Sujet :  Collège européen de Parme / Commentaires sur l'usage des langues
Date : 01/09/2003
De :  Francis Bernard (fmbernard@wanadoo.fr)


À MÉDITER
 

 

 

 

 Message original de : M. Charles DURAND (Charles.Durand@utbm.fr)

auteur de "La nouvelle guerre contre l'intelligence - La manipulation mentale par la destruction des langues", éd. F-X. de Guibert, Paris, mai 2002, 329 pages, ISBN 2-86839-771-9

 Envoyé le dimanche 31 août 2003


 À : Mme CAMPOGRANDE Anna Maria


 Sujet : Collège européen de Parme
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 Chère Madame,



 J'ai bien reçu la documentation sur le collège européen de Parme. Je vous prie de m'excuser du retard pris à vous répondre, la recherche d'un emploi et la visite de parents et d'amis ayant absorbé une grande partie de mon temps. C'est aussi la raison pour laquelle je ne participe plus guère à certains forums, en dépit de leur intérêt.

 Je ne pense pas que la formule trilingue pour l'enseignement des cours puisse être maintenue très longtemps. Bien entendu, le principe d'avoir des conférenciers ou des professeurs italiens, français et anglais qui enseigneraient dans leurs langues maternelles respectives est viable mais l'expérience montre que la multiplicité des langues entraîne l'émergence d'une langue préférentielle pour les auditeurs comme cela s'est passé à l'INSEAD, un établissement d'enseignement supérieur privé dont la fonction est de délivrer des formations en l'administration des affaires ("MBA") et qui fut créé à Fontainebleau, près de Paris, il y a une trentaine d'année (au moins).

À l'INSEAD, au début, la connaissance de trois langues était exigée, le français, l'allemand et l'anglais mais, petit à petit, les impératifs commerciaux ont pris le dessus et l'on a petit à petit sacrifié l'allemand et le français au seul profit de l'anglais pour pouvoir bénéficier de la manne financière apportée par des étudiants lointains qui exprimaient le désir de s'inscrire à l'INSEAD, mais qui n'avaient nulle envie de suivre des cours en allemand ou en français ou qui considéraient que l'étude de ces langues étaient pour eux un gaspillage de temps et d'argent.
Aujourd'hui, l'INSEAD, créé originellement par Olivier GISCARD d'ESTAING (info à vérifier), n'a plus rien de français et l'école pourrait fort bien déménager à New York ou à Singapour !

 En fait, la logique commerciale actuelle pourrait parfaitement entraîner une délocalisation de cet établissement. Les cours ne sont plus qu'en anglais. Le personnel enseignant est encore de divers pays, mais on peut imaginer sa substitution progressive par des enseignants anglo-saxons. Ce qui retarde cette évolution, à mon sens, c'est le caractère prétendument "européen" et "international" du type d'enseignement qu'on y donne. J'ai déjà rencontré certains des lauréats de l'école dont certains ne parlent pas un traître mot de français alors qu'ils sont restés en France au moins 18 mois (info à vérifier, car il existe peut-être un programme de "MBA" accéléré sur un an)


 Le collège européen de Parme n'a pas la même vocation. Toutefois, si l'administration du collège échappait de la tutelle bruxelloise et prenait son indépendance, la logique de "bonne gestion" présiderait à une évolution similaire. Si le collège avait pour vocation un maximum d'étudiants (car les études sont payantes), alors, il faudrait s'attendre à une érosion automatique de l'usage de l'italien, dans un premier temps et, ensuite, de l'usage du français.
 Le danger est bien évidemment de s'enfermer dans un cadre anglo-saxon de pensée, qui est déjà bien implanté à la Commission et chez les PDG des sociétés industrielles européennes. On ne peut impunément utiliser l'anglais dans le contexte actuel et s'imaginer naïvement que l'on peut construire des solutions qui ne se conforment pas aux principes anglo-saxons en vigueur. La langue anglaise n'est pas neutre. Les Français, ainsi que les autres peuples, doivent impérativement associer leur langue à un message différent. L'imitation est MORTELLE. Un Italien ou un Français qui s'exprime en anglais n'a plus rien à dire d'original, mais, si l'on fait de la traduction de l'anglais, ou si l'on a le même type de message à exprimer, les conséquences sont exactement les mêmes. C'est la raison de la chute vertigineuse du nombre d'étudiants en français dans les universités espagnoles, par exemple.

 La littérature française actuelle, politiquement correcte, auto-censurée, rangée sagement derrière les idées anglo-saxonnes, dont la langue est appauvrie, dont la rigueur d'expression est affaiblie, est bonne à mettre à la poubelle. Ce n'est que du papier sans valeur !
 En tant que scientifique et ingénieur, je n'aurais jamais pensé, il y a quelques années, que j'affirmerais un jour, haut et fort, que le principal fer de lance de l'industrie française est sa littérature ! Pourtant, c'est
 vrai! C'est elle qui a ouvert à la France autrefois toutes les autres portes !


