Sujet : À méditer par Mme Pécresse
Date : 15/05/2008
De : Quin.Be   (courriel : afrav(chez)alicedsl.fr)   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"
 

En complément à votre article sur le classement de Changhaï, dont vous avez à très juste titre mis en doute la pertinence, je me permets d'attirer votre attention sur un article que je viens de lire sur un autre site et que je reproduis intégralement ci-dessous. J'ai fait quelques petites retouches orthographiques dans le texte, et remplacé « questionner l'autorité » par « remettre en question l'autorité », qui me paraît plus correct.

 J'y relève ce petit extrait :

Simultanément l'Asie est en train de devenir une destination majeure de la mobilité étudiante internationale, avec une hausse de 213% du nombre d'étudiants étrangers accueillis par la Chine sur la période 1999-2005, de 42% pour l'Australie et de 108% pour le Japon. Dans le même temps, la hausse était de 17% pour les États-Unis, de 29% pour le Royaume-Uni, de 46% pour l'Allemagne, de 81% pour la France.

 

Oui : 81 pour cent de hausse pour la France. Le fait que les enseignements y soient dispensés en français (pour le moment encore) n'empêche pas que les universités françaises restent très prisées à l'étranger. À méditer par Mme Pécresse.

 

 

Valeur des diplômes universitaires internationaux : Quels choix faire aujourd'hui pour avoir un diplôme international toujours valable dans dix à vingt ans ?

- Extrait GEAB N°18 (15 octobre 2007) -

 

Comme LEAP/E2020 a déjà eu l'occasion de le souligner à mainte reprise depuis janvier 2006, la crise systémique globale affecte l'ensemble des domaines et secteurs de l'activité humaine contemporaine. C'est d'ailleurs ce qui la différencie d'une crise classique qui reste limitée à quelques secteurs et à des régions spécifiques de la planète. Dans cette édition du Global Europe Anticipation Bulletin (GEAB), l'équipe de chercheurs de LEAP/E2020 a décidé de publier ses anticipations sur un domaine clé de la production intellectuelle globale, à savoir la valeur des diplômes universitaires internationaux. Notre équipe s'est ainsi intéressée aux tendances affectant la valeur des diplômes remis par les grands pôles universitaires de la planète, qui sont devenus, de facto en quelques décennies, l'équivalent de « diplômes internationaux », c'est-à-dire possédant une valeur intellectuelle, scientifique et commerciale reconnue à l'échelle mondiale.

1. Dans un monde en plein bouleversement, les diplômes universitaires prestigieux deviennent aussi des investissements à risque

Les chercheurs de LEAP/E2020, qui ont notamment reçu pour ce travail un appui important de Franck Biancheri, directeur de la recherche de LEAP/E2020 et l'un des pères du programme Erasmus (qui en vingt ans a bouleversé le paysage universitaire européen) (1), ne se sont pas ici livrés à un exercice académique comparatif (2). Ils ont tenté d'apporter des éléments de réponse aux parents et aux étudiants qui envisagent d'investir, parfois de manière très onéreuse, dans un diplôme ayant vocation internationale en espérant réaliser un investissement fructueux pour les décennies à venir en terme de carrière professionnelle.

Investir dans un diplôme, c'est en effet faire un pari sur l'avenir à au moins 10 ou 20 ans. C'est notamment supposer que les milliers ou dizaines de milliers d'Euros ou de Dollars investis aujourd'hui généreront demain dix ou cent fois plus en terme de revenus. C'est au minimum estimer que les aptitudes développées lors des études correspondront aux demandes et attentes du monde de demain. Dans tous les cas, pour un nombre croissant de parents et d'étudiants, aux États-Unis, en Europe, en Asie, dans le monde arabe,... c'est un gros pari sur l'avenir.

