La séance est ouverte à quinze heures.
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Jacques Myard – Rappel au Règlement sur le fondement
de l’article 58–1. Nous allons discuter cet après-midi du
protocole de Londres, à propos d’un projet de loi que le
Gouvernement a déposé le 24 août, ne nous laissant
matériellement que quelques jours pour déposer des motions,
comme j’aurais aimé le faire afin que l’Assemblée ait davantage
de temps pour discuter de ce texte. Car il n’est nullement
anodin, en raison de son importance pour nos entreprises et pour
la langue française. Je trouve la manière de procéder du
Gouvernement en la circonstance particulièrement inélégante.
APPLICATION DE L’ARTICLE 65 DE LA CONVENTION SUR LES BREVETS
EUROPÉENS
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi
autorisant la ratification de l’accord sur l’application de
l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets
européens, fait à Londres le 17 octobre 2000.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des
affaires européennes – Le Gouvernement soumet à votre
approbation le projet de loi autorisant la ratification d’un
accord qui suscite depuis de longues années des débats
passionnés. Le Gouvernement, après avoir écouté les arguments
des uns et des autres, en a conclu que le protocole recevait un
accueil largement favorable, et qu’il était temps d’examiner la
question ensemble, sans a priori, ni naïveté.
Je rends hommage au remarquable travail préparatoire de la
délégation pour l'Union européenne, et en particulier à
M. Garrigues et au président Lequiller, ainsi qu’à celui de
votre rapporteur, M. Plagnol.
L'accord de Londres, qui porte mal son nom puisqu'il a été
négocié à Paris en 1999, a été défendu par des gouvernements de
droite comme de gauche, ce qui n’a rien de surprenant puisqu'il
conforte le statut des trois langues officielles de l'Office
européen des brevets, en permettant aux entreprises de déposer
leurs brevets en français, en allemand ou en anglais, et en
maintenant l'obligation de rédiger les revendications,
c'est-à-dire la partie du brevet qui a force juridique, dans ces
trois langues. Il allège en outre les obligations de traduction,
en dispensant les déposants de traduire la partie technique du
brevet, dénommée description, dans les 22 langues des États
parties à la convention européenne sur les brevets.
Les revendications seront ainsi toujours disponibles en
français. Il est vrai que seules 7 à 10 % des descriptions, qui
ne sont utiles qu'en cas de litige ou pour l'exploitation d'une
licence, le seront : mais je constate que 1,7 % seulement des
descriptions disponibles dans notre langue sont consultées, et
qu'il ne se produit en France qu'un litige pour 2 000 brevets
opposables en France. Le fait que toutes les descriptions ne
soient pas disponibles en français…
M. Jacques Myard – …est inadmissible !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …n'est
donc pas un handicap car, les revendications faisant apparaître
les nouveaux termes scientifiques, juridiques ou technologiques,
le français sera présent dans toutes les banques de données
recensant de nouvelles découvertes. Le Conseil Constitutionnel a
ainsi conclu, en septembre 2006, à la compatibilité de l'accord
de Londres avec l'article 2 de la Constitution, qui dispose que
la langue de la République est le français.
J’observe que 90 % des entreprises françaises déposent
actuellement des brevets en français auprès de l'Institut
national de la propriété industrielle, et que 50 % d'entre elles
demandent une protection européenne. Avec l'accord de Londres,
elles pourront continuer à déposer en français auprès de l'INPI,
et bénéficier de coûts réduits pour déposer leurs brevets et les
faire valoir dans les autres États européens. II n'y a aucune
raison pour qu'elles modifient leurs pratiques, car l'avantage
qu'elles retireraient d’un dépôt de brevet en anglais serait
extrêmement mince au regard des économies offertes par l'accord
de Londres.
Les entreprises américaines ou asiatiques, qui peuvent déjà
déposer en anglais sur le territoire européen, …
M. Jacques Myard – Il n’y a pas de territoire européen,
mais des États européens !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …ne
retireront aucun avantage nouveau du protocole, si ce n'est, en
vertu du principe de non-discrimination, les économies de
traduction dont bénéficieront également les entreprises
européennes.
Cette situation n'est en aucun cas défavorable aux petites et
moyennes entreprises.
M. Jacques Myard – C’est faux !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La
Confédération générale des petites et moyennes entreprises
demande d'ailleurs depuis sept ans la ratification de l'accord.
Quant aux grandes entreprises et grands instituts de recherche
français, ils n'ont pas attendu le protocole de Londres pour
déposer des brevets en anglais auprès de l'Office européen,
lorsqu’ils estiment que cela leur permet de protéger leurs
inventions aux États-Unis ou au Japon.
M. Jacques Myard – Le ministre s’en félicite !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Je ne
m’en félicite pas, mais que l'on ratifie ou non ce protocole,
elles continueront à le faire ! Autant permettre à toutes les
entreprises de déposer en anglais ou en français, et d'alléger
leurs coûts.
En ratifiant ce protocole, nous utilisons l’Europe pour mieux
nous adapter à la mondialisation, ainsi que le préconise le
rapport de M. Védrine. M. Plagnol, quant à lui, rappelle dans
son rapport…
M. Jacques Myard – Un mauvais rapport !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …que le
dépôt d’un brevet permet à une PME de doubler ses emplois en
cinq ans.
Enfin, refuser cette ratification ne servirait pas notre langue.
Au contraire, nous maintiendrions un verrou illusoire, puisque
les descriptions en français ne sont que très peu consultées.
M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est faux !
M. Jacques Myard – Il faut les mettre en ligne. L’INPI
est archaïque !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La
contrefaçon, fondée sur les revendications – dont la version en
français est maintenue – n’est pas plus à craindre.
En outre, le statu quo aurait un coût politique très
élevé puisqu’il bloquerait l’entrée en vigueur d’un accord que
nous avons négocié à notre avantage afin d’éviter le « tout
anglais » que préconisaient certains pays, y compris
francophones et proches.
M. Jacques Myard – C’est le flamand que l’on parle en
Belgique…
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Notre
refus conduirait les treize autres États parties à négocier
entre eux un régime qui privilégierait l’anglais. L’attitude de
repli n’est donc pas souhaitable.
M. Jacques Myard – Vous parlez de repli alors que vous
êtes en pleine débandade !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Au
contraire, nous avons là un puissant levier pour l’innovation.
Certes, l’accord n’est pas encore ratifié par tous…
M. Jacques Myard – Et pour cause !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – …mais
ayons confiance en nous et en notre capacité de persuasion !
M. Loïc Bouvard – Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État –
L’amélioration des systèmes européens de brevets n’est pas une
quête nouvelle, et la recherche d’une politique coordonnée entre
États membres se poursuit depuis 2000. Les discussions, gelées
depuis 2004, reprennent au moment même où la France s’apprête à
ratifier l’accord de Londres. Elles aboutiront bientôt à une
juridiction communautaire efficace et harmonisée.
M. François Goulard – Il a raison !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Nous
aurons alors besoin d’un véritable brevet communautaire dont les
effets seront identiques dans l’ensemble des États membres.
Aujourd’hui, en effet, un brevet peut être maintenu en vigueur
dans un pays, mais invalidé dans un autre.
M. Jacques Myard – Et c’est très bien ainsi !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Le
régime communautaire mettra fin à cette insécurité juridique.
Projetons-nous donc dans l’avenir.
M. Jacques Myard – Faisons un nouveau pas en direction du
gouffre !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Un
nouveau traité devrait être bientôt signé. Quand le brevet
communautaire sera mis en œuvre, on peut espérer que le passage
à la majorité qualifiée, prévu par ce traité, incitera chacun à
« communautariser » l’accord de Londres et à l’intégrer dans le
brevet communautaire. Préférons une politique offensive en
faveur de nos PME aux faux-semblants actuels ! Faciliter le
dépôt des brevets : tel est notre objectif. Les innovations de
nos entreprises doivent se faire connaître à l’étranger.
M. Jacques Myard – Il ne s’agit pas de cela !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Pour
que la France devienne une terre de brevets, il faut en réduire
le coût et ratifier l’accord de Londres – à quoi doivent
s’ajouter les judicieuses mesures d’accompagnement préconisées
par M. Plagnol. L’adoption de ce projet de loi servira notre
influence économique, mais aussi notre rayonnement scientifique
et culturel ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du
groupe UMP et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical,
citoyen et divers gauche)
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises
et du commerce extérieur – Je tiens avant tout à
remercier MM. Poniatowski et Plagnol, lequel a procédé à une
quinzaine d’auditions, pour l’exhaustivité de leur travail.
Outre les arguments évoqués par M. Jouyet, la ratification de
l’accord de Londres s’impose aussi pour des raisons économiques.
À l’âge de la mondialisation, l’innovation est au cœur de la
croissance économique.
M. André Wojciechowski – Bravo !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Un récent
rapport de l’OCDE nous indique que la Chine est au cinquième
rang mondial en matière d’investissements dans la recherche et
le développement.
M. Jacques Myard – Oui, mais elle le fait en chinois !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Pour autant,
elle ne développe pas l’innovation.
M. André Wojciechowski – Et pour cause : elle rachète nos
entreprises !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – C’est plutôt
parce que les droits de propriété intellectuelle n’y sont pas
toujours respectés. Dès lors, les chercheurs chinois préfèrent
aller chercher ailleurs, ou ne pas chercher du tout. La
propriété intellectuelle et, partant, le brevet, sont en effet
la clef de voûte de l’innovation. Or, le protocole de Londres
favorise l’effort d’innovation et la compétitivité de nos
entreprises. Avec le brevet européen, notre chaîne de
l’innovation sera renforcée. Le coût actuel du brevet européen
constitue en effet un handicap de poids pour les entreprises,
l’innovation et l’emploi. L’accord de Londres permettra de
diminuer les coûts et profitera notamment aux PME, qui sont les
premières à pâtir du système de traduction intégrale. Ce n’est
pas un hasard si la CGPME…
M. Jacques Myard – Instrumentalisée par le Medef !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – …le réclame
depuis des années ! Avec la baisse du coût du brevet, les
entreprises accroîtront leur marge de manœuvre en matière
d’innovation et choisiront plus aisément une stratégie offensive
de commercialisation à l’étranger.
J’ajoute que les traductions des brevets ne sont disponibles
qu’après cinq à sept années : c’est un délai trop long pour
permettre aux entreprises d’exercer une activité de veille
efficace. Avec l’accord de Londres, elles auront accès au résumé
du texte intégral du brevet au plus tard deux ans après son
dépôt.
M. Jacques Myard – Croyez-vous que c’est avec cela
qu’elles comprendront jusqu’à deux cents pages de description ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Elles
prendront ainsi connaissance des caractéristiques principales de
l’invention. Nul désavantage compétitif n’est à craindre.
M. Jacques Myard – Vous devriez avoir honte de ces
contrevérités !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Comment
pouvez-vous imaginer qu’un secrétaire d’état aux entreprises
demande la ratification d’un accord qui leur nuit
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) ?
M. Jacques Myard – Justement !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Ne doutez
pas, Monsieur Myard, de la force de mes convictions : cela fait
des années que je défends nos entreprises, dans cet hémicycle et
ailleurs !
Cette ratification n’est qu’un élément de la politique globale
que nous devons mener en matière d'innovation. Le projet de loi
de finances proposera ainsi une réforme ambitieuse du crédit
d'impôt recherche, ainsi qu'un allégement de la fiscalité sur
les revenus tirés des cessions de brevets, qui permettra de
supprimer l'écart entre les coûts de l'octroi de licence et de
la cession de brevet. Nous assouplirons également le régime
fiscal des apports de brevet à des sociétés par des inventeurs.
La réduction accordée aux PME sur les principales redevances de
dépôt de brevets sera également doublée dès cette année, et
ouverte aux entreprises de moins de 1 000 salariés, contre 250
actuellement.
M. Jacques Myard – Ça, c’est bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Pour mieux
sensibiliser les entreprises aux enjeux de la propriété
industrielle, du dépôt de brevet et de la valorisation des
inventions, les actions de terrain de l'INPI, d’OSEO et des
pôles de compétitivité seront amplifiées. Nous allons ainsi
généraliser, pour les entreprises moyennes, la technique des
pré-diagnostics. C’est aussi cela, la défense de la propriété
intellectuelle !
Le Gouvernement souhaite donc mettre en place un ensemble très
complet de mesures, en concentrant ses efforts sur les
entreprises petites et moyennes. Il serait vraiment incohérent
de vouloir alléger les redevances sur le dépôt de brevet, soit
le dispositif d'entrée, tout en maintenant des charges
dissuasives pour les entreprises lors de l'obtention et de la
délivrance des brevets ! En réduisant les coûts de traduction,
l'accord de Londres s'inscrit dans la chaîne vitale de
l’innovation. C’est donc avec la plus profonde conviction que je
vous engage à en autoriser la ratification, dans l'intérêt de
nos entreprises et de nos emplois…
M. Jacques Myard – Cocu, et content !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – …pour rendre
le système européen de brevets plus compétitif, pour favoriser
la recherche et l'innovation et pour donner à notre pays le
point de croissance qui lui manque pour résoudre l’essentiel de
ses problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche – Pour parler avec une grande
franchise, c'est une chance qui nous est offerte aujourd'hui :
celle de consacrer la langue française comme l'une des trois
langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe.
M. Jacques Myard – C’est déjà fait !
Mme la Ministre - Nous ne pouvons pas la laisser passer,
car cette chance est sans doute la dernière : des voix s’élèvent
déjà pour demander le passage au « tout-anglais ». Si la France
se refusait à ratifier ce texte, qui ne peut entrer en vigueur
sans elle, nul doute qu’elle serait en position de faiblesse
dans les prochaines négociations sur la diversité des langues et
qu’elle ne pourrait plus échapper, à court ou moyen terme, à des
concessions douloureuses.
Cet accord est aussi une occasion unique de renforcer la
recherche française et de franchir un nouveau pas dans la
société de la connaissance : c’est une conviction que le
Gouvernement partage avec le président de votre commission des
affaires étrangères et avec votre rapporteur, dont je voudrais
saluer ici le travail remarquable, mais aussi avec tous ceux qui
se sont penchés sur le protocole. Il y a plus d'un an en effet,
lorsque votre commission des finances avait adopté un amendement
de M. Fourgous tendant à autoriser la ratification du protocole,
le Gouvernement avait voulu offrir à tous le temps de la
réflexion : l'office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, les commissions des affaires
étrangères et des affaires sociales de l’Assemblée et les
délégations pour l'Union européenne de chacune des deux
chambres…
M. Jacques Myard – Chef d’œuvre de manipulation !
Mme la Ministre - …ont pu ainsi en peser toutes les
conséquences, avant de se prononcer pour la ratification.
M. Jacques Myard – En service commandé !
Mme la Ministre – Cet accord est en effet bénéfique à la
fois pour la langue française, pour la recherche et l'innovation
en France et au-delà, pour le rayonnement de notre pays. En ce
qui concerne notre langue, je voudrais apaiser toutes les
craintes qui, c’est légitime, se font jour à chaque fois qu’elle
est en cause. Le protocole de Londres simplifie le régime
linguistique des dépôts de brevets en Europe. Il bénéficie à
trois langues : l'allemand, l'anglais et le français.
M. Jacques Myard – C’est déjà le cas !
Mme la Ministre – Les revendications des brevets devront
donc être traduites dans chacune de ces trois langues. C'est là
une garantie essentielle pour les déposants francophones, car
les revendications sont le cœur du brevet.
M. Jacques Myard – C’est faux !
Mme la Ministre - Ce sont elles qui définissent la portée
de la protection juridique qu'il confère. Des revendications mal
rédigées, ce sont des inventions mal protégées et donc des
brevets inutiles.
Le protocole de Londres garantit donc que la partie fondamentale
de chaque brevet sera nécessairement disponible en français.
Qu’il n’y ait pas de malentendu : le protocole n'autorise en
rien les déposants à choisir parmi ces trois langues pour les
revendications (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMPet quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et
divers gauche). Il n'y a donc aucun risque que les brevets
européens ne soient plus libellés qu'en anglais. L'accord ne
sert pas à dresser un paravent pudique devant le monopole de
l'anglais, mais oblige à utiliser les deux autres langues. Ce
n’est que pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire
pour l'essentiel des schémas et des légendes, que le choix entre
les trois langues sera possible. Cela n'emporte aucune
conséquence pour l'avenir de la langue française, puisque ces
parties techniques sont peu rédigées et n'ont pas de réelle
portée juridique.
M. Jacques Myard – Oh !
Mme la Ministre - Il était donc légitime, dans un souci
de simplification, d'autoriser leur rédaction dans une seule des
trois langues officielles (Murmures sur plusieurs bancs du
groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe
socialiste, radical, citoyen et divers gauche).
Si le protocole de Londres fait du français l'une des langues
officielles de l'innovation en Europe – le Conseil
constitutionnel l'a au demeurant déclaré conforme à notre
Constitution, qui consacre le français comme langue de la
République – il emportera aussi d’autres bénéfices pour la
France, pour notre recherche et pour chacune de nos entreprises
innovantes.
M. Jacques Myard – Il n’y a aucun lien ! C’est une
affirmation gratuite !
Mme la Ministre - Si l’Europe s’est engagée dans une
simplification du régime des brevets, c'est avant tout pour
stimuler l'innovation. Chacun sait que c’est de l'innovation que
dépend la croissance future de nos pays. Le temps où il
suffisait de suivre, à notre rythme, les pays innovants pour
développer notre économie est révolu. Ni la France ni l'Europe
ne peuvent plus se permettre d'être en pointe dans certains
domaines et de laisser les autres aux États-Unis ou au Japon.
Car ce n'est plus seulement avec eux que nous rivalisons, mais
aussi avec la Chine, ou l'Inde – avec l'ensemble des pays
émergents qui ont compris que l'intelligence était la plus
grande des richesses, la source unique dont sortent la paix, la
prospérité et le progrès pour tous.
La France qui a été de toutes les révolutions et de toutes les
audaces, la France dont sont sorties les Lumières qui ont
éclairé l'Europe entière, n'a rien à craindre de la compétition
mondiale des intelligences. Pour peu qu'elle s'y engage
pleinement, elle y tiendra son rang. J’en appelle donc
aujourd’hui à l'esprit des Lumières (Rires sur quelques bancs
du groupe UMP et du groupe socialiste, radical, citoyen et
divers gauche). L’intelligence était reine dans notre pays :
partout, on découvrait, on inventait, on innovait. C'est cet
esprit, qui nous a placés au tout premier rang des nations
européennes, qu'il faut rallumer. Nous devons donner à nos
chercheurs et à nos inventeurs les moyens de lutter à armes
égales avec ceux des autres nations. Le peuvent-ils, quand le
dépôt d'un brevet est deux à trois fois plus coûteux en Europe
qu'au Japon ou aux États-Unis ? Quand il faut traduire
intégralement un brevet dans vingt-trois langues ?
M. Jacques Myard – C’est faux !
M. le Président – Monsieur Myard, économisez votre voix
pour le moment où vous aurez la parole…
Mme la Ministre – Certains trouveront déplacé de parler
d'argent à propos de science, de savoir et de découverte, mais
les plus grands esprits doivent bien vivre. Encore faut-il
qu’ils puissent vivre des fruits de leur intelligence. Dans ses
premières années, une PME innovante n'a qu'une seule richesse :
le brevet qu'elle a déposé, sans lequel elle ne pourra se
développer, lever des fonds, emprunter auprès des banques. Les
États-Unis l’ont bien compris, qui sont en train de modifier
leur système de brevets afin de le rendre plus efficace et moins
coûteux pour les entreprises.
