Sujet :

Au sujet des communautés linguistiques de Belgique

Date :

20/12/2007

De Claude Piron  (courriel : c.piron(chez)bluewin.ch)  

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Au sujet des communautés linguistiques de Belgique

Alizée Poulicek, miss Belgique 2007

Alizée Poulicek, miss Belgique 2007

 

La presse flamande crie au scandale après l’élection d’une Wallonne qui parle mal le néerlandais.

Au plat pays, les tensions entre Flamands et Wallons s’insinuent jusque dans le divertissement du samedi soir. Cette fin de semaine, une Wallonne de 20 ans a été élue Miss Belgique. Problème : Alizée Poulicek, originaire de la province de Liège, maîtrise mal le néerlandais. Amenée à s’exprimer dans les deux langues du pays lors de l’ultime épreuve de la soirée qui se déroulait à Anvers, au cœur de la Flandre, la jeune femme n’a pas compris la question posée par l’animatrice en néerlandais. Or, comme le souligne Le Soir, «elle devrait être normalement bilingue.  (...)

Source : http://www.lefigaro.fr/international/2007/12/17/01003-20071217ARTFIG00496-miss-belgique-divise-son-pays.php

 

Miss Belgique, à en juger par son nom et ses connaissances linguistiques, est d'origine tchèque.

Tous les articles parus en France sur cet incident situent Anvers « au cœur de la Flandre ». Cela montre à quel point la Belgique est mal connue. Anvers n'est pas « au cœur », mais à l'extrême Nord, et non pas de « la Flandre » (deux provinces occidentales), mais de la Belgique néerlandophone, qu'on appelle aussi « pays flamand ».

Les problèmes linguistiques belges sont très différents de ceux qu'on trouve ailleurs, parce qu'ils sont plus psychologiques et sociaux que politiques. La Belgique est un pays où tout le monde se sent minoritaire et de ce fait, souvent, inférieur, ce qui favorise une attitude de persécutés qui débouche facilement sur une hyper-susceptibilité génératrice de haine. Rien de comparable au Canada, par exemple, où les anglophones ne se sentent minoritaires à aucun égard.

 

Le tableau belge se présente comme suit :



1. Région bruxelloise


Logo de la ville de Bruxelles-- Les Bruxellois francophones se sentent minoritaires géographiquement, puisqu'ils représentent une petite enclave cernée par un vaste pays flamand.
-- Ils se sentent minoritaires démographiquement, puisque leur langue est celle de la minorité linguistique du pays.
-- Ils se sentent aussi minoritaires « ethniquement ». Ils sont en majorité d'origine flamande. Ils ne sont pas et ne se sentent pas Wallons. Leurs ancêtres et, dans bien des cas (chez Jacques Brel, par exemple), leurs parents sont passés au français parce que c'était la langue noble, mais ils étaient Flamands.
-- Les Bruxellois néerlandophones sont et se sentent minoritaires dans une ville où 80% de la population parlent français.
-- Les parfaits bilingues se sentent minoritaires, bien qu'ils représentent une partie considérable de la population bruxelloise. Avant la guerre, il y avait pas mal de familles où, pendant la semaine, on parlait "brusseleer", dialecte bruxellois à base germanique (voir la note * ci-dessous), et où, le dimanche, on mettait un beau costume ou une belle robe et se mettait à parler français, mais je crois que cela a disparu. Je connais tout de même quelques familles qui refusent de devoir se considérer comme flamandes ou francophones, car elles passent constamment d'une langue à l'autre dans la vie quotidienne, ont des ancêtres des deux communautés linguistiques et une identité qui n'est attachée ni à l'une ni à l'autre, elles se sentent purement belges ou bruxelloises. Elles se savent minoritaires, et parfois mal vues (considérées comme « traîtres ») dans le reste du pays. Ces parfaits bilingues étaient nombreux à Anvers jusqu'à la fin de la guerre, mais, ces familles ont ou émigré en région francophone ou sont passées au seul néerlandais vu l'attitude hostile du gros de la population environnante
envers le français.