Or, la crise systémique actuelle est en train de bouleverser fondamentalement la valeur absolue et les valeurs respectives des diplômes à l'échelle mondiale. Et étrangement, ce bouleversement n'est absolument pas reflété dans les discours dominants actuels sur la valeur des diplômes au niveau mondial. Pourtant, d'ici une décennie au plus tard, certains diplômes aujourd'hui au « top académique mondial » seront fortement dévalorisés ; d'autres au contraire verront leurs détenteurs très recherchés par les employeurs.

Pensez aux diplômés des prestigieuses universités soviétiques d'avant 1989, dont les diplômes ne valaient plus rien dès les années 1990. Et bien, selon LEAP/E2020, un bouleversement de même envergure est déjà amorcé qui va prendre toute son ampleur dans les années à venir. Pour vous ou vos enfants, ne choisissez pas aujourd'hui, pour le monde de demain, un diplôme du monde d'hier !

2. Le monde des « diplômes prestigieux » subit les mêmes évolutions que la planète tout court

Par de nombreux aspects, l'évolution du monde des « diplômes prestigieux » ressemble fortement à l'évolution de la planète tout court. Après 1945, l'émergence de deux super-puissances, les États-Unis et l'URSS, conduisent l'ensemble des élites de la planète à structurer leurs processus de formation autour de ces deux pôles. Les universités occidentales développent un tropisme bilatéral quasiment exclusif avec les universités américaines. Et, dans le bloc communiste, les universités soviétiques deviennent le point de passage obligatoire des futurs cadres des régimes satellites. Ce « duopole » universitaire global imposa son règne sur la planète universitaire jusqu'aux années 1980.

À partir de la 2° moitié des années 1980, deux phénomènes simultanées et non directement corrélés, ont mis fin à ce duopole : le lancement par la Communauté européenne en 1987 du programme inter-universitaire Erasmus et la Chute du Mur de Berlin en 1989 (3). Bien que le lancement du programme Erasmus ne constitue pas un événement historique de magnitude comparable à la Chute du Mur de Berlines, les deux phénomènes eurent tous les deux pour conséquence de mettre fin à la domination sans partage des deux super-puissances sur les diplômes universitaires internationaux (c'est-à-dire reconnus et appréciés au-delà des frontières).

Dès le début des années 90, l'ensemble du système universitaire du bloc communiste, centré sur Moscou, était en effet en ruine et les diplômes tant appréciés quelques années plus tôt ne valaient désormais plus rien sur le marché du travail. Parallèlement, en quelques années, l'Europe de l'Ouest, à laquelle s'associèrent rapidement les futurs (désormais nouveaux) États membres d'Europe centrale et orientale, avait recentré ses échanges universitaires sur l'Europe et réduit à une peau de chagrin les échanges bilatéraux avec les États-Unis. Pour se rendre compte de l'ampleur de cette évolution, il suffit de constater qu'au milieu des années 80, près de 90% des étudiants européens qui partaient poursuivre une partie de leurs études à l'étranger partaient aux États-Unis. Dix ans plus tard, au milieu des années 90, cette proportion s'était totalement inversée et seulement 10% partaient étudier dans une université américaine tandis que 90% d'entre eux allaient étudier dans une université d'un autre pays européen.

