Le
Devoir - Montréal,
Québec, Canada
.... On le sait, c'est l'anglais qui a réussi où
l'espéranto a échoué :
une langue mondiale pour faciliter les échanges de
tous ordres. ...
<http://www.ledevoir.com/2004/06/15/56971.html>
Lettres : L'anglais devient vite une sorte d'espéranto
Gilles Bousquet
Juin 2004
Édition du mardi 15 juin 2004
Pour
réduire les problèmes causés par les nombreuses langues parlées sur
terre, M. Zamenhof a créé une langue qu'il voulait universelle vers
1887 sans trop de succès pratique.
La preuve en est qu'il y a encore plusieurs langues de grande diffusion
utilisées comme langue de travail à l'ONU : l'anglais, le français,
l'espagnol, le russe, le chinois, l'arabe, le portugais, l'allemand, les
langues turques, l'hindi-ourdou, les langues austronésiennes et le
japonais. Il faut y ajouter plusieurs autres langues et dialectes, ce
qui représente une belle tour de Babel terrestre.
À cause des nombreuses conquêtes anglaises et des succès de nos
voisins états-uniens, une seule langue se distingue maintenant des
autres par son utilisation mondiale dans les communications, la finance
et le commerce. On le sait, c'est l'anglais qui a réussi où l'espéranto
a échoué : une langue mondiale pour faciliter les échanges de tous
ordres.
Les autres langues vont demeurer encore longtemps, au moins, pour les
affaires culturelles, mais il sera de plus en plus difficile de
fonctionner sans la langue anglaise qui a pris la première place
mondiale et qui n'est pas près de la lâcher. Cette constatation nous
force à conclure qu'on doit, tout en améliorant notre français qui en
a bien besoin, apprendre l'anglais très tôt dans la vie.
On ne peut pas, malheureusement, ne pas tenir compte d'un tel courant
plus longtemps. Ne pas tenir compte d'un fait ne le fait pas disparaître
pour autant.
Réponse
de M. Henri Masson (espero.hm@club-internet.fr)
Il
peut être démontré que la quasi totalité des personnes --
intellectuels, journalistes, enseignants, hommes politiques, décideurs
-- qui utilisent le mot "espéranto" dans un contexte
semblable à "L'anglais devient vite une sorte d'espéranto",
n'en connaissent à peine plus que le nom (voir "L'anglo-américain,
devenu l'espéranto de notre siècle..." en section documents de
<www.esperanto-sat.info>).
Si l'espéranto n'a pas connu "trop de succès pratique",
selon M. Gilles Bousquet, il conviendrait de dire, au contraire, au vu
de la présentation qui en a trop souvent été faite, que c'est
extraordinaire qu'une telle langue ait survécu, connaisse un tel champ
d'applications et un tel essor, alors tout a été mis en oeuvre pour
que le public croit aveuglément qu'il n'est point de salut en dehors de
l'anglais, que l'espéranto n'est qu'une utopie, que c'est inutile, que
ça ne sert à rien, que ça n'a pas marché, etc.. Qu'est-ce qu'on a pu
lui casser sur les reins ! Si les régimes totalitaires ont une lourde
part de responsabilité dans cette situation, il faut ajouter que la bêtise
épaisse et l'absence d'esprit critique ont largement contribué aussi
à cet état de fait.
Sur le plan linguistique, la précision d'une langue n'est pas liée à
sa complexité grammaticale. En quoi la complexité de la conjugaison et
les verbes irréguliers (près de 300 en anglais), la prononciation
variable d'une lettre, l'accent d'intensité indéfinissable, impossible
à déterminer de façon logique, l'identification confuse de la
fonction grammaticale, les homonymes et les tournures idiomatiques
innombrables, les polysémies (21 120 significations pour les 850 mots
du vocabulaire de base de l'anglais !) ou le genre pour les objets (en
français), et autres règles incohérentes et impossibles à expliquer
simplement et clairement, apportent-ils plus de précision ? La
connaissance requise pour comprendre un texte ordinaire à 99%, c'est-à-dire
nécessitant la consultation d'un dictionnaire pour un mot inconnu sur
cent, est de 7000 mots en anglais contre 2000 en espéranto (y compris
ses affixes). Des recherches ont démontré que l'anglais, de par ses
aspects linguistiques, offre le terrain le plus propice qui soit à la
dyslexie. Et c'est une telle langue qui est imposée d'emblée aux
enfants, de plus en plus jeunes, comme première langue étrangère !
Comme "langue mondiale pour faciliter les échanges de
tous ordres", il existe beaucoup plus adéquat que l'anglais,
mais le poids des préjugés et de l'ignorance est tel que presque tout
le monde croit encore qu'il faut se maintenir dans les ornières de la
routine. En raisonnant selon le même principe, il aurait fallu renoncer
au traitement informatique des données, ou au téléphone du fait qu'au
départ il n'avait que trop peu d'usagers. Certains entravent la
progression de l'espéranto comme d'autres ont retardé l'usage des
chiffres arabes ou refusent encore le système métrique.
L'espéranto est une langue
très riche, nuancée, et il n'y a pas lieu de le comparer avec cet
anglais souvent qualifié à tort de "langue de Shakespeare",
appauvri, limité, abâtardi et massacré, ce "Broken English"
ou "Bad English" dans lequel tous les verbes restent à
l'infinitif, à la façon de "moi parler anglais mais moi pas
comprendre toi si toi parler trop vite". Pitié pour Sakespeare !
