Sujet : Les absurdités de la politique linguistique européenne
Date : 18/11/2007
De : Charles Durand   (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)     Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

Les absurdités des politiques linguistiques européennes

Dans un essai remarquable publié l'année dernière[1], Áron Lukács s'est penché sur les problèmes que posent les dispositifs d'enseignement des langues dans l'Union européenne et dont je voudrais résumer ici les principaux aspects. S'inspirant des travaux de François Grin[2], Lukács précise néanmoins qu'une telle étude doit être conduite à la lumière des principes fondateurs de l'UE et nul ne les résume mieux que les textes des traités, en particulier celui instituant la Communauté européenne (tel que modifié par le traité d'Amsterdam et qui s'est appliqué à partir du 24 juillet 2002[3]). L'article 4 du dit traité stipule :

« L'instauration d'une politique économique commune fondée sur l'étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d'objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».

Les textes de l'OCDE précisent les règles s'appliquant à la compétition qui en résulte et qui visent à la rendre équitable en interdisant plus particulièrement toute situation de monopole. D'autre part, l'article 158 du traité fondateur prévoit que :

« La Communauté vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales ».

C'est donc à travers la grille de lecture constituée par les principes économiques fondateurs de l'UE que Lukács procède à son étude. Nous verrons plus loin que ces principes sont en complète contradiction avec la situation linguistique de l'Europe qui crée de fait un monopole en faveur d'une seule langue, l'anglais, et en faveur d'un seul pays de l'UE, la Grande-Bretagne. Un monopole qui déséquilibre les flux financiers au détriment de l'Europe continentale et qui provoque une distorsion de sa politique économique et, cela, en violation totale des textes fondateurs sans toutefois éveiller de revendication particulière de la part des États membres ni de menace de rétorsion de la part des autorités bruxelloises.

 

Le coût de l'enseignement des langues en Europe

 Les dispositifs éducatifs de l'Europe des 15 dépensent près de 53 milliards d'euros sur l'enseignement des langues étrangères tandis que l'Europe des 25[4] en dépense près de 60 milliards. À ce coût doivent cependant être ajoutés celui de l'acquisition du matériel pédagogique ainsi que les frais de voyage et de séjour dans les pays où des études linguistiques sont effectuées. La langue étrangère la plus enseignée dans l'Europe continentale étant l'anglais, il est normal de se pencher un peu plus sur le cas de l'Angleterre dont la langue est enseignée à peu près partout. D'après des chiffres publiés au Royaume uni, 800 millions de livres servant de support à des cours de langue anglaise sortent des presses chaque année, tandis que 700000 étudiants d'Europe continentale vont en Angleterre pour y apprendre ou parfaire leur pratique de l'anglais. En 2005, ces étudiants y ont dépensé 2,6 milliards d'euros tandis que François Grin évalue à 15 milliards d'euros le revenu global que la Grande-Bretagne tire de l'enseignement de sa langue sur le continent européen. Dans les quinze dernières années, la Grande-Bretagne a également récupéré dans une large mesure l'organisation des examens qui sanctionnent un niveau particulier d'anglais (First certificate of Cambridge par exemple) et qui sont de plus en plus utilisés par les écoles d'ingénieurs et autres organismes de formation technique, tandis que les professeurs d'anglais non britanniques des pays d'Europe continentale ont été décrédibilisés pour concevoir et administrer leurs équivalents.

L'apprentissage d'une langue étrangère se fait bien entendu aux dépens d'autres études et aussi aux dépens des activités de production. Elle décroît donc le rendement des économies nationales. Si l'on tient compte d'un coût de travail horaire moyen de 21,2 euros pour l'Europe occidentale, on arrive à une perte chiffrée à 210 milliards d'euros par an, c'est-à-dire plus de trois fois plus que le coût de l'enseignement lui-même ! Bien entendu, dans le cas d'une seconde langue étrangère, les coûts indiqués ici doivent être dupliqués, pourvu que les mêmes moyens employés à l'étude de la seconde langue soient les mêmes que pour la première.

Dans son article, Lukács traite aussi des problèmes résultant des difficultés de compréhension et d'interprétation. À ce titre, le fonctionnement de la Commission et du parlement européens nous dévoile les problèmes spécifiquement créés par la politique linguistique de l'Europe qui, ne l'oublions pas, cherche à mettre en harmonie les politiques linguistiques des États membres. Or, que constate-t-on ? En dépit d'un plurilinguisme de principe, la priorité est donnée de plus en plus à une seule langue, c'est-à-dire l'anglais, et dont la connaissance est de facto exigée pour travailler, en particulier à la Commission, même si cette disposition ne figure nullement dans les textes officiels. De ce fait, les anglophones natifs bénéficient de l'atout d'être compris dans la majorité des circonstances où ils ont à prendre la parole tandis que la compréhension des autres langues étant plus limitée, un recours plus important à l'interprétation s'avère alors nécessaire. Or, une interprétation n'est jamais équivalente à un original. De la même manière que la copie d'une cassette VHS, qui utilise une technique analogique, est automatiquement inférieure à l'original en qualité, l'interprétation aboutit à une information de moindre qualité. La meilleure preuve de cette dégradation progressive en est fournie par l'expérience consistant à prendre un document écrit dans une langue X que l'on traduit dans la langue Y. Si le document Y est alors retraduit dans la langue X et que le processus qui consiste à passer de X à Y et de Y à X soit effectué plusieurs fois, on aboutit à une information très différente de l'originale. Ce problème devient crucial dans la mesure où l'interprétation simultanée, et aussi la traduction des documents écrits, ne sont pas forcément directs, puisque le passage de la langue X à la langue Y nécessite souvent une langue intermédiaire. Dans la pratique, cette langue pivot est de plus en plus l'anglais. Par exemple, le passage du portugais au lithuanien ou du finnois au grec se fera par l'intermédiaire de l'anglais, impliquant ainsi une double traduction ou une double interprétation la plupart du temps.

