Charles Xavier DURAND est l'auteur, entre autres livres, de « La nouvelle guerre contre l'intelligence - La manipulation mentale par la destruction des langues », éd. F-X. de Guibert, Paris, mai 2002, 329 pages, ISBN 2-86839-771-9, voici l'intervention qu'il a faite au Congrès mondial d'espéranto en 2003, à Gothembourg.
PREMIÈRE PARTIE
Je
voudrais communiquer aux membres du forum quelques réflexions
personnelles à la suite du congrès mondial d’espéranto 2003
auquel j’ai assisté du 26 juillet au 2 août à Gothembourg (Göteborg),
Suède. Le texte de mon allocution à Gothembourg a déjà été
diffusé sur le forum par Renato Corsetti, mais j’aimerais
apporter quelques éléments d’information supplémentaires qui
pourraient, je pense, être utilisés à profit par les associations
qui se consacrent à la défense des langues nationales, en Europe
ou ailleurs. Le texte qui suit se focalise sur le français, mais
les remarques que vous y trouverez et les conclusions sont
parfaitement applicables à de nombreuses autres langues. Avant
de me rendre à Gothembourg, je n’avais que des connaissances
livresques à propos de l’espéranto. Je comprenais les principes
que Zamenhof avait utilisés dans la conception de la syntaxe et
dans le choix des racines lexicales de l’espéranto. Toutefois, je
n’avais jamais vu les Espérantistes à l’œuvre. À ma grande
surprise, j’ai constaté une très grande aisance de communication
et j’ai découvert que, loin de son caractère prétendument
artificiel, l’espéranto était en fait la langue maternelle de
plusieurs des participants au congrès et de certains de mes
interlocuteurs. J’ai
eu la chance de prononcer mon allocution lors de la séance
inaugurale, ce qui a éveillé l’intérêt de nombreux
participants qui ont voulu me rencontrer par la suite. Si beaucoup
de ceux qui ont discuté avec moi étaient Français, il faut aussi
noter que des Danois, des Russes, des Chiliens et des Norvégiens
ont très solidement appuyé mes propos. Globalement, les remarques
que j’ai faites à propos de l’envahissement de l’anglais dans
nos sociétés ont trouvé un écho immédiat dans tout
l’auditoire, francophone ou pas ! Certains
des congressistes que j’ai eu l’occasion de connaître sont des
polyglottes d’une très grande culture, et nettement supérieurs
à la moyenne par leur compréhension du monde et de la conjoncture
actuelle. D’autres sont des gens relativement moyens, qui ont étudié
les langues étrangères, mais qui n’ont jamais pu les maîtriser
vraiment et qui se sont rabattus, avec un succès total, sur l’espéranto
comme langue de communication internationale. L’espéranto leur a
permis de voyager dans le monde entier et d’entrer en contact de
manière très efficace avec des étrangers lointains, bien plus
qu’ils n’auraient pu le faire avec une quelconque langue
naturelle. Globalement, si l’on s’informe un peu sur
l’histoire du mouvement espérantiste, on peut affirmer que les
Espérantistes, en tant que groupe, ont été des précurseurs dans
l’identification des problèmes linguistiques actuels qu’ils
avaient prévus depuis longtemps, quels que soient les cadres dans
lesquels ils sont survenus (pays institutionnellement monolingues ou
multilingues, communications transnationales, etc.) Le
monde espérantiste est vaste. Si l’un des buts déclarés des Espérantistes
est de répandre l’usage de l’espéranto, il existe aussi une
fraction de ces derniers qui désire garder la langue pour elle. Les
Espérantistes ont parfaitement conscience qu’ils ne sont pas du
tout conformistes et leur langue leur permet d’entrer en contact
avec des gens dont la diversité ne peut être atteinte par aucun
autre moyen. C’est-à-dire qu’elle permet une communication
totale entre personnes différentes qui ne concèdent en rien de
leur identité propre au profit de cette communication comme
c’est, automatiquement, le cas contraire lorsque l’un des
interlocuteurs parle la langue de l’autre. Si, à Paris, par
exemple, il est possible de rencontrer des gens de toutes nationalités
et origines, le fait qu’ils parlent français avec des
francophones natifs obligent leurs discours à se conformer au cadre
sociolinguistique français. L’espéranto, au contraire, permet
aux interlocuteurs de ne rien renoncer à leurs identités et
