Sujet :

À bas la religion du bilinguisme !

Date :

2//2008

De :  Bernard Desgagné (courriel : )   Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"

À bas la religion du bilinguisme !

L’idée de répandre la connaissance de la langue anglaise à l’ensemble de la population du Québec est l’exemple parfait de l’enfermement de la pensée dont sont victimes trop de Québécois, y compris dans les cercles indépendantistes. En voulant se rapprocher des préoccupations de la population, Pauline Marois s’est en fait rapprochée de la désinformation dont le Québec est systématiquement victime sur la question linguistique. Le mouvement indépendantiste gobe bêtement les fausses prémisses dictées par ses adversaires. Il accepte de jouer sur leur terrain à eux au lieu de choisir ses propres règles et de les inviter sur sa patinoire.

Pauline Marois a répondu en improvisant à une question du Devoir qui lui a semblé secondaire, à propos de l’enseignement de l’anglais. Elle a livré sa pensée à l’état brut en s’appuyant sur ses croyances personnelles. Ce faisant, elle a donné toutes les mauvaises réponses, et ces réponses lui ont certainement en partie été soufflées par le sentiment de culpabilité dont elle souffre à propos de sa connaissance rudimentaire de l’anglais. Permettez-moi d’aider Mme Marois et le mouvement indépendantiste en général à se libérer de cette culpabilité et à casser les chaines qui le confinent à un cadre de réflexion bien étroit.

J’aurais aimé débattre de la question à l’intérieur du parti, conformément au vœu de Mme Marois, mais il semble que ce soit plutôt difficile pour un simple militant de troisième ordre. Avant de se mettre à gueuler sur la place publique, le militant a écrit ceci à son parti, en toute confidence, ulcéré par ce que Le Devoir avait rapporté : « [Pauline Marois] affirme que les jeunes qui fréquentent les cégeps anglais le font parce que l’enseignement de l’anglais est insuffisant à l’école publique française. Or, les cégépiens qui peuvent se permettre de poursuivre leurs études en anglais le font [évidemment] parce qu’ils ont déjà une très bonne connaissance de cette langue [acquise justement pendant leurs études à l’école publique française]. » Bref, Mme Marois a essayé de démontrer l’existence d’un problème par une observation prouvant en fait le contraire.

Malheureusement, après avoir souligné cet illogisme flagrant, le militant a reçu pour toute réponse d’autres élucubrations de la part de son parti. Alors, il s’est fâché tout rouge et, à ce jour, rien ne lui permet de croire qu’il devrait se calmer. Surtout qu’il vient de lire la récidive de Mme Marois dans le Journal de Montréal, où elle affirme n’importe quoi en s’appuyant sur du vent. Le Parti Québécois a besoin d’un bon débat sur la question linguistique, mais avant tout, libérons la pensée.

Qu’entend-on par la langue commune ou officielle ?

Pauline Marois s’est peut-être inspirée de Jacques Parizeau pour affirmer qu’il fallait tous être bilingues. Le plus aimé des chefs du Parti Québécois, parmi ses militants, préconisait le bilinguisme individuel et le français dans les institutions. L’ennui, c’est qu’avec tout le respect qu’on lui doit, M. Parizeau est un économiste. Quand il est question de fric, vous pouvez faire confiance à M. Parizeau, mais je suis moins certain qu’il voyait juste en matière linguistique, même s’il était sans doute plus proche des aspirations de ses partisans que ne l’ont été René Lévesque et Lucien Bouchard, tous deux profondément anglophiles et timorés sur le front linguistique.

Il faudrait savoir ce qu’on entend exactement lorsqu’on dit vouloir doter un Québec souverain d’institutions françaises. Veut-on y faire quand même une large place officieuse à l’anglais, langue concurrente et dominante sur le continent ? Pour certains, comme Josée Legault, cette question va trouver sa réponse toute naturelle si le Québec devient indépendant. Rien n’est moins sûr. En tout cas, elle n’a pas trouvé de réponse naturelle lorsque l’Irlande est devenue indépendante. Le beau rêve de ressusciter le gaélique est venu se fracasser contre la force d’attraction de la langue anglaise, que le peuple irlandais, devenu velléitaire, n’a pas su refouler.

On ne peut pas s’imaginer qu’on fera du français une véritable langue officielle ou commune si on continue de traiter l’anglais quasiment sur un pied d’égalité. La minorité anglaise du Québec est en fait l’excroissance de l’immense majorité anglaise du Canada et aussi de l’Amérique. Louis Bernard l’a rappelé dernièrement : dans les faits, le Québec est bilingue, et non français. C’est d’ailleurs le seul territoire vraiment bilingue en Amérique. Il est beaucoup plus bilingue concrètement que le Nouveau-Brunswick. On peut parler anglais dans toutes les sphères de la société québécoise, y compris devant les tribunaux et à l’Assemblée nationale. Les institutions anglaises du Québec, comme les écoles, les cégeps, les universités, les hôpitaux et les médias, sont énormément plus florissantes que leurs homologues acadiennes. Comment Mme Marois voit-elle les institutions françaises d’un Québec indépendant ? Seront-elles officiellement françaises, mais concrètement bilingues ?

Il est possible encore aujourd’hui de vivre au Québec sans dire un seul mot de français. C’est d’ailleurs ce que font certains Anglo-Québécois. Tout en étant de plus en plus nombreux à affirmer connaitre la langue française, ils persistent à utiliser surtout ou exclusivement l’anglais dans leur vie quotidienne, que ce soit au travail, dans les loisirs ou ailleurs. C’est exactement le contraire de ce qui se passe parmi les Canadiens français des autres provinces, qui parlent anglais au travail et dans leurs loisirs et qui sont aussi très nombreux à parler anglais chez eux. Il s’agit d’ailleurs d’avoir fréquenté les Canadiens français du Manitoba ou de la Nouvelle-Écosse pour savoir qu’ils maitrisent la langue anglaise parfaitement et qu’ils peinent de plus en plus à s’exprimer en français. C’est ce qu’on appelle le bilinguisme soustractif.