Mobilité étudiante Erasmus intra-européenne - 1987/88 à 2004/05 –

Au niveau universitaire global pourtant, du fait de l'effondrement bruyant du bloc soviétique (par opposition au cheminement quasiment invisible du phénomène Erasmus), l'impression dominante des années 90 fut (comme dans d'autres domaines) le constat de l'émergence d'une « hyper-puissancea», les États-Unis, dont les universités devenaient les « Mecque » incontournables de tout étudiant brillant et/ou ambitieux qu'il soit arabe, russe, latino-américain, asiatique ou européen (4). Les universités américaines entreprirent d'ailleurs de rentabiliser au maximum cette situation de quasi-monopole. Les plus prestigieuses d'entre elles devinrent même extrêmement dépendantes financièrement des revenus générés par les étudiants venus du reste du monde. Mais au lieu d'utiliser cette position de force pour évoluer et s'adapter à un monde rapidement changeant, les principales universités américaines se contentèrent de profiter de cette rente de situation en « important » à prix d'or des universitaires « cotés » du monde entier. Seuls quelques établissements pionniers tentèrent, avec beaucoup de difficulté, de développer de nouvelles structures d'enseignement supérieur, par exemple ceux qui essayèrent de doter l'ALENA (NAFTA) d'une dimension d'enseignement supérieur. Mais ces efforts restèrent marginaux du fait du désintérêt des décideurs politiques et du « gros » des troupes universitaires américaines (5), et de l'incapacité de l'ALENA (NAFTA) à dépasser le statut de simple accord commercial (6).

3. Le chefférat universitaire américain a vécu ses dernières grandes années dans les années 90 : les flux d'étudiants étrangers aux États-Unis s'effondrent depuis 5 ans, alors qu'ils progressent au niveau mondial

Parallèlement, le tropisme « extérieur » dominant des grandes universités américaines, dont le personnel académique et les étudiants étaient de moins en moins américains, a coïncidé avec une forte dégradation de l'ensemble du système d'éducation des États-Unis (7). Notre équipe situe le début de cette évolution négative autour de la période 1970-1975. Elle n'a fait ensuite que s'accélérer sous l'influence de quatre facteurs convergentsa: sous-investissement dans l'éducation primaire et secondaire, nivellement par le bas via la mise en place de processus de contrôle fondés uniquement sur les QCM (Questionnaires à Choix Multiples) (8), absence d'autorité politique responsable du système éducatif et incapacité à développer des processus comparatifs avec des systèmes éducatifs étrangers.

Et c'est dans ce contexte structurellement très négatif que surviennent les événements du 11 Septembre 2001, puis de l'invasion de l'Irak (2002), qui provoquent la remise en cause durable du monopole américain sur le marché des diplômes internationaux. D'une part, les mesures de restriction d'accès au territoire des États-Unis mis en place au nom de la lutte contre le terrorisme, créent un barrage légal à l'entrée d'un grand nombre d'aspirants aux études dans les universités américaines (9). D'autre part, les conséquences politiques, culturelles et morales de l'invasion de l'Irak créent parmi les jeunes élites mondiales un retournement de tendance en matière d'attractivité des États-Unis. Les deux phénomènes se renforcent bien entendu et affectent également la motivation des universitaires étrangers eux-mêmes à venir enseigner aux États-Unis. Parallèlement, les difficultés croissantes de l'économie américaine, Katrina et la Nouvelle-Orléans, l'affaiblissement continu du dollar US et les priorités budgétaires de l'équipe de G.W. Bush en faveur de la défense (10) mettent définitivement fin au mythe des « riches universités » américaines (11).

Dans le même temps, la constitution d'un grand pôle universitaire mondial européen centré autour des puissants réseaux inter-universitaires nés d'Erasmus a entraîné une multiplication de partenariats entre établissements européens et universités des autres continents (dans le top 10 des destinations universitaires mondiales de 2004 de l'Unesco, on trouvait 5 pays de l'Union européenne, à savoir le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique (12)). Alors que l'Asie devient une destination universitaire nécessaire du fait de l'importance croissante de ce continent au niveau mondial.

En 2006, les États membres de l'UE ont ainsi accueilli deux fois plus d'étudiants étrangers que les États-Unis (plus de 1.200.000 contre 560.000 (13)) et cette évolution s'inscrit dans une perte croissante de parts du marché international de l'éducation par les universités américaines (14).

