Sujet : Réponse argumentée  !
Date : 11/10/2009
De : Brigitte Laval  (courriel : zacaro(chez)orange.fr)    Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez "chez" par "@"
 

Tout est bon pour réagir à l'anglomanie, même un journal consacré à la BD franco-belge (j'aime bien) quand une réponse donnée à un enfant (je présume que c'est un enfant) ne me satisfait pas !

Voici en pièces jointes, l'article objet de mon courroux (courrier des lecteurs du 14 octobre 2009), un article bien plus sympathique du même journal en janvier 2007, et le texte de ma réponse.

Vous pouvez réagir aussi :  il y a l'adresse courriel et les adresses postales de France et de Belgique.

Cette fois, j'ai choisi le courrier postal, j'ai fait 3 pages, c'est difficile d'être brève !

Brigitte Laval

 

Journal d'octobre 2009

 

 

Journal de janvier 2007

 

Dans le n° 3731 de Spirou (14 octobre 2009),  un journaliste répond à Mathis qui demande pourquoi on parle systématiquement en anglais lorsqu'on a à faire à un étranger. Si le début de la réponse est parfait à mes yeux (conquêtes militaires et religieuses – colonisation – et l’image pour les anglophones de leur langue comme symbole du progrès et de la civilisation les conduisant à éradiquer au plus vite les autres langues), la fin, excusez-moi, gâche tout !

 

Mon argumentaire :

 

Non, l’anglais n’est pas une langue simple, efficace et précise !

Je vais argumenter ma réponse le plus rapidement possible, et je vous conseille pour plus de précision la lecture de deux livres de linguistes célèbres (eh oui, ces hommes polyglottes, amoureux des langues au point d’en faire leur métier et maîtrisant parfaitement l’anglais, font partie des combattants les plus acharnés contre cette anglicisation de notre Europe et du Monde – alors que nous trouvons des partisans du tout-à-l’anglais qui ne savent pas en aligner 3 mots). Ces livres sont « Le défi des langues » de Claude Piron et « Combat pour le français » de Claude Hagège. Bonne lecture, Monsieur le journaliste, ces livres sont agréables à lire et bien argumentés.

Démontons à présent ces idées que l’on nous impose actuellement et que vous avez reprises dans votre réponse à ce jeune garçon :

 

1)    L’anglais langue simple :

Cette langue compte 45 sons contre 36 pour le français et 44 pour le russe ou l’allemand, ces deux dernières réputées très difficiles. Chaque mot doit être appris avec sa prononciation, son orthographe ne le permettant pas (here et hear se prononcent pareil, there et their, see et sea, etc. la liste est interminable). Les petites particules (on, in, up, down, etc.) ajoutées à un verbe en changent totalement le sens. Quelques exemples : He does run on so (C’est un moulin à paroles), My watch has run down (ma montre s’est arrêtée) ; I’ll take you up on that (je vous prends au mot), I’ll take on you (je parle avec vous), What a way to go on (en voilà des manières), etc. !

Seule la grammaire paraît simple au début de l’apprentissage au moins !

 

2)    L’anglais, langue efficace

Cette idée vient souvent du nombre de mots importants de la langue anglaise (790 000). Mais l’anglophone moyen utilise en moyenne 5000 mots à l’oral et 10 000 à l’écrit, le même nombre qu’utilisent les locuteurs des autres langues. Les mots superflus servent à enrichir le jargon des spécialistes et à épater la galerie (ou à noyer un peu plus le non-anglophone qui surnage dans une conférence où l’anglais s’impose comme langue unique). Un nombre incroyable de mots sont des doublets (freedom/liberty, come/arrive, foreseen/predicted, clever/intelligent, etc.).

Une conséquence plus grave et plus inquiétante de cette contre-vérité est le nombre d’accidents (11 %) dans l’aviation dus à l’emploi de l’anglais dans la navigation aérienne. Triste constat dénoncé par un ancien pilote natif de … Chicago ! Eh oui, beaucoup d’anglophones de naissance dénoncent l’absurdité de l’emploi de leur belle langue qu’ils aiment (comme nous aimons tous nos langues maternelles) en tant que langue de communication internationale et surtout de sa déformation en « globish » qui reste dur à apprendre malgré sa pauvreté de langage et garde les défauts de l’anglais (prononciation surtout) tout en le dénaturant et le ridiculisant !

