Sujet : Panurges linguistiques
Date : 28/06/2005
De :    Jacques Myard (jmyard@club-internet.fr)


Panurges linguistiques

par Jacques Myard, Député UMP, président du Cercle Nation et République


Notre peuple de Gaulois excelle dans l’art de s’enticher des idées à la mode. L’apprentissage d’une langue étrangère, de préférence, l’anglais, dès le plus jeune âge, proposé par le rapport Thélot, en est un nouvel exemple. S’il faut admettre que la maîtrise des langues étrangères est notre point faible, ce projet linguistique appelle une double appréciation critique.

Du point de vue pédagogique, il est exact que l’esprit d’un jeune enfant est très accessible à l’apprentissage des langues.

Néanmoins, pour apprendre deux langues à la fois, il est préférable de bénéficier d’un milieu bilingue naturel, qui est donc circonscrit aux enfants nés de couples mixtes ou vivant avec leurs parents dans un pays étranger. Dans la généralité des cas, il faut commencer par apprendre correctement sa propre langue, ample défi dans notre pays où nombre d’enfants ne savent ni lire ni écrire ni parler le français correctement quand ils sortent de l’école primaire. N’est-il pas plus sage de respecter les priorités ? Sinon, le risque est grand de produire des illettrés dans les deux langues.

De plus, ce projet tend à faire accroire que l’apprentissage d’une langue étrangère est facile dès lors qu’on en « apprend la musique » très tôt. Nombre de parents se font des illusions à ce propos. Il faut travailler dur pour maîtriser une langue étrangère et cette acquisition, à douze ans, sera d’autant plus facile pour un enfant qu’il maîtrise sa langue maternelle qui sert alors de référence conceptuelle. L’absence de cette maîtrise conduit à un échec certain.

Mais cette question dépasse le simple choix de l’apprentissage individuel des langues. Elle concerne aussi notre conception du monde et la défense de nos intérêts. A l’évidence, le choix des parents va se porter massivement vers l’anglais, l’une des très grandes langues vernaculaires internationales. Mais elle n’est pas la seule, loin s’en faut, et ceux qui prétendent la parler n’en maîtrisent, le plus souvent, qu’une centaine de mots, ce qui est, peut-être, suffisant pour vendre des cacahuètes…Les limites de cet idiome réducteur seront donc vites atteintes, ne serait-ce que parce que la « langue de communication internationale » n’a plus grand-chose à voir avec la langue du pays de Shakespeare, dont l’apprentissage est exigeant.
Au moment où la plupart des bien-pensants n’ont que le mot « Europe » à la bouche, rappelons que la langue la plus parlée en Europe est l’allemand !

Dans le monde, lorsque l’on veut comprendre un pays, il faut parler sa langue. Comment comprendre la Chine sans connaître le chinois ?. Comment ne pas s’interroger également sur la dérive du monde arabo-musulman, à notre porte, sans être au fait de sa réalité culturelle, sociologique ? Et cette exigence passe nécessairement par la connaissance de la langue de ces pays qui appartiennent à des civilisations où nous voulons avoir une influence et des actions soutenues. Nous devons, dès lors, produire des spécialistes en nombre. Au demeurant, les Français seront d’autant plus prisés qu’ils maîtriseront les langues de ces contrées. Il ne s’agit pas de dédaigner l’apprentissage de l’anglais mais de l’utiliser en complément de l’apprentissage prioritaire d’autres langues, moins à la mode mais plus valorisantes sur le marché du travail.

Enfin ce benoît engouement pour l’anglais est-il compatible avec notre politique culturelle et la défense de la Francophonie ? La France n’a de cesse de soutenir l’enseignement de sa langue dans d’autres pays. 230 000 élèves environ dont 57% d’étrangers sont accueillis dans les établissements scolaires français dans plus de 130 pays et une politique d’attribution de bourses, encore insuffisante, est destinée à des étudiants étrangers issus des lycées français. N’est-on pas en train de saper cette politique et de mettre l’éteignoir sur toute volonté de donner consistance à la Francophonie? Comment inciter les étrangers à apprendre notre langue si nous-mêmes ne jurons que par l’anglais !

La faute est d’autant plus grave que la langue est un vecteur économique d’importance ; elle véhicule non seulement un vocabulaire mais des concepts, des structures de pensée. Ainsi ne peut–on comprendre le recul du droit français face à l’emprise des droits de la « Common law » sans le relier au recul de notre langue. La passivité, la complicité même des élites françaises dans le renoncement à parler leur langue au sein des organisations européennes ou internationales, pour adopter le sabir international, est une atteinte directe à nos intérêts, une nouvelle trahison des clercs.

Dans ces conditions, l’engouement pour l’enseignement quasi exclusif de l’anglais dès l’école maternelle est une inconséquence politique totale. C’est dresser une ligne Maginot linguistique dont l’avenir montrera rapidement l’inanité.

L’intérêt de nos enfants, celui de la France, n’est pas le panurgisme linguistique.