Sujet :

Oui au multilinguisme, non à l'anglais langue unique

Date :

28/09/2012

De Jean-Pierre Colinaro (courriel : afrav(chez)aliceadsl.fr)

Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez « chez » par « @ ».

Oui au multilinguisme, non à l'anglais langue unique !

Alors que le Forum mondial sur la langue française s'ouvre lundi, 2 juillet, à Québec, Michel Guillou*, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer, propose une solution à la domination de la langue de Shakespeare.

Un peu plus chaque jour la langue anglaise s'installe, non comme langue étrangère, mais comme la langue de chacun. En France, pour certains, la langue française n'a plus guère de rôle majeur à jouer à l'international comme au national. Il faudrait en prendre acte. On peut dire qu'il faut sauver le français en France. On voudrait que l'enseignement supérieur se fasse en anglais et que les jeunes Français apprennent cette langue des l'âge de 3 ans.

Les arguments en faveur d'une langue internationale unique, à savoir l'anglais, sont connus. Il s'agit de disposer d'un véhicule linguistique commun pour circuler facilement dans le « village global ». Pas à pas, des pans entiers de l'activité se font en anglais.

Cependant les élites qui militent pour l'anglais, langue unique, font fausse route. Elles donnent une mauvaise réponse à un vrai besoin. Leur choix est une erreur. Tout d'abord, elles font abstraction de l'évolution vers un monde multipolaire, y compris linguistique du fait de la Chine, du Brésil ou encore de l'Inde. Il faut rappeler l'effort fait pour développer un réseau dense d'Instituts Confucius, équivalent chinois des Alliances françaises. Au plan local, on assiste à la prise en compte des langues maternelles, nationales et régionales dans le cadre de pédagogie convergentes. Ces bifurcations linguistiques vers le pluriel sont historiques. Par ailleurs, la langue unique uniformise les modes de vie. Quand la langue choisie est l'anglais, c'est d'autant plus grave que c'est non seulement la plus importante des langues véhiculaires qu'ait connues l'humanité, mais qu'elle porte la pensée unique d'essence nord-américaine. Pour Claude Hagège, cette domination de l'anglais a été minutieusement orchestrée par les gouvernements successifs des États-Unis avec pour objectif la conquête du monde par l'attraction...

« Cette domination de l'anglais a été minutieusement orchestrée par les gouvernements successifs des États-Unis avec pour objectif la conquête du monde »

...du modèle de société américain. Enfin, le principe de précaution doit être rappelé. Qui peut dire quels seront les choix linguistiques du XXIe siècle, alors que les États-Unis ne sont plus la seule hyperpuissance ?

Il existe une solution : le multilinguisme qui donne accès aux mêmes possibilités. Il permet, en effet, d'acquérir la langue dominante qui, d'ailleurs, peut changer. Mais le multilinguisme n'enferme pas. Il offre une respiration vers d'autres cultures. C'est un facteur d'ouverture, un antidote au repli identitaire et au choc des civilisations et donc une composante fondamentale de la culture de la paix.

Il est accessible au plus grand nombre, comme le montrent les situations sociolinguistiques de nombreux pays. De plus, le développement des médias, permet dorénavant de disposer d'un environnement linguistique pluriel abondant.

Les partisans de la langue unique ont choisi le harcèlement et le grignotage. C'est le contrôleur du train qui traduit son propos en anglais, le service de recherche de l'université qui travaille en anglais, votre avancement qui dépend de vos seules publications en langue anglaise. Ils avancent leurs pions au nom du bon sens sans se préoccuper des conséquences et des autres défis posés par la mondialisation.

Bref, faute de multilinguisme l'ouverture nécessaire et le besoin de circuler dans le « village global » se transforment en assimilation anglo-saxonne. L'ambition est de faire de l'anglais la langue seconde de tous. Qu'adviendra-t-il alors de la diversité culturelle ? Toutes les langues sont concernées. Mais comment faire pour que le monde abandonne l'unilinguisme et quel rôle doit jouer la Francophonie ?

Tout d'abord, le politique doit intervenir massivement, ce ne sont pas les marchés qui mettront un terme à la situation actuelle.

La Francophonie est doublement concernée. D'abord, parce que la diversité linguistique est indispensable à la diversité culturelle. Ensuite, du fait qu'elle constitue un espace de formidable diversité linguistique, la langue française est aussi un acteur majeur du multilinguisme par son statut de langue de travail ou de langue officielle dans beaucoup d'organisations internationales, par le nombre important de pays dont elle est langue officielle, langue d'enseignement ou encore apprise par tous les enfants scolarisés.

Le groupe de réflexion pour la promotion du multilinguisme réuni fin 2011- début 2012, par le président Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, a retenu des pistes.

Premièrement, agir, comme pour la diversité culturelle, comme catalyseur et fédérateur. Une convention à l'Unesco pour la promotion de la diversité linguistique, ou un amendement en ce sens de la convention de 2005 sur la diversité culturelle, doit être adoptée.

Deuxièmement, promouvoir une éducation francophone mettant l'accent sur les parcours éducatifs plurilingues. Il faut enseigner dès le plus jeune âge deux langues étrangères.

Troisièmement, accroître le  nombre de locuteurs francophones. La demande de français est forte. La France doit relancer son effort de promotion de sa langue. Ensuite, impliquer et former les décideurs d'aujourd'hui et ceux de demain, les jeunes. Il faut que les responsables du secteur public et du secteur privé connaissent la Francophonie. Enfin, renforcer pour le vivre ensemble, le sentiment d'appartenance. Les francophones ont pour partie une identité commune. Il faut aussi favoriser leur circulation en Francophonie.

Le Forum mondial de la langue française va permettre d'en débattre. Espérons que le sommet de Kinshasa à l'automne 2013 prendra les décisions qui s'imposent.

* Également président du Réseau international des chaires Senghor de la Francophonie.

 

Source : Michel Guillou, le 29 juin 2012

 

 

Haut de page