 La solution au problème de communication proposée par les Espérantistes est parfaitement viable. J'en suis convaincu depuis le congrès mondial d'espéranto auquel Renato Corsetti m'a permis d'assister et j'en suis venu naturellement à la conclusion suivante : Il faut interpréter l'attitude actuelle des États membres de la Commission (comme celle des autres d'ailleurs) de manière diamétralement opposée à leurs déclarations ! Si le but était de faciliter la communication internationale pour tous, l'espéranto, de par ses qualités intrinsèques comme véhicule de communication, aurait été choisi depuis belle lurette! L'élite dirigeante NE VEUT PAS d'une communication internationale À LA PORTÉE DE TOUS, ce qui lui enlèverait rapidement une partie de ses privilèges. En Europe, nous vivons tous dans la zone périphérique étasunienne. L'enseignement quasi généralisé de l'anglais dans la communauté n'a pas pour but d'instaurer la "communication" internationale. Il est tout juste bon à nous donner un niveau suffisant pour comprendre les directives du centre, pour rendre efficace l'emprise sur les esprits de ses messages et pour diffuser son idéologie. Autrefois, on n'exigeait pas des esclaves noirs qui étaient au service des Étasuniens, des Français ou des Espagnols qu'ils comprennent parfaitement l'anglais, le français ou l'espagnol. Il suffisait que leurs connaissances élémentaires leur permettent de comprendre les ordres du maître. C'est ainsi que les créoles se sont développés. Les bribes d'anglais, de français et d'espagnol ont été ainsi mélangées avec des éléments de langues africaines pour constituer les créoles, qui n'ont que des ébauches de structures et de syntaxe. J'affirme que l'anglais est à l'Union européenne ce que le russe était aux républiques non russophones de l'Union soviétique ! Si le mauvais anglais, qui est parlé à peu près partout entre peuples d'origine autre qu'anglo-saxonne, à l'exception peut-être de certains peuples européens dont la langue maternelle est de la famille germanique (Norvégiens, Hollandais, par exemple), leur permet peut-être de se comprendre à un niveau élémentaire, il a surtout pour but d'imposer partout l'Empire et ses préceptes comme le faisaient les églises pour le Vatican dans le domaine de la police des esprits dans toute l'Europe chrétienne du XVe siècle !
J'avoue que l'intelligentsia européenne actuelle m'inspire un certain mépris en se complaisant dans son rôle subalterne et obséquieux vis-à-vis des États-Unis dont la force s'édifie précisément sur la veulerie, la bêtise et l'ignorance de ce magma ignorant et inepte qui a la prétention de nous gouverner. Je viens de tomber sur un article d'un certain Édouard Rix, que je ne connaissais pas, et qui vaut la peine d'être médité :
 «De toutes les grandes et déchirantes révisions d'idées que les Européens doivent, sous peine de mort, entreprendre aujourd'hui, la plus importante est sans aucun doute la redéfinition du concept central d'Occident. Dans l'Antiquité, on désignait par Occident l'Europe et par l'Orient les pays de l'Est méditerranéen. Toutefois depuis 1945, l'Occident ne se limite plus au seul continent européen, mais englobe l'ensemble des pays soumis au système capitaliste libéral, États-Unis et Japon inclus. Tous sont dominés par la "technique dans sa vocation planétaire" et par "l'homme selon sa subjectivité", selon la description de Martin Heidegger dans Introduction à la Métaphysique. À la suite de Carlos Rangel, nous pouvons définir l'Occident actuel comme un club concentrique dont les nations anglo-saxonnes et protestantes sont les membres fondateurs, Israël membre d'honneur, la France membre moral, en souvenir de 1789, les peuples latins, germaniques et slaves des membres inférieurs, les pays du Tiers-Monde des membres associés. Quant au Japon, il s'est lui même institué membre. Le nouvel Occident, qui n'est plus eurocentré, a une vocation planétaire. Bien que les États-Unis constituent son épine dorsale, il n'est plus localisé géographiquement et tend à englober tous les pays du monde qui adhèrent à la nouvelle Sainte Trinité de la "libre entreprise" et du "libre échange", de la démocratie libérale et des droits de l'homme. Depuis la disparition du bloc soviétique, plus aucun obstacle ne paraît en mesure de freiner l'irrésistible expansion occidentale. L'Occident est devenu une civilisation mondiale qui s'oppose radicalement à l'Europe. En effet, la civilisation occidentale, enfant monstrueuse de la technique européenne et des idéologies égalitaires issues du judéo-christianisme, n'a rien de la civilisation européenne, sinon son dynamisme et son esprit d'entreprendre. Elle s'incarne pleinement dans l'Amérique du Nord et repose sur l'égalitarisme, le consumérisme de masse, la dictature de l'économie, l'uniformisation du monde et la destruction de l'âme des peuples. Du marxisme à l'ultra-libéralisme, I'idéologie occidentale apparaît comme une simple laïcisation du monothéisme judéo-chrétien. Comme la chrétienté, elle entend abolir les différences, les races et les frontières, au nom de l'ambition universaliste de transformer les peuples de la Terre en sociétés identiques. Elle assigne comme finalité ultime à la civilisation la réalisation du bonheur individuel, sous l'unique forme du bien-être matériel et économique. Comment ne pas voir, dans le mythe occidental du progrès, la transposition pure et simple de l'utopie judéo-chrétienne de paradis et de fin de l'histoire ?
Ennemie de tout enracinement, de toute identité ethnique, nationale et culturelle, la civilisation occidentale produit partout l'homo occidentalis, déculturé. En établissant sur la planète entière une société unique, basée sur la dictature de la technique, de l'économie et de l'administration, elle réussit là où la civilisation marxiste soviétique a lamentablement échoué. Les techniques marchandes de l'Occident se sont effectivement révélées plus efficaces que les méthodes marxistes pour réaliser une société purement matérialiste. C'est pourquoi les États-Unis et le cosmopolitisme occidental ont remplacé l'URSS et l'internationalisme marxiste comme agent privilégié du mondialisme.
La civilisation occidentale prend la forme d'un Système, c'est-à-dire un ensemble d'éléments en interaction les uns avec les autres. Ce Système s'appuie sur deux piliers : l'impérialisme américanosioniste et le capitalisme multinational. Il s'incarne en une oligarchie mondiale qui exerce son pouvoir par l'intermédiaire d'États-relais (les É.U.-A. notamment), de firmes et de banques, d'institutions internationales (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International) et de groupes plus ou moins informels et discrets (Trilatérale ou Bilderberg Group).