Loin de souffrir du bilinguisme soustractif, les Anglo-Québécois ont généralement une connaissance accessoire du français, qu’ils parlent occasionnellement et souvent avec passablement de difficulté. Les Canadiens français des provinces anglaises constituent une véritable minorité. Les Anglo-Québécois, eux, sont une minorité au comportement linguistique majoritaire.

L’idée souvent entendue qu’il faille respecter les droits des Anglo-Québécois dans un Québec souverain m’inquiète beaucoup. A-t-on l’intention de continuer de vouloir faire du français la langue de travail au Québec tout en subventionnant à coups de centaines de millions de dollars la formation en anglais de médecins, d’ingénieurs et de techniciens dans de tentaculaires et puissants établissements collégiaux et universitaires de langue anglaise ? C’est bien mal connaitre la mécanique de l’apprentissage des langues que de s’imaginer qu’une personne qui apprend son métier en anglais pourra l’exercer facilement en français simplement parce qu’elle a appris cette langue à d’autres moments. Le vocabulaire de son travail lui viendra naturellement à l’esprit en anglais.

Quels droits ont les Anglo-Québécois ?

Depuis 1982 existent dans le cadre constitutionnel canadien de prétendus droits linguistiques que le gouvernement fédéral lui-même n’a du reste jamais vraiment respectés. Le seul endroit au Canada où ces droits sont vraiment respectés, c’est le Québec. Or, si vous jetez un coup d’oeil à la Charte universelle des droits de l’homme, vous verrez que les droits linguistiques en sont absents. Rien d’étonnant à cela parce que la langue n’est pas une affaire individuelle, mais bien une affaire de société. C’est Trudeau qui a voulu en faire une affaire individuelle dans l’espoir de dissoudre l’identité des Canadiens français et des Québécois dans la grande identité canadienne multiculturelle. C’est évidemment un piège. On voit aujourd’hui le résultat net du bilinguisme institutionnel canadien et du principe des services en français, qui ont vu le jour en 1967 et qui ont été enchâssés dans la Constitution en 1982 : le poids des Canadiens français au Canada n’a cessé de diminuer et leur taux d’assimilation est faramineux.

Au Québec, à partir de la Révolution tranquille, on est parvenu à freiner temporairement la progression de la langue anglaise, mais on a pu constater que celle-ci n’avait rien perdu de sa grande force d’attraction, comme je l’ai abondamment expliqué au cours des deux derniers mois dans les pages de Vigile et du journal Le Québécois, avec statistiques et analyses à l’appui.

Dans le régime fédéral canadien, les langues sont soumises aux lois du marché. L’égalité juridique consacre une grande inégalité dans les faits qui ne fait que s’accentuer. Le français disparait et l’anglais gagne du terrain. C’est un fait indéniable, et il est indéniable que c’est le cas également au Québec, même si la progression de l’anglais y est moins rapide. Les droits linguistiques canadiens ne sont pas des droits fondamentaux de la personne, mais simplement un subterfuge pour poursuivre l’oeuvre de Lord Durham.

La communauté internationale n’a jamais reconnu le droit de quiconque d’être compris dans sa langue partout sur terre. En revanche, par la Convention sur la diversité des expressions culturelles, elle reconnait « le droit souverain des États d’élaborer des politiques culturelles ». Or, la langue étant le véhicule d’une culture, il découle de ces principes que chaque État a le droit de protéger la langue de sa nation contre l’envahissement d’une langue concurrente susceptible de noyer sa culture.

Est-ce que le Québec a l’obligation de protéger la langue et la culture canadiennes-anglaises ? Non ! L’État québécois a le droit et l’obligation de protéger la langue française et la culture québécoise. Quand bien même l’anglais ne serait plus parlé au Québec que comme langue seconde, par une minorité largement assimilée, la diversité culturelle ne s’en porterait pas plus mal, puisque la langue et la culture du Canada anglais ont déjà amplement l’espace et les moyens qu’il faut pour s’épanouir. Il ne s’agit pas de nier le patrimoine linguistique et culturel que la Grande-Bretagne a légué au Québec. Il s’agit simplement de se l’approprier et de s’en servir pour enrichir la culture et la langue des Québécois plutôt que pour créer un monde parallèle et concurrent solidement rattaché à la langue et à la culture d’une nation voisine. Le Québec a parfaitement le droit de s’approprier en français les éléments de son patrimoine britannique qu’il juge valables, de la même manière que le Manitoba a valorisé en anglais le legs de son fondateur, Louis Riel, un Métis qui parlait français.

À l’article 29, la Déclaration universelle des droits de l’homme dit ceci : « L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible. » Dans un Québec souverain, libéré des faux droits linguistiques garanti par un régime fédéral dominateur voué à la disparition du français, les Québécois d’origine anglaise auront les mêmes droits et les mêmes devoirs à l’égard de la communauté québécoise que les autres citoyens du Québec. Ils auront le droit de bien apprendre la langue française, qui devra leur être enseignée gratuitement et efficacement. Ils auront le droit de jouir de la culture québécoise et d’y contribuer. Ils auront le droit d’être considérés fraternellement comme des membres à part entière de la communauté québécoise, peu importe leurs origines.

Les Québécois d’origine anglaise auront en outre le même devoir que les autres Québécois, c’est-à-dire celui de défendre et de promouvoir la langue et la culture de leur pays.

Comment apprend-on à parler une langue ?

Les Québécois se font beaucoup reprocher de mal parler leur langue. Certains, comme Lysiane Gagnon, vont même jusqu’à affirmer que les Québécois ne méritent pas d’avoir leur propre État parce qu’ils parlent une langue dégénérée. Beau raisonnement. C’est un peu comme dire qu’un peuple asservi et privé du droit à l’éducation par une puissance coloniale n’a pas le droit de s’en libérer parce qu’il est analphabète. On invoque les conséquences de son oppression comme motif pour l’empêcher de s’en sortir.

Les langues sont extrêmement complexes. Beaucoup plus complexes que les mathématiques ou la physique nucléaire. On peut apprendre aux ordinateurs à résoudre des équations, mais on n’est pas encore arrivé à leur montrer à parler. Le cerveau humain est particulièrement doué pour les langues, mais il a besoin de beaucoup d’exercice.

