Sujet : Réflexions sur les sondages
Date : 23/10/2007
De : Claude Piron   (courriel : c.piron(chez)bluewin.ch)   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

Les Européens et les langues étrangères

Il est une chose dont les Lituaniens sont assez fiers, c'est leur capacité à parler les langues étrangères. Des statistiques, publiées par le Département lituanien des statistiques et reprises par le magazine « Veidas » du 18 Octobre (pages 52-53) devraient donc être appréciées.

Au sein de l'Union Européenne, ce sont les Luxembourgeois qui sont le plus multilingues, 99 % parlant une autre langue que leur langue maternelle, 92 % une deuxième langue, 69 % une troisième langue.

Ils sont suivis des Slovaques (97 % parlent une deuxième langue), des Lettons (95 %), des Lituaniens(92 %) et des Maltais (92 %). La marche est fermée, mais est-ce surprenant, par les pays anglophones (Irlande - 34 % et Grande-Bretagne- 38 %) qui ne doivent pas juger nécessaire d'apprendre une autre langue que l'anglais. Ils sont précédés de peu par les Italiens (41 %).

En ce qui concerne la Lituanie,92 % des habitants parlent une deuxième langue, 51 % une troisième et16 % une quatrième, 8 % ne parlant que leur langue maternelle, qui n'est d'ailleurs pas obligatoirement le lituanien.

Justement, en ce qui concerne les langues étrangères que peuvent parler les Lituaniens, le russe, souvenir d'une longue occupation, vient en tête (80 %), suivi de l'anglais (32 %), du polonais (15 %), de l'allemand (12 %) et du français (3 %).

Dans l'ensemble de l'UE,c'est l'anglais qui arrive en tête des langues étrangères parlées (32%), suivi à égalité du français et de l'allemand (14 %), puis de l'espagnol et du russe (6 %).

 

 

Réflexions de Claude Piron :

 

Sait-on comment ces pourcentages sont calculés ?

Il y a toujours un énorme décalage entre les résultats qu'on obtient en demandant aux gens « quelles langues étrangères parlez-vous ? » ou « parlez-vous l'anglais ? » et les résultats que donne une vérification objective du niveau dans les langues en question selon des critères prédéfinis.

Lors d'une enquête de Lintas Worldwide -- demandée par une firme britannique qui se proposait de diffuser les mêmes clips publicitaires en anglais dans toute l'Europe, ce qui aurait représenté une économie considérable par rapport à un clip différent par pays -- il est apparu que 94% des Européens étaient incapables de comprendre correctement un bref spécimen d'anglais courant. La firme a renoncé à son idée.

Lors d'une autre enquête, 20% des Français interrogés se sont classés dans la catégorie « sait très bien l'anglais ». À la vérification, il s'est avéré que seuls 3% méritaient cette mention.

Tout récemment, à Hanovre, lors d'une recherche portant sur 3700 étudiants ayant étudié l'anglais pendant 8 à 10 ans. à la question « quel est, d'après vous, votre niveau en anglais » 34% ont répondu « très bon » et "38% « bon ». Le contrôle du niveau a révélé que seuls 4% méritaient le niveau « très bon » et 1% le niveau « bon ».

Quand on demande aux gens, dans un sondage, s'ils savent telle ou telle langue, on omet toujours de définir le mot « savoir ». Quelqu'un qui est incapable d'expliquer en anglais comment s'est passé un accident de voiture répond en général qu'il sait la langue s'il sait dire « Pour la gare, tout droit, puis la première rue à gauche ».

L'Eurobaromètre est très malhonnête à cet égard. Il ne vérifie jamais le niveau en langue et proclame toujours des pourcentages ahurissants d'Européens sachant l'anglais. Certains prétendent que c'est intentionnel : il s'agit de convaincre les gens que l'anglais est plus répandu qu'il n'est en fait.

Pour ce qui est des Luxembourgeois, le chiffre de « Veidas » est correct. C'est effectivement le pays d'Europe où pratiquement tout le monde est trilingue, et à un bon niveau. J'en parle dans mon article « L'Européen trilingue - Un espoir réaliste ? » in Robert Chaudenson (éditeur). « L'Europe
parlera-t-elle anglais demain? » (Paris: L'Harmattan, 2001, 93-102) qu'on peut lire sur
http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/europeentrilingue.htm .

En Lituanie et dans les autres pays baltes, le bilinguisme est sans doute un bilinguisme « langue nationale - russe ». Il est peut-être différent dans la jeune génération.

En ce qui concerne les Slovaques, bilingues à 97% d'après « Veidas » je me demande s'il ne s'agit pas du fait que presque tous les Slovaques peuvent communiquer sans problème avec les Tchèques, mais il s'agit en fait de deux versions très proches d'une même langue. Est-ce un vrai bilinguisme ? Il est vrai que beaucoup parlent l'allemand, et une certaine proportion le hongrois.

Pour le reste, je vous invite à vous méfier des statistiques qu'on trouve dans les médias, et même de celles qui sont tirées des recensements, où l'on se contente de demander aux gens quelles langues ils parlent. Et on les croit, comme si l'illusion sur ses propres capacités, notamment dans le domaine des langues, n'était pas un phénomène extrêmement fréquent. C'est à elle qu'on doit d'entendre, dans les congrès internationaux, des Français s'exprimer dans un anglais atroce et pratiquement incompréhensible, même lorsque le français est l'une des langues de travail. La triste position du français dans le monde doit beaucoup au snobisme.


CP