Sujet :

Mots d'Or et Trophées du langage de Bercy 2011

Date :

01/05/2011

De Charles Durand  (courriel : charles.durand(chez)hotmail.fr)  

Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez « chez » par « @ ».

 

Voici ma réaction à propos de la manifestation de Bercy sur les Mots d'Or et Trophées du langage 2011.

Vos commentaires seront les bienvenus.

Cordialement.

Charles Durand

 

Les lauréats 2011 des Trophées 2011 avec les lauréats des Mots d’Or des Jeunes 

 

 

À l'initiative du Haut fonctionnaire chargé de la terminologie, le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a accueilli le 16 mars 2011 la cérémonie des Mots d'or et des Trophées du langage de Bercy. Les Trophées du langage de Bercy s’inscrivent dans le dispositif de terminologie mis en place par le décret du 3 juillet 1996, relatif à l’enrichissement de la langue française et pris en application de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (loi Toubon).

Première édition des Trophées du langage de Bercy 2011

Cette première édition des Trophées du langage de Bercy est un hommage aux professionnels qui contribuent à la prospérité de la langue française. Elle est aussi l’occasion d’une réflexion sur les rapports entre la vitalité de la langue et l’économie. La remise de prix a été précédée d’une table ronde au cours de laquelle les invités, universitaires, journalistes, responsables européens et internationaux ont débattu de la place de la langue française dans leur domaine d’activité ou de recherche.

Les Trophées 2011

Les Trophées du langage de Bercy 2011 ont été remis  en présence d’Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE, Secrétaire perpétuel de l’Académie Française, de Xavier NORTH, Délégué général à la langue française et aux langues de France au Ministère de la Culture et de la Communication et de Patrick SAMUEL, Contrôleur général, Haut fonctionnaire chargé de la Terminologie.

Ont ainsi été honorés :

Marie-Christine SARAGOSSE, directrice générale de TV5 Monde, pour l’engagement de cette chaîne au service de la langue française.

Michel ROLLIER, gérant commandité du groupe Michelin, pour la politique linguistique exemplaire de cette entreprise.

Jean-Pierre ROBIN, journaliste, rédacteur en chef  du Figaro, pour son talent d’exposition en langage simple, de concepts économiques complexes.

Les Mots d’Or des Jeunes

L’épreuve internationale des Mots d’Or des Jeunes s’adresse depuis 1989 à des élèves et étudiants français et étrangers en économie et gestion. Le palmarès 2011 salue les meilleurs d’entre eux pour leur maîtrise du vocabulaire des affaires en français et dans leur langue maternelle (pays représentés : Autriche, Biélorussie, Égypte, Fédération de Russie (République du Bachkortostan et République du Tatarstan), Gabon, Islande, Madagascar, Québec, République tchèque, Roumanie, Sénégal, Syrie, Thaïlande, Viet-Nam, Zambie, France (métropole, Guyane, Nouvelle- Calédonie et Polynésie).

 

Source : economie.gouv.fr, mars 2011

http://www.economie.gouv.fr/actus/11/trophees-des-mots-d-or-de-bercy.html

 

 

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LES TROPHÉES DU LANGAGE EN VERSION INTÉGRALE

(http://video.bercy.gouv.fr/lecteur_video/index.php?key=TjtBiEIaHRGRmAAhPlVd&id=Km6GduWCUHUf4a9zdDIw&type=pr&lang=fr)

 

Réaction de M. Charles Xavier Durand :

J'ai regardé avec intérêt la vidéo de la manifestation intitulée : « Mots d'or et trophées du langage » dont l’existence m’a été signalée par Albert Salon.