L’être humain doit trouver constamment dans son environnement les mots et la façon de les agencer. Personne ne peut mémoriser le dictionnaire et s’en souvenir toute sa vie, et encore moins s’il faut y ajouter les expressions familières, les variantes phonétiques et les créations qui surgissent constamment pour décrire de nouvelles réalités. Bien sûr, il y a des règles, des principes et un esprit propres à chaque langue, qu’il est nécessaire de comprendre, mais les exceptions et les cas particuliers sont nombreux. Parler une langue ne se fait pas individuellement, avec un dictionnaire, mais avec le soutien constant de l’environnement linguistique.

S’il est utile de bien apprendre une langue à l’école, cet apprentissage ne saurait, à lui seul, permettre à quiconque de maitriser une langue. On aura beau imposer une dictée quotidienne aux petits Québécois, ils ne sauront pas mieux parler leur langue si, par la suite, ils trouvent, sur le marché du travail et ailleurs sur la place publique, un environnement qui ne les nourrit pas sur le plan linguistique.

Autrement dit, si je vais au garage, c’est le mécanicien qui devrait me donner les mots dont j’ai besoin pour parler de ma voiture. Ce n’est pas parce que je suis prix Nobel de littérature ou docteur en linguistique que je sais forcément comment s’appelle chaque composant du moteur. Le mécanicien, lui, le sait, à condition d’avoir reçu sa formation générale et professionnelle en français, de disposer de manuels du fabricant en français et de travailler dans un milieu où le français est valorisé. Est-ce le cas actuellement dans les garages du Québec ?

Le français est-il plus difficile que l’anglais ?

Le français n’est pas plus difficile que l’anglais. Peu de gens savent que les jeunes qui étudient en français apprennent à lire le français plus tôt dans leur vie que les jeunes qui étudient en anglais apprennent à lire l’anglais. L’anglais est une langue phonétiquement très irrégulière. Quand on regarde un mot, on ne peut pas savoir a priori comment le prononcer. L’accent tonique est très important en anglais. En revanche, le français peut se décoder syllabe par syllabe, de sorte que les tout-petits s’y retrouvent facilement.

Lorsque j’étais enseignant, je m’étonnais chaque jour de voir comment les jeunes du Canada anglais avaient de la difficulté à orthographier les mots de la langue anglaise. Pourtant, me disais-je, ils ont moins d’accords à faire. La conjugaison des verbes est plus simple. Mais malgré tout, à milieux équivalents, les gens n’écrivent pas mieux en anglais qu’en français. Si, au Québec, il peut être difficile de bien connaitre la langue française, c’est qu’il y a d’autres facteurs, d’ordre sociolinguistique, qui en sont responsables.

Ce qui fait qu’une langue devient plus facile à parler par rapport à une autre, c’est son omniprésence sur la place publique. Quand on vit au Canada anglais, l’anglais est partout pour souffler aux gens les mots dont ils ont besoin. Au Québec, le français n’est pas aussi présent qu’on le voudrait. Nombre de Québécois sont obligés de travailler beaucoup en anglais et ne peuvent alimenter la société québécoise, dans leur spécialité, avec les mots français dont elle aurait besoin. Les mots et les expressions anglais leur viennent spontanément à l’esprit parce que c’est ce qu’ils voient et entendent tous les jours. Et les anglicismes de pleuvoir. Et le français de s’appauvrir.

Actuellement, le parti des Anglais de Jean Charest et de Michelle Courchesne voit l’apprentissage du français uniquement par un bout de la lorgnette : celui de l’école. Il refuse d’obliger entreprises, organismes publics fédéraux et professionnels à fonctionner en français au Québec et à être rigoureux dans leur usage du français. Mme Courchesne vante la beauté de la langue française, culpabilise le petit peuple irrespectueux de cette beauté et abandonne les Québécois à un environnement linguistique où le français s’appauvrit sans cesse. Voici trois exemples de l’environnement linguistique hostile au français que subissent les Québécois.

Premier exemple : Radio-Canada abreuve constamment le public québécois d’imbécilités franglaises comme « scientifiques internationaux » (au lieu de « groupe international de scientifiques ») et « ronde de négociation » (au lieu de « cycle de négociation »). Deuxième exemple : L’administration fédérale accable le Québec d’un français douteux. J’ai essayé pendant plusieurs mois de faire corriger une expression fautive issue d’une politique du Conseil du Trésor et imposée à l’ensemble de la fonction publique fédérale. J’ai écrit à tous les hauts fonctionnaires concernés. Rien à faire. Dans des centaines d’avis de concours, chaque année, on continuera de dire « bilingue impératif » au lieu de « bilinguisme impératif ». C’est carrément rire de la langue française.

Troisième exemple : Diverses entreprises de taille respectable commettent des fautes qui finissent par avoir ensemble un effet néfaste sur la langue française. Parfois, ces entreprises refusent carrément de corriger leurs fautes, même lorsqu’un client prend le temps de leur donner tout cuit dans le bec une formulation française correcte.

Ainsi, la station de ski Le Massif, de Petite-Rivière-Saint-François, a la rubrique « groupes et corporatifs » dans l’entête son site Web. Des corporatifs ? Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi pas simplement « groupes ». Rien à faire. L’administration du Massif est bouchée et se fiche éperdument de la langue française. Cet exemple en apparence anodin est révélateur parce qu’il s’agit d’une entreprise établie au coeur du Québec français, dans la circonscription de Pauline Marois. Or, en anglais, le site du Massif ne contient pas de faute aussi flagrante. Par exemple, pour la rubrique en question, on dit « Corporate & Group Outings ». Quand vient le temps de plaire aux touristes anglais, la rigueur est de mise. Mais, la langue française, elle, peut être massacrée sans vergogne. On voit bien que l’appauvrissement de la langue est en partie attribuable à des Québécois de langue française qui ont fait du bilinguisme un crédo et qui négligent sérieusement leur propre langue. Le français n’est pas plus difficile en soi que l’anglais, mais quand on pense en anglais à longueur de journée ou qu’on baigne dans un milieu où le mauvais français pullule, le français peut effectivement paraitre plus difficile.

