Le texte retransmis ci-dessous, susceptible d'intéresser tous ceux qui se préoccupent de l'avenir du français scientifique et des combats qui ont lieu en son nom, est un commentaire fait dans MYCOLOGIA EUROPAEA, forum électronique international de mycologie, par son propriétaire. L'intervention commentée (suivie d'une première réponse) se trouve à la fin.
Lorsque le Slovène Gregor Podgornik, quatre messages seulement avant celui de N*** Van V***, nous a indiqué la page d'accueil de nos collègues autrichiens en les complimentant, cela n'a attiré aucun commentaire, donc aucune critique, de ma part. La revue publiée par les Autrichiens (Österreichische Zeitschrift für Pilzkunde) admet en effet des articles en allemand, en anglais et en français, ce qui, en permettant l'usage de plusieurs langues usuelles de la mycologie, en fait une publication internationale a priori digne de ce nom.
Dans le cas de Mycologia balcanica, les choses sont toutes différentes. Le site de la société bulgare qui publie la revue en question est intégralement et uniquement en anglais, langue qui est aussi la seule acceptée pour les articles publiés par cette revue. Ce site est d'ailleurs visiblement rédigé, corrigé ou entretenu par un anglophone de naissance, puisqu'on y détecte les tics de langage actuels de cet univers, jusque dans ses détails (par exemple and/or, sans oublier le très « politically correct » his/her), tours que rien ni personne n'impose d'utiliser lorsque, de langue maternelle différente, on écrit en anglais... sinon précisément les rédactions inféodées aux Anglo-Saxons. Cette constatation faite, on n'est guère étonné de découvrir que dans le comité de rédaction de ce journal bulgare se trouvent... un scandinave et un britannique. On a là affaire à un petit groupe de personnes qui, non seulement au nom de la Bulgarie, mais de toute la région, prend l'initiative de publier une revue qui dans son titre renferme l'indication de son origine (balcanica), mais qui, dans les faits, nie radicalement la sensibilité et les mentalités de ceux qu'elle représente (orthodoxes, catholiques, mahométans, etc.), et ce, au profit unique de la subjectivité « néovictorienne » qui va de pair avec la mondialisation. On ne peut s'empêcher de s'interroger sur ce qui a bien pu pousser à entreprendre de publier une revue de cette nature au sein d'une société mycologique fondée en... novembre 1998 !
Dans la mesure où une telle société nouveau-née a l'ambition de créer d'emblée une revue d'envergure internationale, ce qui en soi a déjà de quoi surprendre, la moindre des choses semblerait qu'elle s'en donne les moyens en y autorisant plusieurs langues traditionnelles ou d'usage en mycologie et non pas qu'elle aille s'empresser de discriminer ces dernières au profit d'une seule d'entre elles, donnant ainsi un tour politique à son entreprise, avec tous les conflits potentiels que cela sous-entend inévitablement... à commencer par le présent incident. Qu'elle prenne un tel risque indique aussi qu'elle tire la force d'assumer les conséquences de ces conflits ou, au moins, la conviction de pouvoir le faire, de son sentiment d'appartenance à un groupe tout-puissant, groupe dont elle fait sienne la langue, jusque dans la manière particulière, pour ainsi dire intime, de s'exprimer.
En grand contraste avec cette nouvelle revue bulgare, la revue Mycologia montenegrina, dont le premier numéro a paru en 1998, représentée dans le présent forum par Branislav Peric et publiée par la société mycologique du Monténégro, pays englobé dans la zone que prétend couvrir Mycologia balcanica, publie des articles sans imposer de limitation sur les langues employées (serbe, français, italien, anglais, etc.), ce qui ne l'empêche pas de se définir - à tout le moins aussi légitimement que la revue bulgare - comme journal publiant des « articles scientifiques et de recherche dans le domaine de la mycologie ». Des propos semblables peuvent être tenus en ce qui concerne la revue Moeszia. Erdelyi Gombasz (articles acceptés en hongrois, roumain, français, allemand, anglais), revue publiée par la société roumaine Kalman Laszlo, représentée parmi nous par Gyozo Zsigmond (université de Bucarest).
Et pour couronner le tout, il faudrait maintenant que nous souhaitions ici, dans le forum Mycologia europaea, la bienvenue à cette nouvelle revue bulgare, alors qu'elle est l'antithèse même de l'esprit de notre forum, où l'on s'attache à défendre la diversité linguistique et rejette donc l'uniformisation par le tout anglais, et non content de cela, il faudrait que nous le fassions ce 20 mars, c'est-à-dire le jour même de la fête mondiale de la francophonie, qui plus est, alors que la Bulgarie est un pays membre à part entière de l'Organisation internationale de la francophonie !
Cela me rappelle irrésistiblement un événement de la vie politique islandaise, à savoir lorsque le gouvernement islandais eut l'outrecuidance de présenter à Vigdís Finnbogadóttir (qui lit ces lignes en même temps que vous), présidente de la République d'Islande, pour qu'elle la ratifie, le jour même de la Journée de la femme, une loi votée en catastrophe par l'assemblée nationale (Althing) et dont l'objet unique était de faire cesser de force une grève des hôtesses de l'air en la rendant illégale ! Vigdís refusa de signer. Tous, y compris ses adversaires du moment, la respectent pour ce qu'elle fit alors et qui, croyez-moi, est et restera une source de fierté permanente pour les Islandais. Et pour les femmes. Toutes les femmes.
