Sujet :

La vraie question au sujet de l'anglais dans nos écoles : plurilinguisme contre uniformité.

Date :

15/06/2013

De Charles Durand  (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)  

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Oui mais il ne faut pas perdre de vue ceux qui sont simplement intéressés à étudier, vivre, travailler et fonder une famille dans leur propre pays. Que ceux qui ont le virus du changement puissent avoir les moyens de réaliser leur rêve mais fichons la paix à ceux qui désirent rester chez eux. Défendons le travail sédentaire et ne cherchons pas à déraciner ceux qui veulent justement prendre racine.

Mondialisation, village global... On n'entend plus que ça de nos jours mais pourquoi diable irait-on chercher ailleurs ce qu'on peut souvent avoir sur place ? Le fait est que, à l'exception des originaux, la plupart des émigrés économiques vivent un déracinement extrêmement pénible. Pourquoi donc voudrait-on les imiter ?

C.D

 

 

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L’anglais dans l’enseignement académique : le débat s’égare dans les clichés

Par François Grin

François Grin : Plurilinguisme ou uniformité

Une formation universitaire véritablement ouverte et internationale est nécessairement plurilingue selon François Grin. (Keystone)

 

La place accrue de l’anglais dans les cursus universitaires échauffe les esprits. Le véritable enjeu n’est pas celui du français contre l’anglais, comme la plupart des commentateurs le suggèrent, mais celui du plurilinguisme contre l’uniformité.

En France, le débat fait rage autour de l’usage de langues autres que le français à l’université. Il est utile de mettre en évidence les limites de certains des arguments qui s’affrontent, car ils sont souvent pétris de clichés particulièrement tenaces, que l’on entend également en Suisse. Commençons par rappeler neuf points importants :

1. Une formation universitaire véritablement ouverte et internationale est nécessairement plurilingue. L’anglais est une langue utile et son usage dans l’enseignement peut aider à le maîtriser. Mais une formation plurilingue, par définition, ne peut pas être intégralement en anglais. Ce n’est du reste pas ce que prévoit la loi actuellement débattue en France, mais ce que certains, plus ou moins ouvertement, appellent de leurs vœux. C’est absurde, car cela revient à recommander, sous le couvert d’une «internationalisation» superficielle, la pure et simple uniformisation. Donner certains cours en anglais se justifie dans un but d’ouverture bien comprise, si cela élargit les horizons de la transmission des connaissances; mais aucun cursus ne devrait être intégralement anglais.

2. La présence de l’anglais dans le monde académique est constamment surestimée. On pourrait multiplier les exemples: en 2012, sur les 15 134 titres universitaires décernés par les universités allemandes, seuls 4% étaient intégralement en anglais. Quand on lit, sur le site internet du Nouvel Observateur (23.05.2013), que l’Université de Genève est l’une des meilleures du monde francophone parce qu’elle aurait «basculé dans l’orbite de la langue anglaise», avec pour indicateur la proportion de thèses de doctorat rédigées en anglais, on ne peut que s’inquiéter d’une telle confusion: car, à Genève, le français est la principale langue d’enseignement; c’est la langue des BA (sauf pour les formations linguistiques – si l’on étudie l’allemand, par exemple), et tout BA doit être suivi d’au moins une MA (maîtrise académique) consécutive en français. Certes, l’Université de Genève offre de nombreux cours en anglais (et j’en donne moi-même), mais l’idée que l’anglais serait «la» langue du monde universitaire est totalement fausse.

3. L’importance de l’anglais dans la société globalisée est surestimée. Le monde des affaires en fournit de nombreux exemples, étayés par des chiffres: la compétence linguistique qui manque le plus aux entreprises bruxelloises, ce n’est pas l’anglais, c’est le bilinguisme français-néerlandais. En Suisse, les employés amenés à travailler dans plusieurs langues utilisent davantage l’allemand et le français que l’anglais. L’International Herald Tribune du 23 mai 2013 rapporte que de brillants professionnels occidentaux ont de plus en plus de peine à se placer sur le marché du travail en Extrême-Orient au motif qu’ils ne savent pas le mandarin: ils savent l’anglais, mais cela ne suffit pas. Le patronat de la Confederation of British Industry le reconnaissait aussi en 2011, en constatant que l’incompétence linguistique des Britanniques leur interdit l’accès à de nombreux postes dans la City même.