Si les gens qui ont un certain pouvoir de diffusion de la langue dans la société québécoise étaient tenus de diffuser autre chose qu’une langue de dégénérés, les Québécois trouveraient sans doute dans leur environnement linguistique les mots et les expressions qu’il leur faut et que l’école ne peut pas leur graver définitivement dans l’esprit pour les immuniser contre les usages fautifs dont la société les bombardera pour le reste de leur existence.

Bref, on y revient toujours : la langue est un phénomène social qui doit être traité comme tel, et non comme une affaire personnelle. Le français s’apprend aussi bien que l’anglais pourvu que la société qui veut faire du français sa langue commune sache voir plus loin que l’école pour enseigner la langue.

Les Québécois doivent-ils apprendre davantage l’anglais ?

Le colonisé ne peut pas penser autrement que dans les paramètres imposés par le cartel médiatique qui lui a volé sa liberté de penser. Dans l’optique du colonisé, sans la langue du colonisateur, il n’est rien. Il est confiné à son petit monde étroit, sur un misérable bout de terre gelée, au nord de l’Amérique. Mme Marois l’a bien écrit dans Le Journal de Montréal, c’est l’égalité des chances qui est en jeu. Autrement dit, ceux qui ne parlent pas anglais sont désavantagés. Pour elle, c’est l’évidence. Le lavage de cerveau a été très efficace dans le cas de Mme Marois.

La langue anglaise est tellement nécessaire ! Sans elle, on ne peut acheter des bricoles sur eBay, savoir ce que le réseau Fox pense de la guerre en Irak ou voir trois cents navets hollywoodiens par année en version originale. On ne peut pas non plus savoir ce que chante Pascale Picard. Bref, c’est pratiquement la vie à l’âge des cavernes.

Actuellement, au Québec, la plupart des gens semblent croire que la personne qui parle seulement la langue de son pays est une espèce de demi-cerveau, un sous-doué qui ne peut réussir dans la vie. La personne peut être anthropologue de renom, historien émérite, virtuose du piano ou agronome expert, ses compétences ne sont rien si elle n’est pas capable de s’exprimer en anglais. Selon les Maxime Bernier du Québec, il faudrait même qu’elle parle sa langue seconde pratiquement sans accent pour échapper à sa misérable condition.

Certains Québécois disent avoir souffert de ne pas avoir su parler anglais. Ils veulent absolument éviter à leurs enfants de subir le même sort. Évidemment, ils oublient que, s’ils ont souffert de leur unilinguisme, c’est très souvent parce que le colonisateur leur a imposé la connaissance de l’anglais, en particulier sur le marché du travail. Ils ne se rendent pas compte que les Québécois seraient capables s’ils le voulaient, de faire comme tous les peuples normaux et d’imposer leur langue chez eux, surtout s’ils se décidaient enfin à fonder leur pays à eux. Ce serait d’autant plus faisable que le français est une langue largement répandue sur la planète, héritière d’une grande tradition. Imaginez les quatre millions et demi de Norvégiens, qui réussissent à vivre dans une langue que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Ils y arrivent, eux, alors pourquoi pas nous ?

En fait, les Québécois avides d’anglais pour leurs enfants raisonnent exactement comme la mère de ce coiffeur de Winnipeg dont j’ai déjà résumé l’histoire dans les pages de Vigile. Un jour, cette dame franco-manitobaine, qui voulait tant que son fils ne souffre pas comme elle de son unilinguisme et qui l’avait envoyé à cette fin fréquenter l’école anglaise, s’est aperçue que son fils ne parlait plus français, lui qui n’avait pourtant parlé que cette langue jusqu’à ses premiers jours de classe. Depuis ce temps, le fils a besoin d’un interprète pour parler à sa mère.

Il est temps d’oublier les craintes irrationnelles issues du passé et de cesser de dévaloriser l’unilinguisme. Il faut plutôt tout mettre en œuvre pour que la personne unilingue puisse vivre et s’épanouir dans son pays. La société québécoise a besoin d’un certain nombre de personnes bilingues ou polyglottes pour faire l’interface avec les langues étrangères. Mais, elle n’a pas du tout besoin du bilinguisme individuel intégral axé uniquement sur l’anglais que propose Pauline Marois. Un tel bilinguisme est suicidaire, comme on le verra plus loin. Pour faire l’interface, la société québécoise n’a pas seulement besoin de gens qui parlent anglais, mais aussi de gens qui parlent d’autres langues, puisque la défense de la langue française passe par la défense de la diversité culturelle et linguistique.

Le Québec a besoin de traducteurs et il en a déjà beaucoup, mais ils sont occupés à traduire d’obscurs rapports et d’ennuyeux comptes rendus dans les bureaux fédéraux. Au lendemain de l’indépendance, après le rapatriement des impôts et des fonctionnaires fédéraux québécois, le Québec disposerait de moyens additionnels pour traduire en français ce qui mérite de l’être.

Les chercheurs et les intellectuels québécois ne seraient pas obligés, pour rayonner, d’écrire en anglais. Ils pourraient écrire dans leur langue et, au besoin, leurs écrits seraient traduits, ce qui serait bénéfique pour l’enseignement universitaire en français. L’État québécois pourrait se doter d’une politique de financement de la recherche qui privilégierait nettement les travaux rédigés premièrement en français. Actuellement, les subventions sont attribuées largement selon le nombre de publications des chercheurs dans les périodiques de leur spécialité, qui sont presque tous en anglais. Les scientifiques sont condamnés à utiliser la langue anglaise.

À Saint-Hubert, les Québécois qui travaillent pour l’Agence spatiale canadienne sont appelés à collaborer avec la NASA, qui utilise le bras canadien. Or, dans quelle langue cette collaboration se fait-elle, selon vous ? Pour les Américains, les Québécois sont des Canadiens, donc ils parlent anglais. À l’inverse, quand la NASA collabore avec les Russes, laissez-moi vous dire qu’elle a affaire à comprendre que la science peut se passer dans d’autres langues que l’anglais. Lorsque le poste de commande russe parle, il parle russe, et les cosmonautes de la station orbitale ne se laissent pas imposer l’anglais par les Américains.

