Sujet :

Nous ne sommes pas des victimes !

Date :

20/11//2009

De Bernard Desgagné  (courriel : bernard.desgagne(chez)videotron.qc.ca)  

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Nous ne sommes pas des victimes !

Bruit de bottes et de matraques contre les boucliers. Les chiens sont lâchés. Nous ne pouvons plus reculer. Nous sommes dans la rue de Bleury, face à la caserne du régiment des Black Watch, pour dire au monde que le Québec se souvient et se tient debout devant les héritiers du conquérant. Le prince Charles est le symbole de notre défaite originelle, qui empêche une bonne partie du peuple québécois de voir au-delà de l’horizon étroit défini par le pouvoir néocolonial d’Ottawa. Même parmi les indépendantistes, les stigmates de l’asservissement sont omniprésents. Penser comme un peuple libre nécessite un effort surhumain.

On voudrait nous démoraliser, nous faire accepter l’indignité, nous faire croire que notre malheur est une forme de bonheur, nous insuffler collectivement le syndrome de Stockholm. Dans la fédération liberticide, on oscille entre la haine et le mépris. Pauvres Québécois, disent-ils, vous aider à devenir comme nous de loyaux sujets de Sa Majesté est la meilleure chose que nous puissions faire pour vous. Entrez par le sas du bilinguisme et ressortez amnésiques de notre côté.

Nos ancêtres avaient exploré de vastes étendues du continent. À 20 contre 1, ils avaient confiné pendant longtemps les colonies anglaises au littoral de l’Amérique. Aujourd’hui, on voudrait nous faire croire que, sans le conquérant, nous, les héritiers de cette race vaillante, aurions couru à notre perte. Les massacres et l’oppression seraient des bienfaits. Ottawa veut notre bien. La Cour suprême veut notre bien. Le prince Charles est un philanthrope souriant. Il faut l’applaudir et célébrer nos chaînes.

 

Voir la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=ZUzaIeSQMqc&feature=player_embedded

 

Mais, nous sommes des résistants. Nous avons résisté pendant deux siècles et demi et, dans la rue de Bleury, nous résistons encore. Les scribouilleurs obséquieux ne pourront pas écrire demain que le Québec s’est résigné. Il faut nourrir l’espoir que voudraient anéantir les fossoyeurs de nation. Nous avons décidé d’occuper la voie publique pour perturber la visite princière au moins une fois. Est-ce un crime ? À voir les moyens déployés pour nous chasser, on dirait bien que oui. Soyons courageux.

N’ayant jamais eu à m’expliquer avec la police, je me sens les jambes un peu molles. Un instant, j’ai le goût de déguerpir, de laisser des plus jeunes et des plus grands que moi se battre au front. Comme pour chasser cette pensée, je sors des rangs et je cours vers la meute pour tenter de la calmer. « Vous êtes des Québécois, comme nous, dis-je au premier policier casqué que je rencontre. Vous ne pouvez pas nous faire ça. » Je reçois pour toute réponse un jappement : « bouge ! » Pas l’air sympathique du tout, le gaillard. Je reviens avec mes camarades, qui fourbissent leurs pancartes.

Je suis un petit intellectuel à lunettes de 51 ans. Qu’à cela ne tienne, je vais rester sur la première ligne. Derrière moi se trouvent des gens qui sont venus manifester à mon appel. S’il y a des coups à manger, je me sens obligé de les manger en premier. Je suis responsable de ce qui va leur arriver. Aussi bien que ça m’arrive à moi avant eux. Et puis, je suis en forme pour mon âge. Des jambes solides. Un cœur d’athlète. Des bras vigoureux.

Je reçois les premiers coups de bouclier en judoka. Je me laisse pousser, mais je reviens aussitôt. Jusque-là, pas trop de casse. À côté de moi, des camarades gémissent ; je comprends bientôt pourquoi. La police nous frappe à coups de matraque dans les jambes, l’abdomen et les côtes. Peu de gens s’en rendent compte à part ceux qui donnent les coups et ceux qui les reçoivent. Certains policiers donnent aussi des coups de pied entre les jambes. Les coups sont forts. Nous n’avons rien d’une armée de délinquants. Nous n’avons pas reçu d’entrainement spécial. La police en profite derrière son blindage. L’ordre est venu de haut : nettoyez-moi cette vermine pour que le prince puisse jouir de cette rue de son royaume.