 

 

Variation du nombre de visas étudiants pour les États-Unis sur la période 1998-2006 (Décroissance : vert clair à vert foncé / Croissance: bleu clair à bleu foncé) - Sources Educationsector.org / US Department of State

Tout cela se traduit bien évidemment par des évolutions très visibles en terme statistique qui montrent la décroissance désormais régulière du nombre d'étudiants étrangers allant étudier aux États-Unis. Tous les continents sont affectés, même l'Amérique latine pourtant la plus proche géographiquement (15). L'Europe a depuis longtemps cessé d'envoyer des contingents importants dans les universités américaines ; tandis que la Chine et l'Inde réorientent leur flux vers l'Europe (16) ou l'Australie, quant elles ne développent pas de grandes universités elles-mêmes.

Simultanément l'Asie est en train de devenir une destination majeure de la mobilité étudiante internationale avec une hausse de 213% du nombre d'étudiants étrangers accueillis par la Chine sur la période 1999-2005, de 42% pour l'Australie et de 108% pour le Japon. Dans le même temps, la hausse était de 17% pour les États-Unis, de 29% pour le Royaume-Uni, de 46% pour l'Allemagne, de 81% pour la France (17).

Cette évolution statistique a une importance fondamentale à moyen terme sur l'une des composantes-clés de la « valeur » professionnelle d'un diplôme, à savoir les « réseaux d'anciens », car elle montre qu'au niveau mondial, les principaux « réseaux d'anciens » de demain se forment désormais hors des États-Unis (alors que c'était l'inverse ces dernières décennies). D'ailleurs, les étudiants américains eux-mêmes traversent désormais l'Atlantique en grand nombre dans l'autre sens (par rapport aux années 1950-2000) (18).

4. La crise systémique globale entraîne une modification profonde des exigences de formation des futures élites internationales

Et ces tendances vont continuer à se renforcer car l'affaiblissement du tissu universitaire américain est structurel. S'il est bien lié à la perte d'attractivité des États-Unis en général et à l'appauvrissement du pays, il ressort également d'évolutions qui relèvent de l'émergence d'un monde différent de celui créé après 1945, celui pour lequel les universités américaines avaient formé les élites mondiales au cours des six dernières décennies. Pour LEAP/E2020, la structure et le fonctionnement du monde qui est en train de naître de cette crise systémique globale requiert des élites capables de s'adapter à la diversité des cultures, des civilisations et des personnes. Les entreprises, les organismes publiques, les ONG, les universités elles-mêmes, sont désormais à la recherche de compétences qui ne s'acquièrent que par la confrontation effective aux différences, c'est-à-dire par une expérience pratique de la réalité des autres. Ces organisations cherchent des ressources humaines capables de concevoir, gérer et développer des réseaux humains et techniques. Ce sont ceux et celles qui possèderont ces compétences qui feront carrière et pourront rentabiliser leurs diplômes.

Le « politiquement correct » qui a envahi le monde universitaire américain, la crainte des confrontations même verbales qui en a découlé, la diversité fictive des campus américains sur fond d'uniformité de comportement, de spécialisation accrue et de faible niveau d'instruction secondaire primaire, l'absence de connaissance et donc de compréhension du reste du monde (pourtant désormais essentiel pour toute région de la planète et toute activité, globalisation oblige), l'obsession de rentabilité financière à court terme, autant de facteurs qui non seulement ne préparent pas l'étudiant à ces exigences incontournables des cadres supérieurs des décennies à venir, mais qui le conditionnent en fait à ne pas pouvoir s'adapter à ces exigences en l'enfermant dans la vision d'un monde virtuel (19).

Maîtrise du fonctionnement en réseaux géographiquement et culturellement divers, expérience pratique de différentes cultures, bonne connaissance de 3 à 4 langues différentes, préparation à l'interdisciplinarité, aptitude à questionner l'autorité, capacité à gérer les conflits, capacité à anticiper les évolutions collectives,... sont, selon l'équipe LEAP/E2020, les caractéristiques décisives des élites des prochaines décennies. Parallèlement, en matière de formation scientifique, l'excellence restera lié aux performances technologiques (20) et à l'excellence culturelle de sociétés prises comme un tout (21).