À Toulouse, en France, on construit le plus gros avion du monde, l’Airbus 380. Les exploits aéronautiques français ne se comptent plus. Dans le transport ferroviaire, le génie français est aussi à l’oeuvre, avec le TGV. Mais, dans quelle langue, selon vous, les Français travaillent-ils ? Allez demander aux ouvriers des usines de Toulouse s’ils doivent travailler en anglais. Ils vous répondront en riant qu’ils ne savent pas un mot d’anglais et qu’ils s’en fichent pas mal. Le français ne rend pas les gens moins intelligents, ni moins performants dans les sciences et les technologies.

Au lieu d’essayer de faire comme une minorité, pourquoi ne pas se comporter en véritable majorité ? Pourquoi ne pas prendre le Canada anglais comme modèle ? Au Canada anglais, seulement 7 % de la majorité linguistique dit connaitre le français et ne le parle pratiquement jamais. C’est cinq fois moins que le bilinguisme des Québécois de langue française. L’unilinguisme n’a pas l’air d’être un gros handicap intellectuel au Canada anglais. En fait, les unilingues semblent très bien prospérer à Toronto, Calgary et Vancouver. Pourquoi n’en serait-il pas de même à Montréal ? Pourquoi l’unilinguisme français serait-il une tare alors que l’unilinguisme anglais serait parfaitement acceptable ? Ne tombons surtout pas dans le piège que nous tendent les Jack Jedwab et Brent Tyler de ce monde, qui essaient de culpabiliser les Québécois lorsqu’ils citent les Anglo-Québécois en exemple et que Radio-Canada reprend bêtement leurs arguments. Les Anglo-Québécois sont une minorité, ne leur en déplaise. Les Québécois de langue française forment une majorité.

Il est normal qu’une minorité sache parler la langue de la majorité. Ce qui est anormal, c’est qu’encore un tiers des Anglo-Québécois ne sache même pas parler français et que la vaste majorité d’entre eux se serve beaucoup plus de l’anglais que du français sur la place publique. Il n’est pas normal non plus que l’anglais permette de gagner un salaire plus élevé que le français, comme l’explique très bien Charles Castonguay dans le numéro de janvier 2008 de L’Action nationale. Enfin, il n’est pas normal que la majorité des substitutions linguistiques s’opérant au Québec favorisent la langue anglaise, quoi qu’en disent les menteurs de La Presse, qui font bien attention de compter dans leurs statistiques perverses les substitutions linguistiques favorisant le français qui ont eu lieu hors du Québec, avant l’arrivée des immigrants.

Même les enfants anglo-québécois doivent tous savoir parler français. Sinon, comment pourront-ils s’intégrer au reste des jeunes québécois dans la rue, au parc, dans les sports, dans les arts, dans les innombrables autres circonstances de la vie ? Les jeunes Canadiens français des provinces anglaises apprennent l’anglais très tôt, par la force des choses. Dans les matchs de soccer juvénile, en Saskatchewan, ni les arbitres, ni les entraineurs ne sont bilingues. Le jeune joueur canadien-français doit parler anglais pour jouer.

Quand faut-il commencer à apprendre une langue étrangère ?

Les légendes à propos de l’apprentissage des langues étrangères sont nombreuses. Le parti des Anglais du Québec adhère à la légende de l’apprentissage précoce. Il s’inspire d’une vieille théorie sans fondement de Wilbert Penfield, selon laquelle l’apprentissage d’une langue seconde améliorerait les connexions entre les neurones, ou sur d’autres théories aucunement étayées voulant que le cerveau des jeunes enfants soit une éponge et qu’il puisse donc plus facilement absorber les langues que le cerveau prétendument plus rigide des adultes. Tout cela n’est que de la foutaise.

Soit dit en passant, dans le cas du Québec, l’enseignement de l’anglais à partir de la première année imposé par le parti des Anglais ne peut aucunement être considéré comme une expérience puisqu’il n’y a pas de groupe témoin. C’est la totalité des élèves du Québec qui y passent. Il ne sera jamais possible d’en tirer des conclusions scientifiques. Même si l’on constatait, dans une quinzaine d’années, une hausse du bilinguisme parmi les jeunes adultes, cette hausse pourrait être attribuable à toutes sortes d’autres facteurs, notamment à la progression de l’usage de l’anglais dans le reste de la société.

La seule étude vraiment sérieuse et à grande échelle sur l’apprentissage des langues étrangères au primaire s’est déroulée dans 125 écoles de Grande-Bretagne à partir de 1963. Elle portait sur des élèves de tous les niveaux d’aptitude et de toutes les catégories sociales. La conclusion de cette étude a été négative et elle concorde avec les observations faites sur le terrain dans les écoles d’immersion française du Canada anglais. L’enseignement intensif d’une langue étrangère au primaire, que ce soit à partir de la première année ou à partir de la cinquième année ne donne pas de meilleurs résultats que l’enseignement de la même langue plus tard dans la vie. En fait, elle peut donner de moins bons résultats.

Dans les écoles d’immersion française du Canada anglais, où j’ai eu l’occasion de travailler pendant une dizaine d’années, on s’est aperçu que les jeunes qui commencent l’immersion française en première année du secondaire ont, au bout de trois ans, une connaissance aussi bonne du français que les élèves qui commencent l’immersion au début du primaire. Autrement dit, les six ou sept premières années d’apprentissage du français ont été faites en pure perte.

Contrairement à ce que véhiculent les légendes, les adolescents et les jeunes adultes sont mieux outillés pour apprendre une langue étrangère que les jeunes enfants ne le sont. Les Québécois en font d’ailleurs la preuve puisque, contrairement aux Canadiens anglais, qui apprennent le français à l’école, puis ont tendance à l’oublier dans leur vie adulte, les Québécois commencent vraiment à connaitre l’anglais à la fin du secondaire, pendant les études postsecondaires ou sur le marché du travail. Quel mal y a-t-il à cela ? Pourquoi faudrait-il qu’un enfant de huit ou neuf ans vivant dans son propre pays sache parler une langue étrangère ? L’enfant qui appartient à une minorité linguistique doit apprendre très tôt à parler la langue commune de sa société. Mais, pour la vaste majorité des jeunes Québécois, l’anglais est une langue étrangère dont ils ne devraient normalement avoir besoin que dans leur vie d’adulte.

