Sujet : Entre le régional et le mondial
Date : 18/12/2004
De :  Association "parlez-vous européen" (association.eee@wanadoo.fr)

 

"Lettre(s)" , n°38, novembre 2004

revue éditée par l'Asselaf  (Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française)

22, rue François-Miron , FR-75004 Paris

courriel : asselaf@wanadoo.fr

 

 Extrait :

 

Pierre-Valentin Berthier, "Entre le régional et le mondial" (pp.23-24)

 

  Comme d'autres dialectes, la langue française poursuit sa carrière entre deux démarches apparemment contradictoires, où ceux qui la jugent en péril perçoivent volontiers une menace. Bref, comme entre deux feux.

  

   (...)

  

   Résumons : on régionalise d'un côté, on mondialise de l'autre. Quel danger court le français dans cet environnement ?

 

   (...)

 

   Ces questions, qui ont l'air, ou l'heur, de laisser indifférents les gens de la politique, sont souvent soulevées dans les lettres de lecteurs publiées par les journaux. De temps à autre, parmi ces courriers, revient la question de l'espéranto, langue auxiliaire créée en 1887 par Lajzer Zamenhof (1859-1917). Ce linguiste polonais avait forgé, à l'usage de tous, un succédané élémentaire et commode de ce que le latin fut jadis pour les échanges écrits ou oraux de quelques-uns, lettrés, initiés, savants; un langage artificiel qui ne cherchait à supplanter aucune langue, nationale ou provinciale, qui n'en concurrençait aucune, et qui laissait à toutes leurs chances et leur autonomie.

 

  Il est regrettable que, tandis qu'on trouvait le moyen, en économie, de créer une monnaie unique pour l'Europe, on n'ait pas cherché à doter l'Europe culturelle de cet artifice de communication. Dans France Soir du 21 août 2004, un lecteur parisien, M. Lucien Cousty, écrit : "Il est question de faire un hymne européen. [...] Ne pourrait-on écrire des paroles en espéranto ? [...] Ce serait l'occasion de sauvegarder la culture de chacun". Or, qu'on le sache, l'espéranto n'est pas seulement ignoré, il est aussi concurrencé et combattu. Dans le Monde du 18 juin 2004, M. José Ordax lui reprochait d'être une sorte de "Meccano" grammatical et lui opposait son rival, l'interlingua, inventé en 1908 par l'Italien Giuseppe Peano, qui "en avait fait une langue moderne en supprimant toutes les désinences" (sic).

 

   Rien là de neuf. L'interlingua fut sérieusement propagé en France il y a une quarantaine d'années par Julien Toublet, dit Thersant (1906-1991), qui publia longuement en cette langue; l'interlingua fit même une percée officielle en Autriche. Mais il y avait eu auparavant d'autres initiatives, comme celle de l'ido (abréviation de : esperantido, dérivé de l'espéranto, dont il était une simplification). Je sais par expérience que, dès qu'on touche à cette question, les contradicteurs surgissent, quelquefois grincheux. Mais qu'on s'en persuade : orthodoxe ou dissident, chaque espérantiste, loin de nuire à sa langue maternelle, en est un appui, un recours. La langue auxiliaire et ses adeptes protègent toutes les langues, y compris la langue française. 

 

   Pour finir, une petite information statistique sans signification. Lors des élections européennes du 13 juin 2004, la "Liste espéranto" (oui !) a recueilli en Ile-de-France 5 789 voix (dont 1 126 à Paris) sur 2 738 121 suffrages exprimés ; en Bretagne, 2 224 sur 994 382 ; en Alsace - Bourgogne - Franche-Comté, 5 536 sur 2 225 374 ; et, chose pittoresque, 33 seulement en Corse sur 53 130, tandis que la seule ville de Châteauroux, dans l'Indre, en dénombra 36, autant que Bordeaux ... et 3 de moins que Bergerac !

 

   Heureusement, on n'arrête pas le progrès. Selon la National Science Foundation, institution américaine, les découvertes récentes réalisées en nanotechnologie et dans divers secteurs nouveaux des "sciences cognitives" aboutiront prochainement à "la disparition complète des obstacles à la communication généralisée, en particulier ceux qui résultent de la diversité des langues". Babel n'a qu'à bien se tenir.