C’est pourquoi il nous faut réagir, en ratifiant le protocole de
Londres certes, mais aussi en formant nos jeunes ingénieurs et
nos jeunes doctorants au dépôt de brevet. Certains
établissements le font déjà. Demain, chaque école doctorale,
chaque école d'ingénieurs doit offrir cette formation. Je veux
également développer les masters en droit de la propriété
intellectuelle, car nous ne pouvons laisser les cabinets
américains et allemands prendre toujours plus d'avance dans un
domaine aussi stratégique.
Il est essentiel que tous nos découvreurs puissent protéger
leurs inventions à moindre coût, car 26 000 euros ne sont rien
pour une entreprise de taille mondiale, mais représentent une
somme énorme pour une jeune entreprise. Il n’y a aucun risque
que les entreprises mondiales inondent l'Europe de brevets : si
elles avaient voulu – et pu – le faire, elles l'auraient déjà
fait, car les coûts et les complexités juridiques n'ont jamais
été un obstacle pour elles.
Le seul risque lié au protocole de Londres serait celui qu’une
absence de ratification ferait courir aux laboratoires de
recherche et aux entreprises innovantes de notre pays. Grâce à
ce protocole, nous allons aider nos inventeurs à faire valoir le
fruit de leur intelligence. Aujourd'hui, une seule PME
européenne sur quatre dépose un brevet au cours de sa vie,
contre une PME américaine sur deux. Voilà le secret de la
croissance, du rayonnement technologique des États-Unis. Il n'a
rien d'obscur, il n'est pas hors de notre portée. Il nous suffit
de le vouloir. C'est l'objet même de la stratégie de Lisbonne,
au cœur de laquelle prennent place les discussions sur le brevet
communautaire. Nous devons être pleinement conscients que ces
discussions ne progresseront pas si la France ne ratifie pas le
protocole de Londres.
En effet, le brevet communautaire, qui sera délivré par l'Office
européen des brevets, ne sera pas autre chose qu'un brevet
européen concernant l'ensemble du territoire de l'Union et non
plus tel ou tel État membre.
M. Jacques Myard – Quelle démission !
Mme la Ministre - Il garantira une protection uniforme
des fruits de la recherche et de l'innovation dans l'ensemble
des pays de l'Union, sans se substituer au brevet européen, les
deux dispositifs étant en réalité enchâssés l'un dans l'autre.
Pour avancer sur le brevet communautaire, nous devons donc
améliorer le brevet européen, notamment le rendre plus
accessible. C'est l'objet même du protocole de Londres, que je
vous demande aujourd’hui d'autoriser le Gouvernement à ratifier.
Les Français ne comprendraient pas que la représentation
nationale hésite un instant à faire ce pas essentiel vers la
société de la connaissance et de l'innovation, les grands
organismes de recherche de notre pays, comme le CNRS, l'INSERM,
le CEA, l'IFP non plus.
Ce pas décisif ne sera pas le seul. En effet, le Gouvernement
s'est engagé, avec l’aide et le soutien du Parlement, dans la
construction d’une nouvelle société du savoir et de
l'intelligence. Ainsi a-t-il réformé le crédit d’impôt
recherche, qui permettra de soutenir l'effort de recherche des
entreprises innovantes, et engagé une réforme des universités
autour des valeurs cardinales de liberté et de responsabilité,
afin de donner à notre enseignement supérieur les moyens du
rayonnement qui doit être le sien. C’est ainsi que pourront se
développer demain les jeunes entreprises universitaires qui
recevront le même soutien des pouvoirs publics que celui apporté
aux jeunes entreprises innovantes. C’est à ces nouvelles
entreprises qui feront la croissance future de notre économie,
que s'adresse le protocole de Londres, ainsi qu’à toutes les
sociétés innovantes qui feront le choix demain de s'installer en
France où elles trouveront des universités fortes, une recherche
dynamique, des talents prêts à les rejoindre et des pouvoirs
publics mobilisés pour les aider à se développer.
L’enjeu aujourd'hui est de renforcer l'attraction qu'exerce
l'Europe sur les inventeurs de demain. Ratifier le protocole de
Londres, c'est se donner toutes les chances de les voir
s'établir en France, où ils bénéficieront d'un environnement
intellectuel et scientifique exceptionnel ainsi que de toute
l'aide dont ils ont besoin. La France a aujourd'hui tous les
atouts pour s'imposer dans la compétition mondiale de
l'intelligence. Ne refusons pas de livrer cette bataille. Ne
choisissons pas de tout perdre alors que nous pourrions tout
gagner !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Vous ne livrez pas bataille.
Vous vous couchez.
Mme la Ministre - En nous retirant sans livrer bataille,
nous sacrifierions ce que nous avons de plus précieux, notre
langue (M. Myard s’exclame). C'est en effet le
rayonnement d'une culture qui assure le rayonnement d’une
langue, et non l'inverse.
Il ne suffit pas d'aimer et de défendre le français pour le
faire vivre, il faut aussi l’illustrer. C’est le prestige
international de la recherche française qui attirera demain dans
notre pays de jeunes scientifiques étrangers qui y apprendront
tout naturellement le français. La culture française rayonnera
ainsi à travers le talent de ces étrangers, qui la choisiront
comme l'ont choisie hier une jeune Polonaise nommée Marie Curie
ou un jeune Irlandais nommé Samuel Beckett (Exclamations sur
plusieurs bancs du groupe UMP), et comme la choisissent
aujourd'hui des écrivains tels que Jonathan Littell ou Nancy
Huston.
Voilà pourquoi nous avons le devoir de donner à l'intelligence
française les moyens de s'illustrer encore. Voilà pourquoi nous
devons ratifier le protocole de Londres : pour ne pas laisser
s'éteindre la voix de la France, tout simplement.
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP ;
protestations sur quelques-uns d’entre eux)
M. Henri Plagnol, rapporteur de la commission des affaires
étrangères – Nous sommes appelés à nous prononcer
aujourd’hui sur la ratification du protocole de Londres,
attendue depuis sept ans que notre pays l’a signé.
De moins d’une dizaine à sa création, l’Organisation européenne
des brevets compte aujourd’hui trente-deux États membres et en
comptera bientôt plus de quarante. L’augmentation du nombre
d’États parties s’est accompagnée d’une inflation linguistique,
le brevet européen valant pour une aire géographique où sont
pratiquées vingt-trois langues différentes. Parmi elles, trois
seulement, l’allemand, l’anglais et le français disposent d’un
statut privilégié de langue officielle de l’Office européen des
brevets.
Le constat est unanime : il faut renforcer l’attractivité du
brevet européen, le simplifier et en réduire le coût, de façon
que notre continent demeure à la pointe du progrès et de la
connaissance et soit compétitif par rapport aux États-Unis, au
Japon et aux autres puissances émergentes dans le domaine
scientifique. C’est pourquoi, afin d’éviter que l’augmentation
du nombre d’États membres de l’Organisation européenne des
brevets n’entraîne une inflation des coûts, le protocole de
Londres – c’est son seul objet – a instauré un régime
linguistique limitant les exigences de traduction.
La présence de trois ministres cet après-midi illustre
l’importance qu’attache le Gouvernement à l’enjeu.
M. Jacques Myard – Ils sont venus défendre un mauvais
texte.
M. le Rapporteur – J’ai, pour ma part, tenu à auditionner
toutes les associations, organisations, syndicats et
personnalités qui souhaitaient exposer leur point de vue. J’ai
écouté avec une attention particulière et dans un esprit
d’ouverture ceux qui, légitimement, pouvaient exprimer des
inquiétudes.
M. Jacques Myard – Mais vous ne les avez pas entendus.
M. le Rapporteur – Je me suis posé quatre questions
simples. Le protocole de Londres est-il conforme à notre droit
et à notre tradition juridique ?
M. Jacques Myard – Non !
M. le Rapporteur – Va-t-il dans l’intérêt de nos
entreprises et de nos chercheurs ?
M. Jacques Myard – Non !
M. François Goulard – Oui !
M. le Rapporteur – Préserve-t-il la position de la langue
française – à laquelle tous les parlementaires sont attachés –
comme langue scientifique et technologique ? (« Non ! » sur
quelques bancs UMP ; « Oui » sur d’autres) Est-il de nature
à conforter le poids de la France dans l’Union européenne ?
(Mêmes mouvements)
S’agissant de la conformité du protocole à notre droit, la
question a été tranchée. L’argument des opposants à la
ratification selon lequel il serait contraire à l’article 2 de
notre Constitution, qui dispose que la langue de la République
est le français, a été rejeté par le Conseil d’État dans un avis
du 24 septembre 2000 puis par le Conseil constitutionnel dans
une décision du 28 septembre 2006. Au-delà de la
constitutionnalité du protocole, certains s’inquiètent de
l’avenir de la grande tradition juridique française. N’oublions
jamais que c’est la France des Lumières qui a jeté les
fondements de la théorie de la propriété intellectuelle – c’est
d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le français a été,
dès l’origine, l’une des langues officielles de l’Organisation
européenne des brevets. Et il le demeurera, ce qui signifie que
les brevets pourront être déposés en français. …
M. Jacques Myard – Mais c’est déjà le cas !
M. le Rapporteur – Au-delà, nous aurons la garantie que
la revendication, qui est le cœur du brevet, la seule partie
prescriptrice de droits et bénéficiant de l’exclusivité durant
vingt ans, sera obligatoirement traduite dans les trois langues
officielles.
M. Jacques Myard – Vous ne savez pas ce qu’est un
brevet !
M. le Rapporteur – En cas de contentieux, une traduction
est obligatoirement prévue dans la langue du justiciable, mise à
la charge du déposant. Nos chercheurs et nos entreprises ont
donc l’assurance que leurs litiges seront arbitrés en français.
Le protocole de Londres sert-il l’intérêt de nos entreprises et
de nos chercheurs ? Sur ce point, Hervé Novelli et Valérie
Pecresse ont tout dit. La quasi-totalité du monde scientifique
et économique attend la ratification de ce protocole. Nous avons
auditionné très longuement la CGPME, qui nous a indiqué que plus
de 90 % des PME – dont il est faux de prétendre qu’elles n’ont
pas été consultées – considèrent le protocole de Londres comme
l’un des éléments de nature à stimuler le dépôt de brevets, dont
le coût est aujourd’hui dissuasif pour elles. L’économie à en
attendre varie de 15 % à 40 %, ce qui n’est pas négligeable pour
une PME ou un chercheur dont l’investissement est toujours
incertain, tous les brevets n’étant pas exploités.
Faut-il craindre que la simplification et l’abaissement du coût
du brevet européen conduise à une invasion de brevets américains
et japonais ? Le monde économique est unanime : ce serait une
grave erreur que de vouloir fermer notre continent au dépôt de
brevets d’entreprises étrangères. Il est essentiel en effet que
nos entreprises et nos chercheurs soient informés en temps réel
des dernières innovations scientifiques, industrielles et
technologiques. Les brevets déposés sur le sol européen, même
par des entreprises étrangères, sont source d’emploi,
d’innovation et de croissance. Il ne faut surtout pas, parce
qu’on craindrait un effet d’aubaine théorique, vraisemblablement
marginal, au profit de multinationales pour lesquelles le dépôt
d’un brevet ne pèse guère dans leur conquête du marché mondial,
rejeter un accord favorable d’abord à nos entreprises et à nos
chercheurs.
S’agissant de la veille scientifique et technologique, Hervé
Novelli, et je l’en remercie, a tenu le plus grand compte des
suggestions de votre rapporteur pour que nos PME mesurent mieux
les enjeux de la propriété intellectuelle et de l’intelligence
économique. Il faut pour cela les aider à s’informer du dépôt
des brevets de leurs concurrents dès le stade de la publication,
soit dix-huit mois après le dépôt et bien avant la traduction
intégrale éventuelle. Le fait que le cœur des brevets sera
traduit facilitera aussi cette veille.
Quant à la préservation de la position de la langue française –
à propos de laquelle je me suis longuement interrogé -, dès lors
que le français reste langue officielle – privilège ô combien
convoité, voire contesté, par nos partenaires européens ! –, il
ne pourra qu’être enrichi par le vocabulaire technique et
scientifique alimenté quotidiennement par l’Office européen des
brevets et déjà riche de 150 000 mots.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Mais si les textes ne sont pas
traduits?
M. le Rapporteur – Ainsi assurerons-nous tous nos amis
francophones du fait que la langue française est une langue
vivante, actualisée en temps réel à mesure que l’innovation se
développe. C’est la pérennisation de ce statut exceptionnel qui
est en jeu : à cet égard, comme l’ont rappelé MM. les
secrétaires d’État et Mme la ministre, ne pas ratifier le
protocole de Londres, ce serait se tirer une balle dans le pied,
en aidant tous ceux qui, en Europe, plaident déjà pour le
tout-anglais ! Car cette ratification constituera au contraire,
comme l’a souligné M. le secrétaire d’État chargé des affaires
européennes, la première bataille d’une lutte difficile pour la
mise en place du brevet communautaire trilingue que nous
appelons de nos vœux.
Enfin, cette ratification confortera la voix de la France en
Europe…
M. Nicolas Dupont-Aignan – Sa démission !
M. le Rapporteur – Car comment nos partenaires
pourraient-ils comprendre que la France bloque un accord qu’elle
a initié et négocié, qui pérennise le rayonnement de notre
langue et aidera, j’en suis convaincu, entreprises et chercheurs
à progresser sur le marché mondial des brevets ?
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Axel Poniatowski, président de la commission des
affaires étrangères – Voilà plus de sept ans – M. le
rapporteur l’a rappelé dans un discours à la fois brillant et
convaincant – que nous débattons de la ratification du protocole
de Londres. Chacun a fait valoir ses arguments au cours de ce
débat qui honore notre démocratie. Après de nombreux reports de
l’examen du texte par l'Assemblée nationale, la volonté du
Président de la République de l’inscrire à l’ordre du jour de
cette session extraordinaire adresse un signal fort à nos
partenaires européens, qui attendaient un geste de la France
permettant de faire enfin entrer en vigueur un protocole dont
elle a eu l’initiative et qu’elle s’est employée à promouvoir.
En juin dernier, notre pays est revenu sur la scène européenne
en rendant possible, grâce au soutien décisif de la présidence
allemande, un accord sur le traité réformateur qui rendra
l’Union plus efficace et plus démocratique ; aujourd’hui, une
nouvelle occasion se présente à nous d’adresser un message
encourageant à nos partenaires en cessant de bloquer par notre
veto l’entrée en vigueur du protocole. Il y va de l’intérêt de
l’Europe, donc de la France.
Ce protocole est indissociable de la stratégie de Lisbonne,
décidée en 2000, et qui vise à faire de l’Europe l’entité la
plus compétitive au monde, fondée sur l’économie de la
connaissance et de l’innovation. Il ne s’agit de rien de moins
que de faire face aux enjeux de la mondialisation. Car l’Europe
souffre d’un grave retard sur ses concurrents américains et
japonais : nous sommes loin de consacrer 3 % de notre PIB à la
recherche et à l’innovation. Si nos objectifs sont ambitieux,
ils pourront néanmoins être atteints à force de détermination et
de volonté politique. La ratification du protocole y
contribuera, en encourageant les entreprises à déposer davantage
de brevets et en élargissant la diffusion du brevet européen.
Ainsi passerons-nous du discours aux actes. En outre, je suis
prêt à parier que cette ratification aura un effet
d’entraînement sur les pays non encore signataires du
protocole ; je songe notamment à l’Autriche, à la Belgique, à
l’Irlande ou à la Finlande. De plus, la ratification du
protocole par la France confortera le statut du français, langue
officielle dans le système européen des brevets, et permettra de
prendre date dans le cadre des négociations actuelles sur le
brevet communautaire.
J’entends souvent dire que ce protocole ne doit pas être si
convaincant que cela puisque bien des pays ne l’ont pas encore
ratifié.
M. Jacques Myard – Eh oui !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
C’est que nombre d’entre eux - notamment l’Italie et
l’Espagne - envient le statut privilégié de notre langue
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Jacques Myard – Mais ils l’enviaient déjà !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
S’ils ne l’ont pas signé…
M. Jacques Myard – Ils ne le signeront pas !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
…c’est justement parce que l’italien et l’espagnol ne
bénéficient pas des avantages accordés aux trois langues
officielles de l’Office européen des brevets ! (« Très
bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
Non content de maintenir le statut privilégié de notre langue,
le protocole le renforce…
M. Jacques Myard – Mais non !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
…puisque tout brevet européen délivré en français sera
validé dans les grands pays européens, notamment l’Allemagne et
le Royaume-Uni, sans obligation de traduction intégrale, ce qui
signifie que le texte français d’un brevet européen aura force
de loi dans ces pays ; c’est là une remarquable nouveauté.
Mais, si la France refusait de ratifier le texte, il y a fort à
parier que la tentation serait grande, pour les pays qui l’ont
déjà ratifié, de s’accorder entre eux sur un régime plus
favorable à l’anglais.
M. Jacques Myard – Ils ne le peuvent pas ! Relisez les
traités !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
Vous avez beau parler comme si le statut du français était
gravé dans le marbre, s’il est en effet juridiquement impossible
de le remettre en cause, comment, d’un point de vue politique,
peut-on croire qu’en refusant un accord dont elle a
l’initiative, la France empêchera les autres pays d’aller de
l’avant, fût-ce en anglais ? C’est pourquoi le protocole est
bien le meilleur rempart contre le tout anglais !
C’est aussi notre crédibilité sur la scène européenne qui est en
jeu, car c’est la France qui a convoqué la Conférence
intergouvernementale qui a abouti à la conclusion de cet accord
signé en juin 2001. Pouvons-nous ainsi revenir sur la parole
donnée ?
Enfin, le texte a pour enjeu fondamental le rôle de l’innovation
en matière de croissance économique, de progrès social et
d’emploi. Après les États-Unis il y a une quinzaine d’années,
l’Europe est désormais entrée dans l’ère de la troisième
révolution industrielle, celle d’Internet et des biotechnologies
– secteurs industriels dont le potentiel en matière de brevets
est très puissant. C’est un euphémisme que de dire que le
progrès technologique est devenu le moteur de la croissance, des
gains de productivité et de l’élévation du niveau de vie à long
terme. Or tout procède de la croissance : sans elle, notre
accompagnement social est fragilisé et le déficit entre dans une
spirale difficile à contrôler (Quelques applaudissements sur
les bancs du groupe UMP). Ainsi, jamais le dépôt de brevets
n’a joué un rôle aussi stratégique dans la compétition
économique internationale. En la matière, nous sommes en retard
sur les États-Unis, qui considèrent moins les brevets comme des
outils de recherche que comme des actifs d’entreprise. Un effort
doit être consenti en Europe et surtout en France, où le droit
de la propriété industrielle doit être mieux enseigné.
M. le Rapporteur – Très bien !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
Notre pays est en déclin dans le paysage européen des
brevets. Selon l’INPI, en 2006, la France représentait 18,2 %
des dépenses de recherche et développement en Europe, mais
15,3 % seulement des dépôts de brevets, contre 42,5 % - trois
fois plus – pour l’Allemagne ! Rien ne justifie ce retard.