particularismes. Dès lors, on conçoit que certains membres du club
souhaitent le garder pour eux seuls. Une autre tendance minoritaire
est le mouvement SAT qui, d’après ce que j’ai compris,
voudrait, grâce à l’espéranto, faire émerger une société
plus ou moins homogène à l’échelle de la planète qui serait
alors chapeautée par un gouvernement mondial. Si ces diverses
tendances demeurent largement minoritaires, il est néanmoins intéressant
de les signaler, car elles soulignent une diversification que l’on
ne peut éviter lorsqu' on a affaire à des regroupements importants
et qui sont transnationaux par dessus le marché. Dans
leur grande majorité, les Espérantistes semblent être très
favorables au développement des langues et des cultures nationales
et fortement hostiles à l’émergence de toute langue impérialiste
ou de toute langue naturelle qui aurait la prétention de devenir la
lingua franca à l’échelle mondiale. Même s’ils ne s’y
impliquent pas forcément, ils soutiennent la défense des langues
nationales. Cependant, à l’échelle internationale, ils sont
naturellement un peu soupçonneux lorsqu’il est question de « défendre
»
une langue pour le seul motif de l’imposer par rapport à une
autre qui, autrement, aurait tendance à prendre sa place. Défense
qui ne serait bien évidemment inspirée que par une volonté impérialiste
concurrente. C’est ainsi qu’ils se méfient naturellement des
initiatives françaises qui visent à restaurer le rôle du français
au sein des organisations européennes ou internationales lorsque
l’ambition recherchée n’est que d’assumer le rôle que joue
l’anglais en première place ou ex æquo avec ce dernier et au détriment,
bien sûr, d’autres langues. Si
les Espérantistes soutiennent totalement les efforts des ONG et
diverses associations pour préserver les langues et développer les
cultures nationales et même régionales, ils m’ont fait prendre
conscience que, sur la scène internationale, le discours de la
Francophonie officielle doit être repensé pour qu’il soit
acceptable par la communauté espérantiste. Suivant l’angle sous
lequel on la regarde, la Francophonie institutionnelle peut
effectivement apparaître comme une entreprise d’expansion néocoloniale
par le biais de la langue. Pour désamorcer ce type de critique, il
est, je pense, important que la construction francophone découle
d’une logique parfaite et de nécessités clairement exprimées. Les
raisons pour lesquelles le français a reculé dans certains pays
sont multiples. En Espagne et en Italie, par exemple, le français
était une langue relativement bien maîtrisée par les élites
jusqu’à une date assez récente. S’ils s’en sont détournés,
c’est souvent à cause de la qualité déclinante de notre littérature
et de notre production intellectuelle « officielle » plus généralement
(ce qui n’est d’ailleurs pas étranger au fait qu’une
proportion significative de cette dernière s’exprime en anglais !).
La qualité de cette production est la meilleure publicité que les
francophones peuvent faire de leur langue et les locuteurs d’une
langue qui sous-tend une production intellectuelle qui apparaît déclinante
ne peuvent jamais prétendre à une prédominance internationale de
leur idiome, même secondaire, sans agacer leurs voisins. Il
me semble, par contre, que le discours de la Francophonie
institutionnelle prend toute sa force si l’on exprime haut et
clair que le français véhicule un autre type de message et des
valeurs différentes de celles propagées par la langue anglaise. Si
les francophones veulent conserver pour leur langue un espace
vraiment international et qui ne se limite pas qu’aux seuls pays
francophones, c’est pour permettre aux élites mondiales d’accéder
à d’autres modèles, à une autre vision du monde qui ne doit
calquer le monde anglo-saxon en rien, sous peine de réduire à néant
le rôle qu’elle est censée jouer. D’autre part, en ce qui
concerne la communication internationale directement utilitaire, et
dans la mesure où des acteurs francophones ne sont pas déjà
impliqués des deux côtés de la chaîne, il faut discréditer
l’usage de l’anglais au profit de l’espéranto dont la facilité
d’apprentissage et le caractère neutre en font un outil d’une
efficacité sans commune mesure avec celle que l’on peut
raisonnablement atteindre en anglais.
