Sujet :

Fioraso : « On ne peut pas défendre la francophonie par la peur »

Date :

04/05/2013

Albert Salon  (courriel : albert.salon0702(chez)orange.fr)  

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Fioraso : « On ne peut pas défendre la francophonie par la peur »

La ministre de l'Enseignement supérieur veut rassurer les adversaires de l'anglais en fac : « moins de 1% des cours » seront concernés. Entrevue.

Par 

De nombreux intellectuels comme Jacques AttaliMichel Serres, mais aussi l’Académie française se sont déclarés hostiles à votre projet d’autoriser les cursus en langue étrangère dans les facs françaises. Que leur répondez-vous ?

- Je crois que beaucoup des signataires de ces textes n’ont pas lu la loi qu’ils critiquent. Il faut le rappeler : il ne s’agira pas de rendre obligatoires les cursus en langue étrangère dans les universités, mais de les autoriser à le faire, dans un cadre bien précis, pour un public bien ciblé. Cela va concerner moins de 1% des cours ! Simplement parce que tous les professeurs ne sont pas capables ou n’ont pas le souhait de dispenser des cours dans une langue étrangère. Mais cela pourra être l’occasion justement d’attirer des excellents professeurs étrangers.

Votre but est d’attirer aussi plus d’étudiants étrangers…

- Absolument. Nous avons identifié que beaucoup d’étudiants, notamment de Corée du Sud, d'Inde, de Chine, de Brésil et de Singapour aimeraient venir étudier en France, mais sont rebutés par le fait qu’il faille déjà parler français en arrivant. Ce que nous proposons est pragmatique : ils pourront être attirés par nos cursus grâce à la mise en place de cours dans une langue qu’ils comprennent, notamment l’anglais, mais nous nous engageons à ce qu’ils soient tenus d’apprendre aussi le français – et à ce que cet apprentissage soit évalué et compte dans la délivrance finale du diplôme. Ainsi, en arrivant, ils ne parleront  pas français, mais en repartant, ils seront non seulement amis de la France, mais francophones.

Mais les universités françaises ont-elles besoin de ça ?

- Il y a dix ans, nous étions 3e dans l’accueil des étudiants étrangers, aujourd'hui, nous sommes 5e. Pourquoi avons-nous tant perdu en attractivité ? Parce que l’Allemagne a mis en place des cursus en anglais et nous est passée devant ! Il faut rattraper notre retard. N’est-ce pas être défenseur de la francophonie que de souhaiter que nos universités regagnent ces places perdues ?

Des rumeurs affirment que cette réforme ne concernera que les étudiants étrangers, mais pas les Français, qui continueraient d'être obligés de prendre des cours en français. Qu'en dites-vous ?

Ce ne sont que des rumeurs. Cette réforme concernera autant les étudiants français que les étrangers. Tous auront le droit de choisir, en conscience, les cours qui leur paraîtront les plus opportuns. Et contrairement à ce qu’on dit, ils sont assez adultes pour choisir avec discernement.

Quand on parle de "langue étrangère", c’est évidemment l’anglais qui est au centre des préoccupations. N’allons-nous pas devenir, comme le dénonce Michel Serres, une "nation  colonisée" ?

- On ne peut pas défendre la francophonie par la peur. Calmons-nous ! En ces temps troublés, nous avons le choix entre la crispation et l’ouverture, et il me semble que l’ouverture est la meilleure conseillère. Autrement, nous deviendrons un petit pays renfermé sur ses certitudes, et incapable d’exporter autre chose que quelques produits de luxe… Michel Serres se montre critique, mais il enseigne à Stanford... en français. Il est bien heureux, me semble-t-il, d’avoir trouvé là-bas de l’ouverture d’esprit, non ? De même, les enfants scandinaves regardent dès le plus jeune âge, à la télévision, des programmes en  anglais. A l'âge adulte, ils manient un anglais excellent et un très bon allemand. Est-ce que la culture danoise ou finlandaise sont en péril ? Sont-ils moins critique vis-à-vis de l'"impérialisme" américain que nous ? Soyons sérieux. Je vois surtout beaucoup d’hypocrisie derrière tout ça.

Quelle hypocrisie ?

- J’observe que beaucoup de ceux qui critiquent cette loi sont passés par des grandes écoles, qui mettent en place depuis longtemps un grand nombre cursus en langue anglaise. Ils parlent un anglais irréprochable et leurs enfants sont souvent dans le même cas. Je les trouve plutôt mal inspirés de dénier aux étudiants des universités le droit de bénéficier, s’ils le souhaitent, de cursus en anglais. Je compte parmi ceux qui pensent qu’il ne faut pas donner plus de droits aux grandes écoles qu’aux universités et qui essaient justement de jeter des passerelles entre ces deux mondes.

