Sujet :

Québec : une colonie anglo-canadienne !

Date :

18/12//2009

De Bernard Desgagné (courriel : bernard.desgagne(chez)videotron.qc.ca)  

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La colonie anglo-canadienne

Les immigrants ne choisissent pas l’anglais ; c’est l’anglais qui les choisit. Au lieu de faire une fixation sur les immigrants, pourquoi ne pas s’attaquer à la source du problème linguistique québécois ? Des siècles de vie de minoritaires colonisés ont laissé en nous des séquelles dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser. Nous sommes incapables de voir notre patrie comme celle d’un peuple normal. Nous envisageons la question linguistique au Québec comme un concours entre deux langues dont le prix serait l’assimilation des immigrants.

Il y a, au Québec, une concurrence féroce entre le français et l’anglais. Pourquoi les Québécois qui disent vouloir faire du français la langue nationale du Québec tiennent-ils à alimenter cette concurrence sur leur territoire ? Pourquoi se sentent-ils si coupables à la pensée qu’on puisse reléguer l’anglais au rang de langue étrangère certes utile, mais étrangère tout de même ? C’est que nous avons parfaitement intégré la logique fédérale ayant créé au Québec une fausse minorité qui n’est autre chose qu’une colonie anglo-canadienne. Cette colonie et la servilité des Québécois à son égard constituent la source du problème linguistique québécois et le point d’ancrage principal au Québec du pouvoir fédéral. Or, les Québécois étant tétanisés par la peur de se faire accabler de tous les maux de l’humanité, personne n’ose remettre en question sérieusement l’apartheid linguistique, facteur de tribalisme électoral.

De quel équilibre linguistique parle-t-on ?

Le 11 novembre 2009 avait lieu à Montréal une conférence organisée par Patrick Sabourin, de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA). La question posée aux trois conférenciers était la suivante : « Le jugement de la Cour suprême invalidant la loi 104 menace-t-il l’équilibre linguistique ? » À ma grande surprise, aucun des trois conférenciers, Eugénie Brouillette, Robert Maheu et Benoît Dubreuil, ne semblait avoir réfléchi au sens de l’expression « équilibre linguistique ». Pendant la période des questions, je leur ai donc demandé si, selon eux, il fallait envisager l’équilibre à l’échelle de la fédération canadienne ou à l’échelle du Québec.

Benoît Dubreuil s’est porté volontaire pour répondre et a immédiatement affirmé qu’il fallait envisager l’équilibre à l’échelle du Québec puisque nous, les Québécois, avons très peu de prise sur ce qui se passe dans les autres provinces. La réponse de M. Dubreuil ne m’a pas étonné, mais j’en ai été quand même déçu en raison de sa naïveté. L’indépendantiste convaincu qu’est sans doute M. Dubreuil s’imagine déjà maitre de son pays. Il fait de la prospective, ce qui n’est pas malsain en soi, puisqu’il faut penser comme un peuple libre si on veut le devenir. Toutefois, il relègue un peu trop vite aux oubliettes un élément fondamental de la réalité actuelle.

L’équilibre linguistique ne saurait être envisagé dans sa seule dimension québécoise pour une raison bien simple : le Québec fait partie d’un ensemble politique où il n’est pas maitre du jeu. La situation linguistique au Québec est déterminée dans une large mesure par les lois et les politiques fédérales, qui s’appliquent également hors du Québec. Donc, il faut envisager le système sociolinguistique canadien dans sa totalité. Et, que sait-on à propos de ce système ? On sait que le français y recule sans cesse. Conclusion : quand bien même la colonie anglo-canadienne du Québec serait entièrement francisée, une telle assimilation serait loin de pouvoir inverser la tendance, qui continuerait d’être lourdement à l’avantage de l’anglais. Doit-on être bonasse au point de vouloir maintenir l’équilibre linguistique au Québec alors que l’équilibre est inexorablement rompu depuis longtemps dans les provinces anglaises ?

L’hostilité antirépublicaine de la colonie

Dans une république, l’origine, la race et la langue maternelle des citoyens importent peu. Ils ont tous le droit et le devoir d’apprendre la langue nationale au même degré et s’attendent à la parler partout et en tout temps sur le territoire national. Il n’y a pas de discrimination. Aucun citoyen ne peut revendiquer le droit d’être compris dans une autre langue que la langue nationale. Quant au visiteur étranger, le seul droit linguistique qu’il peut revendiquer est le droit d’avoir un interprète s’il a des démêlés avec la justice, ce qui, du reste, n’empêchera pas l’appareil judiciaire de fonctionner dans la langue nationale.

Au Québec, on est loin de l’esprit républicain. On nage en plein délire néocolonial à saveur monarchique. La colonie anglo-canadienne s’attend à pouvoir vivre en anglais, sans être obligée d’apprendre le français. Elle invoque parfois le droit de protéger sa langue, en tant que supposée minorité, ce qui n’est qu’un prétexte pour refuser de s’intégrer puisque sa langue n’est pas du tout menacée, compte tenu de son poids démographique énorme dans l’ensemble de l’Amérique du Nord.