 Le Système occidental est fort parce qu'il n'a ni épicentre, ni chef d'orchestre clandestin. S'il est si difficile à combattre, c'est parce que sa périphérie est partout et son centre nulle part. Il ne tient debout que par le consensus passif qu'il génère, par l'attrait du bien matériel qu'il suscite. Le Système s'auto-reproduit comme un cancer dont les métastases rongent le corps de l'humanité. Le Système occidental secrète une idéologie dominante, l'idéologie des droits de l'homme. Destinée à désarmer ses ennemis, elle constitue aujourd'hui le discours et la doctrine de l'ensemble de l'Occident. "En réalité, la philosophie des droits de l'homme, qui prétend imposer une seule forme de régime politique (la démocratie libérale) à tous les peuples, a pour fonction essentielle d'apporter une légitimité morale au système occidental". De Nagasaki et Hiroshima à l'Irak, en passant par le Viêtnam, la Grenade et Panama, les principes des droits de l'homme ont toujours constitué la base doctrinale des pires crimes des États-Unis, comme d'ailleurs autrefois les grands principes du christianisme donnaient lieu aux conversions de force, à l'Inquisition et aux massacres. L'idéologie des droits de l'homme, dans laquelle communient religieusement toutes les sociétés marchandes occidentales, ne sert qu'à justifier le Système.

Par exemple, la liberté universelle de circulation "des hommes et des marchandises" est un droit de l'homme. La déportation du travail, baptisée pudiquement "immigration" et l'invasion des marchés nationaux par les produits nord-américains et extrême-orientaux sont ainsi moralement justifiés. Les droits de l'homme n'apparaissent dans ce cas, que comme les droits du capitalisme apatride à domestiquer, déraciner et exploiter les hommes.

Ne nous y trompons pas. Derrière les discours lénifiants sur les droits de l'homme se cache un féroce néo-colonialisme économique et culturel. Pour intégrer un pays à l'anti-civilisation occidentale, le Système impose l'anglo-américain comme langue du commerce et des "affaires", modifie sa musique, son cinéma, ses loisirs, ses habitudes alimentaires, et accessoirement lui inculque le nouvel évangile des droits de l'homme. Ainsi les produits culturels ouvrent la voie à "l'american way of life" et aux
 importations massives de biens de consommation. La jeunesse est la cible privilégiée de cette stratégie économico-culturelle. Il s'agit de subvertir ses valeurs propres afin de lui imposer les modes américanomorphes. La jeunesse européenne a été la première victime de cette véritable guerre culturelle.
La prise de conscience de la menace occidentale est la ligne de partage des valeurs appelée à se substituer à l'archaïque et stérile clivage Nord / Sud.

Comme l'écrit Roger Garaudy : "Nous sommes en train de vivre une véritable guerre de religion. Non pas entre les chrétiens et les musulmans, ni entre croyants et non-croyants, mais entre les hommes de foi, c'est-à-dire ceux qui croient que la vie a un sens, et qu'ils sont responsables de le découvrir et de le réaliser, et cette religion sordide du marché qui prive de sens toute vie et nous conduit, par la cassure du monde, à un suicide planétaire". Combattre l'Occident signifie défendre des valeurs éternelles de la civilisation européenne, et en même temps lutter pour la cause des peuples.» (Texte d'Édouard Rix. Édouard Rix est collaborateur du journal "Le Lansquenet" dans les colonnes duquel cet article a précédemment été publié.)

 

Bien cordialement.

Charles Durand