Sujet : Un nouveau mal, la diglossie !
Date : 09/11/2006
De : Jean-Pierre Busnel   (courriel : contact(chez)iab.com.fr)     Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

On le sait, le raz de marée de l'anglomanie dans le milieu des affaires (pour ne parler que de lui) se manifeste, chaque jour davantage, notamment, par une véritable explosion du recours à la diglossie, formule qui consiste à faire coexister des termes de deux langues dans le même énoncé. Dans son excellent ouvrage "Pourquoi veulent-ils tuer le français ?", le professeur Bernard Lecherbonnier faisait remarquer que "demeurée pendant un temps l'apanage des grandes firmes étrangères, cette mode s'est emparée des entreprises françaises qui s'adressent aux Français comme s'ils étaient tous nés dans le Bronx".

On en trouvera un nouvel exemple en pièce jointe, parmi une foule d'autres, car il n'est pratiquement plus un seul produit ou service lancé en France qui ne soit désormais désigné par une combinaison de mots anglais et français. Il s'agit d'une publicité reçue tout récemment par les clients de l'opérateur de téléphonie "Télé 2" en faveur de "Le very important portable" (peut-être une allusion des "créatifs" auteurs de cette publicité, des jeunes gens par définition, au fameux VIP de "very important personality" ?). Quoi qu'il en soit, non seulement ce charabia, ce massacre du français, comme du reste de l'anglais, ne veut rien dire, mais encore atteint-on là, semble-t-il, un pic dans la sottise.

 

 


Dans le même ordre d'idées, notons que les épargnants français qui ont des avoirs dans l'immobilier reçoivent depuis quelque temps des relevés de comptes ou d'opérations émis par des sociétés françaises affublées pour les désigner d'acronymes nouveaux, parfaitement inconnus d'eux à ce jour, tels que "REM" (pour "real estate management") ou "REIM" (pour "real estate investment management"). En quelques mois, tous les grands groupes financiers français semblent avoir débaptisé leurs filiales spécialisées dans le secteur immobilier pour les doter ainsi de raisons sociales partiellement ou totalement formulées en anglais.

Il y a un an (voir L'e-journal de l'iab n° 102), nous avions rendu compte du projet de loi du sénateur Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, maire de Compiègne, "complétant la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française" (dite aussi "loi Toubon"). Ce texte étend par exemple aux enseignes commerciales et aux dénominations sociales qui utilisent des termes étrangers, ignorées de la loi Toubon, l'obligation d¹une traduction et d¹une explicitation en français (art. 2 et 3). Ce projet avait été adopté par le Sénat, à l¹unanimité, le 10 novembre 2005.

Faire approuver ce si judicieux projet par l'Assemblée nationale est évidemment une autre affaire. Encore faut-il le feu vert de l'exécutif, maître de l'ordre du jour parlementaire. On sait celui-ci, en effet, fasciné, comme nombre de ses grands commis, par le modèle américain, bien hésitant, bien peu déterminé sur ce sujet, plutôt porté à la résignation sinon à "la capitulation en rase campagne" (éditorial du n° 85 de Le Cinquième Monde). "Que, sous la pression de la mondialisation, et gagné par ses mirages, l'État n'ait plus en France aujourd'hui, la politique linguistique offensive d'autres fois" (Claude Hagège) est une évidence. Et probablement l'exécutif s'estime-t-il même bien incapable, à l'heure du "turbo-capitalisme" et de la mondialisation, d'endiguer le raz de marée de l'anglicisation forcée et de faire respecter des dispositions protectrices par les entreprises commerciales qui toutes, qu'elles soient de droit français ou non, les petites comme les grandes, celles qui sont encore dites publiques comme les autres, aspirent à la multinationalité et qui voudraient ne plus connaître d'autres lois que celles des marchés.


Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
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