Fioraso speaks Globish
Comment devenir un petit pays qui parle anglais ?
Comment perdre notre influence de vieille nation ? Eh bien, c’est tout simple : il suffit de mépriser les gens qui aiment encore la langue française. En France, bien sûr, mais aussi ailleurs, en passant par profits et pertes un de nos derniers atouts géopolitiques : la francophonie.
On a bien compris depuis les
récentes lubies de madame Fioraso,
ministre de l’enseignement
supérieur, que continuer à vouloir
maintenir le français à l’Université
relevait de l’inconscience et du
provincialisme le plus crasse à
l’heure de la mondialisation. Son
projet de loi sur les cours en
anglais à la fac rencontre quelques
résistances mais on sent bien que si
ce n’est pas ce coup-ci, ce sera le
prochain. Depuis le livre décisif de
Dominique Noguez,
«
La colonisation douce »
(1), au
début des années 90, n’importe quel
observateur un peu lucide constate
que nous perdons du terrain chaque
jour et qu’il va de soi que
l’anglais, ou son succédané à usage
mercantile, le globish deviendra la
langue officielle d’une Europe
réduite à une zone dont la seule loi
fondamentale sera la concurrence
libre et non faussée. Alors, la
langue française, n’est-ce pas, on
va pas s’embêter avec ça. Madame
Fioraso l’a bien dit, si on continue
avec le français, «
Nous nous
retrouverons à cinq à discuter de
Proust autour d’une table. »
On croyait avoir atteint sous
Sarkozy le sommet du mépris pour la
culture, la littérature, le
«
bruissement de la langue »
(aurait dit Barthes), et pas
seulement avec la fameuse Princesse
de Clèves bolossée à plusieurs
reprises par l’ex-président mais
aussi avec Christine Lagarde qui,
lorsqu’elle débuta à Bercy écrivait
en anglais les notes pour ses
collaborateurs et avait eu cette
phrase mémorable : « Assez
pensé, retroussons nos manches ! ».
Nous nous trompions. L’idée que se fait madame Fioraso de l’enfer sur terre et de notre décadence, c’est d’être à cinq autour d’une table pour discuter de Proust. Quand nous avons voté au second tour pour François Hollande, nous savions bien que ce n’était pas pour son programme économique qui était le même que celui de l’UMP. Mais au moins, nous disions-nous, avec les socialistes, nous serions à l’abri de ce mépris-là. Encore raté, donc. En même temps, à force d’élire des présidents qui n’aiment pas la littérature (François Hollande ayant confié qu’il ne lisait pas de romans) il est un peu normal d’avoir l’impression d’être gouverné par des épiciers qui confondent la France avec un petit commerce de centre-ville assiégé par ces grandes surfaces que sont les puissances émergentes.
Enfin, toujours est-il que parmi les cinq archaïques qui liront Proust autour d’une table dans une université française, il n’y aura pas Bousso Dramé. Pourtant elle aurait pu. Bousso Dramé est une jeune femme sénégalaise qui aime le français. Elle l’aime tellement qu’elle a participé au concours national d’orthographe 2013, organisé par l’Institut Français de Dakar dans le cadre des prix de la francophonie. Elle l’a gagné et pouvait ainsi bénéficier d’un séjour en France pour se former à la réalisation de film documentaire au centre Albert Schweitzer.
Seulement voilà, elle ne viendra pas. Elle s’en explique dans une lettre (2) plutôt digne et émouvante au Consul de France.
On doit sans doute trouver, au consulat, que les jeunes femmes noires et francophones ne sont pas assez entrées dans l’histoire. Ou on est surpris de ne pas avoir affaire à de potentiels clandestins. En effet, Bousso Dramé a eu le droit à ce qu’elle appelle des « remarques infantilisantes » quand elle a demandé son visa. Elle est aimable, Bousso Dramé. C’est en fait du vrai Tintin au Congo. Parmi beaucoup de gracieusetés, on a par exemple recommandé à la jeune femme de se méfier des jolis magasins : « Faites attention, vous allez être tentés par faire des achats dans les magasins, il y a beaucoup de choses à acheter à Paris. Et surtout, gardez-vous de tout dépenser et de laisser une note impayée à l’auberge de jeunesse sinon vous empêcheriez les futurs candidats de bénéficier de cette opportunité ! »
Bousso Dramé a, ou aura, probablement des enfants. Ils apprendront l’anglais. Comme ça, ils auront l’air plus sérieux, pas du genre à ne pas payer dans les auberges de jeunesse et ils pourront ainsi faire des études supérieures en France. Si ça se trouve, ils liront même Proust autour d’une table. Il doit sûrement y avoir d’excellentes traductions. En anglais, bien sûr, pour faire plaisir à madame Fioraso.