Pour ceux qui n’auront pas la patience de regarder une vidéo qui dure 3h 45 min, il convient de dire quelques mots sur l’organisation de cette manifestation qui s’est déroulée à Bercy sous l’égide de Christine Lagarde, qui reçut le prix de la carpette anglaise en 2007, et dont la prétendue contribution à la Francophonie est pour le moins suspecte. Ses organisateurs ont choisi Bercy du fait que ce lieu incarne à la fois l’économie et les finances et qu’ils semblent afficher la volonté de démontrer que la langue française demeure toujours investie d’un rôle non négligeable dans ces domaines de notre activité. L’événement était composé de deux segments distincts, l’un constitué de discours, de remarques et de commentaires de diverses personnalités intimement associées au monde de la formation en finance et en économie et l’autre, qui a présenté les lauréats du concours des Mots d’or et sur lequel on peut facilement trouver des informations en interrogeant un quelconque moteur de recherche sur la Toile. Comme on peut s’y attendre dans un tel contexte, le concours de cette année se concentrait sur le « français des affaires ». Ses lauréats sont exclusivement des jeunes issus pour la plupart de pays non francophones et qui n’avaient jamais eu l’occasion de venir en France métropolitaine. Une partie de la vidéo voit défiler ces jeunes au micro pour expliquer en quelques phrases le cheminement qui les a conduits à étudier le français et, plus particulièrement, le français des affaires.

L’essentiel des commentaires et des questions qui précédèrent ou qui succédèrent à la présentation de ces jeunes lauréats, étrangers pour la plupart, portait, non sur l’enrichissement de la langue française à laquelle ils participaient mais, au contraire, sur sa constante dégradation dont l’aspect le plus évident est la substitution de son vocabulaire par des mots anglais et franglais que l’on y trouve dans des proportions grandissantes, plus particulièrement en économie et en finance. Si ce type de discours entre francophones s’avère de plus en plus nécessaire, on voit mal pourquoi on essaye ainsi d’y associer de jeunes et nouveaux locuteurs étrangers, alors que ces derniers vont nécessairement se retrouver bientôt en émissaires de la langue française dans leurs pays respectifs. Ces jeunes constitueront-ils les relais efficaces des dispositifs existants de promotion de la langue et de la culture françaises auprès de leurs homologues des lycées et des universités de leurs pays alors qu’ils viennent d’assister à des présentations qui leur ont fait certainement prendre conscience que l’état actuel de notre langue ne la rend guère propice à sa diffusion internationale ? Lorsqu’ils s’aperçoivent que l’enseignement des meilleures écoles françaises, ou plutôt de celles qui sont censées l’être, est dispensé en anglais dans une proportion allant jusqu’à presque 50% du temps total d’enseignement, comme c’est le cas à HEC, par exemple, ils peuvent légitimement se poser des questions sur l’utilité d’un français dont le rôle sur la scène nationale française est empiété chaque jour davantage par un anglais qui n’est nullement imposé de l’extérieur, mais par les directeurs des grandes écoles françaises, par les agences de communication, par la publicité et les hauts fonctionnaires d’État.

Patrick Samuel, contrôleur général économique et financier, et chargé de la terminologie, ouvra la séance en disant que la grande langue de communication internationale aujourd’hui est l’anglais et que le temps était loin où l’Europe parlait français. Selon lui, regretter cette époque serait équivalent à regretter celle des lampes à huile et de la marine à voile. On ne voit guère comment, après une telle introduction, les lauréats des Mots d’or, pour lesquels, à l’exception d’une Québécoise, le français n’est que langue seconde[i], pourraient se sentir confortés dans leur choix du français comme grande langue internationale et langue des affaires. Les présentations suivantes se concentrèrent sur un état des lieux de la langue française. Se succédèrent ainsi au micro le directeur d’HEC, Bernard Ramanantsoa, Jean-Pierre Gaillard, chroniqueur boursier sur LCI, Alain Cousin, président d’Ubifrance, Christian de Boissieu, professeur à Paris I, Pierre-Emmanuel Richard, chef du service de la communication à Bercy, Marco Benedetti, directeur général de l’interprétation à la Commission européenne, Michel Serres, épistémologue et philosophe à la retraite, Xavier North de la DGLFLF, Hélène Carrère d’Encausses et Jacques Toubon pour l’essentiel.

