Sujet : Résister contre le tout anglais : des Japonais, aussi !
Date : 13/08/2007
Envoi de : Dominique Couturier(courriel : dominik.couturier(chez)wanadoo.fr)Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

 

Je suis actuellement en voyage au Japon, après avoir assisté au 92e congrès d'espéranto, du 4 au 11 août.

Ce congrès réunissait environ 1900 participants, dont environ 900 Japonais.

Je pense que l'intervention du professeur Yukio est susceptible de vous intéresser.



______________________________________________________
 



Un fait : "L'Occident au dessus de l'Orient"

Intervention de Tsuda Yukio*,
lors de l'ouverture du 92 congrès d'espéranto de Yokohama (4-11 août 2007)

 

Bonjour. Merci de m'avoir invité. Je vous félicite de tout coeur pour l'organisation de ce 92 congrès d'espéranto.

Ici, il serait certainement pertinent de parler en espéranto, mais veuillez me permettre d'utiliser ma langue maternelle. Je désire parler du thème du congrès : "L'Occident en Orient, acceptation ou résistance".

Cette année, de janvier à mai, j'ai enseigné dans une université californienne et dans d'autres endroits des États-Unis, et j'ai donné des conférences sur le thème : hégémonie ou domination de l'anglais. C'est cette expérience que je veux vous rapporter aujourd'hui.

Le thème du congrès exprime de façon intéressante la tension entre l'Orient et l'Occident. L'Occident a certes pénétré profondément en Orient. En fait, sur de nombreux plans, l'Orient s'est occidentalisé. Par exemple, notre mode de vie, à nous, Japonais, le montre clairement. Nous nous sommes habitués à manger Mac Donald's et à boire du Coca Cola. Nous nous habillons aussi à l'occidentale, et nous logeons à l'européenne. Il reste à peine quelques logements japonais traditionnels.

Pourquoi l'Occident a-t-il pu à tel point pénétrer le monde entier? Une des raisons en est que les occidentaux croient à "l'universalité" de leur culture et civilisation, et ont imposé ceci au monde entier par le pouvoir militaire et économique. Les Occidentaux ont fait évoluer les sciences et techniques, envahi le monde entier, et affirment, que la totalité du monde doit devenir occidental.

Par l'intermédiaire de ce prétendu "universalisme occidental" et de "l'impérialisme culturel", le monde entier s'est occidentalisé. En ce sens, l'expression "l'Occident au-dessus de l'Orient" est plus appropriée que "Occident en Orient". L'Orient a dû accepter l'Occident. Cette occidentalisation a eu lieu dans le monde entier pendant les cinq derniers siècles. La modernisation signifie en fait l'occidentalisation du monde entier.

Mais quand les Orientaux ont compris qu'ils se perdaient dans cette occidentalisation effrénée, ils commencèrent à résister. Les Orientaux firent des efforts pour reconquérir leur souveraineté. Mais au Japon, par exemple, après la deuxième guerre mondiale, est apparu le règne des "États-unis au-dessus du Japon". Cela perdure encore aujourd'hui. Pendant les 60 dernières années, le Japon a de plus en plus adopté le mode de vie des É.U.A.

Aujourd'hui on parle de mondialisation. Mais en fait c'est d'américanisation qu'il s'agit. Ce qui vient des États-unis est devenu la norme mondiale: sur le plan économique le dollar, et pour la communication, l'anglais.

Devons-nous accepter une telle situation sans résister ? N'est-il pas pertinent de réfléchir à une communication équitable et à une égalité linguistique ? À l'heure actuelle, l'anglais domine toutes les autres langues. Ainsi, les locuteurs de l'anglais jouissent d'un grand avantage, alors que les autres font l'expérience d'une "discrimination linguistique".

J'ai dit aux États-Uniens, que le règne de l'anglais est la cause d'une "discrimination linguistique". Ils m'ont contredit avec énergie, en disant que le monde avait choisi l'anglais. Où est le problème ?

Je réfutai : "Actuellement, nous n'avons pas la liberté de NE PAS choisir l'anglais". J'attirai leur attention sur le fait que la grande puissance de l'anglais mondial entrave l'usage d'autres langues, mais pour les États-Uniens, il est évident que l'anglais est la langue mondiale. Ils ne voulurent pas reconnaître l'existence d'un problème.