Les Espérantistes ont un bureau à Bruxelles et son personnel a un
rôle très particulier. Pouvant lire dans une vingtaine de langues,
le rôle de ce bureau est de rechercher tous les articles publiés par
les presses de divers pays et qui soulignent les abus de la
situation linguistique actuelle, surtout en Europe. Ce sont eux, par
exemple, qui ont communiqué sur les forums électroniques consacrés
aux langues nationales les annonces des journaux bruxellois
destinées à rechercher du personnel de langue maternelle anglaise à
l’exclusion des candidats qui pourraient posséder parfaitement cette
langue à côté d’une autre langue maternelle ! La prise de conscience
de ces cas flagrants de discrimination sur une base strictement
ethnique sensibilise les esprits et déclenche des réactions hostiles
à l'égard de l’impérialisme linguistique anglo-saxon.
Elle est favorable à la cause des associations de défense des
langues nationales, qu’il s’agisse de faire respecter le droit
à travailler dans sa langue maternelle ou qu’il s’agisse de
combattre l’abâtardissement des grandes langues de culture. Les
Espérantistes ont donc engagé des actions offensives simplement en
dénonçant de manière indirecte les abus associés à la langue
anglaise à une échelle internationale. Les actions de ce type
doivent absolument être soutenues et renforcées par les
associations de défense des grandes langues nationales. La Francophonie institutionnelle s’est toujours prononcée « contre une guerre linguistique qu’elle ne pourrait gagner de toute manière ». Je ne sais pas ce qui est impliqué dans ce type d’affirmation que j’ai pu voir à plusieurs reprises dans des documents officiels. En 2001, par exemple, lors de la conférence organisée par l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) à Québec sur le français langue scientifique, nous avions eu droit à un discours d’ouverture de Jean-Claude Guédon qui nous avait souligné comme « inutile et antiproductive toute confrontation entre le français et l’anglais » sans toutefois suggérer des actions de sape fort intelligentes comme celles dont les Espérantistes ont eu l’initiative. Il serait effectivement idiot de tenter de réimposer le français pour qu’il prenne la place de l’anglais dans une logique de confrontation et de concurrence, mais il serait encore plus idiot de ne pas saisir toute occasion pour saper le rôle de l’anglais et ne pas affirmer haut et clair que le rôle du français est désormais celui d’une langue non alignée, en évitant soigneusement d’évoquer une concurrence quelconque. S’il faut combattre, il ne faut surtout pas le faire sur des bases de type anglo-saxon. Il faut dénoncer sans relâche les absurdités de la communication internationale en anglais, les privilèges insensés attribués à la communauté anglo-saxonne, l’édification d’un empire aux dépens des benêts qui le soutiennent. Que pensent les diplomates étatsuniens de la « cocalification » des esprits européens ? « Le monde en redemande et est prêt à payer pour (1) ! », déclarait le consul américain à Berne à une Espérantiste, de La Chaux-de-fonds, qu’il avait eu l’occasion de rencontrer.
DEUXIÈME PARTIE
Dans
son livre « Le défi des langues », Claude Piron s’interroge sur
l’efficacité de la communication internationale. Il dénonce le
gaspillage actuel et préconise l’espéranto comme étant la
solution la plus juste et la plus économique, mais il dit aussi que,
si une langue naturelle quelconque pouvait effectivement être maîtrisée
par tout le monde, le problème de communication universelle
pourrait effectivement être résolu. Peut-être que cela résoudrait
effectivement le problème de « communication », mais au détriment
des peuples dont la langue maternelle ne serait pas celle qui aurait
été choisie ! Les Espérantistes se sont intéressés à mes
ouvrages et plus particulièrement à « La mise en place des
monopoles du savoir », car j’y affirme et j’y démontre que, même
si une telle situation pouvait exister, elle ne serait absolument
pas souhaitable pour tout un tas d’autres raisons, niant ainsi les
propos de ceux qui nous disent que, si la communication
internationale en anglais est de mauvaise qualité, il faut
simplement consacrer plus de temps à l’étude de l’anglais pour
en améliorer la maîtrise, comme si le problème de la
communication internationale pouvait être résolu par une langue
naturelle unique, en l’occurrence l’anglais ! On
doit donc, AU CONTRAIRE, bien affirmer qu’il y a GUERRE, mais pas
une petite guéguerre entre deux codes de communication pris hors de
leurs contextes. Les efforts d’anglicisation précèdent le
rouleau compresseur des idées et de toute originalité indigène,
chez les « élites », en tout premier lieu. Que l’on se
souvienne que, en France par exemple, des énormes bévues commises
par Michel Bon (France Télécom), par Jean-Marie Messier (Vivendi)
ou par Pierre Bilger (Alstom) et d’innombrables autres PDG qui ont
tous fait, au même moment, les mêmes sottises de gestion sur le même
modèle de pensée néolibérale américanisante ! Qui peut
raisonnablement être inspiré par le comportement de ces
marionnettes parfaitement programmées par une idéologie qui dirige
et commande de manière plus efficace que la pire des dictatures ?
