Jaromir
Kohlicek, l'un des députés tchèques au Parlement européen, n'aime
pas faire de vacheries. Il y en a quand même une qui le démange. Il
songe à s'adresser à la Commission des transports et du tourisme,
dont il est membre, en... tchèque ! Il ne sera compris que par ses
compatriotes. Les autres n'entendront que le silence dans leurs
casques ; il n'y aura personne pour traduire ses propos. Avant l'élargissement,
Bruxelles avait promis que les langues des nouveaux pays
deviendraient, dès le 1er mai, langues officielles des institutions
européennes. Force est de constater que cette décision est restée
lettre morte. La plupart des réunions doivent toujours se passer
d'interprètes tchèques, lituaniens ou slovènes, et la majorité des
documents de travail ne sont disponibles que dans les langues des
anciens membres. "Les documents que l'on nous remet avant la réunion
de la Commission ne contiennent le plus souvent qu'une seule page en
tchèque : l'ordre du jour", explique Kohlicek. Les sujets à
traiter, quant à eux, sont développés en anglais ou en allemand.
On n'élit pas un député sur ses compétences
linguistiques
Les interprètes sont indispensables au Parlement européen. "Personne
ne peut demander aux députés de maîtriser des langues étrangères
; ils n'ont pas été élus pour leurs compétences linguistiques
!" précise Patrick Twidle, responsable du recrutement des
interprètes à Strasbourg. Quatre cents interprètes des nouveaux
pays devaient rejoindre le Parlement. À l'heure actuelle, moins de la
moitié des postes sont pourvus. La Commission et le Conseil européens
ne s'en sortent pas mieux. Les besoins en traducteurs de ces deux
institutions s'élèvent - rien que pour le tchèque - à 135
personnes, mais celles-ci sont difficiles à trouver. Si les candidats
ont été 410 à se présenter au concours, seuls 80 ont réussi à
franchir le barrage de l'écrit et à se présenter aux oraux. Le taux
de réussite a été encore plus faible chez les interprètes : des 1
147 candidats, 45 seulement ont été admis à l'oral. Quant aux
autres langues de l'Europe centrale et orientale, les résultats ont
été sensiblement similaires, et Bruxelles prend de plus en plus de
retard dans la traduction des directives. Bien que près d'un million
et demi de pages aient pu être traduites rien que pour la Commission,
on est loin du compte. "Actuellement, nous avons un retard de
60 000 pages", reconnaît Erik Mamer, porte-parole de la
Commission européenne. "Si rien n'est fait, le retard
atteindra 300 000 pages dans trois ans, et cela risquera de devenir
ingérable. "La pénurie de traducteurs est aussi à
l'origine du retard de l'administration tchèque et de celle des
nouveaux pays d'Europe dans l'adoption des nouvelles directives. "Lorsque
l'UE prépare une nouvelle législation, nous recevons le plus souvent
tous les documents en anglais", explique Dusan Uher,
directeur de la Commission gouvernementale pour l'harmonisation de la
législation. "Nous devons les faire traduire par les
traducteurs assermentés nationaux, et cela prend du temps. "Si
la plupart des novices européens sont plutôt indulgents envers
l'administration de Bruxelles, l'Europe elle-même considère la
situation comme grave. C'est pour cela que, au mois de mai dernier,
Romano Prodi, président sortant de la Commission, a sommé les députés
d'être brefs dans leurs communications écrites. Leurs rapports ne
devraient pas dépasser quinze pages, alors qu'aujourd'hui ils en
comportent en moyenne cinquante. Espérons que les bonnes intentions
du président ont déjà pu être traduites.
Simona
Holecová et Zuzana Kleknerová