Panurges
linguistiques
par
Jacques Myard, Député
UMP, président du Cercle Nation et République
Notre peuple de Gaulois excelle dans l’art de s’enticher des idées
à la mode. L’apprentissage d’une langue étrangère, de préférence,
l’anglais, dès le plus jeune âge, proposé par le rapport Thélot,
en est un nouvel exemple. S’il faut admettre que la maîtrise des
langues étrangères est notre point faible, ce projet linguistique
appelle une double appréciation critique.
Du point de vue pédagogique, il est exact que l’esprit d’un jeune
enfant est très accessible à l’apprentissage des langues.
Néanmoins, pour apprendre deux langues à la fois, il est préférable
de bénéficier d’un milieu bilingue naturel, qui est donc circonscrit
aux enfants nés de couples mixtes ou vivant avec leurs parents dans un
pays étranger. Dans la généralité des cas, il faut commencer par
apprendre correctement sa propre langue, ample défi dans notre pays où
nombre d’enfants ne savent ni lire ni écrire ni parler le français
correctement quand ils sortent de l’école primaire. N’est-il pas
plus sage de respecter les priorités ? Sinon, le risque est grand de
produire des illettrés dans les deux langues.
De plus, ce projet tend à faire accroire que l’apprentissage d’une
langue étrangère est facile dès lors qu’on en « apprend la musique
» très tôt. Nombre de parents se font des illusions à ce propos. Il
faut travailler dur pour maîtriser une langue étrangère et cette
acquisition, à douze ans, sera d’autant plus facile pour un enfant
qu’il maîtrise sa langue maternelle qui sert alors de référence
conceptuelle. L’absence de cette maîtrise conduit à un échec
certain.
Mais cette question dépasse le simple choix de l’apprentissage
individuel des langues. Elle concerne aussi notre conception du monde et
la défense de nos intérêts. A l’évidence, le choix des parents va
se porter massivement vers l’anglais, l’une des très grandes
langues vernaculaires internationales. Mais elle n’est pas la seule,
loin s’en faut, et ceux qui prétendent la parler n’en maîtrisent,
le plus souvent, qu’une centaine de mots, ce qui est, peut-être,
suffisant pour vendre des cacahuètes…Les limites de cet idiome réducteur
seront donc vites atteintes, ne serait-ce que parce que la « langue de
communication internationale » n’a plus grand-chose à voir avec la
langue du pays de Shakespeare, dont l’apprentissage est exigeant.
Au moment où la plupart des bien-pensants n’ont que le mot « Europe
» à la bouche, rappelons que la langue la plus parlée en Europe est
l’allemand !
Dans le monde, lorsque l’on veut comprendre un pays, il faut parler sa
langue. Comment comprendre la Chine sans connaître le chinois ?.
Comment ne pas s’interroger également sur la dérive du monde
arabo-musulman, à notre porte, sans être au fait de sa réalité
culturelle, sociologique ? Et cette exigence passe nécessairement par
la connaissance de la langue de ces pays qui appartiennent à des
civilisations où nous voulons avoir une influence et des actions
soutenues. Nous devons, dès lors, produire des spécialistes en nombre.
Au demeurant, les Français seront d’autant plus prisés qu’ils maîtriseront
les langues de ces contrées. Il ne s’agit pas de dédaigner
l’apprentissage de l’anglais mais de l’utiliser en complément de
l’apprentissage prioritaire d’autres langues, moins à la mode mais
plus valorisantes sur le marché du travail.
Enfin ce benoît engouement pour l’anglais est-il compatible avec
notre politique culturelle et la défense de la Francophonie ? La France
n’a de cesse de soutenir l’enseignement de sa langue dans d’autres
pays. 230 000 élèves environ dont 57% d’étrangers sont accueillis
dans les établissements scolaires français dans plus de 130 pays et
une politique d’attribution de bourses, encore insuffisante, est
destinée à des étudiants étrangers issus des lycées français.
N’est-on pas en train de saper cette politique et de mettre l’éteignoir
sur toute volonté de donner consistance à la Francophonie? Comment
inciter les étrangers à apprendre notre langue si nous-mêmes ne
jurons que par l’anglais !
La faute est d’autant plus grave que la langue est un vecteur économique
d’importance ; elle véhicule non seulement un vocabulaire mais des
concepts, des structures de pensée. Ainsi ne peut–on comprendre le
recul du droit français face à l’emprise des droits de la « Common
law » sans le relier au recul de notre langue. La passivité, la
complicité même des élites françaises dans le renoncement à parler
leur langue au sein des organisations européennes ou internationales,
pour adopter le sabir international, est une atteinte directe à nos intérêts,
une nouvelle trahison des clercs.
Dans ces conditions, l’engouement pour l’enseignement quasi exclusif
de l’anglais dès l’école maternelle est une inconséquence
politique totale. C’est dresser une ligne Maginot linguistique dont
l’avenir montrera rapidement l’inanité.
L’intérêt de nos enfants, celui de la France, n’est pas le
panurgisme linguistique.