La colonie fait mine d’apprendre le français pour cocher la case dans le recensement et bien paraitre, mais elle est nettement réfractaire à l’usage du français. Son statut de fausse minorité justifie les services publics en anglais de même que les institutions dont elle jouit au Québec et dont les minorités franco-canadiennes n’osent même pas rêver. Ce n’est pas l’immigration qui a donné naissance à la mentalité « press nine » et à l’offre active de services en anglais, mais bien la colonie anglo-canadienne, à laquelle se greffent des immigrés, sous l’influence de son fort champ gravitationnel.

Le Québec entretient sur son territoire une diglossie qui n’a rien à voir avec la connaissance des langues, l’ouverture sur le monde ou d’autres vertus et qui a tout à voir avec la peur du colonisé. Cette concurrence linguistique perpétuelle empêche le français de s’installer dans toutes les sphères de la société québécoise, comme une véritable langue nationale. Elle cause une fracture sociale majeure et garantit automatiquement aux valets clientélistes d’Ottawa au moins 15 % des votes lors des élections et des référendums. Les autres votes, ils se les achètent ou les obtiennent par la peur.

Le petit pain de la loi 104

En invalidant la loi 104, le pouvoir néocolonial d’Ottawa est venu une fois de plus s’immiscer dans les affaires de la nation québécoise. Le dernier crachat de la Cour suprême sur le Québec est un catalyseur pour les forces indépendantistes. Cependant, nous ne devrions pas en faire un enjeu en soi. Nous sommes en train de nous enliser dans la recherche du petit pain pour lequel on voudrait que nous soyons nés.

La loi 104 était un petit pain, car elle ne remettait aucunement en question la concurrence linguistique qui tue le français au Québec. Elle ne faisait que freiner l’accès à l’école de la colonie anglo-canadienne. On colmatait une fuite avec du ruban adhésif, à une époque où le PQ vivait encore dans le déni presque total concernant la situation du français, déni dont il commence tout juste à s’extirper.

Si nous refusons l’occupation du territoire du Québec par le pouvoir d’Ottawa, nous ne devrions certainement pas nous borner à dénoncer le dernier jugement de la Cour suprême, ni même les jugements précédents, qui ne devraient aucunement nous étonner si nous comprenons un tant soit peu les objectifs néocoloniaux qui les sous-tendent et qui sont inscrits entre autres dans la Loi constitutionnelle de 1982. Nous devrions dénoncer également le peuplement du Québec par une colonie qui choisit elle-même de demeurer étrangère, qui vit en anglais et qui a juré fidélité à Ottawa. C’est ce peuplement que la loi 104 cherchait à endiguer maladroitement.

Le jugement qui invalide la loi 104 est loin d’être le cas le plus flagrant d’oppression fédérale. Au risque de surprendre le lecteur, je dirais même que ce jugement n’est pas de nature à aggraver la situation linguistique au Québec. N’en déplaise à ceux qui dénoncent la « malhonnêteté intellectuelle scandaleuse » de la Cour suprême, la faute revient plutôt au gouvernement péquiste du Québec, qui a été brouillon à l’époque. La loi 104 disait ceci : si vous êtes moyennement riche, vous ne pouvez pas acheter le droit, pour vos enfants et vos descendants, de fréquenter l’école coloniale. Toutefois, si vous êtes très riche, vous pouvez envoyer vos enfants à l’école coloniale privée non subventionnée. En fait d’application du principe de l’égalité des citoyens, on a déjà vu mieux.

Par conséquent, la Cour suprême rétorque : si vous permettez que des très riches envoient leurs enfants à l’école coloniale, vous devez permettre aussi que des moins riches le fassent. Mais, en réalité, avec son moratoire d’un an sur l’application de son jugement, la Cour suprême ne fait que souffler aux valets d’Ottawa à Québec une solution de nature à calmer les esprits. C’est la solution que le PQ aurait pu choisir au départ pour satisfaire ses velléités de défense du français tout en évitant de contester la légitimité de l’ordre juridique néocolonial, puisqu’il tremble rien qu’à la pensée de le faire.

Cette solution consiste tout simplement à soumettre les écoles privées non subventionnées, comme les autres écoles, à la Charte de la langue française. C’est la solution préconisée par Eugénie Brouillette, qui est constitutionnaliste, et non révolutionnaire, même si on devine ses sympathies indépendantistes. Ce n’est pas son rôle de remettre en question l’ordre juridique établi, ce qui ne lui enlève rien de sa grande utilité pour le révolutionnaire qui sait l’écouter. Quand cette solution sera appliquée, vraisemblablement d’ici quelques mois, les chevaliers de la loi 104 auront perdu leur cheval de bataille. Applaudiront-ils John Charest pour avoir ainsi renforcé les vestiges de la Charte de la langue française ?