Une bonne fin de journée à tous,
Jacques Melot, propriétaire et administrateur du forum Mycologia europaea
P.-S. Je tiens à préciser que ce malheureux incident n'entame pas ma conviction en ce qui concerne les opinions de N*** Van V***, que je sais être nettement en faveur du plurilinguisme et, plus généralement, de la protection de la diversité biologique et culturelle. Je m'en prends essentiellement à un avatar d'une mondialisation dévastatrice, dont les sectateurs connaissent toujours moins de retenue et dont on peut craindre sérieusement qu'elle mène à de sanglantes guerres civiles.
À des gens qui n'ont même pas ne serait-ce que les premiers rudiments ou une façade de fierté de leur langue, au point de ne pas se soucier s'ils sont compris de ceux qui, dans leur propre pays, s'intéressent aux champignons (leur site est intégralement et exclusivement en anglais, de même que leur revue qui n'accepte aucune autre langue, qui plus est, dans une région où l'anglais est dans l'ensemble mal compris et peu répandu, le russe y étant encore récemment la langue véhiculaire) et qui, de surcroît, prennent l'initiative de représenter l'ensemble des pays balkans, qu'ils soient slaves ou de sensibilité différente ! Leur souhaiter la bienvenue, et ce, dans un forum animé en permanence par le souci de préserver la diversité linguistique, souci qui est même une des principales raisons de son existence ? JAMAIS !
Le 24-03-2004, à 18:39 +0000, nous recevions de Thomas Muenzmay :
Ich fürchte, dass die übertriebene und rigorose Anwendung bzw. Bevorzugung der englischen Sprache zu einer kulturellen Verarmung führt. Unsere Sprachen - gesprochen und gelebt - sind ein wesentlicher Bestandteil unserer Kultur und unseres Selbstverständnisses. Nicht umsonst haben Eroberer früherer Jahrhunderte als erstes neben der Religion auch die Sprache der Eroberten unterdrückt. Deutschland ist ein Land mit zahlreichen Kulturen, die sich auch in den Sprachen, den verschiedenen Mundarten, zeigen. Die Kinder von heute lernen diese Mundarten aber nicht mehr sprechen. Es gibt immer weniger Menschen, die noch in der Lage sind in ihrer "eigenen" Mundart ihrer Muttersprache! zu reden. Diese Sprachen werden aussterben! Inzwischen gibt es Vereine und Gesellschaften, die sich für den Erhalt der Mundarten einsetzen, doch wird sich die Entwicklung damit nicht aufhalten lassen. Wenn die Mundarten verschwunden sein werden, wird Deutschland einen Teil seiner Kultur und die Menschen einen Teil ihrer Identität verloren haben.
Es ist zu befürchten, dass irgendwann die deutsche Sprache verschwinden wird.
Du côté des non anglophones, l'engouement pour l'anglais ou simplement son choix comme solution unique est fondé sur le désir de se débarrasser une fois pour toutes et à bon prix de la question des langues : mais cette attitude, parce qu'elle est une recherche du moindre effort, déteint sur l'apprentissage même de l'anglais et comprend en soi un germe d'échec irréductible : ceux qui s'y laissent prendre, fait bien connu, ne sont pas de bons anglicistes non plus. La politique du tout anglais rouleau compresseur est aussi l'expression d'une forme de mépris, lequel, parfois, ressort à l'insu de ses partisans. C'est ainsi que dans les instructions pour les auteurs de la revue bulgare incriminée on peut trouver cela, qui a de quoi faire bondir les rédactions consciencieuses des revues mycologiques :
Écrire une chose pareille, au-delà de la faute professionnelle qui consiste à ne pas contrôler le latin des diagnoses et donc aussi leur contenu, est dire tout le respect que ces gens ont pour le latin et la légalité du Code de nomenclature botanique ; elle laisse aussi transpirer l'idée qui les habite vraisemblablement que la multiplication des exemples de mauvais latin contribuera, les petits ruisseaux sont les grandes rivières, à la suppression de son caractère obligatoire dans le Code et à son remplacement par l'anglais.
Pour
paraphraser les Américains, « Ce qui ne coûte rien, ne vaut
rien » (No pain, no gain) ou en français plus traditionnel,
« On n'a rien sans effort ». Oui, l'apprentissage des
langues nécessite un effort - la vie allégée (« light »)
est un dangereux leurre -, mais cet effort dont le néophyte en la
matière se fait une montagne, n'est en rien insurmontable. Et quand
bien même il le serait, qu'il faudrait bien en passer par là :
le naturaliste dans l'exercice de son métier doit de manière
incontournable savoir se débrouiller du trésor de la matière écrite
ces derniers siècles et celle-ci l'est dans diverses langues.
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