Bernard Desgagné en lutteAprès avoir reçu cinq ou six coups, je commence à trouver le caniche qui me fait face passablement agaçant. Pour éviter d’en recevoir d’autres, je m’appuie contre son bouclier. Il ne peut plus me frapper. Il me repousse ; je m’appuie un peu plus fort. Soudain, il perd l’équilibre et manque de se retrouver sur le cul. Je m’apprête à m’excuser. Je voulais seulement me protéger contre les coups de matraque sournois. Alors, le caniche revient à la charge et m’assène une pluie de coups de matraque sur la tête. Je perds mes lunettes. Le caniche et un ou deux de ses compagnons les piétinent. Je n’en reviens pas de la violence de l’attaque. Je lui dis : « maudit malade ! » Je commence à comprendre comment on peut en venir à détester la police. Pauvre Fredy.

Sur les photos qui ont fait le tour du monde, je suis en train de demander aux gens qui se trouvent derrière le cordon de l’escouade tactique de ramasser mes lunettes. J’ai besoin de mes lunettes pour conduire ma voiture et rentrer chez moi, à Gatineau, après la manifestation. J’ai besoin de mes lunettes pour travailler le lendemain. C’est tout ce qui me préoccupe. Je ne vois même pas que je saigne. Je ne sais pas pourquoi des photographes accourent derrière les policiers. J’essaie de raisonner l’officier qui tient la laisse. Rien à faire. Il n’aurait que deux pas à faire pour prendre mes lunettes et me les remettre, même écrabouillées. Enfin, un photographe comprend, va les ramasser et me les fait remettre.

***

Pendant la soirée, après la manifestation, mes nouvelles peintures de guerre seront le symbole de notre réussite. Le prince a dû entrer par la porte arrière, près des poubelles, avec les rats. Il fallait se tenir debout. Nous l’avons fait et nous avons gagné. Mais, je suis loin d’être celui qui a le plus donné au combat. L’un d’entre nous, Christian Bergevin, a le poignet enflé et les lunettes fracassées. J’en ai vu un autre s’opposer à la progression de trois policiers, tout seul. Trois manifestants se sont fait arrêter pour « avoir refusé de libérer la voie publique », ce qui leur a valu une amende salée de 500 dollars.

Ottawa et Londres n’ont pas lésiné pour essayer de réparer le crime de lèse-majesté que nous étions en train de commettre. L’escouade tactique est intervenue non pas pour des raisons de sécurité, mais parce qu’en haut lieu, on a été profondément vexé. De notre position, devant la caserne, nous n’avons même pas pu voir le prince arriver. Il n’était pas nécessaire de nous bousculer pour nous refouler plus loin puisque, de toute manière, au moment de l’intervention, on avait déjà décidé de faire entrer le prince par la porte arrière. Il ne restait plus de Black Watch devant la grande porte pour accueillir le prince. Il aurait suffi que le cordon de policiers se déploie pour nous empêcher de nous approcher des poubelles et des rats.

Ce que je pense du Canada

 

Le lendemain de la manifestation, nous avons convenu de ne pas porter plainte pour brutalité policière. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas des victimes. Je ne suis pas une victime. Nous sommes des résistants. C’est une leçon que j’aimerais que nos camarades indépendantistes retiennent. J’en ai entendu demander des excuses à la couronne britannique. En toute amitié, je ne suis pas d’accord. Nous ne voulons pas d’excuses ; nous voulons notre liberté et nous allons la prendre.

Avant longtemps, nous serons dix mille dans la rue au lieu d’être trois cents, et nous marcherons sur l’Assemblée nationale, n’en déplaise à ceux qui, pour l’instant, lèvent le nez sur nous depuis leurs banquettes confortables.

 

 

 

 

 

 

Source : vigile.net, le vendredi 20 novembre 2009

 

 

 

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