Sujet :

Anglicisation du parler au Québec

Date :

01/06//2009

De Bernard Desgagné (courriel : bernard.desgagne(chez)videotron.qc.ca)  

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Disparaissons fièrement

La Gatineau Loppet : un cas de sabotage linguistique par l’État québécois

Chronique de Bernard Desgagné
lundi 1er juin 2009      

Le président du Conseil de la langue française, Conrad Ouellon, croit que les Québécois ne sont pas assez fiers de leur langue. Ils se mettent à parler anglais lorsqu’un anglophone se joint à un groupe de francophones. Ils n’exigent pas d’être servis en français. Si le français perd lentement des forces au Québec, c’est la faute des Québécois eux-mêmes. C’est tant pis pour eux. Jadis sans histoire, ils sont aujourd’hui sans fierté, ce qui revient au même : s’ils ne sont pas capables de se débrouiller seuls, ils ne méritent pas autre chose que leur assimilation à l’Amérique anglo-saxonne.

Les reproches de Ouellon s’apparentent à ceux d’André Pratte, qui condamne dans ses éditoriaux le mauvais français du peuple, en particulier lorsque le peuple fait mine de vouloir se libérer. Ouellon et Pratte proposent aux Québécois de se résigner devant leur sort inéluctable de minoritaires. La marée anglo-saxonne étant irrésistible, il ne reste plus au peuple que le salut par la grammaire. Soumettons-nous et, dernier geste héroïque, monologuons dans un français impeccable chacun sur son tertre battu par les flots. Ayons comme vision d’avenir une mort digne.

Ouellon et Pratte sont deux curés qui proposent aux pécheurs une mortification nouveau genre pour gagner leur ciel. Fédéralistes jusqu’au-boutistes, ils invoquent les séquelles de l’asservissement pour justifier le maintien du régime de servage. Ils se disent que, les caribous ayant été maintenus dans un enclos pendant deux siècles et demi, ils ne savent plus courir et ont besoin du maitre pour les nourrir, bien qu’ils soient autorisés à garder leur panache.

La parenté spirituelle de Ouellon et Pratte comprend le commissaire aux langues officielles d’Ottawa, espèce de Don Quichotte des minorités dont se moque éperdument le Canada anglais . Ses grands coups d’épée dans l’eau et les autres dépenses issues de la politique de bilinguisme officiel sont le prix qu’a accepté de payer le pouvoir colonial d’Ottawa pour enterrer pacifiquement la nation québécoise, histoire de ne pas trop égratigner la vertu fédérale. La nation est enfermée à double tour dans sa prison constitutionnelle, et son geôlier lui confisque de temps à autre des privilèges. Elle a droit à ses curés et à ses illusions, mais les limites sont bien connues. Le Québec et ses régions limitrophes sont astreints au bilinguisme, tandis que le reste de la fédération se sent parfaitement à l’aise avec une seule langue et un bilinguisme de façade jamais respecté.

Il est interdit à la nation québécoise d’avoir recours à son État pour imposer sérieusement à la colonie anglo-saxonne du Québec la loi première sans laquelle aucune autre loi ne peut exister. Le peuple québécois n’a pas le droit d’imposer sa langue autrement que de façon plus ou moins symbolique. L’Ontario peut rédiger ses lois en une seule langue, l’Alberta aussi, mais pas le Québec. Le seul État majoritairement francophone en Amérique du Nord n’a pas le droit d’avoir une seule langue officielle comme la plupart des États normaux. Les curés Ouellon et Pratte ont bien intégré cette logique, et le Parti Québécois également, du reste. Alors, pendant qu’ils appellent les Québécois à la fierté dans la soumission, ils se font les apôtres d’un État québécois qui est régi par des lois bilingues, qui traduit en anglais les débats de son Assemblée nationale, qui offre activement tous ses services en anglais et qui dépense des milliards de dollars par année pour subventionner, au-delà des exigences fédérales déjà illégitimes, des institutions canadiennes-anglaises hypertrophiées et assimilatrices sur son territoire. Avec tant de servilité de la part d’un État à genoux devant ceux qui refusent la langue de la nation, est-il étonnant que des Québécois aient le gout, eux aussi, de parler la langue du vrai maitre et, par la même occasion, de favoriser leur mobilité sociale ascensionnelle ?