À la Commission européenne, si l'on considère que, globalement, la communication se fait 50% en anglais alors que le poids de la Grande Bretagne n'est que de 13%, et que l'on se base sur un coût global de 2,76 milliards d'euros pour la traduction et l'interprétation, cela veut donc dire que l'usage déséquilibré que l'on fait de l'anglais coûte à l'ensemble des pays membres 2 milliards d'euros de trop !

Que ce soit aux institutions européennes ou dans les pays membres, il apparaît évident que la situation linguistique est en complète contradiction avec les principes fondateurs de ce qui a évolué pour aboutir à ce que nous appelons aujourd'hui « l'Union européenne ». La distorsion qu'elle induit dans la concurrence ne saurait être ignorée pas plus que les inégalités qu'elle renforce entre la Grande-Bretagne et les pays d'Europe continentale. Dans les faits, la politique linguistique européenne aboutit aux mêmes résultats qu'une politique linguistique impériale, marginalisant totalement les petits pays dont les langues nationales n'ont que peu de diffusion, imposant de manière de plus en plus impérieuse l'usage d'une seule langue pour les communications intra-européennes, à savoir l'anglais, au bénéfice principal des pays authentiquement anglophones… Cela est-il inévitable ? Comme l'écrit François Grin dans son dernier livre intitulé : « S'entendre entre langues voisines : vers l'intercompréhension[5] », le débat public sur les langues en Europe, quand il est audible, est truffé d'argumentations fallacieuses et de fausses évidences, notamment sur le caractère « naturel » ou « inévitable » de telle ou telle évolution. Or, la source de ces distorsions n'a pas pour origine des groupes ou des intérêts privés mais bien les appareils d'État, par le biais des ministères de l'éducation, de la recherche, des finances, de l'industrie et des Affaires étrangères, pour ne citer que les plus importants. Contrairement à ce que beaucoup semblent tenir pour acquis, le recours à l'anglais comme lingua franca n'a rien de particulièrement économique et présente l'inconvénient majeur d'accroître les inégalités aux seuls bénéfices des peuples anglo-saxons, comme le prouvent les études de Lukács et de François Grin. La politique linguistique délibérée qui consiste à avantager outrageusement l'anglais explicitement ou implicitement[6] dans tout le système éducatif est, dans les faits, un gouffre financier, et son efficacité, mesurée par la qualité de la communication qu'elle est censée favoriser, est faible pour tout le monde, à l'exception des anglophones natifs, qui en tirent des avantages considérables. Plus particulièrement, l'avantage d'être bien compris qui entraîne surtout celui de pouvoir imposer, par une meilleure communication unidirectionnelle, leurs propres propositions aux dépens de celles des autres, automatiquement moins bien formulées. En Europe, et aussi ailleurs, cette politique linguistique dispense, la plupart du temps, les anglophones natifs de l'apprentissage des langues étrangères. Pour la seule Grande Bretagne, François Grin estime l'économie annuelle ainsi réalisée à 6 milliards d'euros, sans tenir compte des gains accomplis dans d'autres domaines par le temps d'étude qui est ainsi libéré au profit d'activités plus rémunératrices.

Cette politique linguistique cible tout le monde, y compris ceux dont les fonctions ne les amèneront jamais à utiliser l'anglais. Elle se fait au mépris des besoins linguistiques réels comme c'est le cas dans les zones frontières où l'on encourage ainsi des Allemands et des Français, des Français et des Italiens, des Français et des Espagnols à interagir en anglais, en ignorant les proximités linguistiques telles que celles qui existent entre le français et l'italien, par exemple. Ceux qui promeuvent cette politique linguistique la présentent comme la seule solution possible au problème de la communication internationale. Les pouvoirs politiques et économiques ne cessent de marteler des informations fallacieuses qui consistent, par exemple, à présenter le chemin vers « l'anglais – langue commune » comme naturel et inévitable. Dans certains cénacles, on détecte de plus une tendance très claire à faire de la « langue commune » la « langue unique » dans des environnements où l'usage des diverses langues nationales – à l'exception de l'anglais - se voit frappé d'interdit. En effet, de plus en plus, dans les congrès scientifiques par exemple, la tolérance ne consiste plus à accepter l'usage de l'anglais mais à accepter l'interdiction de faire usage, fût-il même sporadique, d'une quelconque autre langue ! Bien que cela ne figure dans aucun texte qui aurait force de loi, il est désormais interdit de soumettre à Bruxelles des demandes de financement pour une recherche qui ne serait pas décrite en anglais, et c'est la même chose en France désormais, depuis la création de l'ANR[7]. Les médias imposent un mur de silence autour des autres approches proposées pour la communication internationale qui sont pourtant moins coûteuses et surtout plus efficaces. Tout ce qui pourrait remettre en doute la suprématie actuelle conférée à l'anglais est systématiquement censuré par toutes les institutions gouvernementales y compris celles qui sont chargées de la défense et de la promotion de la langue française.