Allons chercher la croissance là où nous pouvons la trouver,
dans les secteurs innovants à forte valeur ajoutée !
Ainsi, la ratification lèvera l’un des obstacles à la
croissance, en particulier pour les PME, qui souffrent
aujourd’hui d’une forme d’impôt sur l’innovation, comme l’ont
montré différents rapports, dont celui du Conseil d’analyse
économique, et celui que M. Jouyet a co-signé avec M. Maurice
Lévy, sur l’économie de l’immatériel.
Je m’engage par ailleurs à veiller à un suivi régulier de la
mise en œuvre du texte…
M. Jacques Myard – Parce que vous avez des doutes !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
Non, parce que je suis sûr de moi et que le Parlement a pour
rôle de veiller aux conséquences de la mise en œuvre des textes
qu’il adopte !
M. Jacques Myard – On va s’amuser !
M. le président de la commission des affaires étrangères –
J’espère vous avoir convaincus (« Oui ! » sur plusieurs
bancs du groupe UMP) qu’en ratifiant ce texte, nous agissons
résolument dans l’intérêt de notre pays (Applaudissements sur
les bancs du groupe UMP).
EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ
M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et
des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une
exception d’irrecevabilité déposée en application de
l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. Jean-Paul Lecoq – Un vaste programme de domination
revêt aujourd'hui le masque de la mondialisation, comme
l'admettent crûment certains industriels outre-Atlantique et
certains dirigeants politiques.
Dans le projet qui nous a été remis, l'exposé des motifs se
limite à constater que le statut du français est renforcé, mais
le fait que notre langue reste l'une des trois langues
officielles de l'Office européen des brevets, au même titre que
l'anglais, n'est pas l'élément essentiel : si, juridiquement le
protocole ne modifie pas le statut du français, il le condamne
sur le plan économique, puisqu'il sera moins rentable de rédiger
son brevet en français qu'en anglais, y compris pour le déposant
français.
Second constat : le nouveau système de dépôt d'un brevet réduira
les coûts de traduction. Mais bien d’autres aspects sont passés
sous silence, non seulement à propos de la langue française et
des effets du texte sur notre droit interne, mais aussi, sur le
plan européen, en matière de pluralisme et de diversité
culturelle, menacés par cette lourde tendance à
l'uniformisation.
Car l’enjeu n’est pas uniquement linguistique : c’est bien de
l'hégémonie, voire de la domination américaine sur le plan
international qu’il est question, y compris dans l'organisation
de la société internationale, dont l'Europe fait partie. C’est
ce qui explique les avis négatifs émis par la compagnie
nationale des conseils supérieurs de la propriété industrielle
comme par l'Académie des sciences morales et politiques et
l'association des conseils en propriété industrielle. Bien que
Catherine Tasca ait affirmé dans plusieurs articles que la
ratification du protocole de Londres n'apportera à la France
comme aux autres pays que des bénéfices, ces déclarations, qui
ne reposent que sur des calculs financiers, obéissent à une
logique purement économique, oubliant d'analyser l’ensemble des
conséquences politiques et culturelles de ce texte, non
seulement pour la France, mais aussi pour les autres peuples
européens.
Alors qu’aucun Gouvernement ne l’avait jamais demandé, la
commission des finances a spontanément adopté, le 1er février
dernier, un amendement au projet de loi de programme pour la
recherche, qui prévoit la ratification par la France du
protocole de Londres. Une telle initiative est calamiteuse pour
le dépôt de brevets dans notre pays, pour l’innovation, mais
aussi pour la francophonie.
Le protocole de Londres, adopté en octobre 2000, a en effet pour
objet de modifier la convention de Munich, qui a institué en
1973 le brevet européen : les brevets déposés en langue anglaise
seraient désormais directement opposables aux tiers sans
traduction préalable en langue française. Le Gouvernement
français n’avait pas signé ce texte, se réservant la possibilité
de se concerter avec toutes les parties intéressées avant une
date initialement fixée à 2001, mais plusieurs multinationales
françaises, appuyées par le Medef, ont fait pression sur les
gouvernements successifs, relayant les exigences de l’office
nord-américain des brevets, qui avait déclaré voilà une dizaine
d’années que l’anglais était désormais la langue de la propriété
industrielle.
Présentées comme ses bénéficiaires, les PME seront en réalité
les premières victimes de cet accord, fer de lance d’un modèle
culturel et social unique. Pour mieux se protéger, elles devront
en effet déposer leurs brevets en anglais, et recruter des
ingénieurs anglo-saxons, au risque de violer le principe
d’égalité entre les demandeurs d’emploi, puisque les immigrants
anglo-saxons seraient ipso facto dispensés d’apprendre
notre langue. Il faudra par ailleurs qu’elles traduisent leurs
brevets dans les langues des dix-sept pays européens qui ont
refusé, à l’instar de l’Espagne, de signer le protocole de
Londres.
Sous le prétexte fallacieux de réduire le coût des brevets, et
ainsi d’augmenter le nombre des dépôts dans notre pays, l’objet
de ce texte est de permettre aux firmes multinationales de
réaliser de notables économies, nonobstant les difficultés de
fond posées par la suppression de l’obligation de traduire le
brevet dans la langue du pays dans lequel il est déposé. En
aucun cas, la réduction des coûts de traduction ne permet de
justifier cette mesure. En évitant de traduire ses brevets dans
sept langues, le Royaume-Uni devrait par exemple réaliser une
économie de 33 millions d’euros.
Plusieurs députés UMP – Et alors ?
M. Jean-Paul Lecoq – Je rappelle que la moitié des
brevets européens sont déposés par de grandes entreprises
américaines ou nippones, qui recourent toutes à l’anglais et non
à notre langue. Les plus puissantes firmes étrangères pourront
désormais imposer à leurs concurrentes françaises une
description de leurs brevets, mais aussi les revendications dont
ils sont assortis, revendications qui demeurent modifiables à
tout moment aux termes de la convention révisée en 2000. En cas
de litige devant nos tribunaux, il faudra certes traduire le
brevet en français, mais c’est la langue de dépôt qui aura force
légale. Or, nul n’ignore les différences de fond et de forme qui
séparent les systèmes juridiques anglo-saxon et français. Le
juge risque donc de bâtir son raisonnement juridique en suivant
la structure du droit anglo-saxon.
À cela s’ajoutent les menaces pesant sur le pluralisme, la
diversité culturelle et la diversité des langues et des
traditions des peuples européens. La mondialisation pousse en
effet à l’uniformisation des modes de vie, des opinions et des
points de vue, du fait de la soumission des peuples aux lois du
marché, souvent présentées comme la seule référence
envisageable. Nous devons nous battre pour préserver la
diversité culturelle, qui est de nature linguistique, historique
et juridique, toutes dimensions essentielles au pluralisme des
idées.
Or, la révision de la convention européenne sur la
délivrance de brevets européens s'aligne sur l’approche
des droits de propriété intellectuelle qui prévaut dans le cadre
de l'Organisation mondiale du commerce, dont le but est de tout
transformer en marchandise grâce à une harmonisation des
différents droits nationaux et régionaux en la matière. Facteur
de standardisation, cette mondialisation libérale menace les
identités culturelles. Sans nier l’existence de valeurs communes
à l’ensemble de l’humanité, il ne faut pas effacer les
spécificités léguées par le temps. Ne banalisons pas le sort
réservé à la culture !
En effet, notre langue n’est pas seulement un moyen de
communication ; elle est le vecteur de nos valeurs de
solidarité, d’accueil, de respect des droits humains et du droit
international. Et c’est par notre langue que nous maintenons
intacte notre tradition révolutionnaire, porteuse de tant
d’espoirs dans le monde entier (Exclamations sur plusieurs
bancs du groupe UMP).
Mais la langue peut être aussi un instrument au service de la
domination, notamment celle du système juridique anglo-saxon.
Un député UMP – Et les Chinois ?
M. Jean-Paul Lecoq – N’oublions pas que le pluralisme
linguistique, historique et culturel de l’Europe a toujours été
une source d’enrichissement réciproque.
Or, ce projet de loi menace l’égalité des Européens devant la
langue. Face au risque de la disparition du pluralisme et de la
diversité culturelle, nous devons défendre notre langue en
luttant contre la colonisation linguistique. En adoptant ce
texte, l’Europe confirme sa déroute, puisqu’elle devient l’un
des piliers de la mondialisation libérale, hostile au
pluralisme. Nous devons au contraire préserver notre droit de
nous exprimer dans notre langue, notamment devant les tribunaux.
La culture ne peut être abandonnée aux seules lois du marché et
régie par des techniciens et des financiers : la défense du
pluralisme des cultures impose l’intervention régulatrice des
États, y compris au niveau européen. Il est de notre
responsabilité de prévenir l’avènement d’un monopole
linguistique et juridique sur les brevets.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et
républicaine ne peut accepter les dispositions de ce projet de
loi, qui ferait de l’Europe un agent de l’acculturation. Aucun
argument de nature économique ou financière ne peut justifier de
telles menaces sur les langues européennes. Voilà pourquoi nous
proposons cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements
sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas
adoptée.
QUESTION PRÉALABLE
M. le Président – J’ai reçu de M. Nicolas Dupont-Aignan
une question préalable déposée en application de l’article 91,
alinéa 4, du Règlement (M. Philippe Folliot applaudit).
M. Nicolas Dupont-Aignan – Il est des moments dans
l'histoire de notre hémicycle, où des personnalités et des élus
d'horizons très différents se mobilisent pour défendre une cause
qui les dépasse. C’est souvent le signe que l'intérêt supérieur
du pays est en jeu. L'appel lancé contre la ratification du
protocole de Londres appartient à cette catégorie.
Vous faisiez appel à l’intelligence et à l’esprit des Lumières,
Madame la ministre ; jugez-en plutôt : de Jacques Attali à Alain
Decaux, en passant par Claude Hagège, Max Gallo, Michel Déon,
Laurent Lafforgue, Erik Orsenna, Robert Pitte, président de
l'université Paris-Sorbonne, Albert Marouani, président de
l'université Nice-Sophia-Antipolis, Alain Cotta, professeur à
Paris-Dauphine, ou encore Walter Kramer, professeur à
l'université de Dortmund et président de l'association de
défense de la langue allemande, on ne compte plus les écrivains,
les académiciens et les universitaires qui s’opposent à ce texte
avec la dernière énergie…
N’oublions pas non plus les acteurs du monde de l'entreprise et
de la propriété intellectuelle - patrons de PME innovantes,
syndicalistes, de la CGT à la CFTC, avocats d'affaires,
ingénieurs, professionnels des brevets : tous mesurent les
effets néfastes de ce protocole. Dans cet hémicycle, mais aussi
au Sénat, notamment en la personne du président Christian
Poncelet, des voix s'élèvent également de tous les groupes, de
la majorité comme de l'opposition, pour réclamer le rejet de ce
mauvais traité.
M. Benoist Apparu – C’est la voix du conservatisme !
M. Jean-Pierre Dupont – Autre signe révélateur : ce n’est
pas un hasard si ce texte est sur la sellette depuis 2001,
aucune majorité n’osant le ratifier. Ce n'est pas non plus une
coïncidence si le président Jacques Chirac, ardent défenseur de
la francophonie, et ses premiers ministres Jean-Pierre Raffarin
et Dominique de Villepin n'ont pas cédé face aux pressions de
certains intérêts. Ce n'est pas un hasard si, depuis 2001,
toutes les institutions qui représentent le français, la
francophonie et la diversité culturelle ont condamné à l'unisson
ce funeste protocole. L'année dernière encore, l'Assemblée
parlementaire de la Francophonie dénonçait le « grave danger »
qu’il représente.
Face à cela, comment se fait-il qu'un tel accord nous soit
aujourd’hui soumis ? C'est que depuis des années ses partisans
se livrent à un intense travail de persuasion, en utilisant des
arguments mirobolants qui relèvent de la désinformation. Je
répondrai point par point aux arguments fallacieux de certaines
multinationales, du Medef et aujourd’hui, hélas, du
Gouvernement.
On vous dit que le coût des brevets va miraculeusement baisser
de 40 %. C’est faux ! Cette réforme ne réduira que marginalement
la part correspondant aux frais de traduction – soit 10 % à 15 %
du coût total des brevets. Elle ne touchera nullement aux 85 % à
90 % restants, à savoir les taxes et frais de représentation
prohibitifs pratiqués par l’Office européen des brevets, qui
sont en soi un scandale et sur lesquels la réforme aurait dû
porter en priorité.
Mais la désinformation ne s’arrête pas là. Nos entreprises
déposant leurs brevets en français devront continuer à assurer
une traduction en anglais et en allemand non seulement dans les
vingt-deux pays européens qui n’ont pas signé le protocole de
Londres ou ont refusé de le ratifier, mais aussi aux États-Unis.
L’économie réalisée sera donc bien moindre qu’on ne vous le dit.
M. Philippe Folliot – C’est vrai !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Il est profondément malhonnête
de faire croire que cette réforme permettra d’augmenter la
quantité totale de brevets déposés par nos entreprises. En
effet, c’est surtout la méfiance culturelle de nos entrepreneurs
vis-à-vis de la protection qu’apporte le brevetage qui explique
la faiblesse du nombre de brevets déposés en France. En
n’obligeant plus à traduire en français la description des
inventions, le protocole de Londres va considérablement
renforcer cette défiance. Autant l’augmentation du crédit impôt
recherche constitue un coup de pouce bienvenu à l’innovation,
autant la réforme du brevet européen n’aura aucune incidence
positive.
On vous dit que la traduction des revendications sera maintenue
et que cela permettra à nos PME innovantes d’assurer une veille
technologique satisfaisante. Je récuse cet argument des plus
étranges. Tout d’abord, il entre en contradiction avec l’idée
que l’économie réalisée grâce au protocole de Londres serait
substantielle. Si économie substantielle il y a, la traduction
n’est que minimale ; mais si la traduction demeure importante,
l’économie est limitée. Vous ne pouvez pas jouer sur les deux
arguments ! On me répondra que ce qui ne sera plus traduit est
la somme des descriptions superflues. Nous abordons là le point
essentiel : la description est un élément bien plus important
que ne le font croire certains dans la constitution d’un brevet.
M. Jacques Myard – Bien sûr !
M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est même un élément dont le
défaut peut conduire à la nullité juridique d’un brevet. Selon
un document de la Compagnie nationale des conseils en propriété
industrielle, « les revendications définissent l’objet de la
protection demandée. Quant à la description, elle doit être
suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier
puisse l’exécuter, et si tel n’est pas le cas, le brevet peut
être déclaré nul – article 138 CBE. De plus, la description et
les dessins servent à interpréter les revendications – article
69 CBE. Il existe d'autres causes de nullité du brevet liées à
la description. La description constitue donc un élément tout
aussi essentiel du brevet que les revendications. C’est par la
description que l'inventeur divulgue pleinement son invention
technique en échange du droit exclusif qui lui est accordé. »
C’est cette description qui ne sera plus traduite, et c’est
pourquoi certaines grandes entreprises attachent un si grand
intérêt au protocole de Londres ! Vous n’endormirez pas la
représentation nationale avec des arguments aussi
contradictoires !
Le rôle même de cette description va d’ailleurs être accru :
selon la loi « CBE 2000 » qui entrera en application le
13 décembre prochain, le breveté pourra en effet modifier les
revendications pendant toute la durée de vie du brevet en y
incluant n'importe quelle caractéristique de la description.
Insuffisante en tant que telle, la traduction des seules
revendications risque de ne pas être à la hauteur si, comme il
semblerait, elle est confiée à l'OEB, qui utilise des logiciels
de traduction automatique dont les performances sont proches de
zéro. Je pourrais vous citer des centaines d’exemples ! Or,
c'est ce charabia qui sera le seul disponible dans le système du
brevet européen réformé par le protocole de Londres !
Argument suprême, on vous dit que le protocole de Londres serait
une grande victoire pour le français, qui verrait sa place de
langue de référence confortée au sein du système de brevet
européen. Dans la pratique, c’est tout aussi faux ! Nous venons
de voir à quelle qualité de français risque d'aboutir le système
de traduction de l'OEB. Mais l'argument selon lequel le français
aurait obtenu une reconnaissance internationale à même d'assurer
son rayonnement est tout aussi douteux. Certes, le français
serait reconnu formellement à égalité avec l'anglais et
l'allemand.
M. Jacques Myard – C’est déjà le cas !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Tout brevet déposé en français
n'aurait donc besoin que d'une traduction minimale dans les
autres pays signataires. Mais ce n'est qu'une coquille vide :
faute de favoriser le développement des brevets en français, ce
nouveau système permettra surtout aux entreprises françaises
grosses productrices de brevets - celles-là même qui sont
derrière cette réforme - de déposer directement en anglais,
faisant peu à peu tomber en désuétude le français technique et
industriel. Tous les arguments en faveur de ce protocole sont
donc des faux-semblants : son seul effet sera d'instaurer
l'anglais comme unique langue de la propriété intellectuelle
dans notre pays.
M. Philippe Folliot – C’est vrai !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Ne faites pas croire le
contraire à la représentation nationale ! Bien sûr, ces quelques
entreprises feront des économies - entre 5 et 60 millions
d’euros - mais le coût collatéral sera très élevé pour nos
petites et moyennes entreprises, qui seront obligées de payer
des traducteurs ou de passer au « tout-anglais ». Ce n’est
évidemment pas le problème de celles qui ne rendent de comptes
qu'à leurs actionnaires !
Ce n'est pas leur problème, mais c'est à l'évidence le nôtre.
Car nous ne sommes pas ici le bras armé de tel ou tel groupe de
pression. Nous sommes en charge de l'intérêt supérieur du pays,
du dynamisme et de la compétitivité de nos entreprises, de
l'emploi, des innovations de demain et, de la vitalité de notre
langue, l'un des biens les plus précieux. Il n’est pas de
développement économique qui ne s’appuie sur la langue du peuple
français ! Cet intérêt supérieur n'est pas la somme d'intérêts
catégoriels. Si la France est la France, c'est parce que tout au
long de son histoire, des hommes et des femmes de bonne volonté
se sont refusés à le sacrifier.
Si le protocole de Londres est ratifié par notre Parlement, et
que de ce seul fait il entre finalement en vigueur, les
conséquences ne se feront pas attendre. Et celles-là, on vous
les cache ! Les 100 000 brevets de langue anglaise ou allemande
déposés chaque année dans notre pays ne seront plus
intégralement disponibles en français. L’application du
protocole de Londres ouvrira ensuite toutes grandes les vannes
aux dizaines de milliers de brevets anglophones non traduits
aujourd’hui, qui grâce à la barrière de la langue, ne
s'appliquent pas en France et dans les autres pays signataires
du protocole. Comble de tout, il n'y aura aucune réciprocité !
La culture anglo-saxonne de la propriété intellectuelle n'a en
effet rien à voir avec la nôtre : s'il existe une masse de
brevets anglophones, c'est que les entreprises américaines,
japonaises ou chinoises noient le marché pour étouffer toute
concurrence. Cette conception judiciarisée et offensive - pour
ne pas dire hégémonique - de la propriété industrielle est
l'inverse de la nôtre, qui demeure essentiellement défensive.