Ouellon, Pratte et consorts sont partisans d’un État québécois qui se plie aux paramètres de la vertu définis à Ottawa et qui refuse de mettre son poids résolument du côté du français. Au-delà des quelques mesures qui ont pu ralentir l’anglicisation, mais qui ont été minées par les contestations judiciaires et qui se révèlent aujourd’hui nettement insuffisantes, ce sont les simples citoyens qui devraient prendre seuls sur leurs épaules le destin de leur langue. Ce sont eux qui devraient faire respecter la loi première de leur nation, sous prétexte que cette loi n’en est pas une, que c’est un choix individuel ou un droit de la personne garanti par la reine d’Angleterre. Pourrait-on imaginer que l’État refuse d’assumer sa responsabilité de faire respecter d’autres lois et laisse aux citoyens le soin d’y voir par leurs propres moyens ? Il arriverait ce qui se produit sur le front linguistique : frustration, discorde et fatigue.

Mais, il y a pire encore que l’abdication de l’État québécois. En effet, il arrive à cet État de faire exprès pour torpiller les efforts des citoyens qui cherchent à pallier son absence sur le terrain linguistique. On a vu, par exemple, l’Office québécois de la langue française occulter des analyses de la situation du français pour éviter de reconnaitre que le français perd du terrain au Québec. Les dirigeants, qu’ils soient libéraux ou péquistes, ne veulent surtout pas toucher à ce qu’ils appellent « l’équilibre linguistique », mais qui n’est rien d’autre qu’une pente savonneuse vers l’anglicisation du Québec. Il leur faut donc faire l’autruche.

Or, j’aimerais aujourd’hui vous raconter l’histoire d’un cas de sabotage linguistique par l’État québécois. J’en avais parlé à la ministre responsable de l’Office québécois de la langue française, Christine St-Pierre, et au porte-parole du Parti Québécois en matière de langue, Pierre Curzi, dans une lettre qui avait été publiée sur Vigile le 19 février 2008 et à laquelle les deux destinataires n’ont jamais répondu. Ce cas de sabotage est celui de la Gatineau Loppet, au sujet de laquelle ma plainte a été définitivement rejetée par l’Office québécois de la langue française et par le protecteur du citoyen, le 23 mars 2009, après plus d’un an de défilade. Le nom anglais « Gatineau Loppet » ne sera pas remplacé par « Loppet de Gatineau », même s’il s’agit d’une violation de la Charte de la langue française. L’Office québécois de la langue française et le protecteur du citoyen ont refusé d’appliquer la loi en s’appuyant sur des motifs fallacieux. Voici donc ce qui s’est passé entre février 2008 et mars 2009.

La Gatineau Loppet : un cas de sabotage linguistique par l’État québécois

La Gatineau Loppet est une compétition internationale de ski de fond qui attire chaque année, en février, quelques milliers de participants, de bénévoles, de spectateurs et de journalistes. Tantôt pour la masse, tantôt pour l’élite, les épreuves ont leur départ et leur arrivée à Gatineau et emmènent les participants dans les sentiers du parc de la Gatineau. Il va sans dire que l’organisation d’une telle compétition exige beaucoup d’argent. Les frais d’inscription vont de 11 $ à 130 $ par skieur, mais ils sont loin de suffire au financement de l’organisation, qui, en plus des centaines de bénévoles, nécessite neuf employés. Les bureaux de la Gatineau Loppet sont hébergés par la ville de Gatineau, et la compétition est subventionnée par trois ministères québécois : le Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, le ministère du Tourisme ainsi que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

En février 2008, un collègue langagier et skieur de fond, Jacques Desrosiers, m’informe que sa plainte au sujet du nom « Gatineau Loppet » a été rejetée par l’Office québécois de la langue française sous prétexte qu’il s’agit d’un cas de mauvais français. Voici ce que disait la plainte de mon collègue : « Cet évènement sportif d’envergure internationale, qui attire au Québec des athlètes de plusieurs pays, vient d’être rebaptisé (anciennement “la Keskinada Loppet”) à nouveau avec un nom de forme anglaise : la “Gatineau Loppet”, au lieu de la “loppet Gatineau”. Il existe dans la région de Québec une loppet (course de ski de fond) appelée “loppet du Mont-Sainte-Anne”, et non bien sûr “Mont-Sainte-Anne loppet”. On ne dit pas en français “le Jacques-Cartier pont”, mais “le pont Jacques-Cartier”. »