Alors que cet aréopage reconnait l’importance du français des affaires, au moins officiellement, on constate très vite qu’une majorité de personnalités invitées eurent recours dans leurs discours à une terminologie anglaise pourtant aisément traduisible. Comment peut-on convaincre de l’importance et de l’utilité du français des affaires lorsqu’on parle de "MBA", de "management", de « focus », de "business schools », de "trend " et de "rankings" ? Comment peut-on défendre le français lorsqu’on émet l’opinion que le français n’a pas d’équivalent pour des termes tels que "valuable" ou "accountability" comme Christian de Boissieu le fit dans son intervention ? Comment persuader un étudiant étranger d’approfondir ses études en français quand Pierre-Emmanuel Richard nous dit qu’il faut « supporter » au lieu de « soutenir » et que Bernard Ramanantsoa nous parle d’ « électifs » au lieu de « cours facultatifs » par opposition à « cours obligatoires » ou à « cours de tronc commun », de « technologie » au lieu de « techniques », de « Masters » au lieu de diplômes de « maîtrise », de « régulation » au lieu de « règlementation », etc. ? Comment attirer un étranger vers le français quand les Français eux-mêmes inventent des termes à consonance anglaise, mais qui n’existent pas ou qui ont un sens tout à fait différent en anglais et tels que "pipolisation" ou presse "people", "tennisman", "relooker" ou même encore "parking" (à la place de "park" ou de "parking lot") ?

Le visionnage de la vidéo rend parfaitement perceptible le fait que, pour certaines des personnalités invitées, l’usage des mots anglais ne relève pas d’un snobisme particulier, mais tout simplement d’une impossibilité de pouvoir penser totalement dans leur langue. Bernard Ramanantsoa donna clairement l’impression qu’il a oublié depuis belle lurette ce que signifie le sigle « HEC » et que « études commerciales » est définitivement sorti de son vocabulaire. On soupçonne chez lui et ses pairs la possibilité d’un blocage de l’expression si le recours à des termes anglais devenait soudain impossible. Cette situation est fréquente chez les gens en voie d’absorption linguistique. C’est par exemple le cas avec certains francophones ontariens au Canada et ce fut le cas dans les colonies avec les indigènes en cours d’assimilation. Dans ses mémoires, Charles Hélou, ancien président de la république libanaise fait état de situations semblables avec les premiers dirigeants algériens après l’indépendance et qui étaient rigoureusement incapables d’aborder en arabe standard la moindre question politique ou économique. C’est le cas chez tous les individus en état d’assimilation avancée et l’exemple des Bernard Ramanantsoa et consorts n’est certainement pas compatible avec les buts recherchés par les organisateurs du concours des Mots d’or.

Le discours de Michel Serres, qui fit une conférence extrêmement intéressante dans un français remarquable, ne fut pas totalement exempt d’anglicismes puisque l’on put remarquer qu’il utilisait la désignation « sciences dures » au lieu de « sciences exactes » et qu’il prononçait "iceberg" à l’anglaise (aïcebergue) après justement avoir fait remarqué que ce mot devait être prononcé « issebergue ».

Marco Benedetti, dans un français parfait et dépourvu de toute trace d’accent, fit remarquer que le français est toujours présent à la Commission européenne de Bruxelles dans les dispositifs de traduction et d’interprétariat et qu’il suffit de l’utiliser faisant ainsi allusion au fait que le personnel francophone de la Commission et que les correspondants nationaux et francophones de la Commission sont parmi les derniers à parler leur langue. À qui la faute sinon au gouvernement français, en particulier, qui ne prévoie aucune sanction vis-à-vis des fonctionnaires qui correspondent avec Bruxelles en anglais ? Un autre intervenant fit remarquer que si l’usage de l’anglais est devenu majoritaire à la Commission, cela s’est fait, en partie, au détriment des anglophones natifs qui se désolent du « désespéranto », ainsi utilisé, qui, bien qu’il utilise la grammaire anglaise, semble avoir été rédigée par un ordinateur ignorant de la culture anglaise sous-jacente, une sorte d’idiome distinct de la langue utilisée dans les pays anglophones authentiques tels que l’Angleterre ou les États-Unis et que, trop souvent, les Anglais ne comprennent pas ou comprennent mal.