5. L'Eurasie (Russie incluse) au coeur de l'excellence universitaire mondiale des deux prochaines décennies

Or, les tendances actuelles, et durables selon nos anticipations (pour au moins les vingt prochaines années), mettent l'Europe et l'Asie au coeur des évolutions scientifiques, technologiques et culturelles à venir. Parallèlement, c'est l'Europe qui s'affirme depuis une vingtaine d'années comme la « maîtresse » des réseaux trans-nationaux et la championne de l'interculturalité. Cette tendance se retrouve désormais même dans ce qui fut longtemps la chasse gardée des universités américaines, à savoir le fameux MBA.

Pour LEAP/E2020, c'est donc sur ces deux continents que sont en train d'émerger les pôles d'excellence universitaire de demain. Ceux dont les diplômes assureront la meilleure rentabilité professionnelle pour les deux décennies à venir. Cependant, et c'est une évolution radicale par rapport aux dernières décennies (et un retour à la naissance de l'université dans l'Europe du Moyen-âge), l'excellence ne peut plus être celle d'un établissement mais celle d'un réseau d'établissements universitaires. La question qu'un parent ou qu'un étudiant doit se poser dans les années à venir, n'est plus «aEst-ce que cette université est réputée ? », mais plutôt « Avec quels établissements réputés cette université collabore-t-elle ? », « Quels types de corpus communs, avec des établissements d'autres pays, cette université a-t-elle développés ? ». C'est en effet par ces passerelles que chemine désormais l'excellence universitaire internationale des prochaines décennies.

6. Éviter d'être victime d'ici dix ans d'une crise des « subprime » dans le domaine des diplômes
On continue pourtant à lire et entendre un discours dominant persistant à présenter les universités américaines comme le « must » planétaire. C'est compréhensible, même si c'est désormais erroné, pour deux raisons très simples :

-- ceux qui ont investi dans des diplômes américains au cours des trente dernières années (et ils sont généralement les auteurs de ces analyses) font tout leur possible pour maintenir leur « valeur ».

--  la plupart des universitaires asiatiques ou européens de la génération actuellement dominante (les quadragénaires et au-dessus) continuent à envisager leur carrière comme cela se faisait lorsqu'ils étaient étudiants, c'est-à-dire via le prisme des États-Unis ascenseur. Eux aussi prêchent donc pour leur paroisse (22), agissant de la même manière que le complexe « agences de cotation/grandes banques » dans l'actuelle crise des « subprime » américains : mélangeant les « casquettes », ils jouent à le fois le rôle d'experts « indépendants », de conseillers et de vendeurs des services concernés. Si vous avez aimé la crise des « subprime », vous allez adorer celle des diplômes…

7. Pensez à vingt ans avant d'investir dans un « diplôme prestigieux »

En conclusion, parents ou étudiants, si vous devez investir prochainement dans des études supérieures coûteuses afin d'obtenir un diplôme de valeur internationale, sachez qu'elles vous coûteront beaucoup moins cher en Europe pour une rentabilité professionnelle à venir désormais nettement supérieure à celle des États-Unis. En Asie, les pôles d'excellence se multiplient même si leurs interconnections restent encore limitée et que donc leur valeur ajoutée « réseau » doit encore progresser ; mais cet aspect est compensé par l'importance économique et géopolitique croissante de l'ensemble de la région. L'investissement aux États-Unis constitue désormais un risque réel de forte dévaluation de la valeur du diplôme dans la logique de la décote déjà engagée actuellement. Et il est peu probable, selon LEAP/E2020, que les établissements universitaires américains puissent engager des réformes significatives dans les prochaines années pour se maintenir au meilleur niveau, car les conditions politiques, économiques, financières et en terme de ressources humaines (professeurs et étudiants) vont continuer à se dégrader (23). Et les pionniers des réseaux universitaires trans-américains sont encore trop peu nombreux et trop faibles pour influer sur l'ensemble de ce secteur aux États-Unis. En revanche, ils constituent certainement, selon nos chercheurs, l'une des offres académiques les plus innovantes sur le territoire américain. Pour le reste, l'investissement dans un diplôme américain reste bien entendu un investissement utile pour ceux qui ont vocation à faire carrière aux États-Unis ; cependant, même là, d'ici une décennie les diplômes européens et asiatiques seront probablement mieux cotés que n'importe quel diplôme national.