Les entreprises françaises se heurteront donc à un déferlement
de brevets qui paralysera leur potentiel d'innovation. Car la
réforme du régime linguistique du brevet européen poursuit un
seul objectif : favoriser les entreprises qui déposent déjà
beaucoup de brevets, c'est-à-dire les mastodontes, sans se
soucier de celles qui n'en déposent pas assez, les PME, et qui
en déposeront moins encore dans ce système !
Pour connaître l'état des inventions et développer leurs propres
innovations, il reviendra désormais à nos PME de traduire à
leurs propres frais des brevets anglophones ayant force de loi
dans notre pays - charge qu'assumaient jusqu'à présent les
entreprises étrangères qui déposaient en France. Ce serait un
véritable scandale ! Comme l’écrit notre collègue Pascal
Clément, ancien garde des Sceaux, dans Le Monde,
« l'accord de Londres, en supprimant pour le breveté
l'obligation de traduire la partie du brevet appelée description
et en ne maintenant que celle des revendications, ne fait en
réalité que transférer cette traduction de la description, qui
est indispensable, à la charge du tiers. Cela revient à faire
payer au condamné français la balle (étrangère) qui va le
tuer! » (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP)
M. Jean-Yves Le Déaut – Où est-il, M. Clément ?
M. Nicolas Dupont-Aignan – On exonérera ainsi les grandes
entreprises déposant des brevets d'une charge de traduction qui
sera transférée sur les autres : le coût net pour l'économie
française sera mécaniquement très négatif, puisqu'il y a
toujours plus d'entreprises qui consultent les brevets pour
assurer une veille technologique que d'entreprises qui en
déposent. Les petites économies réalisées par quelques grandes
firmes ne pèseront pas lourd face aux dépenses colossales que
devront engager les PME innovantes. Soit elles dépenseront des
fortunes en traductions, soit elles passeront au
« tout–anglais » et creuseront le fossé entre leurs salariés qui
maîtrisent cette langue et les autres. N'oublions pas celles qui
seront dissuadées d’innover faute de pouvoir assurer ces
traductions. Et quitte à devoir penser et innover en anglais,
nombre d'entre elles embaucheront bientôt directement des
ingénieurs et des juristes anglophones, laissant sur le carreau
nos ingénieurs et nos avocats. Un comble !
L'émergence de ce monolinguisme étranger dans la vie des
affaires de notre pays serait un handicap supplémentaire pour
notre économie. Le « tout–anglais » n'est pas seulement une
cause de désorganisation dans les entreprises et un danger -
comme on l’a vu lors de l'irradiation de centaines de patients à
Épinal faute de traduction de la notice d'utilisation des
équipements de radiothérapie (« Cela n’a rien à voir ! » sur
plusieurs bancs du groupe UMP). C'est aussi un handicap dans
la vie des affaires elle-même : c'est une étude anglaise qui le
souligne et plaide pour la diversité linguistique !
Les entreprises qui feront traduire les descriptions
s'exposeront d’ailleurs à des conflits d'interprétation
juridiques, ne serait-ce qu'à cause des distorsions de sens
entre le texte d'origine et sa traduction française, cette
dernière n'ayant aucune valeur juridique face à la première !
Quant à l'octroi d'une traduction intégrale par la puissance
publique en cas de litige, c'est un leurre : ce qui importe pour
nos entreprises, c'est une connaissance a priori et non a
posteriori de l'état des inventions. Une fois qu'il existe un
litige, cela veut dire que les investissements de
recherche-développement et de production ont déjà été faits. Il
est donc trop tard.
L’économie française n’a rien de bon à attendre du protocole de
Londres ; la langue française non plus, dont l’usage technique
et industriel déclinerait irrémédiablement, comme l’affirme Jean
Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle : « Je
considère le mécanisme de l’accord de Londres comme l’amorce en
France d’une euthanasie de la langue française. C'est la fin de
la langue française comme langue technologique. Quand toute la
technologie sera passée en anglais, tout le reste y passera…
M. Jacques Myard – Le peuple se révoltera !
M. Nicolas Dupont-Aignan – …, car quand on parlera
anglais à l'atelier, à l'usine, à l'université, dans les
laboratoires, on cessera aussi de parler français à la maison et
à l'école. »
Accepterons-nous que la France défende moins sa langue que
l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Autriche, la Turquie ne
défendent la leur ? Bafouerons-nous l'esprit de nos lois qui
protègent le français, comme la loi Toubon ? Certains ministres
semblent avoir déjà fait une croix sur notre langue, à l’instar
de Bernard Kouchner, dans un livre paru il y a un an : « La
langue française n'est pas indispensable : le monde a bien vécu
avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait à des
langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux
qui la délaisseraient. » Cette ligne est-elle désormais celle du
Gouvernement ? Allons-nous donc accepter d'être regardés avec
dédain parmi la communauté francophone ? Serons-nous sourds aux
mises en garde inquiètes de nos amis québécois, qui nous
exhortent à rejeter le protocole de Londres ?
Comme l’a si bien dit Christian Poncelet, Président du Sénat :
« À quoi bon se battre pour la culture, prétendre avoir une
autre vision de sa place dans la société, défendre une certaine
idée de la France, si au jour le jour, nous sommes prêts à ces
lâchetés quotidiennes au nom de la soi-disant efficacité et en
général de la simple vanité. Vanité d'être publié, de paraître
international, d'autant plus parfois qu'on est médiocre. Le
protocole de Londres sur les brevets, hélas signé, mérite,
puisqu'il n'est pas encore ratifié, un réexamen attentif, car
nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au
tout–anglais dans ce domaine stratégique. »
Allons-nous accepter que des textes en langue étrangère aient
force de droit dans nos tribunaux, en violation d'un usage bien
établi depuis François 1er, et au risque d'introduire
une inégalité entre Français selon le niveau d'anglais ? De
nombreux juristes ont déploré la décision du Conseil
constitutionnel jugeant le protocole compatible avec notre
Constitution, car la traduction des revendications ne suffit
nullement pour comprendre un brevet ; tous les spécialistes
affirment qu’elles doivent être explicitées par une description,
faute de quoi le brevet peut être invalidé.
Le Président de la République prétend dynamiser nos entreprises
et favoriser leur compétitivité. Hélas, le protocole de Londres
va dans le sens contraire, tout en menaçant notre identité
linguistique et nationale !
Le débat ne concerne pas seulement l'avenir de notre pays ; il
traduit aussi notre vision de l'Europe et du monde. L'Académie
française a résumé la problématique : « Le français étant la
langue de la République, la France ne peut accepter que les
textes en langues étrangères aient force de droit sur son
territoire. En fait, par le biais des brevets, se trouve une
nouvelle fois posée la question que nul n’ose aborder de front :
quelle langue, quelles langues doit parler l’Europe ? Économiser
sur les traductions, c'est non seulement mettre en péril les
langues nationales, mais aussi amputer la plus irremplaçable
richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons,
l'Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics
de ne pas ratifier le protocole de Londres. »
Comment est-il possible que les Italiens, les Espagnols, les
Autrichiens, en refusant de signer ce protocole, se montrent
capables de mener le combat de la diversité linguistique et
culturelle, alors que les élites françaises, Gouvernement en
tête, démissionnent avant même d'avoir combattu ?
Le peuple français aspire à vivre dans sa langue et est attaché
à cette diversité qui, loin d'être un handicap, constitue au
contraire un extraordinaire atout pour l'Europe. En votant cette
ratification, vous engageriez la France dans une construction de
l'Europe qui n'est pas la bonne, qui a déjà été rejetée, et qui
heurte nos compatriotes, les éloignant de la belle idée
européenne.
Au moment où naît un monde multipolaire, la France renoncerait à
sa langue…
M. Nicolas Dhuicq – La France ne renonce jamais !
M. Nicolas Dupont-Aignan – …, décevrait la communauté
francophone, s'alignerait sur l'uniformité anglo-saxonne. Quel
contresens historique ! C'est maintenant que nous avons le
devoir d'affirmer notre langue, notre identité, notre culture,
de défendre partout et toujours la langue française, de
multiplier les partenariats avec les pays francophones, et
encore, comme le suggère Jacques Attali, de bâtir, avant qu'il
ne soit trop tard, une bibliothèque numérique universelle
francophone. Ce serait le principe même de la diversité
culturelle que notre pays ferait vivre ! Voilà, Madame la
ministre, qui serait conforme à l’esprit des Lumières !
Le refus de ce protocole, loin d'être un geste défensif, est une
ardente nécessité pour mener une grande politique de la
francophonie, qui n'entrave en rien les liens d'amitié avec nos
voisins européens ou nos cousins américains, ni ne nous
empêchera de nous attaquer au scandale de la gestion de l'Office
européen, afin de permettre à davantage de nos PME de déposer
des brevets.
Mais est-il encore permis de souhaiter que la France vive ?
C'est tout le débat d'aujourd'hui, et c’est l’objet de ma
question préalable (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe UMP).
M. Philippe Folliot – Très bien !
M. le Rapporteur – L’objet d’une motion est d’expliquer
qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Or, Monsieur Dupont-Aignan,
puisque vous avez appelé notre attention sur les conséquences
extrêmement graves qu’aurait, selon vous, la ratification du
protocole de Londres, vous devriez être le premier à demander
qu’il en soit délibéré !
Si vous êtes un passionné de la défense de la langue française,
nous le sommes tous ici !
M. Philippe Folliot – Plus ou moins !
M. le Rapporteur – Ce qui nous sépare, c’est que vous
entretenez une vision empreinte de nostalgie pour l’époque où le
français dominait le monde (Exclamations sur plusieurs bancs
du groupe UMP). Nous prônons, quant à nous, une francophonie
à la fois réaliste et conquérante. Nos entreprises, nos
chercheurs vivent déjà dans un monde polyglotte. Et c’est en
acceptant un système des brevets trilingue que vous défendrez
véritablement la francophonie.
J’ai reçu de très nombreux témoignages de nos amis francophones,
notamment de la part de l’Organisation de la propriété
industrielle des États francophones, qui nous demandent de vite
ratifier le protocole…
M. Jacques Myard – Ce n’est pas vrai !
M. le Rapporteur - …, car l’intérêt vital d’un État ou
d’une entreprise francophone, comme des chercheurs de langue
française, c’est de pouvoir continuer à déposer des brevets en
français, lequel reste une des trois langues officielles de
l’Office européen ! Je pense même qu’après la ratification,
davantage de brevets seront déposés en français
(Applaudissements sur la plupart des bancs de l’UMP).
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Le coût
moyen d’un dépôt de brevet est actuellement de 30 000 euros,
dont 20 000 pour la traduction. Grâce à l’accord de Londres, le
coût de traduction est divisé par deux, et le coût total ainsi
réduit d’un tiers.
La ratification de cet accord permettra en outre à la France
d’être en bien meilleure position dans les négociations au sujet
de la nécessaire réforme de l’Office des brevets européens.
De même, il est essentiel que nous bénéficiions d’un système de
brevets compétitif par rapport aux modèles japonais et
américain. C’est pourquoi nous devons aller vers un système de
brevet européen, ce dont la ratification représente une étape
nécessaire, qui maintient l’originalité du modèle européen ainsi
que la diversité qui caractérise celui-ci.
Les petites et moyennes entreprises pourront mener des
stratégies de dépôt de brevets à l’étranger. Les descriptions
devront être traduites en cas de litige, mais ce coût sera à la
charge des titulaires, des multinationales, et non des PME.
Enfin, une description ne conférant jamais un droit étendu au
titulaire du brevet, il s’agit là encore d’un élément de
protection pour les PME, à qui nous voulons permettre d’être
plus offensifs sur les marchés étrangers (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Goulard – Le romantisme sympathique de
M. Dupont-Aignan est très éloigné de la réalité. Toute théorie
du complot, que ce soit contre la France ou contre ses petites
entreprises, est ici hors de propos. Ce texte fera progresser
notre langue et nos entreprises. Il simplifiera les procédures à
l’échelle européenne.
M. Jacques Myard – Couchons-nous !
M. François Goulard – La ratification de la France est
indispensable à l’entrée en vigueur de l’accord de Londres. Sans
elle, nos partenaires s’accorderont sur un système qui fera la
part belle à l’anglais : c’est le contraire même de ce que vous
souhaitez ! (Applaudissements sur la plupart des bancs du
groupe UMP)
La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
M. le Président – Nous en venons à la discussion
générale.
M. Jean-Michel Fourgous – Mme Pecresse rappelait à raison
que le réveil salutaire auquel nous assistons aujourd’hui est
d’origine parlementaire, et je l’en remercie. L’innovation et la
recherche sont les clefs de notre compétitivité : tout le monde
s’accorde sur ces principes. Encore faudrait-il qu’ils soient
suivis d’effets ! Puisque l’on aime ici à invoquer certains mots
comme « croissance » ou « Lisbonne », permettez-moi de vous
rappeler que la croissance est composée de trois ingrédients :
la sueur, l’argent et l’intelligence. Or, le brevet matérialise
cette intelligence : il la transforme en or. Toute entreprise
connaît une hausse importante de ses effectifs et de son chiffre
d’affaires dans les cinq années qui suivent le dépôt d’un
brevet. Il n’y a donc pas de complot des gros contre les petits.
Ancien ingénieur, j’ai moi-même jadis déposé un brevet qui a
permis la création d’une entreprise. J’ai fait l’expérience du
système actuel : il est long et coûteux. Alors que les grandes
entreprises en ont les moyens, les PME sont rarement en mesure
de se protéger dans l’ensemble des pays européens. Il y avait
urgence à répondre à leur demande unanime – c’était d’ailleurs
l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée l’année
dernière. Quelques exemples : le coût des traductions chez
Renault grève le budget consacré à la protection des
innovations, en Europe centrale notamment. De même, au CNRS,
l’argent consacré aux traductions ne peut l’être au dépôt de
nouveaux brevets.
Si l’on exhume aujourd’hui ce vieux débat, c’est parce qu’une
véritable rupture culturelle s’est produite à la tête de notre
pays. Rendons hommage à celui qui donne enfin du contenu aux
discours politiques : M. Sarkozy avait inscrit la ratification
du protocole de Londres dans son programme de campagne, auquel
j’ai contribué. Une longue série de propositions de loi, de
rapports, de concertations et autres amendements repoussés
malgré leur adoption en commission trouvent enfin une issue.
La France est de retour en Europe. Nos partenaires s’agaçaient
de notre attentisme, comme ils se sont étonnés de notre rejet de
la Constitution européenne, dont nous étions pourtant à
l’origine. La ratification française du protocole de Londres
sera imitée ailleurs en Europe. Elle évitera une solution trop
favorable à l’anglais, envisagée par certains.
Si elle a tant tardé, c’est aussi parce que la défense du
français a été savamment instrumentalisée. Lors du dépôt d’un
recours devant le Conseil constitutionnel à l’initiative de
M. Myard notamment, certains collègues se sont interrogés sur
les intentions réelles du projet : voulait-on vraiment obliger
les Français à déposer des brevets en anglais ? Pure
contrevérité, cela va de soi. Cette manipulation n’a d’ailleurs
pas échappé au Conseil constitutionnel, qui a rejeté ledit
recours. De même, M. Alain Pompidou, fils du président Georges
Pompidou, rappelle que le protocole de Londres permet de
maintenir le français au sein des instances de l’OEB qu’il
présidait autrefois. L’organisation africaine de la propriété
intellectuelle nous presse également de ratifier, car ses
membres francophones pourraient plus facilement déposer des
brevets en Europe.
Invoquer la défense du français ne sert donc qu’à effrayer –
n’est-ce pas d’ailleurs une habitude française
d’instrumentaliser des principes moraux sans rapport avec les
faits ? Hélas, les PME subissent le même sort. Pourquoi ne pas
simplement les écouter, elles qui demandent toutes la
ratification ? C’est parce que nous avons depuis six ans ignoré
leur avis, comme celui des chercheurs, que nombre d’emplois ont
été perdus, que nombre d’entreprises n’ont jamais été créées.
Au fond, le véritable clivage dans ce débat n’oppose pas les
défenseurs du français à ses agresseurs, mais l’obscurantisme à
l’expérience économique ! Au nom des petites entreprises et des
chercheurs, au nom de notre compétitivité et de notre compétence
économique, je vous demande donc de voter ce texte !
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Pierre Moscovici – Le sujet est complexe et impose de
mener une réflexion approfondie avant de pouvoir se déterminer,
en fonction notamment de trois questions. La première a trait à
notre ordre juridique : quelles sont les conséquences, en droit
français, de la ratification du protocole de Londres, et
sont-elles acceptables ? Avec ce protocole, la France renonce à
l'exigence d’une traduction intégrale des brevets rédigés en
anglais ou en allemand comme condition de leur opposabilité aux
tiers. Cette disposition accroît le risque d'incertitude
juridique, puisqu’un document rédigé en langue étrangère sera
opposable à un justiciable français et pourra servir de
fondement à des condamnations civiles ou pénales. Elle a donc
une portée considérable, mais il faut aussi considérer qu’à
l’inverse, les brevets déposés en français sans traduction sur
les territoires allemand et britannique auront aussi force
juridique. Le groupe SRC est donc prêt à accepter cette
disposition conséquente puisqu’elle est accompagnée de
contreparties significatives.
La seconde question est d'ordre économique : qui bénéficie, en
la matière, du protocole de Londres ? Ses partisans affirment
qu'il permettra de réduire le coût de dépôt des brevets. C'est
exact, car une entreprise qui veut aujourd'hui protéger son
brevet dans tous les États membres doit financer vingt deux
traductions. En revanche, il faut aussi noter que les économies
seront limitées, car les coûts de validation, notamment pour les
PME, sont peu élevés et la validation dans les principaux pays
suffit à obtenir de fait un monopole sur l'ensemble de l’Union
européenne. La question porte davantage, à mon sens, sur le
transfert de la charge financière de l'information. Alors que
cette charge incombe actuellement au détenteur du brevet, avec
le protocole, ce sont les concurrents qui devront payer pour
obtenir une traduction exacte du brevet.
Dès lors, on ne peut démontrer ni que le protocole de Londres
permet de faire des économies, ni qu’il fait perdre de l'argent.
Il fait les deux simultanément, et le tout est de savoir pour
qui. S’agissant des économies, il aurait fallu, pour trancher,
procéder à des investigations plus poussées, comme l'avait
demandé mon groupe. Quant à la charge financière nouvelle, il
est clair que le protocole avantage en premier lieu les grandes
entreprises, le bénéfice pour les PME étant moins assuré. II est
néanmoins possible de faire le pari, d’une part, que
l'abaissement des coûts de dépôt encouragera les PME françaises
à innover davantage, permettant de nous rapprocher du niveau
américain, et d’autre part que cela aura un effet global
d'entraînement sur l'économie française.
La troisième question est d'ordre symbolique et culturel : la
ratification du protocole de Londres permettra-t-elle de
conforter la francophonie ? Les États signataires dont la langue
n’est pas parmi les trois définies pourront certes déposer leurs
brevets européens en français, mais je ne suis pas persuadé
qu’ils se servent beaucoup de cette possibilité. D’un autre
côté, le texte ne conduira pas non plus les entreprises
françaises à abandonner le français comme langue de premier
dépôt. Je note aussi que les revendications devront être
traduites dans les trois langues officielles. Je suis sensible,
enfin, à l'argument du pire : si nous ne ratifions pas, les
autres États pourront toujours se mettre d'accord pour imposer
un système fondé sur l'anglais. Sans s'accrocher à un
monolinguisme de repli, on peut être attaché à la francophonie
et considérer que le texte présente des garanties suffisantes
dans ce domaine.
