent.

Cette Francophonie seulement humaniste est à l'agonie et possède maintenant deux visages bien distincts mais inséparables, soit la francophonie linguistique et l'autre francophonie... économique, de relations internationales, instrument de rapprochement entre États et entre peuples sur la base d'une langue commune. Celle-là même qui, sans conteste, est une tribune internationale idéale pour l'Afrique dans la mesure où les pays africains sont majoritaires en son sein.

Alors que se dessine, d'une part, la Francophonie institutionnelle de la France et, d'autre part, une Afrique qui abrite 32 des 48 pays les plus pauvres du monde, que sera l'avenir de la Francophonie sans l'Afrique ?

 

Lydie Olga Ntap,

 Montréal

 

Source : ledevoir.com, le 20 mars 2008

http://www.ledevoir.com/2008/03/20/181315.html

 

 

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Réaction :

Mon expérience africaine est très faible et se résume à un séjour d'une semaine à Ouagadougou en 2005, à l'occasion de la conférence sur le développement durable organisée par l'AIF et l'AUF à laquelle j'ai participé.

Cependant, avant cette manifestation, j'avais assisté à une autre conférence, qui se tenait à Ouagadougou également, sur les questions linguistiques et qui réunissait de très nombreux spécialistes africains dans ce domaine et j'en ai retiré un certain nombre d'informations qui, je crois, sont  intéressantes à communiquer ici. J'ai eu également des contacts avec la population locale, du personnel de l'hôtel, des vendeurs de souvenirs ainsi qu'avec d'autres Burkinabés qui avaient sympathisé avec moi.

Je fis de plus fait l'expérience d'aller faire quelques courses dans les marchés les plus pouilleux que j'ai pu trouver pour y acheter quelques fruits, ce qui est une excellente occasion de tester le niveau en français des gens les plus humbles socialement parlant, enfin tout au moins ceux de la ville car je n'ai pas du tout eu l'occasion d'aller en brousse.

J'eus la surprise de constater que je pouvais négocier le prix de mes mangues et de mes bananes totalement en français, et d'entendre un français tout à fait compréhensible. A côté, un Québécois d'un niveau social relativement équivalent à celui des petits marchands auxquels j'ai eu affaire aurait été à peu près incompréhensible pour un Européen francophone ! A titre de comparaison, dans les marchés d'Asie du sud-est, dans les pays de l'ex-Indochine française, il est depuis longtemps impossible de s'y faire comprendre en français ni de recevoir une autre réponse que dans la langue locale...

Je me souviens également avoir repéré un couple d'Asiatiques qui avaient l'air un peu paumés (en mission ? des touristes ? je ne l'ai jamais su) et qui essayaient de se faire comprendre dans un mauvais anglais, en vain...

Les deux conférences auxquelles j'ai participé pour l'une et assisté en observateur passif pour l'autre furent très instructives. Elles rassemblaient de toute évidence le gratin des intellectuels africains francophones dans les spécialités traitées et le français qui était parlé ne me paraissait pas du tout ressembler à une langue étrangère pour ces gens là qui le maniaient avec dextérité et une grande aisance, en démontrant souvent une expression d'une qualité supérieure à celle de la langue parlée par un Français moyen.

Lors de la conférence sur les questions linguistiques, j'ai appris que, dans les régions côtières des pays africains francophones, le français se substituait souvent aux langues régionales chez les jeunes, ce qui n'était pas le cas dans les zones intérieures. J'ai également noté que beaucoup d'intellectuels africains voulaient que les langues locales se substituent au français à l'école, tout au moins dans les cycles élémentaires car ils citaient des études qui semblaient indiquer que le degré d'assimilation de certaines matières telles que arithmétique, mathématiques, sciences de base, etc. ne soit pas aussi bon en français que ce qu'il serait si l'enseignement était fait dans les LANGUES MATERNELLES des élèves. Je pense qu'il faudra donc compter avec cette tendance en Afrique francophone. Le problème qui se pose alors, bien sûr, est le fait que beaucoup de ces langues régionales ne sont pas écrites et qu'elles ne sont donc pas normalisées à l'exception de celles qui ont une grande diffusion. Il est certain donc que, sur ce point particulier, il y aura encore pendant longtemps un fossé entre les souhaits exprimés et ce qui est réellement applicable.

L'auteur de l'article ci-dessous nous donne des statistiques sur le nombre de locuteurs de français au Sénégal. Je ne conteste pas ces chiffres mais, ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas trouver un Sénégalais ayant terminé des études secondaires sans avoir une très bonne connaissance du français. Les contre-exemples sont tout simplement impossible à trouver.

En discutant avec les Burkinabés de la rue, je me suis rendu compte qu'il y avait effectivement certaines inquiétudes à propos du français et que sa pérennité était remise en question mais le point d'origine de ce phénomène n'est pas en Afrique. Il découle de la simple constatation que les pays francophones du Nord ont basculé à l'anglais dans les sciences, les techniques, ainsi que dans d'autres domaines, au minimum au niveau de la communication écrite. Quant aux intellectuels, quoi de plus humiliant de constater que, lorsqu'ils se rendent dans un pays francophone du Nord pour assister à une conférence spécialisée, la langue française qu'ils ont fait l'effort d'apprendre en tant que langue seconde n'est plus la clé d'accès aux connaissances et à la recherche de pointe dans les seuls pays authentiquement francophones ? Quoi de plus aberrant pour un Africain francophone qui s'est vu greffé le français dans son cerveau dès son arrivée à l'école de constater que cette connaissance est inutile et qu'il est considéré comme un sous-développé par les Français, les Belges ou les Suisses parce qu'il ne parle pas anglais, même si cela demeure un anglais de cuisine ?

La plus grande menace qui pèse sur le français en Afrique, c'est celle là, semble-t-il avant toute autre considération sur les velléités étasuniennes de colonisation linguistique et culturelle.

Enfin, d'après les dernières nouvelles dont je dispose, la plus grande présence étrangère en Afrique est maintenant celle des Chinois qui vendent des produits manufacturés à bas prix et qui, contre des ressources naturelles, sont également prêts à développer des infrastructures. Ils serait intéressant de savoir quelle influence ils ont sur le plan linguistique mais il semblerait a priori qu'ils utilisent le français en Afrique francophone et qu'ils n'aient aucune ambition de changer les choses dans ce domaine.

De toute évidence, l'article a été  écrit par une Africaine francophone vivant au Québec et le ton de l'article confirme que, au Québec et sans doute plus que dans son pays d'origine, elle ressent cette fameuse incertitude linguistique typique des Québécois qui l'interroge sur le bien fondé d'avoir appris le français dans sa tendre enfance.... Ce choix était-il le bon ? Mais bientôt, on en sera à ce point en France également, si la culpabilisation systématique de ne pas parler anglais ou de mal le parler continue à se répandre en France et dans le reste de l'Europe continentale...

Le français n'a d'avenir en Afrique que s'il en a en France et dans les autres pays francophones. Tant qu'il n'est langue maternelle que pour peu d'Africains, le rejet du français par ceux que le système français reconnaît être des intellectuels ou des hauts fonctionnaires (Valérie Pécresse, Alain Minc et autres crétins galonnés...) est le facteur qui met le plus en danger le français d'Afrique. C'est clair.

Charles Durand