Et même pour les adultes, il faut cesser de prétendre qu’il est souhaitable de savoir parler les langues étrangères à la perfection ou sans accent. C’est peut-être nécessaire pour Maxime Bernier, Josée Verner et les autres serviteurs du Canada anglais, mais pour la vaste majorité des gens, la connaissance de l’anglais est utile surtout pour la compréhension. Savoir lire l’anglais avec l’aide d’un dictionnaire peut être utile. Être capable de prononcer un discours devant un parterre de dignitaires à l’affut de la plus petite faute de prononciation est loin d’être une nécessité pour la quasi-totalité des gens.

L’école québécoise est assez efficace pour enseigner l’anglais, car, comme je l’ai expliqué plus tôt, les langues ne s’apprennent pas seulement à l’école. Compte tenu de l’omniprésence de l’anglais dans les médias, dans les produits culturels et même sur la place publique à certains endroits au Québec, cette langue pénètre comme par osmose dans les neurones des Québécois. S’il y a une faiblesse dans le système scolaire québécois, elle se situerait plutôt dans l’enseignement des autres langues étrangères. C’est l’anglais qui prend toute la place. Sauf dans certains programmes spéciaux, les autres langues sont très peu présentes.

Plus de la moitié des jeunes adultes francophones québécois savent parler anglais, plus de 60 p. 100 dans Montréal et sa banlieue et environ 80 p. 100 dans Gatineau et sa banlieue. L’école publique française et le contexte québécois produisent des bilingues à profusion. Il est inutile, voire risqué d’en rajouter. C’est le français qu’il faut renforcer. C’est l’unilinguisme qu’il faut valoriser.

Quelles sont les conséquences du bilinguisme individuel généralisé axé sur l’anglais ?

Le bilinguisme individuel généralisé et axé strictement sur la langue concurrente et dominante qu’est l’anglais est très dangereux pour la vigueur linguistique et culturelle du Québec. Le bilinguisme individuel des jeunes adultes québécois dépasse aujourd’hui largement la proportion de diplômés universitaires. Tous ces jeunes gens bilingues sont le prétexte idéal pour rendre le français moins nécessaire au travail et ailleurs sur la place publique.

On est bien mal pris lorsqu’on est bilingue. Sous peine d’avoir l’air bête, on est tenu de répondre à son interlocuteur anglais dans sa langue. Lui, il a toujours l’excuse de ne pas savoir parler français.

C’est ainsi que, chaque jour, des milliers de Québécois sont obligés d’employer l’anglais dans la fonction publique fédérale et dans des entreprises ayant pignon sur rue au Québec. Un seul Anglais qui ne peut ou ne veut pas parler français suffit pour que neuf personnes qui préfèreraient normalement le français se mettent à l’anglais huit heures par jour.

À l’inverse, loin d’être dommageable, l’unilinguisme d’une très forte majorité des membres d’une nation est un gage de vigueur linguistique.

La langue anglaise ne s’est pas imposée par sa valeur intrinsèque ou parce que les Anglais étaient plus intelligents, mais simplement parce que depuis toujours, ils refusent de parler d’autres langues. L’unilinguisme anglais est le secret de la vigueur de la langue anglaise. En principe, les Canadiens anglais et les Américains ne se diront pas contre la vertu. Ils vous diront avec le sourire que la connaissance d’une autre langue ouvre des horizons, facilite les voyages, et ainsi de suite. Mais concrètement, ils sont très peu nombreux à apprendre d’autres langues. N’y aurait-il pas une leçon à en tirer pour le Québec ? Sachons nous aussi nous montrer vertueux, mais surtout en paroles.

Les sociolinguistes vous diront qu’à partir du moment où le bilinguisme individuel axé sur une seule autre langue étrangère passe un certain seuil, le risque est très grand que la langue commune finisse par être remplacée par la langue concurrente. Il n’est pas question d’une évolution linguistique ou de la lente transformation des langues, qui fait par exemple que le français d’aujourd’hui diffère beaucoup du latin vulgaire, de la langue romane, de l’ancien français et même du français parlé au XVIe siècle. Il s’agit du remplacement pur et simple du français et de l’assimilation des Québécois à la langue et à la culture de leurs voisins canadiens-anglais et américains.

En ce qui me concerne, si toutes les langues sont destinées à évoluer, voire à mourir, j’invite nos voisins les Canadiens anglais à nous prouver leur modération et leur libéralisme linguistique. Qu’ils laissent l’anglais mourir en premier. On verra après si on a le goût de faire de même avec le français.

Quel discours et quels arguments pour Pauline Marois ?

Nous sommes à un clic de souris du monde, nous dit Pauline Marois, pour qui sans doute le monde mondialisé est anglais. L’homogénéisation est devenue synonyme de diversité. Si Pauline Marois tient ce genre de discours réducteur et navrant, c’est selon moi qu’elle souffre d’un sentiment d’infériorité et de culpabilité parce qu’elle-même s’est fait reprocher de ne pas parler anglais et parce que personne n’a pris le temps de la défendre. Et bien moi, Madame Marois, je vais vous aider à vous défendre.

Permettez-moi de vous proposer une sorte de thérapie pour vous départir d’entrée de jeu de ce sentiment qui vous empêche de penser hors des prémisses fausses de vos adversaires. Permettez-moi de vous proposer, une fois n’est pas coutume, un discours de Nicolas Sarkozy. Non pas que j’en sois un admirateur, mais je pense que le discours que je vais vous proposer vous donnera un peu d’assurance.

Il s’agit du discours qu’a prononcé M. Sarkozy dernièrement devant le Congrès des États-Unis. Devant la classe politique représentant la plus grande puissance militaire au monde, un pays massivement anglais, le président de la France s’est exprimé en français. Il a commencé en disant ceci, dans un français impeccable dont vous êtes capable vous aussi, si vous le voulez : « Mesdames et messieurs les membres du Congrès des États-Unis, je veux vous dire une première chose. L’amitié, pour la France, c’est d’abord d’être fidèle à ses amis, à ses valeurs, à son histoire. La France est l’amie des États-Unis d’Amérique ». Devinez quoi ? La salle a applaudi chaleureusement M. Sarkozy et l’a écouté religieusement poursuivre son discours en français.