Pour finir, j'aimerais évoquer d'autres pistes, qui restent à
approfondir. Il conviendrait ainsi de baisser les annuités, et
de s’attaquer aux causes du déficit de dépôt de brevet par la
France telles que l’insuffisance de l’investissement en
recherche et développement ou l’absence de « culture brevet ».
Il faut aussi élaborer des garde-fous, et surtout réinvestir la
sphère communautaire : les carences du brevet européen peuvent
être mises sur le compte d'une absence de choix clair, de la
part des gouvernements, entre échelon national et communautaire.
Le compromis obtenu est boiteux, et les discussions qui sont en
cours n’ont pour l’instant pas abouti. Le brevet communautaire
sera pourtant un outil de politique industrielle et
d'encouragement à l'innovation indispensable si nous voulons
rattraper notre retard sur les États-Unis. Donnons-nous les
moyens d'avancer sur cette question !
Ce texte présente donc des zones d'incertitude qu'il aurait
certainement fallu éclaircir au lieu d'avancer au pas de course,
et qui ont donné lieu à des discussions difficiles. Mon groupe
considère que ce texte n'aurait pas du être examiné en session
extraordinaire. Il a néanmoins conscience de ses responsabilités
et votera en faveur du protocole de Londres, sans enthousiasme
mais sans intention non plus d’obstruction (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et
divers gauche et du groupe UMP).
M. Yves Cochet – Cet accord conclu à Londres en 2000
laisse croire, sur le papier, à un manifeste pro-francophonie,
en faisant du français une des alternatives obligées dans le
dépôt des brevets. Mais il contient aussi des vices cachés.
Aujourd’hui, moins de 6 % des brevets européens sont déposés en
français, et environ 25 % en allemand et 70 % en anglais.
L’INSERM, par exemple, dépose déjà 85 % de ses brevets
directement en anglais ! Mais les difficultés économiques de la
France sont-elles réellement dues au petit nombre de brevets
déposés en langue française ? On ne peut de bonne foi lier les
deux, sachant que le taux de consultation des brevets n'est que
de 2 % – le caractère vieillot de l'OEB, qui ne numérise pas les
textes, n’arrangeant pas les choses. En revanche, dans la
logique actuelle de marchandisation de la propriété
intellectuelle, l'adoption de ce protocole encouragerait la
disparition du français comme langue d'expertise technique.
Faute de réciprocité, il incite en effet les entreprises et les
centres de recherche français à déposer directement leurs
dossiers en anglais.
Avec le régime de traduction actuel, absolument tous les brevets
sont disponibles en français. Ce ne serait bientôt plus le cas
que de 6,5 % d’entre eux. En effet, les pays dont la langue
officielle est une des trois de l'OEB, c’est-à-dire l'anglais,
le français ou l'allemand, n'exigeraient plus de traduction dans
leur langue nationale : la France ne serait plus à même de
réclamer une traduction. Parallèlement, d'autres pays
importants, comme l’Italie, l’Autriche ou l’Espagne, pourraient
bénéficier d'une traduction dans leur langue nationale même pour
les brevets d'origine française. Ces mêmes pays dont la langue
officielle ne fait pas partie des trois langues de l'OEB
devraient en choisir une comme « langue prescrite ». Qui ose
prétendre que le français serait communément choisi, devant
l’anglais – ou plutôt le sous-anglais utilisé dans les documents
techniques ? En réalité, les véritables bénéficiaires de ce
protocole seraient les entreprises américaines ou asiatiques,
que les coûts d'accès allégés du marché européen encourageraient
à déposer des brevets en Europe pour faire entrave à leurs
concurrents.
Pour ce qui est des économies liées à la réduction des frais de
traduction, une enquête réalisée pour le compte de l'OEB évalue
le coût total d'obtention d'un brevet standard à 26 630 euros,
dont moins de 15 % pour les coûts de traduction : on est très
loin des 40 % annoncés par le Medef ! Le coût des brevets est
donc une fausse excuse. À l’inverse, le protocole de Londres
pourrait engendrer des frais nouveaux de veille technologique :
sa ratification affaiblirait la filière française de la
propriété industrielle et affecterait l’attractivité du droit
français et de la place de la France, qui conditionnent son
attractivité économique.
J'ai fait le choix de m'opposer à ce texte, comme le collectif
présidé par le professeur Claude Hagège, le Conseil national des
barreaux ou l'Académie française, car je refuse de ne considérer
que l'efficacité économique.
M. Marc Dolez – Très bien !
M. Yves Cochet – Face à un projet qui entend rationaliser
la gestion du business des brevets, nous devons nous efforcer de
penser aux conséquences culturelles. Avec ce protocole, les mots
nouveaux des brevets d'invention n'existeraient plus qu'en
anglais. Sans compter, d’un point de vue éthique, qu’il est
fondé sur la logique d’une langue plus importante et plus
légitime que les autres. Ce système engendrerait une profonde
inégalité entre les États, et serait en contradiction avec la
politique linguistique européenne. Rappelons-nous la devise de
l'Union : « Unis dans la diversité. » Plus encore qu'une menace
pour la langue française, ce protocole est une menace pour le
multilinguisme européen. Symboliquement comme en pratique, il
appelle à une uniformisation de la communication, à un
effacement du patrimoine linguistique. Nos voisins l'ont bien
compris puisque sur trente et un pays, seulement treize ont
accepté de le ratifier. Seuls la France et le Luxembourg l’ont
signé. La ratification de la France étant indispensable à
l’entrée en vigueur de ce texte, je vous appelle, mes chers
collègues, à voter contre !
M. Jean-Pierre Brard et M. Marc Dolez – Très
bien !
M. Christian Blanc – Je voudrais tout d’abord vous faire
part de mon étonnement : pourquoi, comment cette ratification
a-t-elle pu autant tarder ? C’est ma seule question.
M. Pascal Clément – C’est une vraie question !
M. Christian Blanc – La stratégie de Lisbonne – faire de
l’Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la
plus dynamique – restera en effet un vœu pieux si nous ne nous
donnons pas les moyens d'y parvenir. La nécessité de créer un
brevet permettant de protéger notre innovation et nos capacités
de recherche-développement dans tout le marché intérieur de
l'Union devient tout simplement impérieuse. Le brevet européen
est en effet trop cher comparativement aux principaux
partenaires commerciaux de l'Europe. Son coût est rédhibitoire
pour de nombreux chercheurs, entreprises technologiques et PME,
qui renoncent à protéger leurs inventions.
Les PME-PMI représentent moins du quart des dépôts de brevets
effectués en France par des entreprises françaises. Le brevet
coûte en effet quatre à cinq fois plus cher qu'un brevet
américain et trois fois plus cher qu'un brevet japonais.
La principale raison en est qu’il faut fournir des traductions
dans toutes les langues des pays où la protection est
revendiquée. Selon l’Office européen des brevets, cette
obligation représente environ 30 % du coût actuel du brevet
européen. En limitant les exigences de traduction, le protocole
de Londres permettra de réduire fortement les coûts de
traduction/ validation et, partant, le coût d'accès au brevet
européen.
La réduction du nombre des traductions soulève la question de
l'avenir économique de la profession de traducteur. En France,
les traducteurs spécialisés, au nombre de 200 à 300, et les
conseils en propriété industrielle, au nombre de 500, tirent une
grande partie de leurs revenus des traductions de brevets. Leurs
craintes sont donc compréhensibles. Un excellent rapport de
Georges Vianès en 2001 propose des mesures de sauvegarde
permettant de limiter l’incidence de la ratification du
protocole pour ces professions. Notre rapporteur a manifesté la
volonté d’en reprendre certaines, et nous le suivrons sur ce
point.
S’agissant de l’enjeu linguistique, il faut rappeler que le
protocole de Londres place le français au rang de langue
officielle au même titre que l'anglais et l'allemand. Avec cet
accord, un brevet rédigé en français deviendra valable dans
l'ensemble des pays ayant ratifié le protocole. Aussi prétendre,
comme certains, que ce protocole consacre l'hégémonie
linguistique anglo-saxonne est-il inexact. Cela permettra au
contraire de l’éviter.
Si aujourd'hui, moins de 6 % des brevets européens sont déposés
en français, la raison en est sans doute moins l'hégémonie de
l’anglais que la difficulté de notre pays à construire une
économie de recherche-développement moderne, répondant aux
exigences actuelles de la mondialisation.
M. Michel Piron – Tout à fait !
M. Christian Blanc – Demain, un brevet déposé en
français, qui contiendra nécessairement un vocabulaire technique
innovant, pourra être déposé sans être accompagné d’une
traduction en anglais. Le français deviendra alors une langue de
l'innovation à part entière.
M. Jean-Pierre Brard – Vous y croyez vraiment ?
M. Christian Blanc – Mais bien sûr, je suis parfaitement
sincère.
Aujourd'hui, la ratification et la mise en œuvre de l'accord du
protocole de Londres est bloquée par un certain nombre de pays
européens, membres de l'Organisation européenne des brevets,
dont la France. Ce protocole relève pourtant d'une initiative
française qui faisait l’objet d’un consensus politique. Comment
dès lors justifier aujourd’hui l’opposition de notre pays à la
ratification ?
La volonté du Président de la République de relancer la
dynamique européenne avec la ratification d'un traité simplifié
doit trouver des échos dans des domaines aussi importants que
ceux de la stratégie de Lisbonne. La France, qui présidera
l'Union européenne en juillet prochain, doit retrouver sa place
de locomotive dans l’Union et envoyer par cette ratification, un
message fort à ses partenaires européens.
L’enjeu est de taille pour nous, Français. En effet, si cet
accord n'est pas ratifié, d’autres solutions seront envisagées,
elles le sont d’ores et déjà, pour réduire les coûts de dépôt et
de traduction. Notre renonciation aurait comme conséquence
irrémédiable de favoriser l'anglais et de nous placer
définitivement en retrait. Nous obtiendrions ainsi l'effet
inverse de celui que nous recherchons tous.
Je voudrais conclure en rappelant qu'aujourd'hui, en Europe,
seule une PME sur quatre dépose un brevet, contre une sur deux
aux États-Unis. Or, il ne peut y avoir de croissance sans
innovation. C'est pourquoi l'accord de Londres constitue un
outil si précieux. Nous demeurons certes soucieux, au Nouveau
centre, de la protection de notre diversité culturelle et
linguistique. Mais puisque l'accord de Londres écarte
l'utilisation exclusive de l'anglais et maintient le français
comme langue officielle, nous estimons qu'il s’agit d’un accord
protecteur.
Ce texte ne doit cependant pas éluder un débat plus large sur la
nécessité de réformes structurelles permettant le déploiement
d'une économie de la connaissance et de l'innovation qui, seule,
servira la compétitivité économique et le rayonnement culturel
de notre pays.
Le groupe Nouveau centre s'est prononcé à l’unanimité moins une
voix en faveur de la ratification de l'accord de Londres
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Goulard – Je voudrais dire mon étonnement ,
quant à moi, devant le tour qu’a pris et continue de prendre
dans notre pays le débat sur l’accord de Londres. Alors qu’il
s’agit d’un sujet technique, dont la portée ne doit être
exagérée ni en bien ni en mal, c’est comme si le sort de la
nation était en jeu. Dans aucun autre pays européen, un tel
débat n’aurait ou n’a eu lieu.
M. Marc Dolez – La France a été la seule à faire la
Révolution !
M. François Goulard – Tous ceux qui ont à connaître des
brevets sont favorables à la ratification de l’accord de
Londres.
M. Jean-Pierre Brard – Le mimétisme n’est pas une bonne
politique !
M. François Goulard – Parmi les opposants au protocole,
on trouve bien sûr les traducteurs, professionnels qui
subiraient directement une baisse de leur chiffre d’affaires.
Leur réaction est légitime et des mesures d’accompagnement, dont
certaines figurent dans le rapport, seront bienvenues. On trouve
également quelques écrivains, quelques hommes ou femmes de
science, mais tous spécialistes de discipline où l’on ne dépose
pas de brevets. On ne trouve en revanche aucun représentant
d’aucun milieu ayant la pratique des brevets.
M. Jacques Myard – J’ai ici toute une liste de PME qui y
sont opposées !
M. François Goulard – La ratification de l’accord de
Londres par notre pays revêt une importance particulière car
c’est lui qui peut provoquer l’entrée en vigueur de l’accord.
Or, si cet accord n’est pas ratifié, le risque est qu’un autre
ne soit adopté, à notre détriment.
M. Jacques Myard – Il n’y a aucun risque !
M. François Goulard – Quoi qu’en pensent certains, cet
accord est favorable au français. Il consolide en effet la place
de notre langue comme l’une des trois langues officielles de la
propriété intellectuelle en Europe. Mieux encore, il permet que,
pour une partie des brevets, le français fasse foi dans certains
pays européens où est aujourd’hui exigée une traduction
intégrale. C’est pour notre langue une avancée - qui n’est
certes pas considérable, mais incontestable. On comprend qu’un
Espagnol, un Italien ou un Portugais soit opposé à cet accord
qui reconnaît un statut privilégié à trois langues
seulement – l’allemand, l’anglais et le français – , mais pas un
Français.
La reconnaissance de notre langue comme langue officielle pour
le dépôt de brevets européens a été rendue possible tout d’abord
par le poids politique de notre pays en Europe, mais aussi parce
que nous sommes, juste derrière l’Allemagne, premier pays
européen pour la recherche et juste devant le Royaume-Uni, l’un
des trois grands pays de science en Europe. L’accord de Londres
a été remarquablement négocié par le gouvernement de Lionel
Jospin qui a su préserver les intérêts de la France - il est
assez rare que je rende hommage à l’œuvre de ce gouvernement
pour que cela mérite d’être souligné (Sourires).
La tendance actuelle n’est pas favorable au français.
M. Jean-Pierre Brard – Parce que nous renonçons !
M. François Goulard – Pas un colloque scientifique de
niveau international ne se tient en français et toutes les
publications scientifiques de haut niveau sont en anglais.
M. Jacques Myard – Est-ce une raison pour nous coucher ?
M. François Goulard – Il est donc important que le
français maintienne sa position en matière de brevets.
L’accord de Londres, en limitant le nombre de traductions
exigées, réduira le coût du dépôt d’un brevet, j’en veux pour
preuve la protestation des traducteurs et des cabinets de
conseil en propriété intellectuelle. Il faudra certes aller plus
loin encore pour abaisser le coût du brevet européen,
aujourd’hui beaucoup plus cher qu’un brevet américain ou
japonais, et s’engager résolument en faveur du brevet
communautaire. Il n’empêche que l’accord de Londres représente
un progrès particulièrement important pour nos entreprises,
notamment nos PME, qui n’ont pas assez la culture du brevet et
de la protection de la propriété intellectuelle. Il en va de
même de nos organismes de recherche, même s’ils ont réalisé des
progrès en la matière, et de nos universités.
Sur le plan juridique, la décision du Conseil constitutionnel ne
peut que nous rassurer. Il a jugé le protocole conforme à notre
Constitution parce que les revendications seront bien traduites
en français et qu’en cas de contentieux la traduction sera
obligatoire, aux frais du déposant.
Certains se sont inquiétés du recul de la veille technologique
des PME. Mais pensent-ils vraiment qu’une entreprise préoccupée
du problème attend la traduction en français d’un brevet déposé
en anglais ? La veille technologique s’effectue désormais au
jour le jour sur Internet, et ceux qui ne connaissent pas
l’anglais sont bien en peine de l’assurer ! (Applaudissements
sur la plupart bancs du groupe UMP)
J’interprète la réaction de certains comme de la frilosité et
une peur de l’ouverture.
M. Jean-Pierre Brard – Vous, vous êtes prêts à vous
prostituer ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
M. François Goulard – Il serait illusoire de vouloir
protéger notre langue comme on protège un monument historique.
En effet, une langue est vivante, et c’est par le dynamisme du
pays qui la pratique qu’elle est le mieux défendue. En ce
domaine, obligations et interdictions sont vaines. Le combat est
perdu d’avance (Applaudissements sur la plupart des bancs du
groupe UMP). C’est en ayant des entreprises françaises
fortes sur le plan international que l’on défendra le mieux le
français. C’est parce que nous saurons attirer des étudiants et
des chercheurs étrangers que nous assurerons le rayonnement de
notre langue dans le monde car, s’ils ne le connaissent pas au
départ, ils l’apprendront et seront devenus au bout de quelques
années francophones et défenseurs de notre langue et de notre
culture.
Je suis convaincu que le français, grande langue de culture, de
littérature, mais aussi de science et d’économie, a encore un
bel avenir. À nous de faire en sorte par notre dynamisme et les
réussites de notre pays qu’il ait toute sa place aux côtés de
l’anglais.
Si ce débat nous permet de sensibiliser nos compatriotes à la
question de la protection de la propriété intellectuelle et
industrielle, il n’aura pas été vain ; mais, de grâce,
abandonnons le passé, auquel ne doit pas être condamnée la
francophonie, et tournons-nous vers l’avenir, en vrais
défenseurs de la langue française qui regardons la réalité en
face ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. Christian Blanc – Très bien !
M. Didier Mathus – La complexité des sujets dont nous
débattons a été plusieurs fois soulignée. Ainsi M. Moscovici
a-t-il exprimé les interrogations et la diversité des positions
du groupe socialiste, radical et citoyen, dont j’aimerais me
faire à mon tour l’écho.
Je suis tout d’abord surpris d’assister, en cette session
extraordinaire, à une véritable opération commando mobilisant
trois représentants du Gouvernement, s’agissant d’un texte dont
il est question depuis sept ans !
M. Jean-Pierre Brard – Pour les mauvaises causes, il faut
des fantassins !
M. Didier Mathus – Je ne suis pas moins surpris, en
particulier en écoutant M. Goulard, de constater que le seul
horizon intellectuel que l’on offre au Parlement français se
réduit à l’utilitarisme économique et au seul souci de la
performance. Certes, que ne ferait-on pas pour aller chercher un
point de croissance, comme vous n’avez cessé de le répéter ?
Mais d’autres questions, non moins importantes sont en jeu.
En réalité, c’est le statut de langue scientifique et technique
jusqu’alors dévolu au français qui est menacé, et avec lui la
diversité linguistique. Toutes les explications que vous avez
données, et qui nous ont fourni de beaux exemples de sabir
techno-économique, n’ont pu masquer cette situation évidente.
Elle résulte de la pression de grandes entreprises mondialisées,
auxquelles profitent tous les efforts de remise en cause du
français dans sa fonction de langue de description technique, et
qui n’utilisent que le « globish » - global english -, à
l’instar des deux entreprises françaises condamnées il y a deux
semaines au titre de la loi Toubon – votée en 1994 par la
majorité ! - parce qu’elles imposaient à leur direction l’usage
quotidien de l’anglais. Ainsi M. Seillière affirmait-il il y a
quelques années que la langue des affaires était l’anglais ; le
Président de la République d’alors avait, me semble-t-il,
protesté.
M. Jean-Pierre Brard – C’était un patriote, lui !
M. Didier Mathus – Si la justification économique du
protocole n’est sans doute pas entièrement infondée – peut-être
Air Liquide ou d’autres entreprises du CAC 40 ont-elles
effectivement quelques dizaines de milliers d’euros à y gagner
-, que représente-t-elle au regard des deux enjeux majeurs que
constituent l’avenir de la propriété intellectuelle et la
diversité linguistique ?