Hélène Carrère d’Encausses me surprit également lorsque, en s’adressant aux lauréats du concours des Mots d’or, elle les encouragea à se détourner de la facilité qui consisterait à prendre un mot anglais pour désigner un nouvel objet ou concept dans leur domaine d’étude. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française donne ainsi une préférence à l’anglais alors que le choix d’un mot anglais n’a rien de « plus facile » dans toutes les langues qui ne partagent aucune racine commune avec l’anglais. Si un Scandinave opte souvent pour un mot anglais non traduit, ce ne sera certainement pas le cas avec les locuteurs de la plupart des langues asiatiques, à l’exception des Japonais, pour lesquels le mot anglais n’évoque rien ou certainement rien de plus que s’il s’agissait d’un mot espagnol, russe ou bantou ! De plus, comme l’avait fait remarquer le linguiste étasunien Sapir, le fait que les locuteurs de la langue anglaise acceptent souvent de faire avec un substantif un verbe et un adjectif ne facilite en rien l’apprentissage de l’anglais par un non-anglophone dans la mesure ou l’absence patente de signes grammaticaux a pour résultat des difficultés et des ambiguïtés n’existant pas dans d’autres langues européennes plus structurées. Il est ainsi curieux de constater l’impact du lavage de cerveau en faveur de l’anglais qui est dispensé par les médias occidentaux et qui atteint même ceux dont la fonction est justement d’engager une réflexion en faveur du français. De la même manière, on est un peu surpris que des hauts fonctionnaires tels que Xavier North ou Jacques Toubon doivent défendre la loi du même nom pour la débarrasser de tout caractère prétendument « raciste », coercitif et obligatoire que ses opposants lui attribuent alors qu’elle n’est même pas appliquée par les organismes d’État ! Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque j’eus récemment la curiosité d’interroger le site de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard, une institution qui, à l’exception des cours de langue, fonctionnait totalement en français lorsque j’y travaillais, de m’apercevoir que de nombreux enseignements sont désormais dispensés en anglais, alors que cette université, qui fonctionne comme une école d’ingénieurs, dépend totalement de l’État pour son fonctionnement !

Pierre-Emmanuel Richard, chef du service de la communication à Bercy, s’est déclaré être contre le mélange des langues, mais avoue implicitement que l’usage de mots anglais est nécessaire dans les messages d’un chargé de communication qui désire en maximiser l’impact, là encore comme si l’usage de l’anglais était indispensable et attendu par un francophone désireux de s’informer dans sa langue. Ce n’est pas un tel commentaire qui surprend mais, plutôt, la prise de conscience de l’ampleur du conditionnement qu’a subi une telle personne pour proférer pareille absurdité !

Comment tolérer les incohérences et les contradictions de la plupart des personnalités invitées qui préconisent un enseignement en anglais tout en soulignant l’importance du français et, plus particulièrement du français des affaires ? Comment ne pas faire le lien immédiat entre l’usage de l’anglais par la plupart des fonctionnaires français qui correspondent avec la CE de Bruxelles quand les cours dispensés par les écoles françaises qui comprennent dans leurs intitulés le mot « Europe » sont dispensés presque toujours en anglais ? Comment Bernard Ramanantsoa peut-il prétendre que l’excellence en français est toujours une priorité lorsqu’il dit que 50% du personnel enseignant de HEC n’est pas francophone ? On croit rêver !  Le Vietnamien Nguyên Duy Tân releva en partie ce type de contradiction en soulignant que les commissions dont il fait partie font des recommandations de terminologie qui ne sont jamais suivies, invalidant implicitement le rôle de ceux qui sont censés les faire respecter, tout en citant Confucius qui, à la demande d’un empereur de Chine, avait tout simplement dit qu’il fallait rétablir le sens des mots en lieu et place d’une réforme que le pouvoir réclamait !