4. L’obsession de «l’étudiant étranger» amène à des absurdités. L’ouverture internationale des universités est une bonne chose, et attirer des étudiants d’ailleurs est justifié. Cette ambition se combine, de façon parfois assez confuse, avec l’idée qu’on va ainsi attirer les «meilleurs» étudiants. Mais croire que cela oblige à enseigner en anglais est aussi naïf qu’illogique: l’étudiant indien, chinois ou pakistanais qui souhaite vraiment une formation en anglais visera d’abord Harvard ou Oxford. Ceux qui, tout en souhaitant une formation en anglais, arrivent à Genève ou à Copenhague seront donc peut-être justement ceux qui n’auront pas été assez bons pour être acceptés à Harvard. Et cela nous conduit à ces séminaires ubuesques où un prof à l’anglais pauvre et hésitant (parfois carrément pénible en raison d’un accent italien, français ou néerlandais à couper au couteau), parle devant des étudiants dont pas un seul n’est anglophone, et dont beaucoup rédigeront des travaux dans un anglais stéréotypé voire, pour certains, quasi inintelligible. Si les universités francophones veulent attirer les «meilleurs», il faut viser ceux qui sont suffisamment bons pour au moins ­essayer de développer la capacité à suivre des cours en français – en plus d’avoir, certainement, des compétences en anglais dont l’utilité est incontestée. Offrons-leur donc des cursus bilingues avec des cours en anglais, mais aussi en français.

5. Ce n’est pas l’offre de cours en anglais qui maximise l’afflux d’étudiants étrangers. En partant des chiffres de 2009 de l’OCDE sur la mo­bilité étudiante internationale et en tenant compte de la taille des pays concernés, on constate que les pays hôtes les plus surreprésentés sont majoritairement anglophones: ce sont la Nouvelle-Zélande (premier rang), l’Australie (2e), le Royaume-Uni (5e) et le Canada (6e). Mais l’Autriche (3e) et la Suisse (4e) sont très bien classées, suivies de la Belgique (7e) et de la France (9e). En d’autres termes, les pays non anglophones qui attirent le plus d’étudiants étrangers ne sont pas ceux qui ont le plus anglicisé leur système académique: ainsi, la Suède pointe au 8e rang, et les Pays-Bas au 11e. Les étudiants étrangers viennent donc aussi chez nous pour l’allemand et le français: veillons à ne pas jeter ces atouts aux orties.

6. Arrêtons de mélanger enseignement et recherche et de confondre les différents «moments» d’un processus de recherche. C’est un privilège de pouvoir évoluer dans une communauté mondiale de chercheurs, et si l’anglais nous y aide, profitons-en (du reste, le soussigné utilise l’anglais tous les jours, et avec plaisir, dans ses activités de recherche). Mais ceci ne concerne pas tous les stades de la recherche, qui inclut aussi toute la communication, largement en langue locale, au sein d’une équipe scienti­fique. L’usage de l’anglais à certaines étapes de la recherche ne justifie en aucune façon qu’une faculté universitaire sise dans un pays francophone prétende n’offrir que des MA principalement, voire entièrement, en anglais. N’oublions pas que le public et les usagers, ce sont aussi les contribuables qui financent l’université, et ils ont le droit de demander à celle-ci d’enseigner dans leur langue.

7. Les langues ne sont pas neutres. On n’a pas forcément les moyens de penser les mêmes ­choses dans différentes langues. Les exemples sont légion et ceci devrait nous amener, surtout dans l’enseignement et la recherche, à tout faire pour éviter l’uniformité. Ainsi, dans Le Temps du 10 mai 2013, l’ancien chef de la division santé mentale de l’OMS reconnaît que l’unilinguisme du DMS (le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, qui a été pensé et rédigé en anglais) généralise une pensée unique sur le trouble mental, alors que ce qui vaut pour ­trouble mental est éminemment contextuel, et dépend d’une vision culturelle, portée par la langue, de la maladie et de la santé. L’uniformisation linguistique est très probablement un frein au progrès et à la diffusion des connaissances.