D’une part, l’avenir de la propriété et les échanges
intellectuels fait déjà l’objet d’une bataille autour de la
diffusion du savoir sur Internet ; la généralisation de
l’anglais donne évidemment le dessus aux puissances
anglo-saxonnes, armées du copyright, au point de menacer nos
valeurs, qui ne sont pas uniquement mercantiles !
D’autre part, de même que la diversité du vivant, que nous nous
sommes attachés il y a quelques années à protéger, nous devons
désormais préserver la diversité linguistique, qui constitue
elle aussi une richesse. Lui porter de mauvais coups, comme le
fait le protocole de Londres en refusant d’y voir une priorité,
c’est attaquer non seulement notre pays, mais le patrimoine de
l’humanité dans son ensemble. Sans être un nostalgique du
rayonnement de la langue française que Rivarol exaltait voici
deux siècles dans son célèbre discours, et qui, à l’heure où
c’est l’anglais qui s’est imposé, n’est plus qu’un souvenir, je
n’accepte pas que les députés français aillent au-devant de
cette évolution en s’abaissant à prêter main-forte à la
destruction de la diversité linguistique(Applaudissements
sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et
divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et
républicaine).
M. Jean-Pierre Brard – M. Goulard a parlé d’un texte
technique ; mais trois ministres pour faire de l’épicerie, voilà
qui n’est guère crédible – à moins qu’il s’agisse d’épicerie de
luxe ! (Sourires)
À vous en croire, la France aurait le beau rôle dans cette
affaire, et sa responsabilité serait grande : qu’elle se
prononce et l’entrée en vigueur du protocole est engagée.
Pourtant, malgré la création d’un ministère de l’identité
nationale, dont les débats sur le projet de loi relatif à la
maîtrise de l’immigration nous ont révélé la signification
xénophobe, vous préférez l’anglais au français ! Lors de la
campagne présidentielle, vous étiez entourés de brillants
intellectuels – Johnny Hallyday, Doc Gynéco (Exclamations sur
les bancs du groupe UMP) ; mais la France, c’est le général
de Gaulle, c’est Romain Rolland, c’est Bossuet – auquel M. Copé,
l’aiglon de Meaux, me fait presque songer (Sourires) -,
que vous rognez et bradez au profit de l’anglais parce que votre
cœur ne bat pas au rythme de l’héritage historique de la
France !
Pire encore, vous encouragez notre Assemblée à violer une loi
issue de votre majorité – vous avez beau jeu d’évoquer Lionel
Jospin, oubliant les membres de l’UMP pour qui la France
signifie encore quelque chose ! Je veux parler de la loi Toubon
du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française et
visant essentiellement à soutenir l’enrichissement de la langue
et à confirmer l’obligation d’en faire usage. En outre, dans le
sillage de la boulimie médiatique compulsive du Président de la
République, vous vous apprêtez à violer également l’article 2 de
la Constitution, qui dispose que la langue de la République est
le français (protestations sur les bancs du groupe UMP).
Ainsi, vous abdiquez, vous renoncez, vous capitulez, parce que
vous tirez vos valeurs de la Bourse au lieu de les puiser à
notre héritage historique et à notre capital intellectuel ! Vous
vous agenouillez devant le veau d’or ! (Protestations sur les
bancs du groupe UMP) Je sais que M. Myard est d’accord avec
moi (Sourires), ainsi que notre président, qui, malgré le
silence auquel il est ici tenu, a signé les mêmes textes que
moi !
En visant à réduire les coûts de dépôt d'un brevet européen afin
d’augmenter le nombre de dépôts nationaux, ce protocole a pour
but avoué de permettre aux multinationales de réaliser de
substantielles économies – comme si elles étaient à quelques
euros près !
Mme Françoise Hostalier – Ce sont les PME qui le
demandent !
M. Jean-Pierre Brard – Madame Hostalier, vous étiez plus
inspirée lors de nos débats de la semaine dernière !
(Sourires)
De très honorables institutions ont exprimé des avis
défavorables et ont souligné les dangers de ce traité, mais peu
vous chaut ! Ainsi l'Académie française déclarait-elle en 2001 :
« Le français étant la langue de la République, la France ne
peut accepter que les textes en langues étrangères aient force
de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets,
se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n'ose
aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler
l'Europe ? Économiser sur les traductions, c'est non seulement
mettre en péril les langues nationales mais aussi amputer la
plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité.
Pour ces raisons, l'Académie française demande solennellement
aux pouvoirs publics de ne pas signer le protocole de Londres. »
« Pluralité », « pluralisme », voilà des mots qui vous donnent
le grand frisson, parce que vous êtes enfermés dans la camisole
anglo-saxonne et ne jurez plus que par elle ! (Protestations
sur plusieurs bancs du groupe UMP)
M. le Président – Il faut conclure.
M. Jean-Pierre Brard – On peut être antifrançais même
avec un passeport français ; mais on trouve aussi des
antifrançais à l’étranger – Berlusconi, Kaczyński, Thatcher,
Aznar, Bush ! J’en terminerai (« ah » sur plusieurs
bancs du groupe UMP) par une citation : « La langue
française n'est pas indispensable ; le monde a bien vécu sans
elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des
langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux la
délaisseraient ». Ces lignes sont d’un homme dont il n’y a pas
lieu d’être fier : M. Bernard Kouchner, dans un texte intitulé
« L’anglais, avenir de la francophonie ».
M. François Loncle – C’est un turlupin !
M. François Goulard – C’est une déclaration de guerre à
M. Kouchner !
M. Jean-Yves Le Déaut – Le brevet est d’abord un outil de
protection et de valorisation de l’innovation. Il permet de
rentabiliser les investissements considérables dans le domaine
de la recherche et du développement. Rappelons qu’il comporte
deux volets : la partie juridique, qui fixe le champ de la
protection ; la description, qui sert à interpréter les
revendications mais ne crée pas le droit.
Le brevet fait foi dans la langue dans laquelle il a été déposé.
Or, tous les juristes reconnaissent que la sécurité juridique
est plus grande en français que dans d’autres langues.
M. Jean-Pierre Brard – C’est évident !
M. Jean-Yves Le Déaut – Il existe un brevet national,
enregistré auprès de l’INPI, mais il y a aussi un brevet
européen depuis la signature de la convention de Munich, qui
autorise depuis 1973 le recours à trois langues : l’anglais,
l’allemand, mais aussi le français. Et c’est à l’initiative du
gouvernement de Lionel Jospin qu’une conférence
intergouvernementale a débouché en 1999 sur l’accord de Londres,
dont l’un des principaux objectifs était de réduire le coût des
brevets.
En effet, il est vrai que si les organismes de recherche
français déposent peu de brevets, c’est en raison de coûts trop
importants (« Très bien » sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Jean-Pierre Brard – Et parce qu’ils manquent de
crédits !
M. Jean-Yves Le Déaut – Par ailleurs, un quart seulement
des PME françaises déposent un brevet au cours de leur
existence, contre la moitié aux États-Unis et 55 % au Japon.
Enfin, la langue française perd du terrain : 75 % des brevets
sont déposés en anglais, 18 % en allemand et seulement 7 % en
français.
En ratifiant ce protocole, nous inscrirons dans le marbre la
place juridiquement privilégiée accordée à notre langue
(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).
La première raison de voter ce projet de loi est de nature
diplomatique : la diversité est une richesse, que personne
n’entend brader.
M. Jean-Pierre Brard – Oh que si !
M. Jean-Yves Le Déaut – Or, il ne faut pas ignorer pas
les risques d’affaiblissement de notre langue. Lors des
discussions préalables à la conférence intergouvernementale,
plusieurs pays, notamment la Suède et la Suisse, souhaitaient en
effet que l’on se limite à l’anglais.
M. Michel Piron – Il est bon de le rappeler !
M. Jean-Yves Le Déaut – Par ailleurs, il est faux de
penser que l’Italie et l’Espagne ne signeront pas l’accord, car
elles ne souhaitent pas priver de rémunération leurs offices
nationaux…
Un autre motif de voter ce texte est d’ordre linguistique.
Contrairement à ce qui a été affirmé, ce protocole ne conduit
pas au « tout-anglais » : les revendications, qui sont la partie
la plus importante du brevet, seront en effet publiées en trois
langues. Cela étant, nous insisterons pour que le Gouvernement
conduise en matière de brevets une politique digne de ce nom,
car la politique actuelle est très insuffisante.
J’ajoute que cet accord ouvre la voie au dépôt en français de
brevets directement reconnus chez deux de nos principaux
concurrents, l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui seront obligés
de procéder à des traductions pour faire de la veille
technologique. Il reste qu’il ne faut pas s’abriter derrière de
faux arguments : 98 % des traductions techniques n’ont jamais
été lues…
Le dernier argument est de nature technologique et
industrielle : il est vrai qu’il existe un coût supplémentaire,
qui dépend du nombre de traductions, mais il est faux de penser
qu’il n’y aura plus de veille technologique. Elle aura lieu tout
de suite, dès la demande de brevet, sans attendre que celui-ci
soit délivré, en général au bout de cinq ans.
Ne nous égarons pas dans un faux débat, mes chers collègues :
nous sommes tous en faveur de la langue française. C’est la
qualité des traductions des revendications qui pose problème. Il
faut donc revaloriser le salaire des traducteurs, diminuer les
coûts et les délais d’obtention des brevets, soutenir les
entreprises et les organismes de recherche qui déposent en
français, mais aussi soutenir les efforts de traduction
automatique – par exemple ceux qui sont déployés dans le centre
de Nancy ! – et conforter l’enseignement du droit de la
propriété intellectuelle à l’université.
Permettez-moi enfin d’exprimer un regret : l’Office européen des
brevets a publié sur ce protocole un document en anglais,
London Agreement to enter into force in first half of 2008,
sans traduction dans les deux autres langues !
À la suite du CNRS, de l’Académie des sciences, de l’Académie
des technologies et de l’INPI, le groupe socialiste vous appelle
à voter ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du
groupe UMP)
M. Pascal Clément – Six ans après sa signature, le
protocole de Londres n’a toujours pas été ratifié par la France.
À écouter le Gouvernement, cet accord serait pourtant limpide.
Sans être un maniaque de la francophilie, ni un empêcheur de
ratifier en rond, je pense pour ma part qu’il y a matière à
s’interroger sur ce texte.
Tout d’abord, est-ce une économie d’avoir trois langues
officielles – l’anglais, l’allemand et le français ? Oui si l’on
s’arrête au dépôt du brevet, mais sur la durée de quinze ans de
la protection, le coût des taxes est bien supérieur au coût de
traduction.
Est-ce utile pour la langue française ? Il faut arracher cette
fausse barbe ! Seuls 7 % des brevets sont déposés en français et
une entreprise réalisera des économies notables en déposant
directement son brevet en anglais, langue préférée par les pays
non signataires de l’accord. Plus de la moitié des brevets étant
déjà déposés par les États-Unis et les Japonais, on peut parier
que 99 % des brevets seront déposés en anglais dans cinq ans, à
commencer par les multinationales françaises. L’ancien président
du Medef ne reconnaissait-il pas d’ailleurs que l’anglais est la
langue des entreprises ?
Le protocole de Londres est une fausse idée, car on croit à tort
que le coût des brevets est ce qui arrête les PME. Or, outre la
recherche et le développement, c’est la lutte contre la
contrefaçon qui leur coûte le plus cher. Pour se protéger de la
contrefaçon comme de procès en contrefaçon, les entreprises
devront traduire la totalité des brevets. Votre erreur est de
penser seulement au coût des brevets pour le déposant, coût qui
est effectivement allégé, sans prendre en considération le coût
pour les tiers, qui est en revanche alourdi.
Ce protocole renforce-t-il la sécurité juridique ? Le
contentieux sera demain tributaire de la qualité de la
description, sous la seule responsabilité du prétendant : la
base juridique deviendra instable, seule l’interprétation du
juge faisant foi. Les brevets sont certes moins coûteux aux
États-Unis et au Japon, mais c’est le juge qui y assure la
régulation.
Je regrette enfin que personne n’ait évoqué le projet de système
EPLA de règlement des litiges relatifs aux brevets, qui n’est
pas dépourvu de lien avec ce protocole. La France risque
d’abandonner entièrement sa souveraineté en la matière, au
profit d’une structure qui ne sera même pas communautaire.
Le professeur Jean Foyer, notre ancien collègue, a écrit que la
ratification de cet accord était singulièrement inopportune.
Telle est également mon appréciation (Applaudissements sur
divers bancs).
M. Michel Vauzelle – S’agit-il, avec cet accord, de
défendre les PME, auxquelles nous sommes tous attachés ? Mais
cette défense requiert surtout des mesures financières !
S’agit-il alors de favoriser la recherche et de l’innovation ?
Mieux vaut encore augmenter le budget consacré à ces politiques…
Comment la représentation nationale, qui doit défendre tout ce
qui est essentiel à la nation, notamment notre conception des
droits de l’homme et du droit des peuples à disposer de leur
culture, pourrait-elle accepter cet accord ? Ce serait porter
atteinte à la liberté du peuple français de s’exprimer dans sa
langue, mais aussi à la liberté de tant d’autres peuples
francophones, auxquels nous ne devons pas adresser un message
aussi négatif.
Il y a dans ce débat une véritable dimension éthique. Le Conseil
constitutionnel jugera peut-être que la lettre de cet accord
n’est pas contraire à l’article 2 de la Constitution – « Le
français est la langue de la République » –, mais un vote
positif de notre part violerait l’esprit de cet article, que
j’ai eu l’occasion de défendre en qualité de garde des Sceaux
lorsqu’il a été introduit dans notre loi fondamentale : nous ne
pouvons pas accepter une vision de la mondialisation qui
consisterait à faciliter l’usage de la langue anglaise et le
règne de l’argent. Il faut au contraire défendre le droit de
l’homme au respect de son identité, de sa culture et de sa
langue.
Voilà ce qui est en jeu aujourd’hui. La mondialisation a des
aspects positifs, mais elle a aussi celui du rouleau compresseur
menaçant l’éthique qui est celle de la République : le droit de
l’Homme à sa culture, à son identité et à sa langue
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste,
radical, citoyen et divers gauche).
MM. Jacques Myard et Nicolas Dupont-Aignan – Bravo !
M. Claude Birraux – Lors de la discussion de la loi sur
la recherche, notre collègue Fourgous avait proposé de ratifier
par voie d’amendement le protocole de Londres. Jugeant que
c’était un cavalier, le Gouvernement s’y était opposé. Le
ministre de la recherche avait alors suggéré que l’Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques organise un débat sur ce protocole, ce qui fut
fait sous la forme d’une audition publique le 11 mai 2006.
M. Christian Pierret, négociateur de l’accord, avait alors
avancé quatre raisons de ratifier cet accord, raisons que je
fais miennes.
Tout d’abord, la recherche-développement et l’innovation sont
les moteurs de la croissance. Il faut donc être offensif en
défendant la propriété intellectuelle et industrielle. Nous
devons vendre autre chose que le nouvel emballage d’un vieux
produit. En France, une PME sur quatre dépose un brevet – contre
une sur deux aux États-Unis et 55 % au Japon.
Deuxième raison de ratifier le protocole : la défense du
français. Le français est langue officielle de l’OEB. Les
publications des revendications se feront en français. La
reconnaissance du français comme langue des sciences, de la
technologie et de la bataille de l’économie est donc gravée dans
le marbre. La situation actuelle le fragilise ; la ratification
le renforce.
Troisième raison : la réduction des coûts. Selon l’INPI, 40 % de
nos entreprises renoncent à déposer des brevets en raison de
leur coût trop élevé. C’est surtout un problème pour les PME et
les « start-up », c’est-à-dire là même où se gagne la bataille
de l’innovation et du développement économique. On ne peut dire
à la fois, cher intervenant de tout à l’heure, que l’on gagne à
la marge sur le coût de dépôt du brevet et que le coût des
traductions sera exorbitant pour les entreprises.
Quatrième raison de ratifier : l’intelligence économique est au
cœur de la concurrence mondiale. L’accord de Londres permet
d’améliorer les conditions de veille technologique. L’INPI
publie un résumé en français des brevets lors de la publication
et a prévu de rendre accessible en français la substance des
brevets déposés à l’OEB.
Certes, il faut défendre le français. Mais nous le ferons mieux
avec la télévision numérique, ou grâce aux lycées français à
l’étranger, à l’Alliance Française et à l’accueil d’étudiants
étrangers. En tant qu’ancien président du groupe d’amitié
France-Pakistan, j’ai ainsi contribué à faciliter la venue dans
notre pays de 140 étudiants pakistanais qui ont préparé des
mastères dans nos universités.
Il s’agit de savoir si la France et l’Europe vont créer des
conditions favorables à la recherche, à l’innovation et au
développement des PME. Cela passe notamment par la création de
parcs technologiques liés aux universités, dont nous avons
discuté récemment ici : l’université Twente, fondée il y a vingt
ans aux Pays-Bas sur les friches de l’industrie textile, a
permis la création de 600 entreprises et de 6 000 emplois.
Nombreux sont ceux qui sont favorables à la ratification du
protocole de Londres : la CGPME, le CNRS, le CEA, l’INSERM,
l’Académie des technologies, le Conseil supérieur de la
propriété industrielle… Le coût des traductions représente
3 millions d’euros par an pour le CNRS ; la ratification lui
permettrait de le réduire de moitié.
Le vrai danger, Jean-Yves Le Déaut l’a rappelé, c’est la
tentation du « tout-anglais ».
M. le Président – Il faut conclure.
M. Claude Birraux – Pour conforter le français et
donner des vitamines aux PME et à l’innovation, je vous invite à
voter en faveur de la ratification ! (Applaudissements sur
divers bancs)
M. Alain Claeys – Je me félicite que l'Assemblée
nationale puisse aujourd’hui débattre de la propriété
intellectuelle, même si je regrette que ce soit dans le cadre
d’une session extraordinaire. La propriété intellectuelle peut
en effet être un outil de régulation de la mondialisation.
Il me semble que des confusions ont été faites cet après-midi.
L’enjeu pour la France est d’éviter la marchandisation. Un
brevet sert à constater une innovation technique précisément
décrite. Le danger est qu’aujourd’hui, on tend à breveter de
plus en plus – dans des domaines comme le logiciel – la
connaissance plutôt que l’innovation. La France et l’Europe ont
ici un combat à mener. Si cette dérive se confirmait, des rentes
de situation se créeraient au détriment de nos laboratoires et
de nos PMI.
La politique des brevets dépend aujourd’hui des trois offices
américain, européen et japonais. Je regrette que la présence de
la France à l’OEB ne soit que symbolique. Il est temps de le
réinvestir, comme le souhaite d’ailleurs son président, Alain
Pompidou. Le protocole de Londres nous le permettra. Si le
français est encore langue officielle pour l’OEB, une bataille
est engagée. Il s’agit de ne pas la perdre.
Il y a un combat à mener pour que l’Europe se dote d’une
véritable politique de la propriété intellectuelle.