Mais voici ce qu'était la réaction des États-Uniens à mes avertissements : "On a besoin de l'anglais pour vivre. L'anglais est la clé du succès et de la prospérité".

Je réfutai : "Chaque langue, chaque culture est indispensable et doit être protégée".

De nouveau ils me contredirent : "Une langue et une culture changent sans cesse. En outre, si une langue disparaissait, la culture resterait".

À nouveau je les contredis : "Il n'est pas possible de séparer une langue de la culture et de l'identité".

La discussion dura ainsi sans fin. Apparemment, mon point de vue choquait les États-Uniens.

Mais le fait même qu'ils s'opposaient avec énergie est significatif. En quel sens significatif ? Leur opposition à mon argumentation montre en fait à quel point la suprématie de l'anglais est importante pour eux. C'est grâce à ce fait qu'ils gardent leur avantageuse position dans le monde. Mon point de vue va justement contre cela. Donc, il est tout à fait naturel que les anglophones refusent une critique qui menace leur position et leur profit. Je tiens à mentionner un autre point important. Ce qui manque à beaucoup de locuteurs de l'anglais c'est tout simplement la morale d'une égalité dans la communication. C'est pourquoi ils voient la suprématie de l'anglais comme un phénomène naturel.

Pour contrer cette conscience faussée, il faut une résistance sévère. Moi même je m'efforce de résister en écrivant et en faisant des conférences sur ce problème de la suprématie de l'anglais.
Je considère que le mouvement espérantiste est lui aussi un mouvement contre l'anglais mondial. L'existence de l'espéranto interroge déjà profondément cette suprématie de l'anglais. Dans mon intervention d'aujourd'hui, j'avais l'intention de faire prendre conscience que "L'Occident en Orient" signifie en fait "L'Occident au-dessus de l'Orient". Notre défi est de rendre équitable la relation entre l'Orient et l'Occident. Pour cela, une simple acceptation ne suffit pas. Il est plus important de résister.

Et dans cette résistance, le mouvement espérantiste peut jouer un rôle important. Par exemple, les espérantistes peuvent contribuer à la réforme de l'enseignement des langues. Je souhaite que l'évolution de votre action continue.

Merci de votre attention.

(traduction et interprétation de Kimura Gorou)

plus d'information, voir: http://en.wikipedia.org/wiki/Yukio_Tsuda

* Doctoral Program in Modern Cultures and Public Policies of the Graduate School of Humanities and Social Sciences, University of Tsukuba, Japon
 

 

Réaction de M. Charles Durand :

Je connais bien les écrits de Yukio Tsuda. D'ailleurs, j'ai  publié un article sur son travail, vous pouvez voir cet article à l'adresse suivante :

http://www.revue-libres.com/Sommaire3.htm

 

Je ne connais pas d'autres Japonais engagés dans la même démarche bien qu'il soit probable que Tsuda ait des concitoyens partageant ses opinions, mais je pense que leur influence dans la société japonaise est à peu près nulle.

Je ne pense pas qu'il faille mettre tous les Anglo-Saxons dans le même panier. Je connais des Anglais et des Étasuniens qui militent dans le cadre de nos idées. Cependant, j'ai pu moi-même faire une expérience similaire à celle de Tsuda aux États-unis, à savoir que la plupart des habitants de ce pays, même passablement éduqués, pensent réellement que la connaissance de leur langue apporte progrès, bienfaits et richesse et qu'elle est indispensable à la vie moderne.

Je ne crois pas que, lorsqu'ils affirment cela, les Étasuniens pensent à leurs propres intérêts. Ils croient réellement ce qu'ils disent. Aussi absurde et prétentieux que cela puisse paraître, nous sommes bien obligés de constater qu'ils pensent réellement que le monde actuel ne peut exister sans eux. C'est une donnée fondamentale à propos des Étasuniens et je pense que l'on peut affirmer qu'il s'agit là presque d'une maladie mentale collective. De telles personnes sont réellement à soigner. Il est probable que, tôt ou tard, le jour où viendra la prise de conscience que le monde n'a nullement besoin des États-unis pour
vivre et progresser, ce jour représentera le début d'une crise de conscience majeure pour le pays.

Charles Durand