L’accès à l’école coloniale, pour les immigrés ou les Québécois de souche, est le sujet d’un débat qui parait oiseux, si on le situe dans une perspective républicaine et véritablement indépendantiste. En effet, dans cette perspective, l’école coloniale devrait être évidemment remplacée par l’école publique nationale, qui accorderait à tous le même droit à l’éducation en français et qui soumettrait tous les élèves aux mêmes exigences de connaissance du français, y compris ceux de Westmount. Comment peut-on vouloir expulser le pouvoir néocolonial du territoire québécois et accepter en même temps de jouer dans le carré de sable délimité par Ottawa ? Pourtant, c’est bien ce qu’on fait en se contentant de se battre pour les vestiges d’une loi.

Comment prétendre qu’on veut faire du français la langue nationale des Québécois tout en acceptant que l’anglais soit omniprésent au Québec, comme si le français était insuffisant ? L’anglais est à l’Assemblée nationale (où il est permis de s’exprimer en anglais), dans les lois (toutes traduites en anglais), dans le système judiciaire (où l’on peut contester en anglais la Charte de la langue française ou exiger que n’importe quel autre procès soit tenu en anglais), dans les services publics, dans les commerces et dans les lieux de travail. Le français est en réalité superflu au Québec. L’anglais donne même de meilleures chances d’avancement. Les immigrés l’ont compris. Peut-on les en blâmer ?

L’audace qui nous manque

Ce qu’il nous faut actuellement, au Québec, c’est de l’audace. Ça fait quatorze ans, depuis le dernier référendum, que nous rampons, timorés, recherchant désespérément la vertu dans les méandres dessinés par Ottawa, Power Corporation, Radio-Canada et Westmount. Qu’Amir et Pauline s’ôtent les doigts du nez et cessent de penser aux prochaines élections partielles. Il faut que le Québec affronte Ottawa en commençant à se doter de véritables institutions républicaines conçues pour éviter qu’une minorité confisque la richesse ou le pouvoir et pour que l’intérêt général prévale.

Au-delà de tout débat sur l’économie, l’environnement, la justice sociale, le décrochage scolaire, la condition féminine ou la criminalité (pas nécessairement dans cet ordre), le Québec a besoin d’institutions républicaines créant des pouvoirs et des contrepouvoirs, où tous les citoyens peuvent être appelés à rendre des comptes, dans l’intérêt général. Ces institutions doivent être fondées sur les principes universels de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Or, cela ne peut se faire dans la situation néocoloniale actuelle. Il faut s’affranchir du pouvoir néocolonial d’Ottawa avant de songer au reste et, pour ce faire, je propose de commencer par assimiler sa colonie et, ce faisant, de faire disparaitre son point d’ancrage au Québec.

Le 11 novembre, lors de la conférence de l’IRFA, j’ai posé une autre question, que j’ai adressée à Eugénie Brouillette. Je lui ai demandé si un droit à l’enseignement supérieur en anglais était prévu dans la Constitution du Canada. La réponse a été sans équivoque : il n’y en a pas. Conséquence ? Si la Constitution protège les écoles primaires et secondaires coloniales, elle est muette en ce qui a trait aux cégeps et aux universités. Donc, le cadre juridique de l’occupant ne nous interdit pas de franciser McGill, par exemple. Pourquoi ne pas en profiter ? Pour établir un véritable système scolaire public universel, il faudra attendre l’indépendance du Québec, mais pas pour établir un réseau d’enseignement supérieur public universel. Pourquoi donc se retenir, si ce n’est par crainte de l’opprobre, par réflexe de colonisé bien dressé par le colonisateur ? Pourquoi se limiter à cet autre petit pain qu’est le cégep en français pour tous… sauf les membres de la colonie ?

Le PQ n’aurait rien à perdre sur le plan électoral à proposer la francisation progressive et intégrale de l’enseignement supérieur. Au contraire. L’Ouest-de-l’Île et le Pontiac n’éliront jamais un seul député indépendantiste. Presque partout ailleurs, le Québec verrait cette proposition d’un bon oeil. Et, ce serait enfin un premier geste efficace pour réduire sensiblement la concurrence funeste de l’anglais sur le territoire du Québec. Tout Québécois est capable de comprendre le principe suivant : on ne pourra jamais franciser les milieux de travail en continuant d’utiliser l’argent de la nation québécoise pour former des techniciens et des professionnels en anglais.

Qu’on se rassure, la francisation de l’enseignement supérieur au Québec n’a rien d’une proposition extrémiste. L’objectif est tout simplement de faire ce que fait déjà le Canada anglais, dans sa langue. S’il le faut, nous promettrons aux pauvres martyrs de leur redonner des établissements équivalant à ceux des Franco-Canadiens minoritaires… après l’indépendance. Ça leur fera une bonne raison pour abandonner le tribalisme électoral au prochain référendum.

 

 

Source : vigile.net, le vendredi 18 décembre 2009

http://www.vigile.net/La-colonie-anglo-canadienne

 

 

 

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