On
le sait, le raz de marée de l'anglomanie dans le milieu des affaires
(pour ne parler que de lui) se manifeste, chaque jour davantage,
notamment, par une véritable explosion du recours à la diglossie,
formule qui consiste à faire coexister des termes de deux langues dans
le même énoncé. Dans son excellent ouvrage "Pourquoi
veulent-ils tuer le français ?", le professeur
Bernard Lecherbonnier faisait remarquer que "demeurée
pendant un temps l'apanage des grandes firmes étrangères, cette mode
s'est emparée des entreprises françaises qui s'adressent aux Français
comme s'ils étaient tous nés dans le Bronx".
On en trouvera un nouvel exemple en pièce jointe, parmi une foule
d'autres, car il n'est pratiquement plus un seul produit ou service lancé
en France qui ne soit désormais désigné par une combinaison de mots
anglais et français. Il s'agit d'une publicité reçue tout récemment
par les clients de l'opérateur de téléphonie "Télé 2" en
faveur de "Le very important portable"
(peut-être une allusion des "créatifs" auteurs de cette
publicité, des jeunes gens par définition, au fameux VIP de "very
important personality" ?). Quoi qu'il en soit, non seulement
ce charabia, ce massacre du français, comme du reste de l'anglais,
ne veut rien dire, mais encore atteint-on là, semble-t-il, un pic dans
la sottise.
Dans le même ordre d'idées, notons que les épargnants français qui
ont des avoirs dans l'immobilier reçoivent depuis quelque temps des
relevés de comptes ou d'opérations émis par des sociétés françaises
affublées pour les désigner d'acronymes nouveaux, parfaitement
inconnus d'eux à ce jour, tels que "REM"
(pour "real estate management") ou "REIM"
(pour "real estate investment management"). En quelques
mois, tous les grands groupes financiers français semblent avoir débaptisé
leurs filiales spécialisées dans le secteur immobilier pour les doter
ainsi de raisons sociales partiellement ou totalement formulées en anglais.
Il y a un an (voir L'e-journal de l'iab
n° 102), nous avions rendu compte du projet de loi du sénateur Philippe
Marini, rapporteur général de la commission des finances,
du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, maire
de Compiègne, "complétant la loi du 4 août
1994 relative à l'emploi de la langue française" (dite
aussi "loi Toubon"). Ce
texte étend par exemple aux enseignes commerciales et aux dénominations
sociales qui utilisent des termes étrangers, ignorées de la loi
Toubon, l'obligation d¹une traduction et d¹une explicitation en
français (art. 2 et 3). Ce projet avait été adopté par le Sénat,
à l¹unanimité, le 10 novembre 2005.
Faire approuver ce si judicieux projet par l'Assemblée nationale est évidemment
une autre affaire. Encore faut-il le feu vert de l'exécutif, maître de
l'ordre du jour parlementaire. On sait celui-ci, en effet, fasciné,
comme nombre de ses grands commis, par le modèle américain, bien hésitant,
bien peu déterminé sur ce sujet, plutôt porté à la résignation
sinon à "la capitulation en rase campagne"
(éditorial du n° 85 de Le Cinquième Monde).
"Que, sous la pression de la mondialisation,
et gagné par ses mirages, l'État n'ait plus en France aujourd'hui, la
politique linguistique offensive d'autres fois" (Claude
Hagège) est une évidence. Et probablement l'exécutif
s'estime-t-il même bien incapable, à l'heure du "turbo-capitalisme"
et de la mondialisation, d'endiguer le raz de marée de l'anglicisation
forcée et de faire respecter des dispositions protectrices par les
entreprises commerciales qui toutes, qu'elles soient de droit
français ou non, les petites comme les grandes, celles qui sont encore
dites publiques comme les autres, aspirent à la multinationalité et
qui voudraient ne plus connaître d'autres lois que celles des marchés.
Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
contact@iab.com.fr