Le proverbe prescrit que « le linge sale doit sa laver en famille » et on comprend mal qu’un état des lieux si nécessaire pour les francophones n’ait pas été considéré comme malséant pour des jeunes étudiants qui ont pris avec enthousiasme partie pour la langue française en participant au concours des Mots d’or.

Il est certain que, vis-à-vis du comité d’organisation de cette manifestation à Bercy, l’autorité de Michel Serres, proportionnelle au temps de parole qui lui fut attribué, est directement liée au poste qu’il a occupé durant de longues années au sein de l’université Stanford, qui est considérée par les anglolâtres comme l’un des principaux temples du savoir anglo-saxon. L’intérêt que lui a consacré une grande université étasunienne est, à l’heure actuelle, pour nos élites, la caution nécessaire et indispensable dont bénéficie le personnage et qui lui donne le droit de parole à Bercy. Cela dit, il n’a abordé dans sa conférence le lien entre langue et savoir que trop brièvement pour convaincre des gens n’ayant pas réfléchi préalablement à cette relation qui est, la plupart du temps, passée sous silence. Il n’a pas non plus évoqué le problème décrit par Marc Chesney, professeur en finance à l’université de Zurich[ii], que posent les enseignements en anglais. Chesney dénonce ainsi une uniformisation des enseignements par le biais de l’anglais dont les contenus s’alignent inévitablement sur ceux des universités anglo-saxonnes et particulièrement étasuniennes, ignorant les contributions individuelles extérieures à ce monde-là, se faisant automatiquement les relais de la propagande et des idéologies anglo-saxonnes en matière d’économie et de science, servant de caisse de résonnance aux prétendues nouveautés que me monde anglo-saxon engendre au détriment de celles des autres pays. J’aurais aimé entendre de Michel Serres que, loin de constituer un attrait supplémentaire pour les étudiants étrangers, la perspective de ces enseignements en anglais affaiblit considérablement l’intérêt de ces mêmes étudiants à rechercher une admission dans les établissements prétendument francophones. Christian de Boissieu remarquait que, contrairement à ce qui se passait il y a dix ou quinze ans, les écoles françaises d’enseignement supérieur n’attirent plus les meilleurs étudiants du Maghreb qui sont pourtant, pour la plupart, de parfaits francophones. Comment peut-on faire semblant d’ignorer que les meilleurs étudiants étrangers se détourneront automatiquement de la France quand ses universités prétendument « francophones » dispensent un enseignement en anglais, assuré par des Français, puisqu’une telle pratique lui soulignera implicitement que la langue française est inadaptée pour le dispenser. Comment ne pas comprendre que la présence d’un professeur anglais ou étasunien dans une grande école ou une université française soulignera une insuffisance française apparente dans la spécialité enseignée, même si ce n’est pas le cas ? Comment Christian de Boissieu peut-il faire semblant d’être surpris que les étudiants de l’université de Lisbonne ne lisent plus directement en français les livres techniques et communications en français depuis que les Français eux-mêmes les rédigent en anglais, confirmant ainsi implicitement que tout ce qui n’est pas écrit en anglais ne vaut plus la peine d’être lu ?