Mobilité intra-européenne des professeurs via Erasmus - 1987-88 --- 2004-05 – Source Commission européenne

La globalisation et la crise systémique actuelle ont ainsi rendu beaucoup plus complexe la décision d'investissement dans un diplôme à valeur internationale. Les changements en cours provoquent un véritable bouleversement des hiérarchies établies il y a plus de cinquante ans. En ce domaine aussi, l'effondrement de l'ordre mondial créé après 1945 affecte d'abord les établissements américains et les valeurs générées aux États-Unis, pilier central du monde qui se dissout sous nos yeux. Mais comme un diplôme est un investissement à vingt ans au moins, nous espérons que les anticipations de LEAP/E2020 pourront aider les choix des parents et étudiants qui nous lisent.

 

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Notes :

(1) Il a par ailleurs intensément pratiqué le système universitaire américain : dans 34 états des États-Unis, entre 1999 et 2005.

(2) De nombreux travaux de qualité existent en la matière, auxquels se réfère d'ailleurs notre équipe dans ce GEAB N°18. LEAP/E2020 souhaite ici, comme à son habitude, réaliser une anticipation qui débouche sur des recommandations directes et des conseils très opérationnels pour les parents ou les étudiants.

(3) Nous écrivons « non directement corrélés », car s'il est évident que le lancement d'Erasmus en 1987 n'a pas provoqué la chute du Mur de Berlin. Il nous paraît néanmoins certain que ces deux phénomènes ressortent d'une dynamique européenne commune, consistant à rejeter spontanément et pacifiquement les tutelles extérieures sur le « Vieux Continent ». Les études universitaires historiques, politiques et sociologiques restent encore à mener pour analyser ce phénomène complexe.

(4) Pourtant, ce n'était déjà plus vrai pour les Européens. Non seulement le nombre concerné ne correspondait plus qu'à une très petite minorité, mais en plus il ne concernait plus que certains secteurs bien précis dont l'économie, la finance et les technologies de l'information.

(5) Pour avoir une vue d'ensemble des projets/réseaux universitaires qui tentent de s'inscrire dans l'espace nord-américain, il est utile de consulter la base de données des subventions accordées à ce type de projet par FIPSE (Fund for the Improvement of Post Secundary Education), une branche du ministère américain de l'éducation, qui s'est particulièrement investie dans cette démarche.

(6) Comme le souligne le rapport de l'OCDE sur l'enseignement supérieur de 2005-2006, l'absence de liberté de mouvement des travailleurs au sein de l'ALENA (NAFTA) explique pour une grande part la faiblesse de la mobilité étudiante en Amérique du Nord. Source : « Education Policy Analysis, Focus on Higher Education », OECD, 2005-2006,

(7) La littérature est très riche sur ce sujet. Voici par exemple, un article très représentatif publié le 19/01/2007 par le Buffalo Business First qui, de manière très synthétique, fait le lien direct entre performances socio-économiques et crise de l'éducation aux États-Unis.