Quel est l’intérêt pour un étranger de cette pensée phagocitée
par l’emprise des valeurs américaines ? Strictement aucune !
Si ceux qui dirigent les grandes entreprises, si ceux qui sont censés
produire les idées nouvelles prennent leur inspiration ailleurs, et
que cela se sache, ils ne peuvent plus prétendre à jouer un rôle
de modèle pour personne. C’est la raison de la chute vertigineuse du nombre d’étudiants en français dans les universités espagnoles, par exemple. La littérature française actuelle, politiquement correcte, auto-censurée, rangée sagement derrière les idées anglo-saxonnes, dont la langue est appauvrie, dont la rigueur d’expression est affaiblie, est bonne à mettre à la poubelle. Elle se caractérise par son nombrilisme, son misérabilisme, son minimalisme, par les petits problèmes existentiels qu’elle met en scène, par les personnages communs, voire médiocres sur lesquels elle se focalise. Ce n’est que du papier sans valeur ! Quelle différence par rapport à ce que les Français avaient à offrir au reste du monde il y a une trentaine d’années ! Ce n’est certainement pas en faisant la promotion des ouvrages de Frédéric Beigbeder que l’on va réattirer le lectorat étranger vers les ouvrages français. Pourtant, les auteurs qui ont quelque chose à dire, ceux qui produisent véritablement des œuvres de l’esprit, existent toujours, mais un système décadent n’en fait jamais la publicité. On les trouve chez certains petits éditeurs ou encore noyés dans la masse par des plus grands éditeurs qui espèrent faire un gain sur la multiplicité des titres qu’ils offrent plus que sur la promotion des ouvrages qui ont une valeur véritable, qu’ils ne sont plus à même de reconnaître de toute manière. Ce comportement est totalement suicidaire pour un pays qui a des prétentions à l’internationalisme au sein d’un monde qu’il affirme vouloir être multipolaire ! Si
le mauvais anglais, qui est parlé à peu près partout entre
peuples d’origine non anglo-saxonne (à l’exception peut-être
de certains peuples européens dont la langue maternelle est de la
famille germanique : Norvégiens, Hollandais, par exemple),
leur permet peut-être de se comprendre à un niveau élémentaire,
il a surtout pour but d’imposer partout l’Empire et ses préceptes
comme le faisaient les églises pour le Vatican dans le domaine de
la police des esprits dans toute l’Europe chrétienne du XVe siècle !
Encore faudrait-il préciser que l’influence du Vatican, par les
principes transcendantaux qu’il diffusait, a eu un rôle éducateur,
moral et civique. Or, il n’y a rien dans l’idéologie
anglo-saxonne du moment qui ne soit pas inspirée directement par la
recherche de l’intérêt des peuples anglo-saxons au dépens des
autres ! Bien
sûr, nous ne sommes pas en guerre contre un code de communication
ni contre un groupe ethnique, mais il est clair qu’il ne peut y
avoir combat que quand l’ennemi est clairement désigné. Ce que
nous devons combattre, c’est la conquête des esprits et tous les
outils qui lui permettent d’être efficace. Détruire l’idée de
langue unique, introduire l’idée de langue commune neutre font
partie des stratégies à développer. Les
considérations morales, politiques, économiques et culturelles
doivent être mises en avant. Bien sûr, si l’on déborde
largement du cadre purement linguistique, c’est que la langue
touche en fait à tout, comme chacun sait. Je ne pense pas qu’une
association ou une ONG de défense d’une langue aujourd’hui
puisse continuer à tranquillement affirmer qu’elle n’a aucune
coloration politique. Derrière l’anglais se cache une formidable
machine à asservir les peuples. Par l’intermédiaire de l’étalon-dollar,
la nation phare du monde anglophone s’est transformée, selon les
termes d’Emmanuel Todd, en un « gigantesque parasite
industriel » qui vit, en partie, sur le reste du monde.