À l'organisation internationale de la francophonie, à la DGLFLF, si la défense du français passe quelque peu aux oubliettes, on commence cependant à entendre le terme « multilinguisme » ou « plurilinguisme » mais, dans l'esprit populaire, ces termes sont presque toujours associés à l'apprentissage et à la connaissance de plusieurs langues, comprenant non seulement les langues nationales mais aussi les langues régionales de l'Europe et les langues minoritaires, c'est-à-dire celles des immigrés. La Commission européenne a désormais repris le flambeau du multilinguisme dont elle fait l'essentiel de la promotion en anglais par le biais de son commissaire Léonard Orban, tandis que l'anglais est de plus en plus imposé comme véhicule de communication entre les institutions européennes d'une part, et les citoyens et les gouvernements de l'Europe continentale, d'autre part, sans que personne ne s'offusque du caractère grotesque de cette situation. En se repliant officiellement sur l'usage de trois langues pour sa communication interne – l'anglais, l'allemand et le français -  la Commission applique un multilinguisme de façade puisque l'usage du français et de l'allemand, dans la pratique, s'y voit réduit comme peau de chagrin au fil des années. Néanmoins, le message, tel qu'il est interprété la plupart du temps, est bien de posséder le plus de langues possibles et d'appliquer le stakhanovisme en matière linguistique pour les populations.

Cette conception du multilinguisme, tel que professé par Bruxelles, soutenu par les officines gouvernementales de « défense du français », telles que la DGLFLF, qui encouragent en plus la connaissance des anciens dialectes régionaux, ne peut qu'aboutir au seul renforcement de la langue étrangère à laquelle on donne actuellement le plus de visibilité, c'est-à-dire l'anglais. La dispersion de fait et la confusion considérable que cette politique engendre entraînent bien évidemment un recentrage sur une seule langue commune. On est ainsi obligé d'en déduire que le verrouillage du système, qui impose le silence à ceux qui proposent d'autres solutions au problème de la communication internationale, est directement inspiré de directives étrangères qui visent à infléchir les prises de décision en matière de politique linguistique au niveau de gouvernements vassaux, et qui modèlent les représentations construites par les médias des prétendus « impératifs de communication » à l'échelle internationale. Quand les soi-disant élites européennes imposent une politique linguistique qui est clairement contraire aux intérêts de la majorité des populations européennes, on ne peut qu'en déduire que cette politique est pilotée exclusivement par ceux qui ont réellement intérêt à la mener, en utilisant toutes les ramifications de leurs réseaux d'influence. Aucune autre explication n'est sérieusement envisageable. Quand toutes les pièces d'un puzzle tombent à leur place pour former un ensemble cohérent, on est bien obligé de reconnaître que chaque pièce est authentique. Il en est ainsi pour les ressorts de la politique linguistique européenne.

 

Quelle solution ?

 Nous sommes si pénétrés par les idées officielles en matière de politique linguistique que nous avons du mal à entendre d'autres messages, quand ils ne sont pas court-circuités purement et simplement par les médias. Par exemple, l'idée d'un plurilinguisme de fait s'appuyant sur l'intercompréhension entre langues voisines a pourtant fait l'objet d'études poussées et qui démontrent sa viabilité parfaite à l'échelle européenne. Sans aucune connaissance préalable en italien ou en espagnol, un Français, par exemple, est en mesure d'interpréter spontanément un grand nombre de mots qu'il peut voir sur les panneaux et enseignes des pays où ces langues sont utilisées. Il peut également comprendre de nombreux termes des conversations de la rue, sans toutefois être encore capable d'en saisir le sens global, bien entendu. Or, des méthodes ont été conçues pour arriver à une compréhension parfaite, à l'écrit comme à l'oral, sans toutefois exiger de l'étudiant le temps et l'effort demandés par les techniques classiques d'apprentissage des langues et dont le but est d'arriver AUSSI à une expression aussi parfaite que possible, à l'écrit et à l'oral. Au contraire, il s'agit uniquement de comprendre un discours ou une présentation, de pouvoir lire un journal ou un texte technique, pas de les prononcer ou de les rédiger. Ce n'est pas l'exercice classique de la version ou du thème car il n'y a pas de traduction. Il s'agit seulement de comprendre. Comprendre et traduire sont des tâches très différentes, mettant en jeu des zones différentes du cerveau. Les méthodes s'appuyant sur l'intercompréhension fonctionnent de manière d'autant plus efficace que les langues étudiées sont proches de la langue maternelle de l'apprenant. Généralisées, elles permettraient ainsi l'intercompréhension entre langues de la même famille linguistique. Ainsi, pour une fraction de l'effort consacré actuellement à l'acquisition des langues étrangères sur le modèle traditionnel, ces méthodes permettraient aux locuteurs A, B et C de langues latines L1, L2 et L3, par exemple, de comprendre directement les locuteurs X, Y et Z d'autres langues latines L4, L5 et L6 tout en laissant à A, B et C la possibilité en retour de s'exprimer dans leurs langues maternelles respectives et être pareillement compris par X, Y et Z, qu'ils auraient préalablement écoutés. On sait depuis fort longtemps qu'il faut énormément de temps pour atteindre un niveau d'expression dans une langue étrangère équivalent à celui du locuteur natif, mais qu'il est en revanche parfaitement possible d'arriver à une compréhension totale et dans toutes ses subtilités d'un discours énoncé dans une autre langue. Dans la pratique, la progression du niveau d'expression qu'un étudiant en langue étrangère acquiert avec le temps suit une courbe asymptotique, le niveau natif ne pouvant être atteint qu'après un temps de pratique et d'étude qui doit au moins équivaloir au temps passé à la maîtrise de la langue maternelle[8], à l'oral comme à l'écrit.