(8) Le programme « No Child Left Behind » de G.W. Bush a encore accru la proportion d'élèves du primaire et du secondaire (l'intégralité des jeunes générations désormais) effectuant toute leur scolarité via une sélection base essentiellement sur les tests de questionnaires à choix multiples. Outre que ce système incite l'ensemble des opérateurs du système éducatif à baisser le niveau de difficulté des tests afin d'améliorer les scores, il fonde l'enseignement sur la capacité à cocher des cases et non pas à formuler des questions et à élaborer des réponses. L'impact de cette évolution sur l'enseignement supérieur américain des deux dernières décennies est absolument dévastateur. Source : New York Times, 22/03/2006

(9) Il existe une multitude d'articles et d'études sur ce thème. Voici par exemple cet article très significatif publié en mars 2007 par « Today Online », le journal des professeurs et étudiants de l'Université de Californie – Los Angeles (UCLA).

(10) Au détriment notamment de la recherche et de la science.

(11) La multiplication des incidents, très médiatisés, de tueries aux armes à feu dans les campus universitaires et les collèges américains n'a pas contribué à améliorer l'image générale.

(12) Source : « The human face of global mobility : international highly skilled migration in Europe, North America and the Asia Pacific », 2006.

(13) Source : Atlas of Student Mobility , Institute of International Education.

(14) Source : MSNBC , 08/2006

(15) Le cas de l'Amérique latine est très intéressant à analyser car c'est une région du monde qui accroît régulièrement le nombre de ses immigrants vers les États-Unis et pourtant, ces dernières années, le nombre d'étudiants latino-américains allant étudier aux États-Unis est en déclin. Cela illustre un processus de « paupérisation » intellectuelle et culturelle de l'afflux migratoire aux États-Unis qui devrait préoccuper au plus haut degré les autorités de Washington.

(16) Source : « Battling for market share 2 : the Middle powers and in ternational student mobility », GlobalHigherEd, 02/10/2007

(17) Source : « The future of international students in the United States », American Council on Education , 10/2006

(18) Source : « More US students go broad for their MBAs », USAToday , 06/06/2007

(19) D'ailleurs, la recherche américaine s'en ressent qui, malgré de substantiels accroissements budgétaires, ne parvient plus depuis la fin des années 90 à maintenir sa part de l'innovation mondiale face aux concurrents européens et asiatiques. Source : National Science Foundation , 19/07/2007

(20) Et donc aux pays/économies possédant les bases technologiques et industrielles ah hoc. Ces derniers se trouvent aujourd'hui, et pour au moins une vingtaine d'années encore, en Europe et en Asie. La désindustrialisation des États-Unis n'est en effet pas qu'une figure rhétorique réservée aux syndicats américains.

(21) Cette précision est, selon notre équipe, essentielle car elle s'inscrit à l'inverse de la prétention de certains pôles universitaires actuels à incarner l'excellence au sein d'un océan de médiocrité. On ne forme pas des élites sur un terreau informe. En ce sens, les grandes universités américaines actuelles voient leurs fondements érodés depuis des décennies par la dégradation de leur environnement éducatif et culturel national. Les Berkeley, Harvard, Stanford,... d'aujourd'hui ne sont que la pâle copie de celles d'il y a 20 ou 30 ans. Et dans dix ans cette évolution sera encore plus accentuée pour les raisons développées précédemment.

(22) En Europe, il est néanmoins évident que les universitaires issus des générations Erasmus (les moins de 40 ans) ont abandonné cette vision et considèrent le « passage » américain comme une étape parmi d'autres dans un tour formateur international. Et les deux millions de nouvelles élites européennes qui se sont constituées en vingt ans via des diplômes trans-européens vont désormais commencer à faire jouer pleinement l'un des secrets de la valeur des diplômes, à savoir les réseaux d' « anciens ». L'Asie est ainsi en train d'entrer très rapidement dans les étapes également nécessaires.

(23) Ainsi la reconstitution d'une masse de professeurs américains adaptés aux nouvelles exigences éducatives pose un défi considérable après des années de déréliction de la profession et un recours systématique à l' « importation » des professeurs dans les universités prestigieuses. L'UE par exemple a choisi de développer la capacité de comprendre le monde extérieur et les autres cultures en stimulant également une mobilité trans-européenne du corps enseignant universitaire européen.