Ce parasite, pour détourner l’attention des gigantesques problèmes
internes qu’il a à résoudre, n’hésite pas à envahir des
territoires où il n’a rien à faire et à tuer des hommes, qui
ont la prétention d’échapper à son emprise. Il ne faut pas
oublier que l’une des hypothèses émises par le réseau Voltaire
pour expliquer le déclenchement des hostilités avec l’Irak était
la décision de Saddam Hussein de ne plus utiliser le dollar comme
monnaie internationale pour les ventes de pétrole. N’oublions pas
que les États mis sur la liste noire par les États-Unis :
Iran, Corée du nord, par exemple sont précisément ceux qui
essayent de remettre en question l’étalon-dollar. Cuba ne remet
pas en cause l’étalon-dollar, mais affirme totalement son indépendance,
ce qui est inacceptable lorsque le centre des décisions mondiales
est ailleurs. C’est par consentement volontaire que la doctrine néolibérale
essaye de soumettre les peuples au nouvel ordre mondial, mais ceux
qui rejettent totalement cet ordre s’exposent à des représailles
militaires déclenchées sous n’importe quel prétexte. Le
parasite n’hésite pas à tuer si les techniques mises en œuvre
pour la conquête des esprits s’avèrent inefficaces ! Comme
on peut le voir, cela va bien au-delà des questions linguistiques
et culturelles. Il
y a mille et une raisons de remettre en question le rôle que nos prétendues
élites voudraient donner à l’anglais et il est sans doute
dommage que Saddam Hussein n’ait pas mis l’anglais au même
niveau que le dollar dans ce qui donne son principal pouvoir à
l’ennemi qu’il voulait combattre. En
résumé, ce que j’ai retenu du congrès mondial d’espéranto
sont les points suivants :
-- L’espéranto est totalement viable comme langue de
communication internationale pour des impératifs commerciaux et les
nécessités internationales. Son acquisition se fait à des coûts
négligeables par rapport à ceux qui sont associés à
l’acquisition des autres langues. L’espéranto, langue
artificielle, devient en fait langue naturelle, lorsque son lexique
et ses structures sont associées à des situations vécues. L’espéranto
est le véhicule d’une culture et d’une littérature originale
et, sur les 6000 et quelques langues qui sont parlées sur la planète
n’est pas en plus mauvaise posture que les 5940 dernières qui
disposent chacune de moins d’un million de locuteurs à l’échelle
mondiale !
-- Les langues naturelles sont des édifices complexes, qui portent
en elles-mêmes les traces de leur évolution, comme c’est le cas
pour le cerveau humain avec les trois cerveaux dont il est en fait
composé et qui ont été décrits par Laborit. Elles sont les clés
des cultures nationales et des différentiations dans les réalisations
véritablement originales des divers peuples. Pour cette raison,
elles sont aussi nécessaires à l’homme que la variété des espèces
vivantes qui peuplent la faune et la flore.
-- Les langues naturelles sont porteuses de messages divers et la
Francophonie se doit de clairement identifier son génie propre.
Elle a un avenir si elle porte une vision non alignée de la société
actuelle qui corresponde aux aspirations et aux besoins des peuples.
Elle ne peut entrer en concurrence primaire avec l’anglais, car
ses locuteurs seraient immédiatement soupçonnés de partager les
ambitions démesurées de la nation phare du monde anglophone. Le
français peut aspirer à une diffusion accrue à l’échelle
internationale, si et seulement si, il sous-tend un message original
porteur des espoirs, des aspirations légitimes des peuples et
qu’il permette aussi leur développement. Cette recommandation
s’applique naturellement à toutes les autres langues.