Historiquement, l'intercompréhension était monnaie courante au Moyen Âge et à la Renaissance pour les voyageurs en terres de langues romanes qui étaient souvent en mesure d'assimiler les différences croissantes de langage au cours de la progression de leurs déplacements. Claire Blanche-Benvéniste[9] écrit :

« À l'époque des anciens voyageurs, ni les langues ni les dialectes ne coïncidaient avec les frontières d'États-Nations. Les dialectes, très nombreux dans tous les territoires, franchissaient les frontières politiques. D'un bout à l'autre des régions qui forment aujourd'hui le territoire de l'Espagne et de la France, les habitants ne se comprenaient pas, mais ils étaient entraînés à comprendre des dialectes voisins du leur, qui se différentiaient souvent par quelques particularités aisément maîtrisables. De proche en proche, à condition de prendre son temps, un voyageur pouvait se familiariser avec tout un ensemble de dialectes, au point de parvenir à comprendre ceux de territoires très éloignés. L'intercompréhension orale pouvait se faire de proche en proche entre de grands ensembles de parlers dialectaux apparentés ».

Christophe Colomb constitue le parfait exemple d'une personnalité qui, dans ses voyages et ses fonctions, passe à travers quelques unes des plus importantes langues latines de l'époque et de ses dérivés dialectaux : italien, génois, castillan, portugais… Ses écrits sont truffés de mélanges et même son journal, rédigé en latin, porte également la trace des langues qu'il utilise constamment à travers des constructions qui sont parfois des calques.

Récemment, des approches pédagogiques ont été mises au point pour établir, par exemple, une intercompréhension entre quatre grandes langues latines, à savoir le portugais, l'espagnol, l'italien et le français. Des expériences ont été tentées qui mettaient en jeu des groupes de locuteurs natifs de ces quatre langues, et qui atteignaient rapidement un niveau adéquat de compréhension de tous leurs partenaires, chacun s'exprimant dans sa propre langue, à l'oral comme à l'écrit. Non seulement le temps nécessaire pour ce type de formation est faible par rapport à celui requis par l'acquisition complète d'une seule langue, mais cet apprentissage déclencha chez les apprenants un intéressant retour vers la langue maternelle en prenant pour la première fois conscience de certaines de ses caractéristiques grammaticales et lexicales. Ils se sont spontanément intéressés à comparer les propriétés de certaines tournures dans chacune de ces langues, les estimant quelquefois plus belles en italien, en espagnol ou en français. Ils ont réfléchi à la structure de leur propre langue en la comparant à celles des autres. Leurs exercices ont éveillé un intérêt pour l'étude des langues en les présentant sous une forme inhabituelle et ludique, un intérêt bien supérieur à celui émanant des élèves en langues suivant des programmes d'études traditionnels.

Lorsqu'un touriste japonais s'exprime en anglais avec un touriste Allemand qu'il rencontre en Égypte, personne n'est surpris, mais lorsqu'un touriste italien fait la même chose à Nice avec un Niçois, on sent confusément qu'il y a là une incongruité et que le touriste pourrait se faire comprendre mieux en parlant sa propre langue avec le Niçois qui peine autant que lui pour comprendre un mauvais anglais, et plus encore pour formuler une réponse dans la même langue. Dans ce cas, l'usage de l'anglais introduit une interface supplémentaire complètement inutile dans la conversation. La viabilité de l'intercompréhension que l'on peut facilement développer entre langues de la même famille s'appuie sur :

- la possibilité qui est offerte à chacun de s'exprimer dans sa langue maternelle et de faire usage de toutes les finesses d'expression qu'il maîtrise.

- la possibilité de comprendre le message de chacun exprimé au mieux des possibilités du locuteur natif.

- l'économie réalisée sur le temps d'apprentissage.

- l'économie considérable effectuée dans la mise en place d'un système de communication plurilingue basé sur l'intercompréhension dans le cadre européen.

Comment le dernier type d'économie peut-il être réalisé ? Prenons par exemple le cas des réunions plénières organisées par la Commission européenne. Contrairement à son fonctionnement interne, chacun des participants peut s'y exprimer dans sa propre langue. Par conséquent, il doit y avoir traduction simultanée vers toutes les autres langues officielles de l'UE. Si l'on fonctionne avec 23 langues, nous atteignons 253 paires de langues soit 506 directions d'interprétation simultanée et la même charge pour les traductions ultérieures de documents écrits, bien évidemment. Dans la pratique, cependant, l'interprétation directe n'est pas toujours assurée et l'on a souvent recours à une langue pivot, l'anglais la plupart du temps, pour traduire du maltais vers le lithuanien ou du polonais vers le grec. Or, cela n'est nullement souhaitable puisque l'interface d'une langue tierce entre la langue d'origine et la langue cible entraîne automatiquement davantage de distorsion dans l'information qui est finalement communiquée. Dans la pratique, la double interprétation est évitée, quand il s'agit de couples de grandes langues européennes : italien-français, allemand-espagnol, anglais-italien, etc. mais on ne peut y échapper dans le cas des langues qui ne sont parlées que par quelques millions de locuteurs voire quelques centaines de milliers, comme le maltais, le lithuanien ou même le finnois.

