Sujet :

Avoir l'anglais pour langue maternelle

Date :

26/01/2011

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Avoir l’anglais pour langue maternelle, c’est dominer le monde !

Par Simon Kuper

Le journaliste et écrivain Simon Kuper est né en Ouganda et a vécu à Londres, aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Suède et en Jamaïque. Après des études à Oxford, Harvard et Berlin, il rejoint le Financial Times en 1994 et écrit dans le rubrique finances. Aujourd'hui il est chroniqueur pour les pages Sports, domaine qu'il aborde avec un « œil d'anthropologiste ». Il est l'auteur d'un ouvrage sur le football pendant la Seconde Guerre mondiale, publié en 2003.

 

Voici la traduction en français d’un article, paru le 9 octobre 2010 dans le Financial Times, traitant de la place de l’anglais dans les relations d’affaires.

 

Cecil Rhodes aurait dit : « Être né Anglais, c’est comme gagner le gros lot à la loterie de la vie ». Mais le vieil impérialiste avait tort. Il aurait dû dire : « Être né anglophone,… ». L’ampleur mondiale que prend actuellement le mauvais anglais parlé par les étrangers permet aux anglophones natifs de se distinguer.

C’est lors d’une conférence l’année dernière que j’ai pris conscience pour la première fois de notre avantage à nous, les anglophones natifs. Les conférenciers venaient d’Europe du Nord, mais ils faisaient leurs présentations en anglais, ou plutôt devrais-je dire, dans une sorte d’anglais. Les Allemands, les Belges et les Français se levaient et, avec un accent monotone et peu propice à la compréhension, venaient lire leurs discours qui semblaient avoir été traduits par un ordinateur. Parfois, les organisateurs insistaient pour qu’ils s’expriment dans leur langue maternelle, mais sans succès.

Pendant ce temps-là, les interprètes se tournaient les pouces dans leurs cabines.

Chaque nouvel orateur perdait son auditoire dans la minute où il commençait à parler. Pourtant, dès qu’un orateur de langue maternelle anglaise ouvrait la bouche, l’assistance prêtait l’oreille. Les vrais anglophones natifs s’exprimaient sur le ton de la conversation, pouvaient plaisanter et apporter de la nuance à leur propos. Ils n’étaient pas plus intelligents que les conférenciers étrangers, mais ils en avaient l’air, et c’est pour cela qu’on les écoutait. Dans ce microcosme naissait alors une hiérarchie internationale, dominée par l’anglais langue maternelle : être un anglophone natif, c’est dominer le monde.

L’anglais a envahi la scène internationale dès 1919, puisque le traité de Versailles a été rédigé en français, mais aussi en anglais. Pour Nigel White, directeur de la formation internationale et du développement chez Canning communications, la « prise de pouvoir » de l’anglais a été rendue possible grâce à l’émergence des multinationales américaines, la chute du mur de Berlin, l’avènement d’Internet et l’ouverture de la Chine.

Aujourd’hui, selon le British Council, environ une personne sur quatre dans le monde a des notions d’anglais, et beaucoup plus souhaitent l’apprendre. Robert McCrum, co-auteur de The Story of English, salue « l’apparente réalisation d’un des plus vieux rêves de l’humanité : la fin de Babel ».

Bien sûr, la plupart de ces nouveaux anglophones ne parlent pas un anglais correct. Ils parlent « globish»[1] – un anglais simplifié, fade et sans véritable grammaire qui utilise un vocabulaire limité. La plupart des Européens qui participaient à la conférence parlaient globish. Ceux qui parlent globish ont souvent beaucoup de mal à comprendre les anglophones natifs. Les expressions idiomatiques, les non-dits, les références à d’anciens programmes TV ou tout simplement l’habitude qu’ont les Britanniques de ne jamais dire clairement ce qu’ils veulent dire, tout cela les perturbe. Hillary Moore, formatrice expérimentée chez Canning, constate que les Allemands en particulier ne comprennent pas la subtilité quand un Britannique dit « Eh bien, ce n’était pas génial », lorsque cela signifie en réalité « C’était affreux ». De plus, certains anglophones natifs ont des accents indéchiffrables. « Personne ne comprend les Irlandais », constate Nigel White.

Les étrangers qui assistent à des réunions en anglais en sortent toujours fatigués, déboussolés et énervés. Un ami hollandais m’a parlé d’une réunion où dix directeurs hollandais ont parlé anglais pour s’adapter à un seul Britannique qui, m’a rapporté mon ami, « arborait un petit air supérieur ».

Étant donné que les incompréhensions sont fréquentes entre les anglophones natifs et les personnes parlant globish, les experts préviennent que les anglophones natifs risquent de souffrir dans ce nouveau monde. Mais ces derniers auront simplement à apprendre le globish. Nigel White affirme qu’un cours d’une demi-journée permet aux natifs d’apprendre à parler lentement, sans marque d’ironie, et à se débarrasser des verbes pouvant prêter à confusion comme « to put up with ».

Admettons qu’un anglophone natif peut apprendre le globish en quelques jours. Ce n’est pas grand-chose comparé aux années nécessaires pour apprendre le français (sans parler du chinois). Pas étonnant que les jeunes britanniques ne s’embarrassent plus des langues étrangères. Le français ne fait plus partie des dix matières les plus étudiées par les adolescents britanniques. Pourquoi passer des années à apprendre à commander une bière dans un mauvais français, quand on peut la commander englobish ? Seuls quelques spécialistes ont besoin d’apprendre en profondeur les langues étrangères pour pouvoir comprendre les sociétés étrangères. Pour la plupart des Britanniques, le français n’est plus nécessaire.

Encore pire, apprendre une seconde langue peut constituer un véritable désavantage pour les anglophones natifs. S’ils parlent un français médiocre, ils pourront être amenés à le parler dans une réunion d’affaires avec des Français, et ces derniers auront l’air plus rapides et plus intelligents. Mon conseil à un Britannique : forcez-les à parler anglais et vous gagnerez.

Dans un monde de globish, les anglophones natifs sont les champions. Quand ils doivent s’exprimer Englobish, ils le peuvent. Mais lorsqu’il faut user de vitesse et de subtilité, là ils battent tout le monde.

Hillary Moore affirme que les anglophones natifs mènent souvent les discussions en utilisant des phrases telles que « Si je peux vous interrompre… » et « Ce que nous disons ici est donc que… ». Les étrangers restent assis en silence, essayant de suivre le fil de la discussion.

Cela arrive désormais même à Bruxelles, surtout depuis que les pays de l’Est non francophones ont rejoint l’UE en 2004. Aujourd’hui, la plupart des fonctionnaires de la Commission Européenne parlent anglais. Les Britanniques et les Irlandais rédigent de nombreux documents officiels, étant donné qu’écrire en anglais est une contrainte pour tous les autres. Ainsi, les anglophones natifs influencent doucement les débats. D’après Mme Moore, la même chose est arrivée dans les grandes multinationales.

La stratégie pour les anglophones natifs est claire : apprenez un peu de Globish, and Bob’s your uncle [2] !

[1] Mot-valise composé des mots « global » et « English »

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Traduction pour tous nos amis qui parlent globish : "Bob’s your uncle" signifie « Le tour est joué ».

Merci à Elsa et Sylvana de l’agence de traduction Caractères d’Oc pour cette traduction anglais français

 

Source : blog.traducteurs.com, le 9 octobre 2010

http://blog.traducteurs.com/les-langues-du-monde/avoir-anglais-pour-langue-maternelle-c-est-dominer-le-monde-180