 

3)    L’anglais, langue précise

Le paragraphe précédent démontre le manque de précision qui entraîne le manque d’efficacité. Et la grammaire plus simple que celles des grandes latines (français et espagnol) a un revers : le manque de précision : « from occupied territories » signifie à la fois « des territoires occupés » (tous les territoires) et « de territoires occupés » (de certains …). « Free » se traduit « libre » ou « libérez » ou « gratuit » ! Peu pratique pour la diplomatie, la politique et le commerce !

Alors, pourquoi cette suprématie actuelle de l’anglais ? Laissons la réponse à M. David Rothkopf, directeur général du cabinet de conseils « Kissinger Associates » entreprise de consultance au service du gouvernement des États-Unis : « Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis que si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais et des valeurs communes, celles-ci soient celles dans lesquelles les Américains se reconnaissent ». Et nous voyons fleurir de plus en plus des mesures en pieds et en pouces dans les magasins !

Hélas, la partie historique de votre réponse qui concerne le sentiment de supériorité des puissants anglophones (même si ce ne sont plus principalement les Britanniques qui encaissent quand même 17 milliards d’euros annuels grâce à la suprématie de leur langue en Europe), leur idée fixe de « civiliser » le reste du monde en imposant leur langue (et leur façon de penser – la fameuse pensée unique) et en souhaitant éradiquer les autres langues (un sénateur américain a lancé un jour cette boutade lors d’une réunion à l’ONN : « 6000 langues, ça fait 5999 de trop, l’anglais suffit » !), est toujours d’actualité. Sans oublier le sentiment qu’ont les anglophones (5 à 6 % du monde) de se sentir partout chez eux quand ils nous entendent, nous les « indigènes » nouveaux colonisés, leur répondre sans broncher quand ils nous abordent directement en anglais (sans un « do you speak English, please » de politesse !

Il était bien sur difficile de se servir de certains arguments dans un journal destiné aussi aux enfants (pas qu’à eux !), mais vous auriez pu mettre l’accent sur le côté absurde de cette situation quand l’étranger rencontré peut être francophone ou de langue latine  où l’intercompréhension serait aussi efficace (entre un Français et un Italien par exemple ces 2 langues très proches parlées lentement permettent de se comprendre).

Car en acceptant cet emploi de l’anglais progressif, nous conduirons nos langues à la folklorisation dans un premier temps et peut-être à leur disparition, y compris notre langue et l’espagnol, pourtant grandes langues internationales également. Regardez les pays dits à « petites langues » et qui ont tout misé sur l’anglais, ceci s’est fait au détriment de leurs langues maternelles qui sont inexistantes à l’étranger et de plus en plus écartées du monde du travail dans leurs propres pays ! Nous ne voulons pas ça pour le français, quand même ?

J’ai gardé un article paru dans votre numéro n° 3588 du 17 janvier 2007, sur la langue française où vous mentionniez l’espéranto (photocopie jointe). Pourquoi ne pas en reparler un de ces jours ? C’est une bonne réponse à une question de ce genre : « serait-il possible d’apprendre plein de langues afin de communiquer avec les autres peuples, car se servir toujours du français ou de l’anglais, sous prétexte que ce sont des grandes langues de colonisation, c’est pas vraiment juste pour les autres ? ». Une langue de communication internationale qui n’est la langue maternelle de personne et qui exige que le même effort de tous sans exception, c’est quand même mieux qu’une langue dominatrice, non ? Où trouver des renseignements sur cet espéranto ? Sur internet qui est devenu, on peut le dire, le pays de l’espéranto. Et qui permettra de répondre à Mathis : « oui, parler d’office en anglais à un étranger, c’est un mauvais réflexe, il faudrait mieux connaître un petit peu de mots et d’expressions de plusieurs langues, et adopter comme « pont » une langue neutre de communication, plutôt que la langue du plus fort pays automatiquement ».

J’ai essayé d’être brève, mais c’est difficile sur un tel sujet !

 

Brigitte

 

Merci de réagir, vous aussi, au :

professeurspeculoos@spirou.com

(ou aux adresses postales, voir en haut, première photo)