Sujet :

Des binious à l’Europe ethnique des régions

Date :

20/03/2003

De Bastille République Nation (courriel : amisbrn(chez)yahoo.fr)

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Des binious à l’Europe ethnique des régions

Le monde comme si*
(nationalisme et dérives identitaires en Bretagne)
Françoise Morvan
Actes Sud, 2002

Le monde comme si, dont le titre fait référence à l’enfance, est une description minutieuse du comportement des autonomistes bretons qui veulent plier la réalité à leur vision de la Bretagne et de la France. L’auteur ne cache pas son engouement militant passé pour la cause bretonne et nous montre, sur un ton moqueur et distancié, comment elle est tombée dans le panneau du retour à la langue de ses ancêtres.

Françoise Morvan témoigne de son engagement, puis de son éloignement progressif de la cause régionaliste bretonne. Elle choisit le parti d’en rire et cela se comprend, tant le comportement des autonomistes est inquiétant et dangereux.

S’appuyant sur des connaissances linguistiques, en ethnographe et histoire régionale, l’auteur, à travers des moments bien précis et vécus, déconstruit le discours des autonomistes bretons et en montre les enjeux et les choix idéologiques. La question de la langue et de son enseignement est primordiale. Le cas des écoles Diwan est consternant. Celles-ci enseignent une langue qui n’existe plus et n’a jamais été parlée par personne. C’est une construction artificielle de linguistes fumeux qui mettent en place une sorte de « novlangue » que les enfants apprennent et qu’ils doivent apprendre à leur parents. Cette langue ne correspond que rarement aux dialectes que parlaient leurs grands-parents, tant la diversité linguistique de la Bretagne était grande et instable. Le désir de reconquête des autonomistes passe par la langue. Il faut former de jeunes bretons en immersion linguistique totale qui vivent alors une situation schizophrénique entre le breton, la langue française, et les dialectes que quelques rares locuteurs parlent encore, mais qui ne correspondent en rien à la langue qu’ils apprennent à l’école. La haine de la langue française, qui n’est qu’une haine de la République, alors qu’elle fut un vecteur d’émancipation pour bon nombre de Bretons au début du XXe siècle, motive en partie les autonomistes qui cherchent à imposer le breton. La fille de l’auteur tranchera rapidement, à sa manière, en disant: « je ne veux plus aller à l’école».

Au delà du récit de Françoise Morvan, les péripéties autour de l’édition des œuvres de François-Marie Luzel (1821-1895), folkloriste du XlXe  siècle, qui fit un travail considérable de collectage, illustre le comportement des régionalistes. Les tripatouillages, les magouilles idéologiques n’ont que faire d’un travail scientifique et respectueux des textes. Derrière l’apparence anodine du rejet d’un auteur — Luzel — et de sa vision de la culture bretonne, il y a un choix idéologique clair : Luzel était républicain et anticlérical et son travail s’opposait à celui plus ancien du vicomte Hersart de La Villernarqué, soi-disant père fondateur de la nation bretonne, nobliau réactionnaire de Bretagne et anti-jacobin. Les régionalistes bretons actuels, on s’en serait douté préfèrent la réaction à la République.

La partie la plus intéressante et la plus importante est l’analyse politique de ces mouvements, qui sont dans le droit fil de leurs choix culturels et historiques pour construire et instaurer une culture bretonne. On savait déjà la collusion des mouvances régionalistes avec les Nazis, mais nous apprenons que le gauchisme des années soixante-dix n’a fait que recycler des anciens thèmes collaborationnistes, et blanchir des acteurs qui tentent, depuis la fin de la guerre, de faire oublier leur engagement pro nazi.

Ce livre met en garde contre un avenir inquiétant. Les dérives identitaires conduisent immanquablement à l’ostracisme et à la xénophobie. Ces régionalistes n’ont pas désarmé et la construction européenne leur redonne une nouvelle vigueur. C’est l’actualité de ce livre. On sent poindre une Europe des régions qui soumet l’espace politique à une vision ethnique. Cela n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de l’Allemagne. Sous couvert d’autonomie, sous couvert de respect des cultures, on détruit l’organisation républicaine et on ressort les vieilles lunes anti-jacobines de la pire espèce, où l’antisémitisme flirte avec les binious. La charte européenne des langues minoritaires constitue en outre un point d’appui considérable. De surcroît, on comprend la collusion entre l'affairisme  identitaire dont TV Breizh est l’illustration, et Bruxelles : Il y a une convergence objective entre la destruction de l’espace politique républicain sous les coups de boutoir de la construction européenne, et le libéralisme.

Enfin, le danger d’un régionalisme qui génère des baronnies est patent quand on sait que des hommes politiques locaux, de droite ou de gauche ont, pour des raisons électoralistes, subventionné et aidé la plupart de ces mouvements.

THIERRY MESNY

 

*Ce livre est une démonstration magistrale en plus d'une autobiographie pleine d'humour qui cingle violemment l'hypocrisie identitaire issue des milieux d'extrême-droite bretons, lesquels ont infiltré toutes les instances culturelles régionales alors que, paradoxalement, ils ont toujours été très fortement rejetés, de tout temps, par la population bretonne qu'ils prétendent défendre. Du drapeau fascisant à la langue inventée et incomprise des véritables locuteurs bretonnants de l'ouest de la Bretagne, la réinvention de l'histoire par les nationalistes bretons est une farce tragique qui se paie du bon temps sur le dos du contribuable breton tout en le méprisant.

 

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