Je terminerai sur la francophonie, dont nous sommes tous des
défenseurs. La notice d’un produit français doit être écrite en
français. Nous parlions des étudiants. Il y a quelques années,
j’avais constaté dans le cadre d’une étude que la France
n’accueillait finalement que les étudiants étrangers parlant
français. C’est une erreur. Au risque de provoquer, je pense
qu’il faudrait dispenser des cours en anglais en première année
d’université pour nous permettre d’accueillir des étudiants qui
viendront apprendre le français (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe UMP). Cet accord est une étape sur
le chemin qui nous mène à un brevet communautaire. Je me
félicite donc que le groupe socialiste ait décidé de voter en
faveur de sa ratification (Applaudissements sur divers bancs).
M. Lionel Tardy – Nous allons enfin clore le feuilleton
de la ratification du protocole de Londres.
L'Union européenne a placé au coeur de sa stratégie économique
la recherche et l'innovation, en cherchant à lever les obstacles
qui pénalisent les entreprises. Le protocole de Londres vise
ainsi à faciliter le dépôt des brevets, en limitant les coûts de
traduction qui peuvent représenter jusqu’à 40 % du coût total
d'un brevet. Un dépôt de brevet coûte autour de 27 000 euros,
soit cinq fois plus que pour un brevet américain et trois fois
plus que pour un brevet japonais. Ratifier cet accord est donc
une nécessité pour nos PME, qui ne déposent que 12 % des brevets
français. Réduire le nombre de langues dans lequel le brevet
doit être traduit, c'est le rendre moins cher et permettre à nos
PME de protéger leurs innovations à moindre coût. À l'heure où
il ne peut plus y avoir de croissance sans innovation, c’est
indispensable.
Ratifier cet accord, c'est aussi une question de crédibilité
internationale pour la France. Depuis la signature de l’accord
le 30 juin 2001, rien n’a été fait. Or, l'entrée en vigueur de
cet accord est subordonnée à la ratification de la France. Nos
tergiversations apparaissent au mieux ridicules, au pire
arrogantes pour nos partenaires, qui peuvent avoir l'impression
que la France se regarde une fois de plus le nombril et se moque
du retard qu’elle leur fait subir.
Les opposants à la ratification agitent le drapeau de la
francophonie, brandissent la menace d’un recul de la langue
française et de l'influence de la France. Nous sommes dans
l'irrationnel le plus complet ! Le Conseil constitutionnel ne
s'y est d'ailleurs pas trompé, en déclarant le protocole
conforme à notre Constitution.
La place du français est préservée, puisqu'il est l'une des
trois langues officielles de l'Office européen, et qu'un brevet
rédigé dans notre langue sera valable dans la plupart des pays
membres de cette organisation, sans avoir à être traduit
autrement qu'en anglais et en allemand, et seulement pour la
partie des revendications, qui décrit le périmètre et la nature
de l’invention et produit des effets de droit. Les
revendications des brevets rédigés en anglais ou en allemand
seront à l’inverse traduites en français.
Les descriptions sont beaucoup plus rarement consultées : sur
86 000 nouveaux brevets opposables en France chaque année, moins
de 400 litiges se font jour, et c’est seulement dans 1,7 % des
cas que les descriptions sont consultées. Elles seront traduites
en français pour ces cas résiduels uniquement. Quelle économie
pour nos PME !
La place de la langue française en Europe et dans le monde est
le reflet de la position de notre pays, de sa puissance, de son
image. Si l'usage du français recule, c'est parce que la France
recule. Le meilleur moyen de s’y opposer est de rendre à la
France son dynamisme. Parce que cet accord nous offre une chance
unique de préserver le rayonnement de notre langue, je suis
résolument pour sa ratification ! (Applaudissements sur de
nombreux bancs du groupe UMP)
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État –
Certains se sont étonnés que trois ministres se trouvent
présents au banc du Gouvernement.
M. Jacques Myard – Au banc des accusés !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – C’est
une question de respect du Parlement, s’agissant d’un texte
important pour nos PME, pour la science et la recherche.
Ce protocole marque une avancée dans la bataille mondiale pour
la propriété intellectuelle et industrielle. Sa ratification est
une première étape en vue de conforter notre modèle européen
face aux États-Unis et au Japon. Cette étape devra être suivie
par la création d’un véritable brevet communautaire ainsi que
par l’ouverture de négociations pour faire de l’Office européen
des brevets une institution plus politique et plus efficace. Et
dans la mesure où nous souhaitons une juridiction communautaire,
nous rejetons évidemment le système de l’EPLA.
Je regrette que M. Brard, qui a injustement attaqué M. Kouchner,
ne soit plus parmi nous. M. Kouchner a écrit en 2006 un livre
qui présente une évidence, à savoir que l’anglais est devenu la
langue de la mondialisation, mais aussi dans lequel il préconise
une démarche offensive de la francophonie, en proposant un
trilinguisme qui puisse peser sur les évolutions
internationales. C’est l’approche du protocole.
Ne caricaturons donc pas ses propos !
M. Nicolas Dupont-Aignan – Je n’ai fait que le citer !
M. François Loncle – Ce ne serait pas la première fois
que M. Kouchner dirait des bêtises !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Son
parcours montre qu’il n’est pas un lâche, que c’est un homme
d’honneur, qui s’est battu sur le terrain (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. François Loncle – Comme en Birmanie !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Je
regrette que ceux qui se réclament de l’héritage de Guy Môquet
se livrent à de telles outrances. Au-delà de nos divergences, il
n’y a pas de bons et de mauvais Français ; le prétendre serait
revenir aux périodes noires de notre histoire !
(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
Mme la Ministre - Il est inexact de dire que tous les
grands scientifiques de ce pays ont pris position contre la
ratification du protocole de Londres : l’Académie des sciences,
l’Académie des technologies, le CNRS, le CEA, l’INSERM se sont
prononcés pour, ainsi, du reste, que la Confédération générale
des petites et moyennes entreprises. N’en déplaise à certains,
les PME savent ce qui est bon pour elles !
J’ai bien noté la demande d’une réflexion sur le fonctionnement
de l’Office européen des brevets et sur l’amélioration de notre
droit des brevets, et mon ministère veillera à ce qu’elle soit
suivie d’effet.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – M. Jouyet a
eu raison de dire qu’il n’y avait pas de bons et de mauvais
Français selon les positions des uns et des autres sur le
protocole de Londres. Tous les arguments doivent être entendus.
Le coût des brevets influe inévitablement sur le nombre des
dépôts. En France, la réduction de ce coût en 1996 a conduit à
une augmentation du nombre des dépôts de 2,6 % par an. En
septembre 2005, après la réduction par l’INPI de 25 % de ses
principales redevances, au profit des PME et des centres de
recherche, ce nombre a crû de 3,3 % par an. J’ai indiqué que
cette politique serait poursuivie et étendue.
Prétendre que le protocole offrirait des avantages aux
entreprises américaines n’est pas sérieux. Toute mesure
renforçant le marché européen favorise d’abord les entreprises
européennes, qui y ont l’essentiel de leurs débouchés.
Je tiens à rassurer M. Le Déaut, qui a brandi à la tribune un
texte en anglais de l’OBE sur la ratification du protocole : ce
texte a été traduit en français le jour même de sa publication.
C’est quelque chose à quoi l’administration française veille de
près.
M. Christian Blanc a soulevé la question des traducteurs. Il est
indéniable que le nombre de traductions demandées va diminuer.
Mon ministère est ouvert aux propositions avancées par la
commission des affaires étrangères pour traiter ce problème,
lequel ne saurait cependant nous empêcher de mener une politique
volontariste en faveur de l’innovation et, donc, de ratifier le
protocole de Londres (Applaudissements sur de nombreux bancs
du groupe UMP).
MOTION D’AJOURNEMENT
M. le Président - J’ai reçu de M. Jacques Myard une
motion d’ajournement déposée en application de l’article 128,
alinéa 2, du Règlement.
M. Jacques Myard – C’est l’honneur du député que de
parler selon ses convictions, et je n’ai pas pour habitude de
changer les miennes.
M. François Goulard – Hélas !
M. Jacques Myard – C’est son devoir de se lever pour
dire : « Non ! », lorsqu’il estime que les intérêts de la nation
sont en cause.
M. Bernard Deflesselles – Debout, Monsieur Myard !
(Rires)
M. Jacques Myard – Je suis debout, cher collègue, et si
vous ne me voyez pas, vous m’entendrez !
Telle est l’attitude que j’ai toujours adoptée, et que je
conserverai, même si je dois m’opposer à mes amis, avec qui je
partage nombre de valeurs.
Il nous faudrait donc ratifier l’accord de Londres modifiant le
régime linguistique de la convention sur le brevet européen.
Pourtant, en juillet, Mme la ministre se félicitait des
performances de la France, deuxième pays en Europe pour le dépôt
des brevets. Et voici qu’aujourd’hui, soudain, rien ne va plus :
les coûts des traductions seraient trop élevés. Attitude pour le
moins incohérente…
Mme la Ministre - Non : nous ne voulons pas nous
contenter de la deuxième place !
M. Jacques Myard – Nous devrions donc absolument ratifier
ce protocole.
M. Bernard Deflesselles – C’est de bon sens.
M. Jacques Myard – Un bon sens à reculons… M. Novelli,
dont d’autres propositions vont, elles, dans le bon sens, sait
d’ailleurs très bien que ce protocole présenté comme un deux
ex machina ne servira à rien. On nous dit que la baisse des
coûts a permis au nombre de dépôts d’augmenter de 2 ou 3 %, mais
c’est une quasi-stagnation ! Nouvel aveu d’inutilité…
À vrai dire, ce protocole présente au moins un avantage : nous
n’aurons plus à exiger la traduction des descriptions de brevets
allemands. Dont acte ! Pour le reste, on prétend que le coût du
dépôt est un frein à l’innovation ; M. Jouyet s’indignait même
ce matin qu’il y ait vingt-trois régimes linguistiques dans le
système européen de brevets. Quelle manipulation ! Chacun sait
que les brevets n’ont pas besoin d’être validés dans l’ensemble
des États, mais dans les quatre ou cinq plus grands seulement,
ouvrant ainsi l’accès à un vaste marché – et l’interdisant du
même coup aux entreprises des petits pays. Voilà qui suffit à
bloquer le système.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !
M. Jacques Myard – Le brevet communautaire est inutile,
puisque le système actuel fonctionne à peu de frais. En exigeant
une validation dans tous les États membres, vous ne ferez
qu’accroître les coûts, sauf à baisser les redevances.
On prétend que le coût des traductions, rédhibitoire, pourrait
atteindre 40 % du coût du dépôt. Mais non ! La validation et la
traduction n’ont lieu que trois ou quatre années après le dépôt
à Munich, lorsque l’invention concernée est assurée d’emporter
un marché de près de quatre cent millions d’habitants. Ce n’est
que lorsque le brevet validé permet une exploitation en
situation de monopole pour vingt ans que le coût de la
traduction s’élève à 10 % du coût global.
J’ai ici la lettre d’un gérant de PME…
M. Jean-Michel Fourgous – Il y a deux millions et demi de
PME en France !
M. Jacques Myard – …qui déplore le fait que la
traduction, cheval de bataille du protocole de Londres, ne soit
qu’une goutte d’eau dans l’océan des taxes imposées pour la
protection des brevets. Et pour cause : 75 % du coût d’un brevet
sont dus aux redevances à l’OEB, et non aux traductions, qui ne
représentent dans les grands pays que 6 000 euros pour un coût
total de 70 000.
M. Jean-Michel Fourgous – Le problème du coût se pose dès
le dépôt, et non quelques années plus tard ! Avez-vous jamais
déposé un seul brevet ?
M. Jacques Myard – Pas moins que vous ! La traduction
n’est nécessaire qu’après validation par l’OEB.
M. Jean-Michel Fourgous – Elle est donc inutile,
par-dessus le marché !
M. Jacques Myard – On prétend que la ratification
française fera boule de neige ailleurs. C’est faux : vous ne
convaincrez ni l’Espagne ni l’Italie, qui savent bien où est
leur intérêt.
M. Jean-Michel Fourgous – N’essayez pas de faire croire
qu’elles défendent votre position : elles préfèrent le
tout anglais !
M. Jacques Myard – Non : elles traduiront dans leurs
langues. De surcroît, l’Autriche et l’Irlande ne participeront
pas non plus à cet accord.
Mme la Ministre - L’Irlande l’a déjà signé.
M. Jacques Myard – J’en viens à l’asymétrie bien plus
grave encore, entre le système mondial de l’OEB, et sur laquelle
personne ne m’a répondu – M. le rapporteur a même prétendu qu’en
l’espèce, les rapports avec les États-Unis ne nous concernaient
pas. La belle affaire ! L’accord sur la coopération en matière
de brevets de 1970 permet à un brevet européen de bénéficier
d’une extension aux États-Unis – c’est d’ailleurs le cas de la
plupart des brevets français déposés à Munich. La traduction
anglaise est donc indispensable. Et la réciproque ? Nenni ! Avec
l’accord de Londres, les brevets américains seront valides en
France sans traduction (MM. Folliot et Dupont-Aignan
applaudissent). Nous servons donc sur un plat d’argent un
avantage immense aux Américains !
M. Jean-Michel Fourgous – Et voici le couplet
antiaméricain !
M. Jacques Myard – Je ne suis pas antiaméricain, cher
collègue ; je suis avant tout Français ! Les Américains ont
parfaitement compris que le brevet n’était pas seulement un
monopole d’exploitation, mais aussi une arme contre la
concurrence – et c’est bien ce qu’il faudrait enseigner dans nos
écoles de commerce ! La technique est simple : ils étendent à
l’étranger un brevet valide entouré d’un chapelet de brevets
sans valeur qu’il faut traduire pour vérifier. Nos entreprises
sont ainsi confrontées à une forêt de brevets américains dont la
plupart ne valent pas un clou. Combien de petits entrepreneurs
français ont-ils ainsi été menacés de procès par des cabinets
américains ? Mme la ministre a beau défendre les recherches
d’antériorité qu’effectue l’OEB, celui-ci ne fait qu’appliquer
une politique de boutiquier : plus nombreux sont les brevets
acceptés, plus abondantes sont les redevances. La combinaison du
protocole de Londres et de l’accord de 1970 instaurera donc une
concurrence déloyale. Gribouille n’aurait pas fait mieux !
Ouvrons les yeux ! La France a déjà les brevets les moins chers
d’Europe. Ce n’est pas en diminuant encore les coûts que vous en
augmenterez le nombre.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Ce n’est pas
non plus en les augmentant… (Sourires)
M. Jacques Myard – Certes. Plus grave encore, Madame la
ministre – je m’adresse à vous qui sortez d’une maison où
quelques Hurons pensent encore le droit - : le problème soulevé
par M. Vauzelle de l’accès au droit dans sa propre langue. Vous
invoquez la traduction des revendications, fût-elle mauvaise
voire incompréhensible. Sachez que 93 % des brevets traités à
Munich sont libellés en anglais ou en allemand ; 27 % d’entre
eux concernent la chimie lourde. Allez comprendre un brevet dans
une telle discipline sans traduction : c’est coton ! Avez-vous
déjà vu un brevet ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – On en a même
déposé !
M. Jacques Myard – Alors vous avez un avantage sur moi.
M. Jean-Michel Fourgous – C’est à vous que cela ferait du
bien !
M. Jacques Myard – J’ai travaillé sur la propriété
intellectuelle avant vous.
D’après M. Jouyet, les revendications sont l’essentiel d’un
brevet et les descriptions ne servent pas à grand-chose : cela
lui sera reproché sa vie durant ! (Rires) J’ai ici un
brevet dont je peux vous lire les revendications : elles sont
rendues absolument incompréhensibles par des renvois incessants
aux descriptions. Or, pour sept pages de revendications, il y en
a cent soixante-dix-huit de descriptions ! Comment voulez-vous
donc comprendre les unes sans les autres ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Mais
vous aurez les descriptions !
M. Jacques Myard – Monsieur Jouyet, calmez-vous
(Éclats de rire dans l’hémicycle).
M. le Président – Monsieur Myard, pas vous ! Pas ça !
M. Jean-Michel Fourgous – C’est vraiment Au théâtre ce
soir.
M. Jacques Myard – Il n’est pas possible de comprendre la
portée d’un brevet si vous ne disposez pas de la description
dans votre langue.
M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !
M. Jacques Myard – C’est une évidence ! Tous les conseils
en brevets, tous les industriels le savent. Prétendre le
contraire est une malhonnêteté intellectuelle. Il a fallu quatre
ingénieurs musclés pour traduire le brevet japonais que j’ai
ici ! C’est bien la preuve qu’une pauvre petite PME sera
complètement perdue.
M. Jean-Michel Fourgous – Mais quel est le rapport ?
M. Jacques Myard – Si vous ne comprenez pas le rapport,
c’est que vous n’avez pas compris ce qu’est un brevet.
Selon M. Goulard, l’important est la veille technologique. Dans
ce domaine, les entreprises rencontrent de réels problèmes : les
traductions ne sont faites en effet que si un brevet est validé,
quatre ou cinq ans après son dépôt. On peut regretter que des
traductions minimales, en dehors de la langue de travail, ne
soient pas prévues dès l’origine. En vous focalisant sur les
revendications, au détriment des descriptions, vous oubliez
qu’un brevet vit vingt ans. Et les PME ont le plus grand mal à
se retrouver dans cette masse – sachant qu’il y en a cent mille
nouveaux par an. Au bout de cinq ans, elles n’auront rien vu de
ce qui était en cours, incapables qu’elles sont d’avoir accès
aux descriptions en langue anglaise – sans même parler de
l’allemand. Se pose dès lors un problème constitutionnel grave :
celui de l’accès au droit dans sa langue. Imaginons que je sois
une PME française.
Plusieurs députés UMP - Une TPE ! (Rires)
M. Jacques Myard – Si vous voulez : small is beautiful !
Au bout de cinq ans, un Américain ou un Allemand me tombe sur le
râble en m’accusant de contrefaçon – délit pénal ! Nous nous
retrouvons au tribunal pour un procès. Mais je suis désolé, je
n’ai pas su qu’il y avait contrefaçon parce que je n’ai rien
compris au brevet ! On ne peut pas m’appliquer une loi pénale en
se fondant sur une langue qui n’est pas la mienne ! C’est un
problème grave, sur lequel le Conseil constitutionnel ne s’est
pas prononcé dans la fameuse décision que j’avais provoquée.
M. Jean-Michel Fourgous – Et qui a été rejetée.
M. Jacques Myard – Comme vous.
On va donc pouvoir condamner une entreprise française sur la
base d’un texte étranger. Ne venez pas me dire qu’il sera
traduit, parce que ce sera trop tard !
M. Jean-Michel Fourgous – Et cela arrivera dans combien
de cas ?
M. Jacques Myard – La contrefaçon est un délit objectif
et l’entreprise française sera définitivement coincée, sur la
base d’un texte qu’elle n’a pas compris.
Nous avons tout à l’heure accepté la CBE 2000 – j’ai voté pour.
Mais cette convention permet de modifier les revendications en
fonction des descriptions, et de modifier la portée juridique du
brevet en cours de vie, sans examen au fond par l’OEB. Cela veut
dire, et c’est extrêmement important, que le brevet va évoluer
en fonction des descriptions ! Il faut aller chercher dans les
descriptions non traduites des éléments supplémentaires pour
limiter la portée du brevet : c’est le sens de l’article 105 B.