-- À travers des arguments linguistiques, sociologiques,
politiques, scientifiques et économiques, il faut saisir toute
occasion pour saper de manière systématique le rôle que tient
actuellement l’anglais sur la scène internationale. À ce titre,
la promotion active de l’espéranto dans certains contextes peut
se révéler très précieuse. C’est par faiblesse conceptuelle
que beaucoup de prétendus intellectuels et de décideurs n’ont
pas compris le rôle clé que la promotion de l’usage de cette
langue peut jouer. De plus, dans de nombreuses anciennes colonies
britanniques, le rôle de l’anglais est de plus en plus souvent
remis en question (Indes, certains pays africains par exemple). On
m’a rapporté qu’au Ghana, par exemple, ancienne colonie
anglaise, de nombreuses personnes de la rue refusent désormais de
parler anglais avec les Occidentaux sous prétexte que
l’anglais est avant tout pour eux une LANGUE COLONIALE !
Alors que certains peuples aspirent à se soustraire au carcan néocolonial,
de nombreux citoyens en France, en Italie, en Allemagne et ailleurs
– nos prétendues « élites » - ne rêvent que d’y
entrer ! -- La prise de conscience des potentialités de l’espéranto à l’échelle internationale ne pourra se faire que lorsque un pays de taille moyenne annulera les mesures politiques visant à le discréditer comme cela a été le cas depuis qu’il a été démontré que cette langue synthétique était non seulement viable comme vecteur de communication, mais que sa maîtrise était à la portée de tous. Cela veut dire qu’il deviendrait l’un des choix possibles pour les lycéens devant, dans le cadre de leurs études, sélectionner une langue vivante. Cela signifierait que des informations sur l’organisation du pays, sur les ministères, sur la recherche, etc. seraient mises à disposition en espéranto sur Internet, par exemple. Un grand pays comme la Chine pourrait prendre une telle initiative et elle serait probablement suivie si le gouvernement chinois déclarait, par exemple, que l’espéranto, après le chinois, aurait un statut privilégié pour la communication internationale en Chine. La Chine le fera-t-elle ? Probablement pas, car les élites politiques chinoises, mêmes si elles revendiquent farouchement l’indépendance du pays, n’en sont pas moins sujettes à une influence occidentale considérable. Tout ce qui est actuellement considéré comme « progrès », en Chine comme ailleurs, est inspiré du modèle occidental interprété essentiellement selon l’idéologie néolibérale étatsunienne. Les Chinois, tout comme les Japonais depuis Meiji, n’ont pas encore su s’affranchir de l’emprise mentale considérable qui a accompagné l’adoption des techniques occidentales et des modèles occidentaux de développement. Un pays comme la France pourrait le faire, mais un tel degré d’indépendance dans la zone satellitaire des États-Unis serait inattendu. Avec peut-être un peu moins d’impact, l’Italie ou l’Allemagne pourrait faire de même. Toutefois, la question que je me pose est la suivante ? Ces pays en ont-ils les moyens ? À quel type de représailles s’exposerait-on ainsi ?
-- Dans tout cela, il ne faut pas oublier qu’il existe des
anglophones natifs qui sont de notre côté. Les motivations sont
multiples : idéal espérantiste, maintien de la diversité du
monde, écœurement grandissant à l'égard de l’anglais dit
« international », perte du caractère intimiste de la langue
anglaise pour les anglophones natifs, etc.
-- La Francophonie institutionnelle ne peut que gagner à faire la
promotion restreinte et sélective de l’espéranto selon une
formule qui reste à déterminer. L’idéal d’universalisme sera
ainsi directement associé au français et cela constituerait une
sape très efficace et indirecte des positions actuellement occupées
par l’anglais. Des initiatives similaires devraient être prises
par toutes les organisations dont la raison sociale est de faire la
promotion d’une grande langue de culture comme le Goethe Institut
par exemple. Là encore, sont-elles suffisamment libres pour le
faire ? Celui qui remet en cause le statut de l’anglais ne
s’expose-t-il pas aux mêmes représailles que celui qui remet en
question l’étalon-dollar ? Charles Durand
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