2. Nord (néerlandophone)


Emblème flamand-- Les néerlandophones se sentent culturellement minoritaires dans une Europe où leur langue et leur culture ne sont connues et respectées par personne. Ils ont le souvenir d'une époque où la minorité bourgeoise de leur population s'exprimait en français et considérait le flamand (on ne disait pas « néerlandais ») comme un patois vulgaire et sans intérêt. La situation était comparable dans la partie wallonne du pays il y a un siècle : la population parlait wallon (voir note ** ci-dessous) et seuls les bourgeois et les aristocrates parlaient français, mais ça, les néerlandophones ne le savent pas et ils ont perçu un problème social comme un problème linguistique.
-- Les néerlandophones se sentent minoritaires dans leur univers linguistique. Leurs voisins des Pays-Bas parlent une forme de la langue qu'ils considèrent comme « le » néerlandais, la langue pure, authentique. Par exemple, les versions flamandes de Tintin les font rire, elles leur donnent une impression d'archaïsme. La forme belge du pronom « tu » rend tout dialogue cocasse pour un habitant des Pays-Bas. C'est comme si le capitaine Haddock s'adressait à Tintin en disant à chaque phrase « Sa Sérénité » au lieu de « toi », « tu ».



3. Sud (francophone)


Le Coq wallon-- Les Wallons sont démographiquement minoritaires dans le pays et ressentent très nettement leur statut de minorité.
-- Ils se sentent inférieurs aux Flamands du fait de l'évolution économique. Ils ont longtemps été plus riches que leurs compatriotes du nord (grâce au charbon et à l'acier) et ils avaient, avec leurs compatriotes francophones, davantage de pouvoir politique. Depuis les années 1950 et l'épuisement des charbonnages, ils sont économiquement très inférieurs aux néerlandophones et ont moins de pouvoir politique. Ils sont donc jaloux. Ils se sentent, souvent à juste titre, victimes d'une discrimination organisée par la majorité néerlandophone dans un esprit revanchard. Par exemple, un poste de travail ira au candidat qui passera un examen de néerlandais consistant à décrire l'équipement d'un chevalier du Moyen-âge, chose impossible pour un candidat wallon, même s'il a une connaissance opérationnelle de la langue du voisin du nord.
-- Les Wallons se sentent minoritaires, et souvent inférieurs, dans la francophonie (les ressortissants de leur grand voisin français leur font souvent sentir qu'ils sont ridicules s'ils ont une trace d'accent ou emploient une tournure typiquement belge). Ils se sentent culturellement inférieurs et aux Français et aux Flamands (qui leur piquent parfois leurs artistes : leur peintre Roger de la Pasture est plus connu sous le nom de Van der Weyden ; cherchez « Pasture » dans le Petit Larousse, il vous renvoie à Van der Weyden, tout en notant qu'il est originaire de Tournai, ville francophone, s'il en est).



4. Extrême-Est


Emblème des Germanophones de Belgique-- Les germanophones sont très minoritaires et le ressentent, bien sûr, même si l'allemand est une « grande langue ».

Les journalistes font souvent des parallèles entre la Belgique et la Suisse. En fait, les situations culturelle, sociale et psychologique n'ont absolument rien de commun, par plus que l'histoire des deux pays. L'identité suisse est très forte, alors qu'il n'y a guère d'identité belge. Le Belge se définit plutôt négativement : ni Français, ni Hollandais, ni Allemand. En outre, en Suisse, les langues nationales ont un statut, une stature culturelle équivalente : ce sont toutes de grandes langues littéraires, il n'y a pas de décalage du type français/néerlandais.

Pardonnez-moi de vous avoir fait perdre tout ce temps avec ce cas très particulier, mais, après tout, traiter de la situation linguistique belge, c'est traiter « de linguis in Europa ». Je suis belgo-suisse, et, bien que je comprenne que les journalistes étrangers ne puissent pas faire autrement que de l'hypersimplification vu la complexité de la situation, leur façon de présenter la situation m'agace souvent et j'avais besoin de me défouler.


Claude Piron

 

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* Dans l'album de Tintin "Le sceptre d'Ottokar", la devise de la Syldavie, visible sur les armoiries de ce pays fictif, est "Eih benek, eih blâvek".
C'est en fait du bruxellois. En néerlandais correct "Hier ben ik, hier blijf ik", "J'y suis, j'y reste". Clin d'œil de l'auteur aux habitants de sa ville.


** Le wallon est en grande partie incompréhensible pour les personnes de langue française. Par exemple "viande" se dit "tchô" ; "argent", "côr" ; "bonne", "meskène" ; "regarder", à Liège "loukî", à Namur "rwétî", et "je t'aime", "dji vo wé voltî". L'étymologie de bien des mots est inconnue. Je me suis toujours demandé s'il y avait là des restes de gaulois. Il y a aussi beaucoup de traces de la langue d'occupation espagnole, comme "despiertî", "réveiller" ou "al copète", "au sommet". Le wallon reste assez vivant, mais la majorité de la population l'a abandonné et ne parle plus que français.

J'ai tout de même été surpris lors de mon dernier voyage en Belgique de rencontrer un groupe de jeunes qui savaient tous par cœur les paroles de bon nombre de chants traditionnels wallons.




 

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