Vous seriez capable, vous aussi, Madame Marois, de tendre la main à nos compatriotes Anglo-Québécois et de leur dire le plus fraternellement du monde, mais en français, qu’ils sont nos amis et que nous leur demandons d’être avec nous dans le combat pour la langue française en Amérique et dans le monde.

Le pauvre Québécois, dont les chefs ont perdu toutes les batailles, comme le disait Pierre Bourgault, voit la concurrence de la langue anglaise sur son territoire comme une fatalité. Il serait temps qu’enfin un chef lui dise que ce n’est pas une tare de parler exclusivement sa langue chez soi et même dans le monde.

Il va falloir que vous choisissiez dorénavant entre les railleries juvéniles des petits serviteurs fédéraux québécois et le titre de carpette anglaise. Si j’étais vous, le choix serait facile. Ce ne sont ni les libéraux, ni les adéquistes, ni les autres amateurs de radiopoubelle qui vont venir à vos cocktails de financement et qui vont coller vos affiches pendant la prochaine campagne électorale.

J’espère que vous et vos conseillers saurez mettre à profit le solide argumentaire que je suis en train de vous offrir sur un plateau d’argent et que d’illustres intellectuels québécois ne demandent qu’à enrichir et à étayer pour vous. Faites appel, par exemple, à Charles Castonguay et à Simon Langlois, deux membres du comité de suivi et d’évaluation de la langue française que l’OQLF a muselé et tenu dans l’ignorance de ses plus récentes études. Demandez-leur ce qu’ils pensent du bilinguisme intégral. Ils vous éclaireront davantage que les éditoriaux de La Presse et les balivernes de Radio-Canada.

Sachez échapper à l’enfermement de la pensée. Emmenez vos adversaires jouer sur votre patinoire. Mettez vos patins et regardez-les courir après vous en bottes.

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Questions et réponses utiles pour Pauline Marois

Un journaliste — In English, please !

Pauline Marois — Si vous voulez des réponses en anglais, allez voir M. Charest. D’ailleurs, j’ai cru comprendre qu’il ne donnerait à l’avenir ses conférences de presse qu’en anglais puisque c’est la langue que comprend la totalité de sa base électorale. On ne peut en dire autant du français. Quant à M. Dumont, il vous répondra sans doute en anglais, mais il vous récitera essentiellement la même chose que Stephen Harper.

Un journaliste — Que proposez-vous pour améliorer le bilinguisme des Québécois ?

Pauline Marois — La connaissance de l’anglais n’a pas besoin d’être améliorée au Québec. Elle est déjà excellente. Plus de la moitié des jeunes adultes québécois savent parler anglais. Dans la région de Montréal, la proportion atteint plus de 60 %. En Outaouais, elle est de 80 %. Par comparaison, au Canada anglais, si on exclut les minorités canadiennes-françaises, seulement 7 % des gens parlent français. En revanche, la connaissance des autres langues étrangères aurait besoin d’être meilleure au Québec. Il faut sans doute mettre moins l’accent sur l’apprentissage de l’anglais et davantage sur l’espagnol, le portugais, l’italien, l’allemand, l’arabe ou le chinois, par exemple.

Un journaliste — Mais, les Anglo-Québécois sont bien plus bilingues que les autres Québécois.

Pauline Marois — Dans les régions où se trouvent les Anglo-Québécois, les autres Québécois sont pratiquement aussi bilingues qu’eux. De plus, bien que les Anglo-Québécois affirment connaitre la langue française, ils disent aussi ne pas s’en servir bien souvent. C’est le contraire des Canadiens français du Canada anglais, qui parlent surtout anglais parce qu’ils sont dans un milieu anglais. Les Anglo-Québécois se comportent encore comme une majorité, ce qui nous fait oublier qu’ils sont en fait une minorité et qu’il n’y a donc pas de comparaison possible entre eux et la majorité québécoise. Il est tout à fait normal que la minorité linguistique soit capable de parler la langue commune et même qu’elle l’utilise la plupart du temps. Il en est ainsi dans tous les pays normaux du monde. Il est vrai que le Québec n’est pas encore un pays, mais comme je veux être le premier chef d’État d’un Québec souverain, je tiens le discours d’un chef d’État, et non celui d’un chef de territoire conquis.

Les Anglo-Québécois ont encore beaucoup de progrès à faire pour s’intégrer pleinement à la société québécoise. Je les invite fraternellement à se joindre à nous pour défendre le Québec, sa langue et sa culture. Nous avons besoin d’eux.

Un journaliste — Alors, vous dites que le bilinguisme est suffisant au Lac-Saint-Jean ?

Pauline Marois — L’unilinguisme n’est pas une tare. C’est même la norme dans la plupart des pays du monde, y compris au Canada anglais. L’unilinguisme est en fait un très bon indice de la vigueur linguistique d’une nation. Si le bilinguisme est insuffisant au Lac-Saint-Jean, que dire du bilinguisme de Moose Jaw ?

Les programmes d’enseignement des langues étrangères au Québec doivent tenir compte des réalités régionales, mais il est certain que l’État québécois doit s’employer avant toute chose à donner accès au savoir et au travail en français plutôt que de répandre la fausse croyance que le monde est anglais et que l’unilingue a moins de chances qu’un autre. Les gens qui maitrisent l’anglais ont tendance à consulter beaucoup les sources d’information anglaises, ce qui n’est pas toujours une bonne façon de faire tomber les œillères et de s’enrichir. Les médias du monde anglo-saxon ont tendance à être nombrilistes. La culture américaine est autosuffisante et a une énorme force d’attraction. Il vaut peut-être mieux apprendre une autre langue lorsqu’on souhaite vraiment enrichir sa vision du monde.

Un journaliste — Quelle méthode préconisez-vous pour enseigner l’anglais et les autres langues aux Québécois ?

Pauline Marois — Les études sérieuses et les observations sur le terrain montrent que ce sont les adolescents et les jeunes adultes qui sont les mieux outillés pour apprendre les langues étrangères. C’est donc par des cours intensifs à partir de la deuxième année du secondaire et au cégep que l’enseignement des langues étrangères serait le plus efficace.