Pour démontrer l'économie réalisable, prenons l'exemple d'un ensemble à 11 langues[10] comprenant les familles et leurs composants suivants :

 

- langues romanes 1 : espagnol, français, italien, portugais

- langues germaniques 1 : allemand, anglais, néerlandais

- langues germaniques 2 : danois, suédois

- langues fino-ougriennes 1 : estonien, finnois

- groupe grec : grec

 

En admettant que quiconque ayant pour langue maternelle l'une des langues d'un de ces groupes aurait suivi une formation suffisante pour avoir une compréhension passive mais complète de toutes les autres langues de la même famille, nous arriverions à 9 couples de langues à interpréter soit 18 directions d'interprétation et de traduction au lieu de 110 ! L'économie est énorme ! En effet, un document rédigé en espagnol, par exemple, n'aurait plus besoin d'être traduit en français, italien et portugais mais seulement en grec, en finnois OU estonien, en danois OU suédois, et en allemand OU anglais OU néerlandais, puisque à l'intérieur de ces familles, les textes seraient mutuellement intelligibles et les discours mutuellement compréhensibles.

On pressent donc qu'une organisation européenne qui utiliserait systématiquement l'intercompréhension entre langues voisines pourrait effectuer des économies remarquables tout en laissant ses employés dans la possibilité de s'exprimer au meilleur de leur capacité. Pour une fraction du coût associé au type d'apprentissage des langues étrangères actuellement pratiqué, on aboutirait à un système totalement équitable et, là encore, à des coûts globaux bien plus faibles qu'aujourd'hui.

 

La lingua franca

 Cependant, l'intercompréhension ne marche raisonnablement bien qu'à l'intérieur d'une même famille linguistique. Il n'y a aucune possibilité d'étendre ce système à des couples de langues aussi disparates tels que l'arabe et le vietnamien, le russe et le japonais, le swahili et le français. Pourtant, il suffit de regarder dans l'histoire des peuples de la Méditerranée, par exemple, pour y trouver l'ébauche d'une solution. A l'époque des croisades, le bassin méditerranéen était peuplé par la branche latine des peuples européens mais aussi par les Arabes, les Grecs et les Turcs. Claire Blanche-Benveniste écrit :

« Dans les voyages à travers la Méditerranée, et particulièrement au moment des croisades, ce que parlaient les voyageurs était des mélanges. Là se rencontraient divers dialectes de France, d'Italie, d'Espagne, qui, souvent, ne s'étaient pas rencontrés dans leurs lieux d'origine et entre lesquels se développaient diverses formes d'intercompréhension. Pour les habitants du Proche-Orient parlant grec, turc ou arabe, ces langues des Francs se ressemblaient toutes un peu et ils les désignèrent globalement comme la Lingua Franca. Les commerçants du Levant utilisèrent pendant des siècles cette lingua franca connue de tous les voyageurs et n'appartenant à personne en particulier ».

Ainsi, de manière toute naturelle, spontanément, les gens dont les langues n'appartiennent pas à la même famille linguistique s'inventent ou plutôt convergent sur un code de communication, non normé, qui apparaît a priori comme un mélange de nature artificielle. Il s'agit en fait d'une sorte d'espéranto spontané pour remplir des fonctions de communication élémentaires entre peuples divers. Le bêche-de-mer (ou bichelamar ou encore bislama) a joué un rôle équivalent dans l'archipel du Vanuatu. Au XIXe siècle, l'idée d'un véhicule de communication neutre et simple à apprendre sera reprise par des dizaines de chercheurs. Après plus d'un siècle de décantation, une seule de ces langues artificielles a survécu, c'est l'espéranto de Zamenhof. Il existe cependant un gouffre entre l'espéranto d'une part, et l'ancienne Lingua Franca de Méditerranée ou le bêche-de-mer d'autre part. En effet, l'espéranto a été conçu dès le départ comme un véhicule de communication normalisé et optimal, en opposition complète au bêche-de-mer ou à l'ancienne Lingua Franca qui furent des assemblages spontanés. Loin d'être une langue comme les autres, l'espéranto a été également conçu pour être maîtrisé très rapidement et ses caractéristiques lexicales devaient, dès le départ, être telles que les étudiants de cette langue pussent se l'approprier rapidement. En effet, les bases lexicales étant tirées des langues latines, germaniques et slaves, le génie de Zamenhof a été de donner à celui qui apprend l'espéranto l'impression que l'espéranto puise essentiellement dans sa propre langue, pourvu qu'il soit européen. C'est ainsi qu'un Français a l'impression que le vocabulaire provient à 80% du français, et ce sera la même chose pour un Anglais ou un Allemand qui méprendra le vocabulaire de l'espéranto comme étant issu à 60 ou 65% de sa propre langue. Pour un apprenant de langue slave, cet effet sera un peu atténué mais il aura tout de même l'impression que 50% du vocabulaire a aussi sa propre langue pour origine. Toute personne ayant pour langue maternelle une langue à base indo-européenne ressentira une impression analogue.

