Sujet : Au sujet de la loi Toubon
Date : 15/01/2007
De : Jean-Pierre Busnel   (courriel : contact(chez)iab.com.fr)     Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

J'ai pris connaissance de l'enregistrement relatif à la loi Toubon (produit par Canal Académie) sur lequel vous avez eu l'amabilité d'attirer mon attention. Il est certainement fort intéressant, quoique, peut-être, parfois, un peu long.

À écouter Me Jean-Claude Amboise, avocat de plusieurs associations de défense de notre langue, la réglementation européenne pourrait apparaître comme le principal obstacle à une bonne application de ladite loi. Pour ma part, je pense que ce sont les pouvoirs publics français qui sont les principaux coupables, les premiers responsables de cette situation. Le droit européen, la subordination de la loi interne aux directives européennes ne sont pas tombés du ciel du jour au lendemain. Ils l'ont bien voulu. Ils résultent de traités et d'accords internationaux divers approuvés au fil des années par les représentants de la France. C'était à eux, aux gouvernements successifs, de veiller à maintenir au français son statut de langue internationale qui était encore le sien au temps du Général de Gaulle, de mieux négocier ces traités ou de refuser de les signer. Mais, de renoncement en renoncement, d'abdication en abdication, d'abandon de souveraineté en abandon de souveraineté, on en est arrivé, en "haut lieu", à ne même plus oser retourner à Bruxelles les documents reçus en anglais. Le problème est bien moins juridique que politique. Il n'a pas son origine à Bruxelles, mais en France, dans les milieux dirigeants, politiques (et aussi économiques, bien entendu).

Je crois bien que c'est M. le professeur Bernard Lecherbonnier dans son très remarquable "Pourquoi veulent-ils tuer le français ?" qui écrit que le personnel politique en était majoritairement à regretter maintenant d'avoir voté la loi Toubon. Il ne fait aucun doute que cette loi gêne la classe politique (de même que la haute administration). Aujourd'hui, elle ne la voterait certainement pas. Elle pense même, très probablement, que moins elle est appliquée et mieux cela vaut (la situation actuelle comble donc ses voeux). Les membres des partis dits de gouvernement, sauf exception, ont trop peur, en préconisant des dispositions protectrices de la langue française, de paraître jouer contre la construction européenne, d'être taxés de "patriotisme", de "nationalisme" ou encore de "souverainisme" (qui sont devenus des gros mots). L'Union européenne est de plus en plus hostile au français (précisément parce que les adversaires de ce dernier voient bien qu'ils n'ont pas grand monde à essayer de leur barrer la route et que la voie leur est ouverte), et ils n'ont ni la volonté, ni la capacité de s'opposer à cette offensive. Il faut toujours se souvenir de la stupéfiante facilité, de la grande légèreté (voir l'éditorial du prochain numéro de Le Cinquième Monde) avec lesquelles le franc (né sous la Révolution) a été sacrifié sur l'autel de la construction européenne. Nombreux sont les politiques, toujours soucieux "d'arracher les hommes à leurs vieilles racines" et d'abattre tout ce qui ferait obstacle à la marche (plus ou moins forcée) du monde vers la modernité, qui, finalement, verraient bien, même s'ils ne le disent pas (encore) ouvertement, le français suivre à terme le sort du franc, au profit d'une langue unique cette fois, celle de l'Europe, l'anglais bien entendu. "Après la monnaie, la langue unique ?. Tel était le titre de l'éditorial du n° 66 (janvier 2001) de notre bulletin. Mais cela sera évidemment une tout autre affaire ...

Que la loi Toubon embarrasse grandement les élus de la République (infiniment plus que les milieux d'affaires qui la transgressent aussi allègrement qu'impunément), il y a  de multiples preuves à cela. Ainsi, en 2004, M. le sénateur Philippe Marini avait déposé un excellent projet de loi destiné à compléter cette loi Toubon. L'IAB avait consacré à ce texte plusieurs développements. On n'en parle plus du tout de ce projet. Il est enterré, aux oubliettes. Pourquoi ? Parce qu'il ne fut pas approuvé par le groupe politique de M. Marini (l'UMP), ni par le parti en question, ni par son président. Il le serait encore moins par le PS. CQFD.

J'ajouterai que la faible efficacité de la loi Toubon doit être rattachée à un phénomène beaucoup plus général, celui de la profonde crise de l'État (du pouvoir), de la représentation politique et de l'affaissement constant de la souveraineté de la loi. Phénomène. Dans un contexte de néolibéralisme triomphant, de "turbo-capitalisme", de globalisation et d'intégration européennel, il serait parfaitement illusoire d'attendre un quelconque retournement à court terme (comme pouvant, par exemple, résulter d'élections présidentielles). Ce recul constant de l'État devant les milieux d'affaires, avec la participation active de ceux qui le dirigent, cet asservissement, même, du politique à l'économique, risquent fort, au contraire, d'aller en s'amplifiant. Comme l'a dit M. Jean Peyrelevade (n° 84 de notre bulletin, p. 8), "Le capital mobile se moque du pouvoir syndical et presque autant du pouvoir politique".

 

Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
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