En tant que fervent du ski de fond et en tant que Québécois aussi fier de sa langue que Conrad Ouellon peut le souhaiter, j’ai immédiatement pris le relai en portant plainte à mon tour. Au lieu de « loppet Gatineau », je propose « Loppet de Gatineau ». Les deux sont conformes à la syntaxe française, mais ma solution a la particularité de rattacher la compétition principalement à la ville de Gatineau elle-même, plutôt qu’à la rivière ou au parc fédéral du même nom. Voici un extrait de ma plainte : « Le nom de la compétition, “Gatineau Loppet”, est un nom anglais. En français, la syntaxe exige que l’on dise “Loppet de Gatineau”. On ne dirait pas le “Québec Carnaval” ou le “Pee-Wee tournoi”. Ce serait grotesque. Donc, une pareille inversion de l’ordre de mots est tout aussi inadmissible dans le nom d’une compétition de ski de fond. »

Le 29 mai 2008, l’Office me répond la même chose qu’à mon collègue : « La situation qui a fait l’objet de votre plainte concerne la qualité de la langue et ne constitue pas une contravention à une disposition spécifique de la Charte de la langue française. C’est pourquoi l’Office ne peut intervenir dans ce dossier. » On se croirait dans Astérix chez les Bretons. Inverser les mots est une drôle d’habitude, mais c’est la même langue.

La fumée me sort par les oreilles. J’envoie aussitôt ma réplique : « Vous rejetez ma plainte en disant qu’elle porte sur la qualité de la langue, ce qui est absolument faux. Le nom de la compétition est un nom anglais. […] On retrouve en français et en anglais des mots dont les graphies sont identiques, mais la syntaxe de chaque langue prévoit un ordre particulier pour les mots. Or, dans ce cas, les organisateurs de la compétition ont employé une syntaxe rigoureusement exacte en anglais, mais fautive en français. La seule conclusion logique est que c’est un nom anglais. […] Si l’on suit votre raisonnement, je pourrais fonder une « Gatineau Basketball Association » sans être inquiété par l’Office québécois de la langue. »

Quelques semaines plus tard, le téléphone sonne. C’est l’Office québécois de la langue française. Malheureusement, la diplomatie n’a jamais été mon point fort. Je ne tarde pas à souligner à mon interlocuteur que l’Office est devenu un repaire de collabos du Parti libéral et un haut lieu de l’occultation sociolinguistique au Québec sous la présidence de France Boucher. Après avoir écouté quelques instants mes doléances, mon interlocuteur me dit que je n’ai pas d’autre recours et me laisse entendre que je peux aller au diable. Donc, en juillet 2008, je décide de m’adresser au protecteur du citoyen. Quelques échanges par courriel et par téléphone ont lieu, et la réponse prend une éternité à venir. Elle arrive le 23 mars 2009, huit mois et demi plus tard, au bout d’un délai anormal et éminemment suspect.

Le protecteur du citoyen me répète d’entrée de jeu, sans aucune justification supplémentaire, que ma plainte originale adressée à l’Office québécois de la langue française n’est pas recevable parce qu’elle porte sur la qualité de la langue. En somme, ce que l’État québécois me dit, c’est qu’un fonctionnaire n’a qu’à décréter qu’un nom anglais est en fait un nom en mauvais français, et le tour est joué. Le Québec est le royaume des avaleurs de couleuvres. La Charte de la langue française n’a aucune portée réelle, et son application est purement arbitraire, puisque l’anglais peut se changer en français selon les caprices des fonctionnaires.

Mais, comble du cynisme, le protecteur du citoyen ajoute un autre argument cousu de fil blanc par l’Office. Le mot « loppet » serait une appellation d’origine, comme « whisky », « scotch » ou « porto ». Ce serait un dérivé du nom « Vasaloppet ». Évidemment, il s’agit d’un faux-fuyant, puisque, loin d’être une appellation d’origine, le mot « loppet » est un nom commun très courant en suédois qui veut dire « course ». Le mot « loppet » n’est pas une appellation d’origine, mais un emprunt à la langue suédoise. Si vous cherchez « loppet » avec Google, vous le trouverez dans environ 845 000 pages en suédois.

Quant à « Vasaloppet », c’est le nom d’une grande classique annuelle de ski de fond qui se déroule depuis 1922 entre Sälen et Mora, en Suède. Le mot « loppet » existait bien avant la première édition de la « Vasaloppet ». Et le français, et l’anglais, et d’autres langues empruntent le mot « loppet » au suédois parce que ce mot évoque les courses qui se tiennent en Scandinavie, berceau du ski. Les Suédois, eux, emploient le mot « loppet » dans divers contextes, y compris dans d’autres courses de ski de fond, comme la « Tornedalsloppet », et dans les courses de chevaux.