Zamenhof a conçu un système très simple qui permet, à partir d'une racine, de construire le substantif, l'adjectif, le verbe et l'adverbe. Sur le plan syntaxique, un système de préfixes et de suffixes permet de donner toutes les nuances aux mots qui sont ainsi construits. La combinatoire ainsi possible est phénoménale, et souvent supérieure à la combinatoire qu'offrent les langues naturelles, garantissant ainsi une expression et des finesses qui sont souvent plus riches que celles propres aux langues naturelles. Bien entendu, l'espéranto ne présente jamais d'exception, ni grammaticale, ni phonétique. Ce sont ces exceptions qui rendent, en partie, l'apprentissage des langues naturelles si long et difficile. L'espéranto est la lingua franca normée, ce qui, entre autres, permet son usage dans la communication scientifique. Bien entendu, son concept est euro-centré par sa base lexicale mais les Asiatiques y trouvent quand même leur compte dans son apprentissage qu'ils trouvent bien plus aisé et rapide (pour ceux qui l'ont essayé) que pour une quelconque langue naturelle[11] européenne. Les idéogrammes chinois ont, pendant un temps, procuré une certaine intercompréhension à l'écrit, entre les peuples qui les utilisaient. Cette intercompréhension à l'écrit a été totale en Chine mais partielle ailleurs (Japon, Corée, Vietnam jusqu'au début du XXe siècle). On est cependant très loin des possibilités qu'offre l'espéranto…

L'approche plurilingue basée sur l'intercompréhension pour la communication intra-européenne ne reçoit cependant pas plus de publicité de la part des grands médias que l'espéranto pour la communication entre familles linguistiques disparates. En fait, si peu que la plupart des citoyens de l'Union européenne ne savent même pas que de telles solutions existent pour ceux qui ont réellement besoin de communiquer à l'extérieur des frontières définies par l'usage de leur langue. Des reportages d'une grande qualité ont été proposées par des producteurs indépendants à des stations de radio, des chaînes de télévision et à des magazines de grande diffusion, en vain. Comment ce silence, dont l'origine est une censure stricte, peut-il être expliqué ?

 

Intolérance et censure

 À l'époque où l'espéranto fut proposé comme langue officielle à la Société des Nations, la France s'y opposa farouchement. Le français étant alors majoritairement utilisé dans la diplomatie, le gouvernement français crut ainsi agir dans le sens de ses intérêts. Or, notre époque contemporaine a essayé de faire jouer à l'anglais le rôle de l'espéranto. À tort bien sûr, car on a favorisé en fait l'émergence d'une langue hégémonique dont la diffusion se confond désormais avec les ambitions géopolitiques des pays authentiquement anglophones, et plus particulièrement celles des États-Unis d'Amérique. Partie d'une volonté de « favoriser la communication internationale », on a encouragé ainsi et indirectement un groupe restreint de pays à définir pour le reste de la planète ce qu'il doit faire dans tous les domaines, ce qui fut favorisé par la langue anglaise qui est comprise mieux que toutes les autres, et cela continue ! C'est ainsi que dans la plus belle tradition impériale et dans le contexte d'une crise financière sans précédent, et qui va rapidement se transformer en crise économique, les États-Unis entendent désormais faire payer au reste de la planète leurs erreurs, le maintien de leur train de vie à crédit, leurs énormes déficits et leurs guerres sur plusieurs théâtres d'opération !

Alors que l'erreur de jugement des Européens a été gigantesque, une publicité ciblée en faveur du plurilinguisme européen basé sur l'intercompréhension, et en faveur de la réémergence de l'espéranto, pourrait jouer le rôle de David vis-à-vis du Goliath qu'est devenue la langue anglaise… Cependant, nous n'assistons pas à un tel scénario. Pourquoi ? Alors que, dans tous les domaines, la situation actuelle est préjudiciable à l'ensemble des pays non anglophones et à l'Europe continentale en particulier ? Culture affaiblie, influence réduite, crédibilité vacillante, rayonnement scientifique appauvri[12], élites mentalement colonisées… Alors que l'Unesco proclame la diversité culturelle, que les institutions soutiennent timidement le multilinguisme[13], et que le gouvernement français constate l'existence d'un monde multipolaire, aucune initiative tangible efficace n'est prise par personne pour remettre très sérieusement en cause l'hégémonie de l'anglo-américain. On soupçonne donc que l'émergence d'un monde où la communication internationale sérieuse et profonde deviendrait possible, pour les catégories moyennes de population, n'est en fait pas désirable par ceux qui seraient en mesure d'en faire la promotion et d'en faire aussi une réalité.