Michel Serres affirme que les chercheurs inventent et découvrent toujours dans leur langue et utilisent une langue véhiculaire pour communiquer, l’anglais ou plutôt le "globish", pour ne pas le nommer. Dans sa conférence, il laissa entendre que ces deux langues sont disjointes et que la langue de communication n’influence pas ce que les chercheurs peuvent accomplir dans leur propre langue. Il s’agit là d’une erreur d’évaluation résultant d’une absence d’observation détaillée. Tout d’abord, comme le système d’évaluation des publications est, pour les revues les plus cotées, entièrement dans les mains des Anglo-Saxons et de leurs plus étroits collaborateurs, les sujets sélectionnés sont naturellement dans le prolongement des recherches faites dans les pays anglophones. Cette érosion du choix des sujets de recherche en faveur d’un recentrage sur les sujets agréés est encore renforcée au niveau des demandes de subvention de recherche comme cela est le cas avec l’ANR ou avec la DG XIII de la Commission européenne qui demandent à ce que les projets de financement soient rédigés en anglais, dans le but d’une évaluation qui utilise les critères et normes anglo-saxonnes. Antoine Danchin, qui est directeur de recherches au CNRS et professeur à l’Institut Pasteur, écrivait récemment[iii] que la domination du "globish", même en matière de découvertes et d’inventions qui ont lieu, en principe, dans les langues des chercheurs respectifs, a quand même pour prix un ralentissement important du processus de découverte. Il écrit :

« L’impression d’une accélération de la science et de ses applications n’est qu’une illusion. Il y a au moins trois millions de chercheurs en biologie dans le monde et, si l’on compare leurs découvertes à celle du XIXe siècle, on ne peut qu’être frappé par leur extrême indigence. De même, les grandes révolutions scientifiques se propagent toujours aussi lentement ».

Effectivement, si l’on compare les chercheurs du XIXe et du début du XXe siècles, qui n’étaient qu’une poignée par rapport aux armadas qui peuplent actuellement les laboratoires et les universités, on est saisi par l’énorme disparité de rendement en faveur des chercheurs du passé. L’organisation impériale de la science stérilise la créativité dans la périphérie de l’empire comme cela a été avec tous les empires. Nos dirigeants, nos organismes d’évaluation, nos professeurs et nos cadres prônent, sans s’en rendre compte, le suivisme et la servilité. Ce sont les qualités qui sont le plus appréciées au détriment de l’initiative, de l’originalité et de la nouveauté qui n’ont droit de cité qu’au cœur de l’empire et qui a d’ailleurs dénaturé le processus scientifique. Antoine Danchin écrit :

« La science s’apparente de plus en plus à la publicité. Bien souvent, il faut payer pour publier ses travaux, et l’idée même d’un impact des publications indique bien que ce n’est pas le savoir qui compte en premier, mais la perception qu’en ont les divers pouvoirs constituant nos sociétés. Il y a donc à la fois une dimension rhétorique (il faut convaincre), une dimension politique (il faut s’assurer le soutien du pouvoir) et une dimension économique (la vente des textes et des images qui sont associés à la science) dans la création et la communication du savoir. Il n’est pas difficile de comprendre le rôle qu’ont les langues à l’intérieur de telles contraintes ».

 

 

Il n’est donc pas étonnant que la science suive la voie du spectacle, celle de la publicité tapageuse et celle des index de citations d’origine étasunienne, qui s’est banalisée avec l’extension de l’empire et qui a totalement dévoyé la science d’aujourd’hui.

Cet aspect excessivement important de l’usage de l’anglais dans le domaine de la recherche a totalement échappé à Michel Serres qui fait remarquer justement que, durant l’occupation nazie, on voyait moins d’allemand sur les murs de Paris qu’on ne voit d’anglais aujourd’hui. À cela, l’animateur radiophonique Louis Daufresne[iv] répond que, contrairement à l’Allemagne nazie, les pays d’où l’anglais est issu sont des pays amis, mais est-ce vraiment le cas ? Au lieu d’essayer de former une alliance équilibrée entre pays occidentaux et à bénéfices réciproques en vue de relever les défis asiatiques futurs, les Etats-Unis n’ont eu de cesse depuis la seconde guerre mondiale de mettre en place un système de domination sur l’Europe en noyautant ses systèmes d’information, en stipendiant des centaines de milliers de collaborateurs à la botte, en subvertissant les politiques communautaires de l’Europe, en installant des pantins et autres marionnettes à leurs ordres à la tête d’innombrables nations, chaque fois que cela a été possible. Une abondante littérature existe à ce sujet qu’il suffit de lire pour balayer l’illusion d’un peuple ami au sein d’une civilisation occidentale et prétendument solidaire.

