Sujet : Réflexions sur la politique linguistique de l'UE
Date : 11/08/2007
De : Charles Durand   (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)     Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

Il est certain que tous ceux qui, comme nous, se rendent compte que leur langue est largement ignorée ou négligée au sein des institutions européennes se détachent progressivement du projet européen. En effet, pourquoi afficherions-nous le moindre respect pour des institutions qui méprisent nos langues et nos cultures en faveur d'une langue qui prétend afficher sa "supériorité" par rapport aux autres langues du continent ?

Lorsque je dois rédiger une demande de financement en anglais pour un projet de recherche qui doit être envoyé à Bruxelles, lorsque je suis forcé de lire des réponses en anglais de fonctionnaires européens dont le nom m'indique qu'ils partagent avec moi la même langue maternelle, il y a de toute évidence quelque chose qui ne tourne pas rond dans une entité dont je suis censé faire partie.

Lorsqu'on interdit à certains pays d'Europe de l'est qui émettent le désir de soumettre une candidature à l'union européenne de le faire dans ma propre langue et non en anglais, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Lorsqu'on me dit que d'autres pays d'Europe de l'est qui viennent de quitter la sphère d'influence de Moscou pour se jeter dans les bras des anglo-américains viennent imposer à Bruxelles les volontés et la langue de ceux qu'ils croient être leurs nouveaux protecteurs, quelque chose ne tourne pas rond.

Une telle Europe, je n'en veux pas et je suis prêt à en détruire l'organisation par tous les moyens, à bloquer ses engrenages et ses mécanismes administratifs. Cette Europe actuelle est à l'opposé d'une confédération de nations européennes bâtie sur l'intérêt commun et le respect mutuel et je crois que de plus en plus de gens partagent aujourd'hui mon point de vue.

Je veux de plus une Europe souveraine, pas d'une Europe vassale. Il suffit d'écouter certaines personnes d'influence en Amérique du nord, en Chine, aux Indes, en Russie ou même au Brésil pour entendre dire que l'Europe actuelle, même si elle est un géant économique, est un nain politique. Aucune Europe ne pèse actuellement du poids politique des États-unis ou de celui de la Chine ou de la Russie.

Aucun dirigeant contemporain d'un quelconque pays européen n'a su gagner le respect sur la scène internationale en imposant une stricte indépendance par rapport aux autres grands blocs et une politique systématique de préférence intra-européenne.

La Commission européenne est actuellement un pétaudière où sont tolérés des groupes de pression soutenant des intérêts extra-européens, où les Étasuniens font la pluie et le beau temps en imposant entre autres leurs matériels militaires au sein d'une organisation censée "défendre l'Europe" et qui est bien sûr téléguidée par les desiderata de Washington. De Gaulle est sans doute la dernière grande figure politique ouest-européenne à avoir été respectée partout dans le monde. Depuis, nous avons des dirigeants de pacotille élus par les grands médias et davantage préoccupés par leur privilèges et leur carrière que par l'intérêt supérieur des nations qu'ils représentent.

Comment a-t-on pu faire croire qu'il était dans l'intérêt de l'Europe de singer le modèle anglo-saxon et d'adopter sa langue ce qui équivaudrait à nier 90% de la richesse intrinsèquement européenne ?

Cette Europe est corrompue, caricaturale et ne reflète en rien le génie européen du passé et que l'on peut encore trouver si on se donne la peine de l'identifier là où il se trouve. Je suis personnellement déterminé à faire disparaître cette caricature d'Europe que l'on nous propose !

 

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Je voudrais ici braquer le projecteur sur un secteur dont nous n'avons que peu ou pas parlé. C'est le secteur de l'éducation et surtout le secteur de l'enseignement supérieur qui comprend essentiellement les universités et les écoles d'ingénieur. Or, dans ce secteur, la Commission européenne est très active. Elle pratique une politique d'anglicisation à outrance sans l'annoncer explicitement, un endoctrinement au tout anglais qui ne semble pas avoir d'équivalent nulle part, par le biais des échanges universitaires financés par des programmes tels qu"Erasmus", par exemple.