Mettre « loppet » et « Gatineau » ensemble est comme mettre « rallye » (un emprunt à l’anglais) et « Paris-Dakar » ensemble. Les emprunts sont permis, mais, à moins de vouloir écrire en anglais, il faut respecter la syntaxe, donc l’ordre des mots, de la langue française. On ne dit pas « Paris-Dakar Rallye ». Par conséquent, on ne dit pas « Gatineau Loppet ».

Mais, là où la lettre du protecteur du citoyen est la plus révélatrice, c’est lorsqu’elle me dit que, le 13 janvier 2009, l’Office est allé demander aux organisateurs de la course « Gatineau Loppet » d’en changer le nom en adoptant la syntaxe française, au lieu de la syntaxe anglaise. Ainsi, l’Office admet implicitement que ma plainte était fondée, mais refuse de forcer les organisateurs à changer le nom. Évidemment, les organisateurs de la course ont fait la sourde oreille. Avec l’argent des contribuables québécois, ils continuent de se moquer éperdument de notre langue. Ils sont déjà prêts à accueillir l’édition 2010 de leur course avec leur beau site Web impeccablement bilingue, à l’image du Québec prétendument français.

Morale de l’histoire : l’Office québécois de la langue française tolère l’emploi de l’anglais au lieu d’appliquer la Charte de la langue française. Il abandonne les citoyens qui, comme le veut Conrad Ouellon, défendent fièrement leur langue, et il se plie aux caprices de ceux qui, ayant glissé trop loin sur la pente de l’anglicisation, arborent servilement un nom anglais pour représenter le Québec sur la scène sportive, dans le monde entier. Alors, Monsieur Ouellon, êtes-vous sérieux quand vous parlez de fierté ?

 

***

 

Lettre au comité organisateur des fêtes du 475e anniversaire de Gaspé

 

Madame, Monsieur,

 

Je pensais me rendre en Gaspésie cet été, mais j’irai ailleurs. Je veux me tenir le plus loin possible des commandites fédérales, avec leur vert fluorescent, qui a été choisi spécialement pour faire oublier à la nation le blanc et le bleu lui ayant donné naissance. On connait la recette. On y a suffisamment gouté l’année dernière avec l’orange et le rose du 400e anniversaire de Québec.

De toute manière, vous n’aurez pas besoin de moi et des autres Québécois. Avec votre beau site Web en bilingue, comme du reste le site en bilingue de votre municipalité, pourtant à 86 % francophone, vous allez attirer des hordes de collabos fédéraux pleins de fric volé à la nation et des nuées de touristes de l’Amérique anglo-saxonne, dans laquelle vous rêvez sans doute de vous fondre totalement un jour. À en croire votre empressement à vous afficher en anglais, ça va parler anglais en masse cet été à Gaspé, une raison de plus pour que je n’y aille pas. Si je veux entendre parler anglais, il y a les plages des États-Unis, qui sont moins loin de chez moi que Gaspé.

En fait, cet été, j’irai partout au Québec où il n’y a pas de festival, histoire de ne pas me faire gâcher mes vacances par les commandites fédérales. Le gouvernement fédéral occupe déjà une assez grande partie de ma région, l’Outaouais, où la population n’ose pas relever la tête de peur de perdre les « jobs » qui lui sont gracieusement offertes par Sa Majesté, avec son trésor issu du pillage de la nation. J’en ai assez de voir des drapeaux fédéraux et du monde à plat ventre. Je ne veux plus en voir pendant mes vacances.

P.-S. : Je suis allé regarder quelques sites Web de festivals dans les provinces anglaises. Les commandites fédérales, qui sont réservées presque exclusivement au Québec, sont absentes des festivals du Canada anglais, ce qui permet à la population locale de vivre en paix dans sa langue, sans être inquiétée. Par exemple, dans la province de Louis Riel, le Manitoba, Folklorama mélange gaiement toutes les cultures, et le mélange se fait exclusivement en anglais. Le Manitoba était censé être une province bilingue, du moins c’est ce que disait sa Constitution en 1870. On voit ce que donne le bilinguisme au bout d’un certain temps. Ne vous en faites pas, le Québec y arrivera un jour. Nous serons un jour aussi bilingues que le Manitoba.

Bernard Desgagné

 

 

 

Source : vigile.net, le lundi 1er juin 2009

http://www.vigile.net/Disparaissons-fierement