Si la manifestation de Bercy s’est concentrée de manière malsaine sur l’anglais des anglo-saxons par opposition au « deséspéranto » de la périphérie de l’empire, constitué aujourd’hui surtout par l’Europe continentale, le mot espéranto ne fut pas prononcé une seule fois en 3h et 45 minutes de discours et débats. Pour Patrick Samuel, qui ouvra la séance, il existe une grande langue de communication internationale, l’anglais. Il ne se rend pas compte qu’un corollaire implicite de cette affirmation est qu’elle exclue toutes les autres langues de ce rôle, les reléguant ainsi implicitement à des fonctions subalternes. Toutefois, une affirmation aussi simpliste nous révèle que Patrick Samuel est fort limité dans sa connaissance du monde. Si l’anglais domine effectivement dans la communication internationale pour certaines parties du monde, son utilisation est loin d’être universelle. L’espagnol, le russe, le français et même une langue comme le swahili servent aussi à la communication internationale, comme tout observateur averti pourra le confirmer. « On peut regretter le temps où l’Europe parlait français », remarqua Patrick Samuel, comme si le but recherché était ici de substituer le rôle attribué par les nations anglophones à l’anglais par celui du français, comme si le but de ceux qui s’occupent de terminologie et de langue française voulaient remplacer un impérialisme linguistique basé sur l’anglais par un autre basé sur le français ! La cérémonie des Mots d’or et des trophées du langage, dont la fonction était de célébrer un enrichissement de la langue française a révélé en fait une langue assiégée et dont l’éradication a bel et bien commencé sous les coups de butoir d’un impérialisme linguistique que Robert Phillipson a décrit en détail dans ses livres et mis en œuvre par d’innombrables collaborateurs zélés dont certains figuraient malheureusement  dans la liste des intervenants.

Cela est d’autant plus évident que ces intervenants n’ont pas décrit le rôle que l’anglais a pris mais plutôt celui qu’ils lui ont attribué, comme ce fut particulièrement le cas pour Bernard Ramanantsoa. Personne n’essaya de présenter le concept même de langue internationale construite, dont la seule concrétisation aujourd’hui est l’espéranto. Peu importe que l’espéranto soit parlé actuellement par 1,5 million de locuteurs ou par 15 millions ! Cette langue qui fait appel à l’intelligence et beaucoup moins à la mémoire aurait beaucoup plus de chances d’émerger sur la scène internationales par ses qualités propres que celles qui ont présidé à la renaissance de l’hébreu dans l’État d’Israël après 1948 ! Aucun des intervenants ne souligna le coût exorbitant de l’anglais, dont les aspects tangibles et intangibles ont été étudiés depuis plusieurs années par François Grin, de l’université de Genève. Personne n’a non plus abordé les systèmes de communication basés sur l’intercompréhension entre langues voisines. Enfin, personne n’a souligné que le commun des mortels peut, ACTUELLEMENT, avoir facilement accès au contenu sémantique d’un texte rédigé dans n’importe quelle langue sur un quelconque ordinateur de bureau. Les traductions qu’offrent les navigateurs sur Internet sont loin d’être parfaites[v], mais elles sont désormais compréhensibles.

 

 

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[i] Il y avait aussi une Guyanaise et un néo-Calédonien, mais il est probable que la première langue de ces lauréats soit respectivement le créole et le canaque.

[iv] Ancien journaliste à RFI et actuel directeur de l’émission « Le grand témoin », à Radio Notre-Dame, Paris.