Dans le principe, Erasmus est conçu pour favoriser les échanges universitaires. Dans la pratique, Erasmus finance des stages d'étude de 6 mois à un an dans un autre pays de l'UE pour les étudiants qui candidatent au programme. Théoriquement et contrairement aux dispositions de la DG XIII qui impose explicitement l'anglais dans le cadre de toutes les demandes de financement, Erasmus n'impose nullement l'anglais mais se sert des petits pays ou ceux dont la langue n’a aucune diffusion internationale, pour faire de l'anglais le seul choix possible pour l'étudiant qui s'y rend, en invitant ces pays à offrir des cours en anglais.

Par exemple, pour "promouvoir" une mobilité vers la Hongrie, les universités hongroises offrent des cours en anglais. C'est déjà le cas depuis longtemps avec des pays tels que la Suède, la Finlande, le Danemark ou la Hollande (seul pays qui, jusque dans les années 50, avait encore une langue à diffusion internationale). Pour ne pas être en reste, les autres grands pays ont ainsi tendance à suivre. C’est le cas de l’Allemagne, l’Italie, et la France. D'autre part, des petits pays, tels que le Luxembourg, où l'on fonctionnait traditionnellement en français ou en allemand, utilisent maintenant l'anglais dans le cadre de tous leurs échanges universitaires avec l'extérieur. Le Luxembourg a, depuis quelques années, créé sa propre université nationale et semble avoir recruté, principalement au sein des départements scientifiques, des anglophiles notoires, qui imposent même l'anglais comme langue de rédaction des thèses aux étudiants étrangers, même ceux qui viennent pourtant du monde francophone !

Même topo en Suisse aussi, à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Même chose en Belgique, avec l'exemple de l'Université catholique de Louvain (l'UCL de Louvain-la-Neuve), bien que ces deux universités soient des MEMBRES À PART ENTIÈRE de l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et que, en plus, dans le cas de l'UCL, le président soit souvent mandaté par l'AUF pour effectuer un certain nombre de missions pour l'agence...

L’offre de cours en anglais a débuté, comme je le disais, dans des pays dont les langues n’ont aucune diffusion internationale mais, de proche en proche, la pratique s’est communiquée aux grands pays de l’Europe continentale ! C’est ainsi que des Alsaciens vont faire des stages en Allemagne en anglais ! Que des Italiens de San Remo viennent faire des stages à Sophia-Antipolis en anglais, à 20km de Nice ! Et que des Vietnamiens francophones doivent rédiger leur thèse en anglais au département d'informatique de l’université catholique de Louvain !

Il faut absolument casser cette machine universitaire, européiste et atlantiste qui essaye d'imprimer dans le cerveau des jeunes que la mobilité en Europe n'est possible que grâce à l'anglais. Évidemment, on ne trouve guère de jeunes Italiens, Allemands ou Français qui parlent le hongrois mais il faut démolir une fois pour toutes la croyance que l'on peut sérieusement découvrir et s'intéresser à un pays (sauf pour y faire du tourisme) sans avoir à appréhender sa langue, surtout pour y faire des études ! Il faut tordre le cou à cette promesse « d'enrichissement culturel » et de « découverte » par le biais d’un séjour qui se fait au détriment des intérêts du pays d’accueil et au détriment des intérêts du visiteur, mais au plein bénéfice des seuls pays anglophones !

Indirectement, les valeurs promues par des programmes comme « Erasmus » sont le mépris des cultures nationales, le mépris des langues et de leur diversité, l’illusion que l’on peut bâtir des relations durables avec un peuple sans qu’on lui montre la politesse élémentaire d’apprendre sa langue quand on est chez lui, l’illusion que les jeunes peuvent vraiment se mêler à d’autres jeunes en parlant une langue qu’aucun ne maîtrise vraiment et que l’environnement dans lequel ils sont ne pourra pas, avec le temps, les aider à surmonter cet handicap.