Comprenons bien que l'anglais, mépris la plupart du temps comme un espéranto des temps modernes, ne permet trop souvent qu'une communication élémentaire de toute première nécessité. En Asie, par exemple, le globish, même s'il est ânonné un peu partout, ne permet guère plus que de réserver une chambre dans un hôtel et de prendre un taxi. Même la culture américano-britannique, qui devrait assurer le fondement de la diffusion de l'anglais, n'intéresse presque personne au grand dam des anglophones authentiques. En effet, les auteurs anglais et étasuniens, même les contemporains, ne sont pas spécialement étudiés davantage dans les pays qui prônent l'usage de l'anglais comme véhicule de communication internationale que dans les autres. Ils sont en fait largement ignorés dans les cursus et l'anglais dit « international » n'est que trop souvent une bouillie de langage complètement détachée de toute culture anglophone authentique, d'autant moins maîtrisée que la langue anglaise est bourrée d'exceptions, à l'écrit comme à l'oral, et d'expressions idiomatiques. En étant bien conscient de ce type de contexte, comment peut-on imaginer qu'on étouffe encore l'émergence d'autres solutions qui permettraient aux peuples de la planète d'être à l'écoute les uns des autres ?

Nous n'avons pas la réponse à cette question mais nous soupçonnons qu'une telle communication, précise, riche et diversifiée, n'est en fait désirée que par les idéalistes. Les gouvernements veulent garder les populations isolées. Ce n'est pas parce que nous pouvons partir au Vietnam ou en Chine pendant trois semaines que nous allons pouvoir réellement communiquer avec les populations et établir des comparaisons qui pourraient être gênantes pour les gouvernements qui existent de part et d'autre. Ce n'est pas parce qu'Internet nous permet, en principe, d'échanger des messages en temps réel avec le reste de la planète que nous communiquons de manière efficace et complète avec Fang Se Yen qui est en Chine ou avec Pedro Rodriguez qui vit au Chili pour en tirer des conclusions qui, si elles se répétaient à des centaines de milliers d'exemplaires, pourraient aboutir à des troubles sociaux ou de sérieuses remises en question. L'invasion de l'Irak par l'armée étasunienne aurait-elle été possible si chaque Irakien avait pu ainsi communiquer directement avec n'importe quel Étasunien pour lui apporter une vérité qui fut niée par le gouvernement de Bush junior et consorts ? L'invasion de l'Afghanistan aurait-elle été possible si chaque Étasunien avait pu lui-même acquérir l'information dont il avait besoin auprès des Afghans pour se faire une idée de ce qui se passait réellement dans ce pays ? L'hystérie étasunienne à propos d'une multitude d'autres États prétendument voyous aurait-elle été possible si une communication à large échelle avait été rendue possible entre les citoyens moyens des États-Unis et leurs homologues de ces pays là ?

 

L'opinion dans une poigne de fer

 À travers ces exemples, on peut déjà se conforter dans l'idée qu'une élite dirigeante ne veut absolument pas d'un système de communication à l'échelle internationale qui soit 100% efficace et surtout accessible par tous les ressortissants de la planète. Les mensonges sur lesquels une partie du pouvoir de l'élite s'appuie ne seraient tout simplement plus possibles. Nul besoin d'être armé d'une clairvoyance hors du commun ou de savoir lire dans une boule de cristal pour le déduire à partir de ce que tout un chacun est en mesure d'observer.

En 2002, Thierry Meyssan, journaliste et fondateur du réseau Voltaire, publie un livre dont le contenu remet sérieusement en cause la version officielle du gouvernement étasunien à propos des événements du 11 septembre 2001. Thierry Meyssan est aujourd'hui discrédité par la doxa officielle comme étant un adepte d'une « théorie du complot » prétendument erronée. Des menaces pesant sur sa vie, il a dû s'exiler temporairement au Liban. Pourtant, il n'a rien inventé. Pendant qu'on le fait passer pour un dangereux illuminé isolé, on néglige un fait essentiel. C'est aux États-Unis et nulle part ailleurs que Meyssan est allé chercher ses informations. C'est uniquement par le fait qu'il existe aux États-Unis un groupe puissant de citoyens qui remettent en cause les faits relatifs aux attentats du 11 septembre 2001 que Meyssan a pu obtenir les informations pertinentes sur lesquelles son livre s'appuie. Si les grands médias étasuniens ne consacrent pas de tribune à ces groupes dissidents, il n'en demeure pas moins que l'information circule à l'intérieur de la société étasunienne et que pratiquement tous les citoyens des États-Unis savent maintenant qu'il existe une explication[14] de ces événements allant à l'encontre de la version officielle. En France, cependant, comme dans presque dans tous les pays d'Europe occidentale, au sein de sociétés qui prétendent garantir la liberté d'expression, les « chiens de garde[15] » veillent au grain. La machine à broyer, à discréditer et à diaboliser les libres penseurs est encore plus efficace que son équivalent étasunien quand ces libres penseurs s'avisent de procéder à une remise en question des affirmations du gouvernement des États-Unis.

Qu'on ne se méprenne pas ! Nous ne sommes absolument pas en mesure d'accréditer la thèse de Thierry Meyssan à propos des événements du 11 septembre. Nous n'en avons nullement les moyens et ce n'est d'ailleurs pas là que nos intérêts se situent. Par contre, ce que nous pouvons affirmer avec force, c'est qu'il existe de nombreuses sources étasuniennes de versions concurrentes des explications officielles qui ont été données de ces événements, et que c'est bien ces sources qui ont servi de base au livre de Meyssan. Bien avant le livre qui fit connaître Meyssan en France, de nombreuses personnalités étasuniennes avaient déjà remis la version officielle des événements du 11 septembre en doute. Il ne s'agit pas ici d'accréditer une version de ces événements plutôt qu'une autre mais de dénoncer la désinformation commise et véhiculée par la presse française, qui a été de cacher l'existence, aux États-Unis, des groupes qui ont distillé les informations que Meyssan a intégrées dans son livre.