8. Même si les langues sont parfaitement interchangeables et transparentes, l’abandon de telle ou telle langue entraînera immanquablement des «pertes de domaines». Dès lors, certaines réalités (celles des domaines concernés) ne seront à terme plus dicibles, ni par conséquent analysables, dans les langues qu’on aura abandonnées, comme le rappelle une récente recommandation (novembre 2011) de la Conférence allemande des recteurs d’université. Prétendre que la présence de l’anglais dans les universités francophones n’a aucun impact sur le devenir de la francophonie, c’est ignorer les processus de profondeur en macrodynamique des langues. Si encore on observait une présence comparable du français dans les systèmes universitaires anglophones... mais nous savons tous qu’il n’en est rien.

9. Le problème n’est pas l’anglais, mais l’hégémonie linguistique. Que la langue dominante soit l’anglais, le klingon, le français ou le wolof n’a guère d’importance : c’est l’hégémonie qui entraîne l’uniformisation, laquelle favorise la pensée unique, qui à son tour bride la créativité et l’innovation – sans même parler du mortel ennui qui naît de l’uniformité. Défendre le français face à l’anglais (et peut-être, dans vingt ou trente ans, l’anglais face au mandarin) n’a donc rien à voir avec un chauvinisme imbécile: c’est un engagement bien compris pour la diversité, elle-même créatrice. Dans la recherche, la langue est un outil de travail, et cela vaut surtout pour la langue maternelle: l’abandonner, c’est dévaloriser son outil de travail et scier la branche sur laquelle on est assis. Le véritable enjeu n’est pas celui du français contre l’anglais, mais celui du plurilinguisme contre l’uniformité.

Face à ces constats, comment expliquer que des arguments plutôt faibles restent si complaisamment colportés ? C’est peut-être dû à un phénomène connu des économistes sous le nom de «bien collectif». En effet, il est des cas, comme ici, où le bilan des avantages et des inconvénients est fort différent selon le niveau de lecture auquel on se place :

1. du point de vue des individus, il est très rémunérateur de maîtriser plusieurs langues, et dans certains pays comme la Suisse ou le Canada, ces avantages sont chiffrés. La rentabilité du plurilinguisme est clairement établie; du reste, des langues autres que l’anglais s’avèrent parfois plus rentables;

2. au niveau des sociétés, l’uniformité est stérilisante, dangereuse pour la créativité et l’innovation et, partant, pour la prospérité – sans même parler des transferts très inéquitables qu’elle entraîne;

3. au niveau intermédiaire d’une université ou d’une faculté particulière confrontée à la concurrence d’autres établissements, une lecture (naturellement sectorielle) des bénéfices et des coûts des différentes stratégies linguistiques conduit à sous-évaluer les risques issus de la convergence vers une langue unique. Il n’est pas étonnant que des intérêts sectoriels ne convergent pas avec l’intérêt général, mais en bonne politique publique, c’est la vision la plus générale qui doit guider nos décisions.

Au fond, le problème rappelle celui que l’on rencontre en matière d’environnement. Songeons par exemple à l’exploitation des ressources halieutiques. Pour en assurer un usage soutenable, il nous faut des politiques publiques appropriées, et l’heure des solutions purement locales ou nationales est passée depuis longtemps: la gouvernance de certaines ressources, de nos jours, doit être mondiale et bien coordonnée. Sans doute en sommes-nous là en matière de langue: l’uniformité linguistique est ­néfaste pour nous tous, et il nous incombe de promouvoir la diversité dont nous sommes tous porteurs, y compris en tant que francophones ouverts sur les autres langues. Dès lors, il faut commencer à penser l’engagement pour la diversité au niveau international et mettre sur pied une concertation débouchant sur une gouvernance linguistique mondiale. Comme en ­matière d’environnement, c’est la condition d’une diversité vivante, créative et soutenable.

 

Source : letemps.ch, le jeudi 13 juin 2013 - Le Temps © 2013 Le Temps SA

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/75c15e64-d34e-11e2-a62a-b376553b4f59/Langlais_dans_lenseignement_acad%C3%A9mique_le_d%C3%A9bat_s%C3%A9gare_dans_les_clich%C3%A9s#.Ubw3s-dM-uI


 

 

 

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