L’université française veut créer des diplômes en anglais
Avec son projet de loi, le ministère entend aménager la loi Toubon qui défend la langue française. Des écrivains s’en désolent.
À l’approche du Salon du livre, des
écrivains commencent à s’émouvoir du
contenu du projet de loi de
Geneviève Fioraso. Des membres de
l’académie des belles lettres ont
évoqué cette semaine le sujet avec
agacement: des cursus "entirely
taught in English" (« entièrement
enseignés en anglais ») pourraient
bientôt se développer à grande
échelle en France grâce au projet de
loi de Geneviève Fioraso. Beaucoup
d’universités
et de grandes écoles en ont déjà
créé, mais c’est illégal. Ils
contournent la loi Toubon comme ils
le peuvent. Des écoles se font ainsi
encore régulièrement retoquer par la
commission d’évaluation
d’accréditation nationale des
diplômes lorsqu’un intitulé est en
anglais. La langue de l’enseignement
et des thèses est le français, selon
la loi Toubon, sauf exception. Les
établissements dispensant un
enseignement « à caractère
international » ne sont pas soumis à
cette obligation, ainsi que celles
accueillant un minimum d’étudiants
ou de professeurs étrangers.
Avec son projet de loi, Geneviève Fioraso entend simplifier les choses. « Pour obtenir une dérogation, les réponses étaient très longues. On met fin à une hypocrisie. C’est un signe positif adressé aux étudiants étrangers anglophones », indique-t-elle au Figaro. « Nous comptons 12 % d’étudiants étrangers et nous souhaitons passer à 15 % d’ici à la fin du quinquennat. » Il ne s’agira pas pour autant de faire disparaître complètement l’enseignement de la langue française auprès des étudiants étrangers.
Les représentants de la Conférence des présidents d’université et de la Conférence des grandes écoles sont satisfaits de cette annonce, eux qui accusent depuis des années la loi Toubon d’opérer comme un « frein puissant » à la venue des meilleurs étudiants étrangers en France, notamment les Chinois et les Indiens. Aujourd’hui, environ 30 % des cursus en écoles d’ingénieurs sont déjà en anglais, 80 % dans les écoles de commerce. Une proportion comparable à l’université dans les masters en sciences « dures », en économie ou sciences de l’ingénieur. De Strasbourg à Paris-IV, du Havre à Tours, toutes les formations s’y sont mises.
« Langue internationale »
Selon une enquête de l’Ined menée en 2008 auprès de 2000 directeurs de laboratoire de recherche, la suprématie de l’anglais est écrasante en sciences exactes, plus nuancée en lettres et sciences humaines. « Dans un laboratoire français de médecine, plus de la moitié des gens ne parlent qu’anglais ! Nos évaluations de recherche se passent en anglais, nos projets européens se font en anglais et quand un professeur venu de l’étranger est accueilli dans nos universités, on lui parle anglais. C’est devenu la langue internationale, quoi qu’en pensent les esprits chagrins », note Jean-Loup Salzmann, le président de la Conférence des présidents d’universités (CPU), selon qui ces cursus pourraient aussi intéresser les étudiants français « réputés pour leur faible niveau en anglais ». À l’université Toulouse-I, connue pour l’excellence de ses cursus en économie, la moitié des enseignants ne parlent pas français, « du coup nos cursus en économie et en droit se passent en anglais », expliquait également récemment son président. L’association de défense de la langue française a beau craindre depuis plusieurs années que « l’on se réveille dans un pays tout en anglais », la suprématie de cette langue paraît inexorable.
Marie-Estelle Pech
Source : etudiant.lefigaro.fr, le 13 mars 2013
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