Nul besoin d'être extra-lucide pour constater, dans la même veine, que les télévisions françaises refusent de doubler et de diffuser les documentaires russes, pour constater que les principaux cablo-distributeurs refusent de retransmettre les chaînes de télévision de pays qui osent passer à la loupe des sujets qui ne sont jamais abordés en Occident, comme le font par exemple la chaîne du Hezbollah libanais « Al-Manar », certaines chaînes vénézuéliennes ou iraniennes. Comment, dans ces circonstances, s'étonner encore de la censure qui est imposée de facto par les médias à tout ce qui gravite autour de la communication plurilingue et autour de l'espéranto.

Nous ne sommes pas dans le domaine du hasard et il s'agit bien là de volontés déterminées à réduire au silence tout ce qui peut remettre en question notre statut de vassal des États-Unis, de citoyens de l'empire, qui déploie à sa périphérie des chiens de garde redoutablement plus efficaces que ceux qui sont en exercice en son centre. Il est paradoxal de constater que, dans un monde de communications réellement instantanées, et alors que les comparaisons sont théoriquement possibles, notre sens critique s'est affaibli au point que nous ne voyons plus les contraintes et les restrictions auxquelles nous sommes de plus en plus soumis. Les textes fondateurs de l'Europe ne sont plus que des cache-misère d'un ordre social où démocratie, sens critique et libre-arbitre sont en chute libre.

 

Charles Durand

 


 

horizontal rule

 

[1] Les aspects économiques des inégalités linguistiques, par Áron Lukács sous la direction du Dr. Gergely Kovács École de gestion moderne, Tatabánya, Hongrie. (retour)

[2] Voir en particulier son rapport « L'enseignement des langues étrangères comme politique publique », établi à la demande du Haut conseil de l'évaluation de l'école, septembre 2005.(retour)

[3] Version consolidée du traité instituant la Communauté européenne tel que modifié par le traité d'Amsterdam. Voir : http://eur-lex.europa.eu/fr/treaties/dat/12002E/pdf/12002E_FR.pdf  (retour)

[4] Les chiffres pour l'Europe des 27 n'a pas été communiqué dans l'essai de Lukács. (retour)

[5] Sous la direction de Virginie Conti et François Grin, Georg éditeur, 2008. (retour)

[6] Elle est explicite lorsque l'étude de l'anglais est imposée comme c'est le cas en France dans les programmes d'études scientifico-techniques, en économie, et dans les études commerciales. Elle est implicite lorsqu'elle est suggérée, comme c'est le cas par le bombardement informationnel stupéfiant que l'on constate au niveau des médias, dans presque toute l'Europe continentale (retour)

[7] « Agence nationale de la recherche ». Cette organisation n'accepte que des demandes d'octroi rédigées en anglais en prétextant que les membres des comités d'évaluation ne sont pas forcément francophones ! Avec 60M d'habitants, il faut croire que la France est encore insuffisamment développée pour offrir un cortège de scientifiques suffisant pour procéder à l'évaluation des propositions de recherche. Quant aux 200M de francophones existant de part le monde et qui pourraient offrir des suppléants en nombre plus que suffisant, ils n'existent apparemment pas pour les cadres de l'ANR qui ont défini les règles de fonctionnement de cette organisation. (retour)

[8] Il y a bien sûr d'autres facteurs à prendre en compte, tel que l'âge de l'apprenant mais, d'une manière générale, nous avons tendance à largement sous-estimer le temps d'apprentissage des langues étrangères quand il s'agit d'apprendre à s'exprimer. Que l'on songe seulement aux années qu'il faut à un homme pour maîtriser sa propre langue maternelle à l'oral et apprendre à la lire et à l'écrire correctement… Bien entendu, cela dépend aussi des objectifs que l'on a et du niveau intellectuel des échanges à réaliser. (retour)

[9] « S'entendre entre langues voisines : vers l'intercompréhension », page 35. (retour)

[10] égal au nombre de langues officielles jusqu'à l'élargissement du 1er mai 2004. (retour)

[11] Aujourd'hui, nous oublions souvent qu'il y a également une bonne mesure d'apports artificiels dans les langues européennes, comme dans toutes celles des pays développés. En effet, à partir d'une base populaire, toutes les langues des pays avancés ont été normées de façon à en standardiser l'usage et également pour leur permettre de véhiculer les connaissances philosophiques, techniques et scientifiques. Cette normalisation a été imposée par le haut, par le biais des académies et des universités. (retour)

[12] Comme je l'ai démontré magistralement dans « La mise en place des monopoles du savoir », publié chez L'Harmattan, en 2001 (retour)

[13] Malheureusement une forme de multilinguisme clairement utopique (retour)

[14] À ce titre, le visionnage du film « Oil, smoke and mirrors », sous-titré en français, aisément téléchargeable sur Internet, révèle la plupart des sources étasuniennes de cette version « dissidente » des événements du 11 septembre 2001. Voir : http://video.google.fr/videoplay?docid=-6305684796532777868  (retour)

[15] Pour paraphraser Serge Halimi, qui intitula son livre paru en 1997 « Les nouveaux chiens de garde » et qui décrit justement ce phénomène. (retour)