[v] En effet, la traduction parfaite, qui fait appel à la connaissance complète du contexte social du moment, ne peut être faite que par un être humain. Un programme informatique a accès à une base lexicale et à des règles grammaticales, ce qui est insuffisant pour traduire métaphores, métonymies et autres références dépendant du contexte et que seul un être humain peut comprendre dans le couple langue-d’origine / langue-cible. Pour traduire parfaitement, il faut aussi comprendre parfaitement et un programme informatique, aussi perfectionné soit-il, n’est qu’une séquence d’instructions qui ne peut « comprendre » quoi que ce soit.

 

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J'ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon dernier ouvrage intitulé : « Une colonie ordinaire du XXIe siècle » chez l'éditeur belge EME dans sa collection « Société ». Vous trouverez à l'adresse suivante, la page de couverture qui résume le contenu de cet ouvrage :

   http://www.eme-editions.be/couvertures_pdf/45803.pdf


   Son numéro international de publication est le 978-2-87525-048-3 (ISBN).

   La référence du livre vient d’apparaître sur amazon.fr et sur chapitre.com et, dans quelques jours, elle devrait également figurer sur alapage.fr. L’ouvrage peut être également commandé directement chez l'éditeur, par le biais de son site internet, à la page suivante :
 

http://www.emeeditions.be/search.php?orderby=position&orderway=desc&search

_query=Charles+Durand&submit_search=

 

Résumé de couverture:
 

Depuis 1945, l’empire américain n’a cessé de croître et de consolider son influence. L’anglais et le dollar en sont les deux piliers principaux.

Comme avec toute autre structure impériale, l’expansion de l’empire, dont l’Europe continentale fait malheureusement partie, se traduit dans ses pays satellites par l’émergence d’un conformisme appauvrissant, de la puérilité, d’une police de la pensée, donc de l’autocensure, et d’un infléchissement notable de la créativité.

Si dans certaines parties du monde, l’empire s’impose par ses forces armées, en Europe, il se base sur la « colonisation mentale » des populations, c’est-à-dire par une véritable occupation des esprits entraînant ainsi des modifications profondes dans la pensée et le comportement. Charles Durand met en évidence ces phénomènes, les décortique et montre les relations qu’ils ont avec la diffusion de l’anglais, langue prétendument internationale dont le système officiel veut nous gaver, tout comme avec les produits « culturels » et idéologiques qu’elle sous-tend. Il braque le projecteur sur des sujets auxquels nous ne sommes pas censés nous intéresser et nous livre une démonstration implacable révélant notre transformation depuis une trentaine d’années.

Ce livre a pour but la prise de conscience de notre état de fait et de provoquer le nécessaire sursaut salutaire aboutissant in fine à notre affranchissement.

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Ce livre a suscité chez Robert Phillipson, ancien cadre du British Council, auteur de Linguistic imperialism (1992), English-only Europe ? Challenging language policy (2003), Linguistic imperialism continued (2009), le commentaire suivant :

« Le livre de Charles Durand est destiné à réveiller les universitaires, les intellectuels et les hommes politiques français. Il décrit comment les décisions gouvernant l’utilisation du langage ont joué un rôle central dans la colonisation des esprits européens par le projet d’empire américain. Il explique comment les valeurs culturelles et intellectuelles vitales ont été sacrifiées sur l’autel de la mondialisation. A partir d’une information très riche, il démontre pourquoi les questions liées à la langue et à son usage sont d’importance capitale. À l’instar du fameux « J’accuse… » de Zola, son livre devrait déclencher une réflexion majeure sur les politiques linguistiques, sur les questions d’identité et sur l’avenir de la langue française, plus particulièrement »
 


Si ce livre est susceptible d’intéresser vos contacts, collègues et amis, n’hésitez pas à rediffuser cette information.

 

Charles Durand

À propos de l'auteur, voyez entre autres éléments :


 



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