Mardi 09 mai 2006 - PARIS (AP) - Grand Témoin de la
Francophonie aux Jeux olympiques d'hiver de Turin en février,
Lise Bissonnette a remis un rapport accablant mardi : la langue
française ne fait plus le poids face à l'anglais.
La présidente de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et ancienne directrice du Devoir tire la sonnette d'alarme
dans le document remis à Paris à Abou Diouf, le secrétaire
général de la Francophonie.
"Le français, qui fut 'la' langue des Jeux il y a un siècle,
est devenu une langue de cérémonie, une étiquette à
laquelle on continue à déférer dans les occasions d'élégance,
tandis qu'à l'usage il n'est plus que langue seconde, ou
tierce, au mieux", dit-elle dans les conclusions de ce
rapport intitulé "La place et l'usage de la langue française
aux Jeux olympiques d'hiver de Turin 2006".
La Charte olympique, texte fondateur des Jeux de l'ère
moderne, continue d'affirmer dans sa version la plus récente,
amendée en septembre 2004, que "les langues officielles
du Comité international olympique sont le français et
l'anglais".
Cette règle 24 indique encore qu'"en cas de divergence
entre le texte français et le texte anglais de la Charte
olympique et de tout autre document du CIO, le texte français
fera foi sauf disposition expresse écrite contraire".
Sur le terrain, la réalité est toute autre.
"Passion lives here" (la passion vit ici), le slogan
unilingue en anglais choisi par les responsables de l'image de
"Torino 2006", omniprésent dans la capitale piémontaise,
"a offert à l'anglais une prépondérance symbolique
sans égale", note le rapport.
Tous les billets mis en vente pour donner accès aux épreuves,
et même à la cérémonie d'ouverture et de clôture, étaient
rédigés en anglais et en italien uniquement. Dans les "Olympic
stores", les produits officiels étaient uniquement étiquetés
en anglais et en italien.
Lors des compétitions, l'affichage électronique des résultats
n'était proposé qu'en anglais.
Concernant les médias, l'information "à chaud"
offerte par intranet pour les journalistes accrédités ne l'était
qu'en anglais. Les données de référence, comme les
biographies des athlètes, étaient proposées dans une
version beaucoup plus détaillée en anglais.
Pour la presse audiovisuelle, la "Torino Broadcasting
Organisation" chargée de produire le signal et de le
transmettre aux médias ayant acquis les droits, a fourni des
images avec incrustations exclusivement en anglais.
"Ces incrustations, point de référence de millions de téléspectateurs
de par le monde, se devraient donc d'être exemplaires quant
au respect de la règle 24 de la Charte olympique", note
le rapport.
Au vu de l'importance de l'audiovisuel, le Comité International
Olympique (CIO), qui s'est toujours dit attaché
aux principes de la Charte olympique, va bénéficier d'une
occasion unique de faire évoluer la situation actuelle: à
compter de 2010, il deviendra lui-même diffuseur hôte, c'est-à-dire qu'il produira le signal audiovisuel. "Aucune
assurance ne nous a été donnée quant à une intention ou
volonté de modifier la procédure actuelle", s'inquiète
pourtant Lise Bissonnette.
La Canadienne s'étonne de n'avoir reçu durant son séjour
aux Jeux en sa qualité de Grand Témoin "aucune
invitation du CIO ou du TOROC (le comité d'organisation) à
exercer cette représentation".
L'avènement de "l'ère du marketing*" des Jeux,
devenu un événement majeur autant sur le plan sportif que
sur le plan économique, a accéléré le processus
d'amoindrissement du français. La langue de travail des
"sponsors" est l'anglais.
"Le caractère particulier des olympiques et leur
tradition culturelle s'effacent à l'entendement des jeunes
organisateurs professionnels qui traient l'événement
olympique comme toute autre vaste manifestation internationale
génératrice de fortes retombées économiques", indique
le rapport.
Comment le français peut-il survivre, un siècle après la création
du CIO et la refondation des Jeux par le baron Pierre de
Coubertin à Paris en 1894?
"Il devient impératif d'adopter un cadre réglementaire
(...), d'insérer dans le cahier des charges du comité
organisateur de la ville hôte des dispositions précises et
contraignantes énumérant ses engagements dans le domaine des
langues officielles", préconise le rapport.
*
Note de l'A.FR.AV, mercatique en français