La Hongrie est intéressante par son caractère hongrois tout comme l’Italie l’est pour son caractère italien. Si je me déplace pour retrouver la même chose ailleurs, QUEL EST ALORS L’INTÉRÊT DE ME DÉPLACER ?

Nous devons dénoncer auprès des jeunes cette immense imposture qui est de leur faire croire qu’il faut aplanir les différences en les faisant passer au rouleau compresseur du tout anglais ! Autant rester chez soi si on n’est pas vraiment intéressé par les différences. Nous nous déconsidérons à envoyer dans divers pays des jeunes qui refusent d’apprendre la langue des gens auxquels ils sont censés s’intéresser. L’anglais lingua franca est un concept qui a été lancé par les anglo-saxons, au seul bénéfice des anglo-saxons. C’est une monstrueuse imposture et nous devons, de toute urgence, la dénoncer comme telle et s’attaquer à la démolir.

La machine européenne est une machine à la solde des anglo-saxons et des États-unis et qui utilise nos propres ressources et nos impôts dans un SENS CONTRAIRE À NOS INTÉRÊTS.

Éveiller la conscience générale, c’est bien mais je pense que nous devons aussi porter notre attention vers les jeunes qui sont, en général, assez sensibles aux principes de justice et de liberté et combattre sans relâche l’intoxication à laquelle ils sont soumis.

Il faut aussi dénoncer les valets de l’impérialisme linguistique anglo-saxons, à savoir les présidents des universités qui acceptent non

seulement des situations inacceptables mais qui, en plus, les encouragent et qui, de surcroît, quelquefois, le font en contradiction complète avec leurs engagements dans des organismes à but culturel et linguistique tels que l’AUF (exemples du recteur Marcel Crochet à l’UCL et de Patrick Aebischer à l’EPFL).

En agissant ainsi sur la jeunesse de nos divers pays européens, en les biberonnant d’anglais (selon l’expression de Jean-Loup Cuisiniez) dès le plus jeune âge, la commission européenne, avec le concours des autorités éducatives des divers pays d’Europe continentale tentent de créer une situation où la colonisation mentale et la conquête des esprits serait triomphante et irréversible.

En résumé, je pense que le volet « Éducation » doit être pris en compte dans nos priorités.

 

 

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Je dois également souligner que, de plus en plus, les stages Erasmus ne sont pas facultatifs mais obligatoires pour un nombre croissant d'élèves ingénieurs, par exemple. Mon fils, qui fait ses études universitaires à Grenoble, me le confirme. Il connaît beaucoup d'étudiants européens non français à Grenoble qui n'avaient pas spécialement envie d'y venir et qui auraient préféré boucler au plus vite leur programme d'études dans leur propre pays plutôt qu'entreprendre, contraints et forcés, ce qui est trop
souvent du tourisme universitaire.

S'il faut promouvoir les échanges intraeuropéens, ceux ci devraient être strictement limités aux étudiants qui désirent les entreprendre. Pour faire des croyants, on forçait les jeunes autrefois à aller "à confesse" et à la messe tous les dimanches, ce qui a eu pour résultat de produire des générations d'anti-cléricaux violents et d'intégristes de l'athéisme. Ne refaisons pas la même erreur avec des échanges intraeuropéens forcés et artificiels !

Je crois également que l'on se méprend souvent à propos du multilinguisme. Le multilinguisme n'est pas l'étude forcée de x langues étrangères à l'école qui, là encore, ne peut se faire qu'aux dépens d'autres matières et qui, souvent, aboutit à des résultats médiocres quand il n'est pas équivalent à celui de la confession hebdomadaire et de la messe dominicale obligatoires !

Si je suis responsable d'une unité de production dans une PME ou même dans une plus grande société, ce sont les qualités techniques du candidat qui constitueront mon critère de recrutement et non sa connaissance, forcément superficielle, des langues qu'il a étudiées à l'école et à l'université.