Dans le cas de l’anglais, il est vraiment inutile de forcer la note puisque les Québécois l’apprennent déjà très bien. L’apprentissage d’une langue ne se fait pas seulement à l’école et, vu la forte présence de l’anglais en Amérique du Nord, il est facile d’être en contact avec l’anglais, que ce soit par la télévision, l’Internet ou les autres médias. L’immersion anglaise n’est vraiment pas nécessaire au Québec, sauf peut-être dans certaines régions, et encore. L’immersion et les voyages-échanges pourraient cependant être utiles dans le cas des autres langues étrangères.

Un journaliste — Pourquoi voulez-vous que les immigrés cessent de parler leur langue chez eux ? Gil Courtemanche écrivait justement un article là-dessus dans Le Devoir du 2 février 2008. Beaucoup de gens disent que la langue parlée à domicile n’a aucune importance. Pourquoi voulez-vous vous mettre le nez dans le salon et la salle à manger des gens ?

Pauline Marois — Évidemment, ni moi, ni les autres défenseurs de la langue française n’avons jamais affirmé une chose pareille. Les immigrés sont les bienvenues au Québec et nous espérons qu’ils sauront transmettre à leurs enfants québécois leur langue maternelle, ce qui nous enrichit de gens capables de faire l’interface entre le français du Québec et d’autres langues étrangères que l’anglais.

Je m’inquiète toutefois au sujet des substitutions linguistiques qui s’opèrent sur le territoire québécois. Il a été clairement démontré, entre autres grâce aux travaux de Charles Castonguay, que ces substitutions favorisent nettement l’anglais. Bien sûr, il y a des immigrés qui adoptent le français, mais cette adoption se fait la plupart du temps dans le pays d’origine. Comme vous le savez, le Québec sélectionne une partie de ses immigrants, et la connaissance de la langue française est un important critère de sélection.

J’aimerais bien vous dire que nous devons la francisation apparente des immigrés au Québec à la loi 101, mais ce n’est pas le cas. Nous la devons au Maroc, à l’Algérie, à la Tunisie et à Haïti.

Ce qui nous inquiète, ce n’est pas que les Québécois d’origine étrangère parlent leur langue maternelle chez eux ou même sur la place publique. C’est plutôt que, lorsqu’ils adoptent une autre langue après leur arrivée au Québec, ce soit l’anglais qu’ils préfèrent au français dans la grande majorité des cas.

Un journaliste — Ne craignez-vous pas la réaction de la communauté anglaise du Québec ?

Pauline Marois — Il n’y a vraiment pas beaucoup d’Anglo-Québécois qui votent pour le Parti Québécois, malheureusement. Alors, mon parti ne risque pas de perdre beaucoup de votes à cause de ma position sur la langue. De plus, les Anglo-Québécois qui votent pour le Parti Québécois approuvent sans doute largement ce que je dis. Je préfère essayer de convaincre les Anglo-Québécois de se joindre au reste des Québécois pour vivre en français, plutôt que d’essayer de leur faire tous plaisir alors que je sais pertinemment que certains d’entre eux vont toujours résister fortement à la francisation du Québec. Ce refus est malheureux, et je leur tends la main fraternellement dans un esprit d’inclusion et dans le respect des origines de chacun. Mais il reste que je veux faire du Québec un pays français, et non une copie conforme du Canada bilingue de Pierre Trudeau.

Un journaliste — Quelles mesures proposez-vous pour renforcer le français au Québec, en attendant que l’indépendance vous permette de faire du Québec un véritable pays français ?

Pauline Marois — Je vous ai déjà fait part de certaines mesures concernant notamment la francisation des entreprises de moins de 50 employés. Après avoir consulté les spécialistes de la question, j’y ajoute maintenant les mesures suivantes :

À part les Anglo-Québécois, tous les jeunes cégépiens du Québec devront fréquenter les cégeps français.

La francisation des jeunes enfants devra commencer au stade préscolaire, pour qu’ils n’accusent pas de retard lorsqu’ils entrent à l’école française.

Un observatoire indépendant de la langue française sera créé et devra rendre des comptes à l’Assemblée nationale et au peuple québécois. Toutes ses études seront publiques. Il examinera la question sous toutes ses coutures au lieu de chercher à dissimuler les statistiques les plus gênantes pour ceux qui voudraient que le Québec reste prisonnier du bilinguisme canadien.

Les entreprises, les organismes et les professionnels du Québec seront tenus de s’exprimer non seulement en français, mais aussi dans un français correct. Pour ce faire, ils auront l’aide de l’Office québécois de la langue française. Les fautes dans les communications officielles comme la publicité ne seront pas sanctionnées, mais elles devront être corrigées. Le refus de corriger une faute pourra donner lieu à une sanction. C’est l’Office qui jugera s’il y a faute.

Les communications de l’État québécois se feront strictement en français. Les communications en anglais se feront sur demande exprès. Le nom du demandeur sera alors ajouté à une liste de personnes admises gratuitement à des cours de français. Le refus de suivre ces cours entrainera le refus de l’État de fournir des services en anglais à cette personne, à l’avenir.

Les programmes d’enseignement du français dans les écoles anglaises devront comprendre des périodes intensives de français au secondaire et au cégep. De même, les universités anglaises devront donner au moins un tiers de leurs cours en français d’ici 5 ans. Ces mesures visent à garantir la capacité de travailler avec aisance en français de toute personne formée dans les établissements québécois, avec les deniers publics des Québécois.

Avant de pouvoir travailler au Québec, toute personne ne faisant pas partie du personnel diplomatique d’un pays étranger devra réussir un examen de français correspondant à l’examen de français de la fin des études collégiales ou de la fin des études secondaires, selon le cas. Au besoin, l’examen pourra être adapté si la personne présente un handicap ou si elle n’a pas terminé ses études secondaires. Pourront être exclus les détenteurs d’un permis de travail temporaire ainsi que les artistes et les sportifs professionnels. Ceux-ci se verront quand même offrir des cours de français et seront fortement incités à les suivre.

Évidemment, une fois le Québec devenu indépendant, d’autres mesures de francisation vont s’ajouter pour que le français soit vraiment la langue commune des Québécois, plutôt qu’une langue en perdition soumise à une vive concurrence de l’anglais sur son territoire.

Bernard Desgagné