Sujet :

Contre la langue unique, par Serge Halimi

Date :

02/06/2013

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Contre la langue unique

par Serge Halimi, juin 2013

Marché unique, monnaie unique, langue unique ? Les portes et les ponts illustrant les billets européens incarnent déjà la fluidité des échanges entre des commerçants sans ancrage et sans histoire. Faut-il également que les étudiants puissent quitter leur pays sans dictionnaire ? Avec pour seul passeport linguistique un anglais d’aéroport. Utilisable partout, en particulier dans les universités françaises.

Car il paraît que celles-ci restent encore trop « décalées » — comme le reste du pays. Imaginez, on y parle toujours… français ! Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, veut supprimer cet « obstacle du langage ». Il découragerait « les étudiants des pays émergents, la Corée, l’Inde, le Brésil », de venir se former en France.

Vingt-neuf États ont pourtant comme langue officielle celle de Molière (cinquante-six celle de Shakespeare). Et le nombre de locuteurs du français ne cesse de croître, en particulier en Afrique. Mais, à en juger par le parcours du combattant qu’elle leur inflige, les étudiants de ce continent ne sont pas ceux que la France veut attirer. Pas assez riches, pas assez susceptibles de payer les (gros) droits d’inscription d’une école de commerce ou d’ingénieurs.

Dans les universités américaines, où la proportion d’étudiants étrangers (3,7 %) demeure très inférieure à celle des établissements français (13 %), nul n’a imaginé combler ce « retard » en enseignant en mandarin ou en portugais. « Si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table », a néanmoins ironisé Mme Fioraso. M. Nicolas Sarkozy préférait afficher son dédain envers les humanités en plaignant les étudiants condamnés à lire « La Princesse de Clèves » au lieu de faire du droit ou d'entrer dans une école de commerce.

Votée en 1994, la loi Toubon dispose que « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français ». Hostiles à cette règle « qui date du siècle dernier », une poignée d’universitaires prestigieux prétendent que la défense du multilinguisme (encore vivace, ce siècle-ci, dans la plupart des organisations internationales…) dissuaderait les anglophones de venir étudier à Paris (1).

Mais l’« attractivité » d’une langue ne se résume pas à la vente de formations aux pays émergents. Elle s’affirme en échangeant avec d’autres, en pensant le monde, y compris celui qui vient. La France, qui s’est battue pour défendre son cinéma et son exception culturelle, peut-elle accepter qu’un jour la recherche et la science s’expriment uniquement dans l’idiome, d’ailleurs souvent maltraité, de la superpuissance ?

« Aujourd’hui, relève le linguiste Claude Hagège, le paradoxe est que l’américanisation, la promotion de l’anglais est prise en charge par d’autres que les Américains. » Mais d’autres que les Français — en particulier en Afrique et au Québec — ont permis au pluralisme linguistique de tenir bon. Leur opiniâtreté mériterait d’inspirer les responsables politiques davantage que le fatalisme totalitaire d’un quarteron d’universitaires.

Serge Halimi

 

Source : monde-diplomatique.fr, juin 2013

http://www.monde-diplomatique.fr/2013/06/HALIMI/49153

 

 

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(1)

Facultés : les cours en anglais sont une chance et une réalité

LE MONDE |

Par

Examens-a-la-faculte-de-medecine-de-Marseille

Examens à la faculté de médecine de Marseille, en décembre 2012.

AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

Parmi ses missions fondamentales, le service public de l'enseignement supérieur développe des coopérations internationales et participe notamment à la construction de l'espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les universités développent des échanges scientifiques internationaux et accueillent de nombreux étudiants étrangers. Elles envoient également les étudiants français effectuer des semestres ou des années d'études dans d'autres pays.

Ces échanges internationaux de chercheurs, d'étudiants - sont indispensables pour que notre recherche et notre innovation se maintiennent au meilleur niveau mondial et dynamisent notre économie. Ils renforcent également l'image et le rôle de la France dans le monde. L'étudiant étranger conserve pendant toute sa vie de l'affection pour le pays qui l'a accueilli pendant une partie de sa jeunesse.

La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche en passe d'être examinée par l'Assemblée nationale est pourtant l'occasion d'une querelle déconcertante. La loi propose d'autoriser l'enseignement dans une langue étrangère dans les universités, ce qui est, en principe, toujours impossible aujourd'hui, depuis la loi Toubon qui date du siècle dernier (1994). Les universitaires ont, pour nombre d'entre eux, oublié cette interdiction et l'anglais s'est déjà de facto introduit dans les salles de cours.

On recense ainsi plusieurs centaines de masters en France dans lesquels on enseigne en anglais. Les voix qui s'élèvent au nom de la défense de la langue française nous paraissent donc totalement décalées par rapport à la réalité universitaire contemporaine, mais aussi gravement contre-productives pour ce qui concerne les intérêts de la France et de la francophonie.

Sauf dans des disciplines très particulières, les scientifiques du monde entier utilisent l'anglais pour communiquer. L'anglais est choisi pour l'immense majorité des publications scientifiques et des conférences internationales. En conséquence les étudiants en thèse dans les laboratoires doivent très vite maîtriser l'écriture scientifique, l'expression orale dans cette langue et sa compréhension. C'est pourquoi la plupart des principales universités à travers le monde, y compris dans des pays non anglophones, proposent des cours ou des cursus complets de master en anglais. Cette offre leur permet d'accueillir facilement les étudiants du monde entier - en particulier français -, de les préparer à l'anglais dans leur spécialité - ou plus exactement au "global English" ou "globish" de leur science - et de mieux les insérer dans leur futur travail de jeune chercheur.

Au-delà de l'intérêt scientifique, l'enseignement en anglais permet d'attirer des étudiants étrangers en provenance de pays dont les jeunes s'orientent majoritairement vers des pays anglophones. Si l'enseignement supérieur français conserve une attractivité internationale importante - avec près de 300 000 étudiants étrangers, la France est cinquième derrière les Etats Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et l'Allemagne -, cette attractivité se révèle très hétérogène et extrêmement faible pour certaines nationalités (la Corée, l'Inde ou le Brésil, par exemple).

La raison principale est la barrière de la langue dans nos cursus, et davantage de cours en anglais permettraient de les convaincre. Quel dommage que la France se prive de ces étudiants ! Ajoutons qu'ils auraient pour la plupart eu à cœur d'apprendre le français en vivant dans notre pays, par exemple en suivant des cours de français langue étrangère que leur offrent par ailleurs nos universités. Le "global English" dont il est question ici n'est qu'une langue véhiculaire, qui, partout où on la parle, ne fait que se rajouter aux autres langues sans s'y substituer.

Il n'est pas ici question de contraindre les enseignants qui ne le souhaitent pas à enseigner en anglais. Le projet de loi n'entravera aucun enseignant. Dans le respect du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs, il rend davantage de choses possibles, il dynamise leur recherche, il favorise l'insertion de la France dans le monde en renforçant son attractivité. Il renforce la France et, avec elle, la francophonie.

 

 

Source : lemonde.fr, le 7 mai 2013

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/07/facultes-les-cours-en-anglais-sont-une-chance-et-une-realite_3172657_3232.html

 

 

 

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