L'espéranto a été conçu pour la communication entre peuples de
langues différentes, pour être aisé à apprendre par n'importe lequel
d'entre eux, indépendamment de sa langue maternelle, pour permettre un
maximum de fidélité dans la transmission des valeurs culturelles sans
les entacher. Ce n'est pas le cas de l'anglais dont l'expansion
est essentiellement liée à un passé colonialiste, puis impérialiste,
à une volonté expansionniste et dominatrice, et non à une supériorité
linguistique. "Il faut être un vaurien pour réussir dans l'armée",
avait dit le maréchal Montgomery qui, soit dit en passant, a fort bien
réussi ! C'est au libre choix de gens mieux éduqués et plus
cultivés que la moyenne que l'espéranto doit ses conquêtes, sans
recours aux armes et à des corps expéditionnaires, sans pillage ni
oppression, sans semer la terreur, la dévastation et la mort. Le Québec
n'est-il pas l'une des portions de notre planète où l'on devrait
justement être capable d'y réfléchir avec plus de profondeur ?
En apparence, pour les natifs anglophones, la langue de leur pays,
donc leur langue nationale, est le meilleur choix
imaginable de langue internationale. Chose curieuse : personne ne relève
le fait qu'aucune langue nationale, apparemment idéale pour une entité,
ne l'est pour l'ensemble des autres, à plus forte raison quand ces
"autres" représentent 92% de l'humanité ! Il n'est cependant
pas pour autant la langue idéale pour eux, puisque l'encyclopédie
Encarta en recense 38 variantes. De plus, ceux d'entre eux qui maîtrisent
l'espéranto lui préfèrent celui-ci dans les relations internationales
: voir sur <http://www.phon.ucl.ac.uk/home/wells/>
un exemple éminent en la personne du professeur John C. Wells, l'un des
plus brillants spécialistes au monde de la phonétique de l'anglais.
Sur les plans de l'équité, de l'efficacité, des délais et des coûts
d'acquisition, l'espéranto est imbattable, et même incontournable.
Certains opposent le "succès" de l'anglais à "l'échec"
de l'espéranto. Mais parler de "succès" quand il n'y a
qu'une minorité dérisoire de ceux qui ont appris l'anglais à grands
frais et avec beaucoup de peine qui peuvent débattre d'égal à égal
avec un natif anglophone montre un certain degré de naïveté,
d'inconscience, d'ignorance, voire de conditionnement : puisque tout le
monde le dit, tout mouton de Panurge qui se respecte se doit de suivre
cette voie !
Cette situation d'inégalité des chances, d'inéquité, s'observe dans
les négociations et les débats importants qui engagent le sort de
centaines de millions d'hommes ou même de l'humanité tout entière
: institutions européennes, sommets de Rio ou de Kyoto, etc.. Les
intervenants natifs anglophones tiennent le haut de la tribune et il n'y
a à peu près qu'un intervenant sur quatre non natif qui ose s'exprimer
en anglais, même si son niveau de compétence du sujet traité est plus
élevé que la moyenne ! La maîtrise de l'anglais a ainsi plus de poids
que la compétence dans telle ou telle spécialité. Même le président
Chirac, qui a séjourné aux États-Unis pour se perfectionner, a affirmé
publiquement qu'il n'utilise jamais l'anglais pour des négociations
importantes. Alors, que dire de centaines de millions de gens qui n'ont
pas eu et n'auront jamais la possibilité de séjours linguistiques de
longue durée en pays anglophones ? Et ceci sans parler du
handicap financier de tous les pays qui dépensent des sommes
astronomiques pour gaver leurs citoyens, et surtout leurs enfants, à
l'anglais au détriment de bon nombre d'urgences budgétaires ! Et ceci,
mieux encore, au profit des pays dominants de l'anglophonie, ce qui
avait amené un directeur du British Council à déclarer que
"le véritable or noir de la Grande-Bretagne n'est pas le pétrole
mais la langue anglaise" !
Dans
l'Union européenne, l'anglais permet à la Grande-Bretagne d'imposer
ses choix avec une grande facilité puisque, par exemple, le traitement,
l'examen, la compréhension des dossiers et les décisions qui en découlent
sont retardés par la nécessité de traduire. Où que ce soit, au
niveau mondial aussi, la contrainte de s'exprimer en anglais permet aux
pays anglophones dominants d'avoir toujours plusieurs longueurs
d'avance. Pendant que les autres attendent les traductions, ils
disposent toujours d'un délai supplémentaire pour étudier leur stratégie,
pour fomenter leurs coups bas. Il n'est pas rare que des représentants
de pays non anglophones soient ainsi amenés à signer des contrats ou
des traités insuffisamment étudiés, ou qu'ils ont plus ou moins bien
compris du fait des contraintes de temps.
Et certains osent parler de "réussite" !
La réussite incontestable est du côté de ceux qui veulent, par
l'anglais, imposer un ordre dans lequel tout va et ira toujours très
bien pour eux, mais dans lequel tout va et ira de travers pour l'humanité.
L'espéranto a donc plus que jamais sa raison d'être.
À quand un dossier sur ces questions dans LE DEVOIR ?
Leur examen, avec plus de profondeur, avec moins de superficialité,
n'est-elle pas un DEVOIR prioritaire ?
Bien cordialement.
Henri Masson
Coauteur, avec René Centassi,
ancien rédacteur en chef de l'AFP,
de "L'homme qui a défié Babel",
paru simultanément en seconde édition avec la traduction en espéranto
chez L'Harmattan, Paris, 2001. Traduction en cours en espagnol.
<espero.hm@club-internet.fr>
Tel & Fax : + 33 02 51 31 48 50
http://www.esperanto-sat.info