Sujet : Une bonne raison d'apprendre l'allemand
Date : 23/08/2009
Envoi d'Aleks Kadar  (courriel : alekska(chez)gmail.com)   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

 

Très intéressant article, et les commentaires encore plus :

http://www.rue89.com/blog-allemagne/2009/08/22/une-bonne-raison-dapprendre-lallemand

À lire, si vous avez le courage, il y en a déjà plus de 55.

AK
 

Une bonne raison d'apprendre l'allemand

 

À la question « pourquoi diable faudrait-il apprendre l'allemand », je répondrais tout de go : pour mieux lire l'Autrichien Arthur Schnitzler dans le texte. Sa prose grivoise et légère réconciliera nos honorables lectrices et lecteurs avec la langue de Heine, avec laquelle le Français est fâché pour de multiples raisons, l'une d'entre elle, sinon la principale, étant la demi-finale de Séville 82, je me comprends.

Il semblerait cependant que depuis l'avènement du groupe Tokio Hotel, un grand nombre de jeunes gens et surtout de jeunes filles françaises veuillent se mettre subito à l'allemand, et si possible en cours particulier avec le chanteur Bill, dans la « Zimmer 483 ». C'est sûr, ce n'est pas avec Modern Talking qu'on aurait eu cette tentation.

Il y avait bien eu les « 99 Luftballons » de Nena, mais un seul tube n'aura pas suffi… Même si à la Route du Rock cru 2009, on y a eu droit entre chaque concert -une version en partie francisée d'ailleurs, pas mal du tout. Pour ceux que ça intéresse, Nena est devenue entretemps grand-mère et prévoit une grande tournée à partir d'avril 2010 en Allemagne, en Autriche et en Suisse.

Et puisqu'on est dans les bonnes nouvelles, je vous signale, dans un autre genre et avec quelques mois de retard certes, que Sandra a sorti son album « Back to life » en mars de cette année. Oui, Sandra. La rivale de Sabrina, si vous préférez. On a beau dire, les années 80, quand même, c'était du lourd. Et garanti sans silicone.

 

L'Autrichien rit, l'Allemand non

Revenons à Schnitzler. Schnitzler peint une société de galants, de danseuses et de porteurs d'uniformes, dont les affaires de cœur s'entrecroisent avec insouciance et cruauté, loin des pesanteurs romantiques chères aux Allemands. Ces derniers ne se sont en effet toujours pas remis du suicide de Werther.

Je vous conseille ardemment le recueil « Reigen », série de pas de deux dans la Vienne du début du XXe siècle, dont le ton badin ravira un esprit français. C'est donc à cela que l'on distingue l'Autrichien de l'Allemand : le premier rit, l'autre non. Une autre particularité est que l'un mange de la Wienerschnitzel, l'autre préfère la Currywurst -cette dernière fait indéniablement partie de l'identité allemande, un musée à Berlin lui est d'ailleurs consacré depuis peu.

« Comme disait Karl Valentin, un humoriste allemand, “ce qui sépare les Allemands des Autrichiens, c'est la langue commune” », me dit Jochen, répondant à ma question sur la psychologie des deux nations :

« Les Autrichiens sont des Allemands sans sentiment de culpabilité nazie. Ils sont plus enjoués et politiquement plus incorrects que nous. Ils nous agacent et se moquent de nous en permanence. Ils sont de manière générale plus créatifs et ont un humour plus prononcé. Mais ils ne construisent pas de voitures, ce qui fait qu'on ne peut pas prendre cette ethnie véritablement au sérieux. »

Je retourne la question à Florian, un ami autrichien, à quelques jours d'intervalle :

« Les Allemands sont fainéants. Leur humour est très différent du nôtre. Ils n'ont aucun “schmäh”. »

Le « schmäh », explique Florian, c'est cette attitude face à la vie, cette disposition humoristique du Viennois qui lui permet de résoudre les conflits entre personnes. « Les Allemands sont très bureaucratiques, très dogmatiques. Ils se soumettent à l'autorité avec bonheur. Ils regardent vers la Prusse, nous, vers les l'Italie. » Il se reprend : « Non, vers les Balkans. »

« Nous, nous avons hérité de cette bureaucratie monarchique, qui est une bureaucratie de théâtre avec laquelle on peut toujours s'arranger. La sévérité de la loi est adoucie par une certaine négligence. »

Ce ne sont pas les personnages de Schnitzler qui diraient le contraire. « En ce qui concerne le passé nazi, les Autrichiens se sont arrangés pour faire porter le chapeau aux Allemands, » reconnait Florian, qui ne sait rien des réponses de Jochen. Et de conclure :

« Comme disait Karl Kraus, un humoriste autrichien, “ce qui sépare les Autrichiens des Allemands, c'est la langue commune” ».

Tout est dit, non ?

Alain-Xavier Wurst 

 

Photo : Currywurst (Kent Wang/Flickr).

Ailleurs sur la Toile :

L'agression de Schumacher contre Battiston à Séville en 1982 sur Dailymotion

"Allemand première langue": Tokyo Hotel booste l'intérêt des filles pour l'Allemand, sur Libe.fr

 

 

De Fald, Vieux (con)vaincu, le 22/08/2009

L'Allemand ne rit pas, et pour le démontrer, on cite Karl Valentin, un mec qui a appris au reste du monde à écrire des sketchs qui ne soient ni des clowneries de cirque ni des comédies en cinq actes. Je ne dis pas qu'on n'aurait pas eu Coluche et Devos sans Karl Valentin, mais il faut savoir rendre à César ce qui est à Jules.