 

Source : tempsreel.nouvelobs.com, le 30 avril 2013

http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130430.OBS7733/anglais-en-fac-moins-de-1-des-cours-concernes.html

 

 

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Réponse du Forum pour la France à l’entretien

donné par Mme Fioraso au Nouvel Observateur :

 

Les arguments du ministre nous paraissent être bien faibles et comporter de fortes contradictions et gageures.

Parlant des cours qui seraient donnés en anglais, si « sa » loi était votée telle que rédigée actuellement, elle dit : « cela va concerner moins de 1% des cours ! Simplement parce que tous les professeurs ne sont pas capables ou n’ont pas le souhait de dispenser des cours dans une langue étrangère » (sic !)

Mais plus loin, voulant dissiper les « rumeurs » selon lesquelles les cours en anglais seraient réservés aux seuls étudiants étrangers, elle précise que « cette réforme concernera autant les étudiants français que les étrangers. Tous auront le droit de choisir, en conscience, les cours qui leur paraîtront les plus opportuns. Et contrairement à ce qu’on dit, ils sont assez adultes pour choisir avec discernement ». Donc : sans guère de doute, en anglais, compte tenu aussi de la pression très forte qu'ils subiront, comme si la décision venait d'eux-mêmes... .

Comment dans ces conditions croire un instant que les cours en anglais représenteront 1 % du total lorsque l’on sait quelle pression formidable joue en faveur de la langue la plus usitée, l’anglais ?

Mme Fioraso observe d’ailleurs plus loin, dénonçant « l’hypocrisie » des opposants à la loi, que beaucoup de ceux qui critiquent cette loi sont passés par des grandes écoles, qui mettent en place depuis longtemps un grand nombre de cursus en langue anglaise. Ils parlent un anglais irréprochable et leurs enfants sont souvent dans le même cas. Je les trouve plutôt mal inspirés de dénier aux étudiants des universités le droit de bénéficier, s’ils le souhaitent, de cursus en anglais. Je compte parmi ceux qui pensent qu’il ne faut pas donner plus de droits aux grandes écoles qu’aux universités et qui essaient justement de jeter des passerelles entre ces deux mondes ».

Il s'agit donc bien de permettre à tous d’être enseignés désormais en anglais.

Que signifie alors le 1% évoqué plus haut ?

Ne servirait-il donc qu'à rassurer a priori les inquiets et indignés ?

Autrement dit, on a laissé des grandes écoles développer des cours en anglais, le plus souvent dans l’illégalité et avec la complicité active de précédents ministres (Mme Pécresse au premier chef !) de l’enseignement supérieur, normalement chargés de faire respecter la loi, mais surtout soucieux de donner satisfaction aux universitaires les plus atlantistes et les plus avides. Partant alors de cette réalité ainsi encouragée, et puisqu’il faut que tout le monde soit « égal » et que les fraudeurs soient désormais en règle, il suffit de changer la loi - solution éprouvée dans d'autres domaines - la majorité alignée sur la minorité pour que cette dernière accède à la sainte égalité ! Voilà à l'œuvre la "Umwertung aller Werte", le renversement de toutes les valeurs annoncé par F. Nietzsche.

Mme Fioraso cite l’exemple des enfants scandinaves qui « regardent dès le plus jeune âge, à la télévision, des programmes en anglais. À l'âge adulte, ils manient un anglais excellent et un très bon allemand. Est-ce que la culture danoise ou finlandaise sont en péril ? Sont-ils moins critiques vis-à-vis de l'«aimpérialisme » américain que nous ? Soyons sérieux. Je vois surtout beaucoup d’hypocrisie derrière tout ça ».

Mais chacun sait que le danois, le suédois, le norvégien, etc. ne sont que de simples langues locales, et ne peuvent être mises sur le même plan que le français, langue d'institutions internationales partagée par de nombreux pays, parlée par plus de 220 millions de personnes, la plus enseignée au monde après l’anglais : fausse symétrie ! Volonté a priori de réduire le français...et la France ? Manier un excellent anglais étant le seul critère d'efficacité et de réussite ?

Et que dire de l’étiolement de ces langues scandinaves qui ne savent plus « nommer » toutes les réalités du monde moderne ? Du norvégien qui a laissé la place à l'anglais dans les universités du pays de Henrik Ibsen et de Knut Hamsun ? Diversité assassinée...

Rappelons enfin que le projet de loi ne comporte dans sa rédaction actuelle aucune disposition faisant obligation aux étudiants étrangers d’apprendre le français – et aux universités d’évaluer cet apprentissage et d’en tenir compte dans l'attribution du diplôme, garde-fou pourtant complaisamment évoqué oralement par Mme Fioraso.

 

(Réponse collective du Forum pour la France ; site : www.forumpourlafrance.org )

Paris, le 3.5.2013

 

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Mémoire de l'Association ALF sur le français dans les Sciences et la Recherche :

Document au format PDF

 

 

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