Sujet :

La guerre des langues en Ukraine

Date :

11/06/2012

Envoi d'Aleks Kadar  (courriel : alekska(chez)gmail.com)     

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La guerre des langues est déclarée

L'adoption, le 5 juin, d'une loi dotant le russe du statut de langue régionale (soit, de fait, de deuxième langue officielle du pays) pourrait déclencher un déferlement de violence dans ce pays où vit une importante minorité de russophones. Aux yeux des ukrainophones, le renforcement du russe aura tôt fait d'étouffer leur langue.

Pauvre Ukraine. Il est dit qu'elle ne pourra pas savourer son Euro de football en paix. Déjà accusée de tous les maux pour avoir failli ne pas être prête à temps, tandis que les rumeurs de corruption et d'incurie vont bon train, et alors que la question de l'emprisonnement de l'ex-Premier ministre, Ioulia Timochenko, suscite des remous un peu partout en Europe, la voilà maintenant empêtrée dans une querelle qui ne peut que laisser l'Occident rêveur, mais qui, pourtant, pourrait s'avérer cruciale pour l'avenir du pays.

Le 5 juin dernier, la Rada, le parlement ukrainien, a voté une loi qui confèrerait le statut de « langue régionale » au russe, dans les régions où il est parlé par plus de 10 % de la population. Autrement dit, cela revient à en faire la deuxième langue officielle du pays. Le caractère passionnel de la question linguistique en Ukraine s'était révélé le 24 mai, quand l'examen du projet à la Rada s'était terminé à coups de poing entre députés pro-russes et opposants. Pour l'hebdomadaire "Oukraïnsky Tyjden", c'est avant tout un échec cuisant de l'opposition, qui ne se serait « pas aperçue » que la loi avait été votée « en quelques secondes » : « l'opposition n'a même pas cherché à perturber l'adoption du projet de loi, et a une fois de plus démontré son incapacité (ou son manque de volonté) à se battre sur les questions clés en Ukraine ».

Le quotidien "Lviv Vissokiy Zamok", en Galicie, région majoritairement ukrainophone, va jusqu'à parler de "Blitzkrieg linguistique" (Note de l'Afrav "Blitzkrieg" signifie « guerre-éclair ») : « Ce qui s'est passé au Parlement est invraisemblable. Le parti des Régions [parti pro-russe actuellement au pouvoir] a réalisé un tour de passe-passe qui aurait de quoi rendre jaloux David Copperfield. En tout, il aura fallu moins de deux minutes pour que le projet de loi sur la langue soit voté, à 234 voix pour. Le tout sous le nez d'une opposition hébétée, comme hypnotisée. »

"Oukraïnsky Tyjden" évoque lui aussi la situation en termes guerriers. « La bataille politique autour de la question de la langue atteint son paroxysme, et la «aguerre de la langue » ne fait que commencer ». Dès le 5 juin, sous les fenêtres du Parlement, la police dispersait aux gaz lacrymogènes les premiers affrontements entre défenseurs de la langue ukrainienne et partisans du renforcement du statut de la langue russe. Ces derniers, rapporte le quotidien russe de Moscou "Nezavissimaïa gazeta", font valoir que le russe est la langue maternelle de millions de citoyens [Russes ou Ukrainiens] en Ukraine. Les autres rétorquent que le renforcement du statut du russe, obligatoire dans toutes les écoles ukrainiennes, très présent dans les médias, car tous les journaux ont des éditions en russe et les émissions de télévision sont diffusées en deux langues, ne ferait que “réduire encore la sphère d'utilisation de l'ukrainien” (qui ne jouit du statut de langue nationale d'un Etat indépendant que depuis 20 ans).

Passé le premier choc, soutient Oukraïna Moloda, la résistance s'organise. Des activistes, « jeunes patriotes », et autres « orangistes », comptent « saboter l'image des députés de la majorité qui ont voté pour le russe en seconde langue ». Vissokiy Zamok affirme qu'ils ne sont pas seuls. En effet, Arséni Yatseniouk, un des ténors de l'opposition, a promis l'installation de « villages de tentes pour une durée indéterminée ». Et, reprenant à son compte une célèbre citation, aurait ajouté :  « Cette bataille, nous ne l'avons pas gagnée, mais nous allons gagner la guerre. Le projet n'a été adopté qu'en première lecture. Or, l'Ukraine connaît les noms de ceux qui l'ont trahie, ont détruit sa Constitution et sont opposés à son existence même. »

Face à un tel tumulte, les flonflons de l'Euro-2012 risquent de ne pas suffire à détourner l'attention du grand public.  

 

Raymond Clarinard, Laurence Habay 

 

Source : courrierinternational.com, le jeudi 7 juin 2012

Possibilité de réagir sur :

http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2012/06/07/la-guerre-des-langues-est-declaree

 

 

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Voir la vidéo :

L'Ukraine en anglais !

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en allant sur : http://youtu.be/3kKhPdzzcYM

 

 

 

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