L'Allemand ne rit pas, et pour le démontrer, on cite Karl Valentin, un mec qui a appris au reste du monde à écrire des sketchs qui ne soient ni des clowneries de cirque ni des comédies en cinq actes. Je ne dis pas qu'on n'aurait pas eu Coluche et Devos sans Karl Valentin, mais il faut savoir rendre à César ce qui est à Jules. Quand on connaît les Allemands, on sait qu'ils aiment rire, et pas seulement autour d'une saucisse. Bien sûr, la bourgeoise parisienne qui s'assoit à table dans l'espoir de maigrir, elle ne peut que fuir devant cette cuisine de paysans et de chasseurs. Mais si on aime rigoler en se mettant des bonnes choses derrière la cravate, alors on peut aller en Allemagne. Et comme ils ont vraiment adopté les diverses cuisines de leurs immigrés, on peut aussi y manger léger, et en rigolant. Et quand un Allemand vous reçoit, vous risquez la cirrhose longtemps avant l'ennui.

Et très important pour moi : ce sont d'excellents viticulteurs, eh oui, et peut-être les meilleurs boulangers du monde.

Quant aux humoristes, je ne connais pas les plus récents en détail car pour le peu que j'en ai vu, je leur reprocherais la même chose qu'aux nôtres : n'osant pas faire de satire de fond contre le système social et politique, ils servent toujours la même variante de sketch sur leur vie privée et sexuelle. C'est un peu comme les films pornos et les églises baroques, quand on en a vu un, on les a vus tous. Mais pour ceux à qui ça plait et qui sont légions puisque les salles sont pleines, ce qui se fait en Allemagne vaut bien ce qui se fait en France.

Il faut dire peut-être aussi une chose : l'humour allemand repose souvent sur une ironie qui ne fait pas péter de rire tout de suite ou sur un absurde un peu surréaliste qui échappe aux Français. La kolossale rigolade bien grasse n'est peut être pas toujours du côté du Rhin que l'on croit.

A part ça, il n'y a pas que l'humour intello dans la vie. Un certain Otto (Otto Waalkes), originaire des très austères et protestantes côtes de la Mer du Nord fait marrer les Allemands depuis 40 ans.

Et les dessins animés de Werner ! Werner, c'est une espèce de Gaston Lagaffe, mais en plus de fainéant et maladroit, il est ivrogne, chauffard, …, bref, tout pour plaire. C'est le mec, quand il répare un tuyau, on est sûr de l'inondation, sauf que généralement, le tuyau ne transporte pas que de l'eau, si vous voyez ce que je veux dire… Pas vraiment du Walt Disney. Et lui, il vient des bords de la Baltique.

Mer du Nord et Baltique. Je précise, car au vu de l'article ci-dessus, on dirait que l'humour vient d'Autriche, fait une petite incursion en Bavière et ne remonte pas plus haut que Munich.

Pour les plus vieux, vous pouvez toujours aller voir sur Youtube les sketchs de Wolfgang Neuss (Berlinois) et les chansons de Georg Kreisler (un Autrichien à l'humour très noir et très percutant).

Etc.

Ceci dit, ce n'est pas parce qu'on manquerait de chanteurs et d'humoristes de langue allemande que les jeunes Français ne l'apprennent plus.

Si les jeunes Français ne font plus d'allemand, c'est à cause d'un tas d'arguments plus cons les uns que les autres. Difficulté, alors que ses règles de bases ont inspiré la grammaire de l'espéranto, et surtout inutilité, alors que dans les offres d'emploi demandant la maîtrise de deux langues, 100% demandent bien sûr l'anglais, mais 60% l'allemand en plus.

Chez les moins de quarante ans, ceux qui n'ont pas fait d'anglais se comptent sur les doigts de la Vénus de Milo. Ah si, je connais une fanatique de musique classique, devenue pianiste professionnelle, qui a tenu dès le collège à faire allemand et italien. L'exception confirmant la règle. Mais à quelques unités près, les 100% d'anglais, on les a. Par contre, on est extrêmement loin des 60% d'allemand.

Or, pour raisons de comptabilité à court terme, nos gouvernants ont depuis 30 ans tout fait pour uniformiser les langues à l'école sur anglais-espagnol. Les options comme le choix des langues sont l'empêcheur de tasser les élèves au maximum dès la 6ème. Nos ministres et administrateurs peuvent tenir tous les discours pédagogiques qu'ils veulent, leurs actions concrètes visent toujours à mettre le maximum d'élèves devant le minimum de profs dans le minimum de locaux.

Vous l'aurez compris, je suis prof d'allemand. J'arrive à la fin de mon anti-carrière, je pourrais donc me dire « après moi le déluge », mais j'ai du mal.

Mais bon ! si la masse des jeunes ne veulent faire que de l'anglais et de l'espagnol, qu'ils le fassent et ne viennent pas pleurnicher quand ceux qui ont fait de l'allemand leur piquent les emplois. Car j'en connais plusieurs qui ont eu leur premier CDI à 21 ou 22 ans uniquement parce qu'ils sont capables de correspondre et de téléphoner en allemand. Tant pis pour les autres, c'est cynique mais c'est comme ça.

Juste pour le plaisir, puisque j'ai nettement plus d'années derrière moi que devant, je finirai sur une note de nostalgie selon Karl Valentin : « Früher war sogar die Zukunft besser », c.à.d. « Autrefois, même l'avenir, il était mieux ».

 

 

Source : rue.89.com, le 22 août 2009

http://www.rue89.com/blog-allemagne/2009/08/22/une-bonne-raison-dapprendre-lallemand