Cela crée une incertitude juridique majeure.
On entend dire que les descriptions sont très peu consultées :
il y a tout de même 2 000 consultations par an.
M. Jean-Michel Fourgous – Nous n’avons pas les mêmes
chiffres !
M. Jacques Myard – Je ne sais pas comment vous obtenez
les vôtres. Cela signifie que 2 000 entreprises vont voir ce
qu’il en est à l’INPI, ce qui est loin d’être négligeable – sans
compter toutes celles qui sont découragées par la perspective
d’avoir à fouiller dans le fatras de papiers de l’institut, à
l’ère de Google. J’espère que l’INPI va recevoir des
instructions très fermes pour la mise en ligne des brevets,
traduits bien sûr.
Je vais maintenant soulever un point qui me reste en travers de
la gorge : ce que vous oubliez soigneusement de dire, c’est que
le chef de la mission française qui a signé le protocole en 2000
l’a fait en contradiction flagrante avec ses instructions ! Je
connais ce milieu : j’ai trop souvent vu des hauts
fonctionnaires français bafouer les intérêt nationaux. Je peux
vous donner des noms ! Pourquoi le feraient-ils ? Parce qu’après
avoir été directeur de l’INPI, on peut devenir directeur de
l’OEB, et peut-être même plus encore, et que c’est plus facile
en faisant risette aux Anglo-saxons ! Voilà ce qui s’est passé
dans la signature du protocole de Londres : l’individu qui a
lâché la langue française l’a fait en contrevenant aux
instructions gouvernementales.
La langue française, c’est notre identité. Je voudrais vous
mettre en garde : qu’on le veuille ou non, dans dix ans, la
France aura une immense bibliothèque de brevets en anglais et un
petit peu en allemand. Il n’y aura pas 10 % de publications
françaises.
M. Jean-Michel Fourgous – C’est déjà le cas !
M. Jacques Myard – Pas du tout, ils sont tous traduits
aujourd’hui ! Nous disposons aujourd’hui d’une phénoménale
bibliothèque en langue française. Le protocole de Londres
aboutira à ce que notre bibliothèque scientifique soit en langue
anglaise et allemande. Voilà une avancée fantastique pour le
français !
C’est très grave. Les hommes ne se battent pas pour le coût
d’une traduction, mais ils peuvent se battre pour leur langue.
La Belgique est en train d’imploser. La Yougoslavie a explosé à
cause de querelles linguistiques. L’URSS pour partie aussi, et
l’Autriche-Hongrie. Demain, je suis convaincu que les États-Unis
auront un problème majeur avec la poussée des Hispanophones.
Prenez garde. Une colère formidable est en train de monter dans
les entreprises françaises, relayée par tous les syndicats, y
compris de cadres, face à l’emploi de l’anglais. Cette
ratification vient à un mauvais moment. Elle est perçue comme
allant dans le sens du tout-anglais. Cette colère va se
retourner contre vous – ça a déjà commencé !
Les bénéfices promis par le protocole de Londres sont donc
parfaitement illusoires. Le faible nombre des dépôts en France
est dû à l’absence d’enseignement – nous l’avons tellement clamé
que vous commencez à l’entendre. Il est aussi dû, même si cela
ne fait pas plaisir, au fait que les entreprises françaises
n’ont pas confiance dans le système judiciaire français.
Pourquoi déposer un brevet si on met dix ans à gagner un procès
en contrefaçon ? C’est la raison pour laquelle les entreprises
se concentrent sur leurs secrets de fabrication, qu’elles
gardent jalousement.
On nous dit que si nous ne ratifions pas ce protocole, nous
serons isolés. Et alors ?
M. François Goulard – Voilà ce que ça donne, d’être
isolé !
M. Jacques Myard – Je suis très loin d’être isolé ! Vous
avez juridiquement tort, et donc politiquement aussi.
Aujourd’hui, le français est langue de l’OEB. Rien ne peut s’y
opposer, même s’il y avait un accord germano-quelque-chose en ce
sens. Relisez la convention de Vienne sur les traités : il n’y a
aucun danger ! Alors, ça ne fait rien d’être isolé : quand on
est seul, on tient bon, et on gagne ! (Applaudissements sur
quelques bancs)
Mme la Ministre - M. Myard a évoqué mon appartenance à
une belle maison qui défend le droit. À propos du principe du
droit à plaider dans sa langue, je lui rappelle que le Conseil
constitutionnel a considéré que le protocole de Londres ne
portait pas atteinte à l’article de notre Constitution qui
dispose que la langue de la République est le français.
M. Jacques Myard – Ce n’est pas de cela que je parlais !
Mme la Ministre - Si le Conseil constitutionnel avait
estimé que le protocole de Londres portait atteinte au droit de
plaider dans sa langue, il l’aurait jugé contraire à l’article 2
de notre Constitution. En cas de litige, la traduction du brevet
sera obligatoire devant les juridictions françaises…
M. Jacques Myard – Ce sera trop tard !
Mme la Ministre - …et le coût de cette traduction sera à
la charge du déposant.
Pour le reste, vous avez présenté les trois ministres présents
au banc du Gouvernement comme vendus au tout-anglais.
M. Jacques Myard – Je n’ai pas dit cela.
Mme la Ministre - Vous avez en tout cas parlé de
fonctionnaires se laissant acheter, ce qui est d’ailleurs
injurieux à leur égard. Ce n’est pas le cas. Ce que nous
voulons, c’est préserver la langue française dans le cadre du
brevet européen.
Si en tant que ministre de l’enseignement supérieur, je souhaite
développer le multilinguisme à l’université, c’est pour donner
un avenir à nos jeunes, et non parce que je n’aime pas le
français (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe
UMP).
M. le Rapporteur – Monsieur Myard, vous avez reproché au
protocole de Londres, à ses défenseurs, notamment à moi-même,
d’être naïfs dans l’approche de la concurrence, et dit que ce
texte désarmerait les entreprises françaises et européennes face
à leurs concurrentes américaines et japonaises. C’est tout le
contraire puisqu’il sera désormais possible, par le simple dépôt
d’un brevet en français, de protéger son invention sur
l’ensemble du marché européen. Or, pour nos entreprises,
notamment les PME, l’essentiel est de se protéger sur leur
marché. Ce n’est que dans un deuxième temps que se pose pour
elles le problème de l’accès au marché américain, et ce n’est
pas un scoop, Monsieur Myard, de dire que pour pénétrer ce
marché, il leur faut traduire leurs brevets en anglais. Cela n’a
rien à voir avec le protocole de Londres qui permettra au
contraire à nos entreprises et à nos chercheurs de mieux
défendre leur compétitivité.
Vous avez également prétendu que ce protocole portait atteinte à
l’accès au droit dans la langue française. Je ne reviens pas sur
la décision du Conseil constitutionnel qu’a excellemment
rappelée la ministre, non plus que sur les garanties apportées
en cas de litige. Que le français soit l’une des langues
officielles de l’Office européen des brevets garantit à nos
entreprises et nos chercheurs que le cœur du brevet, qui définit
le champ de la propriété industrielle, sera systématiquement
traduit en français. Pour que nos entreprises puissent assurer
une veille technologique efficace, il faut que cette traduction
en français ait lieu assez tôt, et tel sera bien le cas.
Vous vous êtes ensuite inquiété des conséquences de l’accord de
Londres sur la place du français comme langue scientifique,
prédisant l’apparition de bibliothèques avec des millions
d’ouvrages scientifiques en anglais - mais elles existent déjà !
- et en allemand, sans d’ailleurs vous demander pourquoi
l’Allemagne, qui a exactement le même problème linguistique que
nous, a choisi de ratifier le protocole de Londres. Du seul fait
qu’il demeure langue officielle de l’Office européen des
brevets, privilège ô combien convoité et contesté par beaucoup
de nos partenaires européens, le français verra son vocabulaire
scientifique enrichi au fur et à mesure du dépôt des brevets.
L’important pour nos amis francophones africains, québécois,
belges ou suisses, est que le français demeure une langue
scientifique et technologique.
« Qu’importe l’isolement ? », avez-vous dit enfin (M. Myard
s’exclame). Il y a certes du panache dans votre attitude,
celui de Don Quichotte défiant le monde entier. Mais il est du
devoir de la représentation nationale de défendre avec lucidité
les intérêts de la France en Europe. Notre isolement risquerait
de favoriser l’évolution naturelle vers le tout-anglais. C’est
pourquoi il est urgent de ratifier le protocole de Londres et
donc de repousser cette motion d’ajournement. Les débats ont été
riches et toutes les sensibilités ont pu s’exprimer depuis huit
ans. Chacun a été suffisamment éclairé pour voter en son âme et
conscience (Applaudissements sur la plupart des bancs du
groupe UMP).
La motion d’ajournement, mise aux voix, n’est pas adoptée.
ARTICLE UNIQUE
M. le Président – J’appelle maintenant, dans le
texte du Gouvernement, l’article unique du projet de
loi.
M. Jacques Myard – L’Assemblée va
vraisemblablement ratifier ce protocole. Eh bien, je
vous donne rendez-vous ici dans un ou deux ans pour un
état des lieux objectif. Vous verrez alors que ce
protocole n’aura servi à rien pour le dépôt des brevets.
Je demanderai alors que notre pays dénonce ce qui est
une ineptie.
M. Daniel Fasquelle – Si ce débat a suscité
autant d’intérêt et même de passion, c’est qu’au-delà
d’une question technique, il s’agit de la place de la
France et du français en Europe, et de la capacité de
nos entreprises à innover pour remporter demain la
compétition économique, devenue européenne et mondiale.
Notre pays doit profiter du débat ouvert par la
ratification de ce protocole pour prendre diverses
initiatives à l’occasion de sa présidence de l’Union.
Ainsi faudrait-il faire adopter sans retard le brevet
communautaire et trouver un accord sur le dispositif
judiciaire européen de lutte contre la contrefaçon,
comme la Commission européenne en a d’ailleurs exprimé
le souhait dans une communication d’avril 2007. C’est
ainsi que nous pourrons faciliter la vie de nos
entreprises et défendre au mieux nos intérêts, notamment
linguistiques. Nous y sommes parvenus pour les marques,
pour lesquelles il existe un règlement communautaire
depuis décembre 1993. Il n’y a aucune raison que nous
n’aboutissions pas en matière de brevets. Jean-Pierre
Jouyet en est lui aussi convaincu. Je souhaite qu’il
puisse faire régulièrement le point devant la délégation
à l’Union européenne sur l’état d’avancement des
discussions.
À l’échelon national, il faudra créer un environnement
favorable à l’économie de la connaissance. Valérie
Pecresse et Hervé Novelli s’y attachent. Outre
l’importante loi sur les universités adoptée en juillet
dernier, d’autres mesures d’accompagnement sont prévues,
dont certaines ont été suggérées par notre rapporteur.
Permettez-moi, en tant que juriste, d’en ajouter deux.
Tout d’abord, il est indispensable d’améliorer le
système judiciaire français de lutte contre la
contrefaçon, notamment en créant une juridiction unique
comme il en existe une pour les litiges relatifs au
droit de la concurrence.
M. le Rapporteur – Tout à fait.
M. Daniel Fasquelle – La crainte d’années de
procédure à l’issue incertaine décourage en effet au
moins autant, sinon davantage, le dépôt de brevets que
le coût de ceux-ci. Il faudrait en second lieu fusionner
la profession de conseil en propriété industrielle avec
celle d’avocat. Ce qui fait la force des Anglo-saxons,
ce sont aussi leurs professionnels puissamment
organisés.
M. le Rapporteur – Vous avez raison.
M. Daniel Fasquelle – Les nôtres sont aujourd’hui
trop peu nombreux et trop isolés.
En conclusion, je voterai la ratification du protocole
de Londres dans l’espoir qu’elle soit l’élément
déclencheur nous permettant d’élaborer une législation
nationale plus favorable à l’innovation et une
législation communautaire encore davantage tournée vers
l’économie de la connaissance et qui respecte la devise
de l’Union européenne : « Unis dans la diversité »
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Philippe Folliot – La présence de trois
ministres au banc du Gouvernement atteste de
l’importance du débat d’aujourd’hui, qui suscite des
clivages au sein même des groupes.
Je me demande si on ne fait pas porter trop de
responsabilités au protocole de Londres. Mettre en avant
presque exclusivement la question de la traduction des
brevets ne correspond pas à la réalité. L’un des
principaux problèmes n’est-il pas que nos entreprises
n’utilisent certes pas assez le dépôt de brevet pour se
protéger contre la contrefaçon, mais aussi que le brevet
est parfois utilisé de manière anti-concurrentielle ?
Les entreprises allemandes déposent trois fois plus de
brevets que les nôtres, alors même que les règles
actuellement en vigueur et les coûts de traduction qui
en découlent sont les mêmes pour toutes. Ensuite, le
coût de la traduction ne représente sur la durée que
10 % à 15 % du coût total du brevet : on ne peut donc
tout lui imputer. Enfin, si nos PME veulent pouvoir
assurer une veille technologique efficace, comme les
brevets ne seront plus accessibles en français, elles
devront soit embaucher des cadres anglophones ou
germanophones, soit engager des dépenses de traduction.
On a parlé des coûts de traduction pour les entreprises
qui déposent des brevets, mais non pour celles qui les
consultent.
Quant aux questions juridiques qui ont été abordées,
s’agissant notamment de l’accès au droit, je ne suis
guère convaincu par les arguments évoquant une
traduction qui ne pourra venir que trop tard, une fois
le contentieux engagé.
Nous devrions prêter davantage d’attention aux avis
d’une institution – l’Académie française – dont on a
coutume de dire qu’elle est composée de sages et qui est
l’une des plus anciennes non de la République, mais de
la nation ! Pourquoi ne pas nous inspirer de ceux qui
préfèrent les lettres aux chiffres, l’esprit à l’argent,
les principes durables aux gains immédiats ? S’agissant
de deux villes – Munich et Londres – qui n’évoquent
certes pas les mêmes souvenirs, ne renonçons pas à
l’esprit de résistance !
Enfin, comme le disait Anatole France en 1921, « la
langue française est une femme » (sourires), « et
cette femme est si belle, si fière, si hardie, si
touchante, si voluptueuse, si chaste, si noble, si
familière, si folle, si sage, qu’on l’aime de toute son
âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. »
Ne donnons pas tort à Anatole France !
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Nouveau
centre et du groupe UMP)
M. Marc Dolez – Le vote auquel notre Assemblée
s’apprête à procéder est sans doute le plus important de
la législature, car il engage l’avenir de la langue
française. Or le texte qui nous est soumis présente
plusieurs dangers.
Tout d’abord, la réforme linguistique des régimes de
brevet permettra de déposer en France des brevets
rédigés dans l’une des trois langues de référence, sans
obligation de traduction intégrale en français ; ainsi,
la description pourra ne pas être traduite, alors
qu’elle est aussi essentielle que les revendications
puisqu’elle constitue la contrepartie de l’exclusivité
d'exploitation conférée par le brevet, à tel point que
de nombreuses causes de nullité ne sont liées qu’à elle
seule. Refuser de le reconnaître, c’est méconnaître le
droit !
Ensuite, le pourcentage de brevets s’appliquant en
France et traduits en français passera de 100 % à 7 %
seulement, puisque telle est la part des brevets
actuellement déposés en français dans les pays
signataires du protocole. Ainsi, aux frais liés au dépôt
du brevet qui pèsent sur les PME innovantes s’ajouteront
les frais de traduction qu’elles devront consentir pour
se tenir informées du dépôt de brevets dans leur
domaine.
Enfin, la terminologie technique et scientifique
francophone subira des pertes inexorables, ce qui
pénalisera le français sur la scène internationale. Loin
d’alimenter une francophonie vivante, la ratification du
protocole de Londres constitue ainsi une étape décisive
vers l’abandon du français au profit du tout anglais.
En somme, néfaste pour notre économie, néfaste pour nos
entreprises, ce texte menace davantage encore le
rayonnement de notre langue. Lorsque l’essentiel est en
cause, chacun doit prendre ses responsabilités ; voilà
pourquoi, au nom du respect de la diversité linguistique
et de l’avenir de la francophonie, refusant de voir la
France abdiquer sa souveraineté linguistique, je voterai
résolument contre ce texte (Applaudissements sur
quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et
divers gauche).
M. Nicolas Dupont-Aignan – Bravo !
M. Pierre Lequiller – Je suis étonné d’entendre
des critiques aussi grandiloquentes et aussi
paradoxales. M. Mathus prétendait tout à l’heure que
l’examen du texte était mené au pas de course ; je
rappelle – ce qui va dans le sens des propos de M. Birraux
– que, dans un rapport publié dès mai 2006 dont j’avais
eu, avec M. Daniel Garrigue, l’initiative, la délégation
pour l’Union européenne s’est prononcée à l’unanimité
moins une voix en faveur du protocole de Londres.
Il est également paradoxal d’accuser le protocole de
brader la place de la langue française comme langue
officielle de l’Office européen des brevets, alors qu’il
la consacre. Le français est du reste la langue la plus
parlée au sein de l’OEB, qui emploie 1 500 francophones
sur 6 000 fonctionnaires.
Paradoxe encore que la référence à l’Italie et à
l’Espagne, non signataires du texte, car c’est justement
parce que ces deux pays, forts d’une langue prestigieuse
et, dans le cas de l’Espagne, parlée dans de nombreux
pays du monde, regrettent de ne pas la voir figurer au
nombre des langues officielles de l’OEB qu’ils n’ont pas
signé le protocole !
M. le Rapporteur – Il a raison !
M. Pierre Lequiller – Et nous nous tirerions une
balle dans le pied en refusant de ratifier le
protocole ? Nous devrions bien plutôt prendre exemple
sur l’Allemagne, qui l’a ratifié parce qu’il consacre le
statut de langue officielle de l’allemand.
Paradoxe enfin que les accusations adressées à un
protocole qui, en abaissant le coût des brevets,
favorisera en réalité aussi bien le dépôt de brevets par
des PME que les travaux des chercheurs, de sorte qu’il a
le soutien à la fois du CNRS, de l’Académie des
sciences, de l’Académie des technologies et de la CGPME.
Le français en sortira consolidé dans la perspective du
futur budget communautaire – à cet égard, je souscris
entièrement aux propos de M. Fasquelle.
N’oublions pas le contexte européen : ne décevons pas
les attentes que nous suscitons, nous qui prétendons
être au cœur de l’Europe ; ne donnons pas, contre nos
intérêts, des signes de frilosité ! Au moment où nous
cherchons à valoriser la recherche française et
européenne grâce à la stratégie de Lisbonne, et à la
veille de la présidence française de l’Union, la France
doit au contraire être offensive et conquérante. Cela
suppose que la place de la langue française dans les
domaines de la recherche et de l’innovation dépende
d’abord de l’importance et de la qualité de notre effort
en matière de recherche - mise en place d’un réseau
efficace d’accompagnement de nos PME, meilleure
valorisation de la recherche publique. Efforçons-nous de
renforcer la place de la recherche française en Europe
et d’améliorer la recherche européenne afin de remédier
à nos faiblesses en matière de dépôt de brevets, au lieu
d’accuser les autres de problèmes qu’il ne tient qu’à
nous de résoudre ! (Applaudissements sur plusieurs
bancs du groupe UMP).
L’article unique du projet de loi, mis aux voix,
est adopté.