Si je respecte les gens qui parlent plusieurs langues, et a fortiori les polyglottes, je pense que le multilinguisme est avant tout pour les
organisations internationales plutôt que pour les individus. Le multilinguisme est parfaitement réalisable à l'intérieurs des organisations
internationales par une minorité d'individus qui ne sont pas forcément polyglottes. En fait, il suffit d'avoir un nombre adéquat de personnes connaissant chacune 2 ou 3 langues différentes pour mettre en place une organisation multilingue efficace. Bien avant que le multilinguisme, ou plutôt son absence, ne devienne un problème à la Commission européenne, un multilinguisme pratique et efficace était en place au niveau des multinationales des années 60 et 70, par exemple. Obligation pour la mince couche de cadres dirigeants de chaque succursale de connaître la langue du siège social de la société et structuration des compétences linguistiques du reste du personnel selon les zones couvertes et la clientèle. Ainsi, un client brésilien recevait toujours une réponse en portugais de la succursale
brésilienne tout comme un client français recevait une réponse en français de la succursale française d'une société japonaise implantée à Paris !

Le multilinguisme bruxellois est tellement efficace actuellement que le Belge francophone ou flamand installé à Bruxelles a plus de chances de recevoir une réponse en anglais des services de la Commission européenne qu'une réponse dans sa langue alors qu'elle siège dans la même ville ! On pourra m'avancer les arguments X, Y ou Z pour justifier cet état de fait, mais, à mon avis, cet état de fait entraîne une condamnation sans appel des systèmes de multilinguisme qui ont été mis en place par la Commission jusqu'à présent et il consacre l'échec personnel des responsables dans ce domaine. LE MULTILINGUISME DE LA COMMISSION EST UNE DÉRISION. Un échec d'une telle magnitude sur le plan professionnel dans une compagnie privée entraînerait immédiatement la mise à pied des responsables et leur remplacement séance tenante ! Comment les chefs de gouvernement des pays membres n'arrivent-ils pas à discerner cet immense échec qui crève les yeux de tous ? Si flagrant et évident qu'il suscite la dérision et les railleries d'observateurs extérieurs éloignés !

Le multilinguisme au niveau des organisations internationales est simplement une nécessité mais le multilinguisme au niveau des individus n'est pas une religion. Certains individus sont doués pour les langues tandis que d'autres, de par leur parcours particulier, ont pu en apprendre plusieurs.

Cependant, je crois sincèrement que le multilinguisme, au niveau individuel, je le répète, n'est pas pour tout le monde. Je n'ai pas la morphologie du cycliste et il serait vain pour moi de penser que je peux intégrer le peloton du Tour de France. Je connais des grimpeurs exceptionnels, qui grimpent avec une aisance déconcertante des parois parfaitement verticales, mais dans lesquelles même le grimpeur moyen, même surentraîné, ne donnerait qu'un spectacle pitoyable d'inaptitude et d'incompétence... Laissons aux quelques doués ou surdoués la tâche de devenir polyglottes. Nous n'avons pas besoin nous-mêmes d'être polyglottes pour mettre en place des organisations multilingues efficaces, respectueuses des diverses langues et des cultures.

Si l'on veut préserver la diversité et l'originalité du monde, il est bien plus important, pour la plupart des individus, d'être enracinés dans leur langue et leur culture afin de préserver leur créativité et leur capacité innovatrice dans tous les domaines plutôt que d'avoir une soupe informe de moutons bêlants à la même fréquence et au même volume !

C'est bel et bien, d'ailleurs, le problème de la recherche scientifique dont le rendement ne cesse de se dégrader depuis les années 70. Bien entendu, il faut distinguer entre la technique, qui a clairement progressée, et la science, qui stagne depuis plusieurs décennies (voir l'ouvrage de Jean-Marc Lévy-Leblond : La pierre de touche, la science à l'épreuve).



Charles Durand