Sujet :

Un 24 juin au Québec

Date :

26/06//2009

De Bernard Desgagné  (courriel : bernard.desgagne(chez)videotron.qc.ca)  

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Le frêle discours de la soumission

Lettre à Suzanne Clément

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Je ne voulais pas regarder le spectacle de la Fête nationale 2009 à la télévision parce que, contrairement à vous, Madame Clément, je ne pense pas que nous ayons beaucoup de raisons de fêter notre nation en voie d’assimilation. Le Québec vit des jours très sombres alors que sa langue nationale est en train de se faire dévorer par l’anglais et que son économie est sous l’emprise de Canada inc. Si vous doutez encore du recul dramatique du français, lisez « La dégringolade du français en 2006 ».

Mais, même si je n’avais pas du tout le cœur à la fête, je me suis quand même laissé tenter. Quelle erreur ! J’aurais dû aller me coucher ; je suis plus démoralisé que jamais. Vous m’avez envoyé l’image d’un Québec qui s’enlise de plus en plus dans un chauvinisme dérisoire et dans l’inconscience. Votre discours nous fait retomber bien bas après « Les Géants », de Loco Locass. L’année dernière, nous avions eu droit à cette œuvre colossale, empreinte de lucidité. Cette année, on nous a infligé votre mauvaise interprétation d’un texte ridicule qui aurait pu être écrit par l’un des funestes scribouilleurs au service de l’État Desmarais, dont l’objectif est la dissolution de la nation québécoise dans l’ensemble fédéral.

Vous invoquez les succès individuels d’artistes québécois comme s’il s’agissait de réussites collectives. Il n’en est rien. D’autant plus que certains artistes ne nous représentent aucunement. Ils représentent leurs petites personnes et leurs petites idées. Leurs œuvres ne sont aucunement tributaires du Québec. Elles en sont sorties par hasard. Elles auraient pu germer en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. 

Le Québec peut s’enorgueillir de grandes réussites collectives : la nationalisation de l’électricité ; la création de la Caisse de dépôt et placement, que l’État Desmarais s’affaire tristement à démolir aujourd’hui ; l’alphabétisation du peuple québécois, qui accusait autrefois un énorme retard par rapport au reste de l’Occident. Mais, le nombril de Guy Laliberté et les chansons en anglais de Leonard Cohen ne font pas partie de nos réussites collectives.

Vous dites que l’univers nous appartient et que le monde entier nous regarde comme si nous en étions la source de lumière. Je passe rapidement sur le ridicule de votre envolée lorsqu’on est une nation de 8 millions d’habitants sur une planète qui en comptera bientôt 8 milliards. On peut être fier d’être Québécois et vouloir être entendu dans le monde sans tomber dans un délire mégalomane comme celui que vous avez déclamé. Mais, ce qui est plus grave encore, c’est que vous essayiez de nous faire oublier que le Québec n’existe pas dans le monde. En fait, seul le Canada existe. Le Québec a un strapontin à l’UNESCO. C’est tout.

Enfin, au lieu de nous appeler à nous libérer du joug fédéral, vous affirmez que nous sommes une nation et que nous sommes déjà libres. Tiens, tiens. Pourquoi, alors, versons-nous la moitié de nos taxes et impôts à Ottawa ? Ce n’est certainement pas la marque d’une nation libre de se faire ainsi coloniser et soutirer son argent par une autre nation, qui s’en sert pour sa plus grande gloire. Cette autre nation dit reconnaitre que le Québec est une nation, mais refuse systématiquement d’agir en conséquence. Elle verse le sang de nos enfants dans une sale guerre en Afghanistan. Elle subventionne de grandes sociétés pétrolières qui détruisent la planète. Elle nous renvoie des pinottes, des commandites et des drapeaux pour nous faire fermer la gueule. 

Avons-nous déjà accepté le carcan fédéral qui nous asservit ? Non. Jamais. Le peuple québécois n’a jamais consenti à la servitude. Il a été soumis par la force des armes, puis par une Constitution, des lois et des institutions. Il n’est pas libre. Il ne l’est pas pour deux raisons : premièrement, parce qu’en son propre sein, des gens s’emploient à le maintenir dans l’asservissement pour leur plus grand profit personnel ou par corporatisme ; deuxièmement, parce que ces mêmes gens et d’autres encore s’emploient à le maintenir dans l’inconscience totale. Après vous avoir entendue le soir du 24 juin, je dirais que vous participez très certainement à cette entreprise d’anesthésie générale.

Je ne vous remercie pas pour ce frêle discours commandité par le Parti libéral. Vous manipulez ainsi la jeunesse du Québec. Vous lui faites croire que la fierté consiste à accepter son sort de peuple conquis et à ne plus se battre pour rompre ses chaines. Vous lui proposez de trouver refuge dans la réussite individuelle sur les marchés étrangers. Vous lui enseignez que le déni est une forme de liberté. Vous auriez mieux fait de vous taire.

 

 

Source : vigile.net, le 25 juin 2009

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