Sujet :

La guerre des brevets

Date :

08/02/2004

De Denis Griesmar (courriel : denis.griesmar (chez)wanadoo.fr)  

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MESSAGE DE DENIS GRIESMAR, 

VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES TRADUCTEURS :

 

L'offensive de grand style lancée par les multinationales américaines pour éliminer la langue française de ce secteur stratégique continue, et toujours, malheureusement, avec la complicité de certains milieux français. Quels sont les "buts de guerre" économiques de l'adversaire ? Inonder l'Europe de brevets à bas prix, pour paralyser les entreprises européennes. Déstabiliser les professions spécialisées, traducteurs scientifiques, mais aussi, et d'abord, conseils en Propriété Industrielle. Détruire l'Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I.) pour tout concentrer à l'Office Européen des Brevets (O.E.B.) de Munich. Détruire le système juridique français. Et, bien sûr, éliminer la langue française.

On est confondu devant la naïveté des autorités françaises. Mais s'agit-il de naïveté ? Si nos adversaires gagnaient, et si le désert était ainsi fait en France (et dans les pays francophones), qu'y gagnerait la France ? Qu'y gagnerait l'Europe ? Il serait facile aux grands cabinets américains de rafler la mise, et de faire alors payer très cher leurs "conseils" aux entreprises françaises. Quant à l'espionnage industriel, pardon, à l' "intelligence économique" , le ver étant dans le fruit, les États-Unis n'auraient plus aucun effort à faire.

 Face à cela, que nous oppose-t-on ? Le coût des traductions ! Car évidemment, les brevets d'invention, étant créateurs de droits, doivent être traduits pour pouvoir être opposés aux tiers. C'est l'aspect juridique. De plus, la littérature des brevets fournit une documentation en français ininterrompue depuis la Convention ! Certes, elle est encore insuffisamment exploitée par les P.M.E. Faut-il pour autant "jeter le bébé avec l'eau du bain" en restreignant la diffusion de l'information aux seules personnes qui maîtrisent l'anglais ? [ Et un récent colloque a montré que même le directeur de l'I.N.P.I. le parle très mal !]

Il faut savoir que le coût d'obtention d'un brevets (dont les traductions ne constituent qu'une partie) ne représente que 5% du coût total de recherche et de développement menant à une invention. Ce qui coûte cher, ce sont les annuités (qui peuvent aller jusqu'à 20 ans). Si le brevet américain est moins cher que le brevet européen dans un premier stade, les inévitables frais d'avocat renversent très vite le rapport de coût en faveur de l'Europe ! D'ailleurs les différents pays d'Europe, qui ont pourtant tous les mêmes problèmes de traduction pour protéger leurs inventions en-dehors de leurs frontières, sont cependant dans une situation différente les uns des autres quant à la balance des brevets.

Ce n'est donc pas la perspective du coût de traduction qui fait reculer les entreprises. Ce qui montre bien que cette histoire de traduction n'est QU'UN PRÉTEXTE POUR ÉLIMINER TOUTES LES LANGUES, ET EN PREMIÈRE LIGNE LE FRANÇAIS, c'est que lors de la première offensive de l'adversaire (Américains et O.E.B. de Munich, très anti-français), lorsqu'il était question de ne laisser à la traduction que les quelques pages de "revendications" d'un brevet, lesdites multinationales (par exemple Zeneca), lors de l'audition organisée devant le Parlement européen à Luxembourg, se plaignirent amèrement du coût résiduel de traduction de ces revendications ! Or un article de "Science et Vie" (n° de mars 1999) nous apprend que les grandes sociétés pharmaceutiques dépensent chaque année en publicité, rien qu'en France, plus de 80 000 F par médecin et par an ! Mais lorsqu'il s'agit de collecter l'information, les Anglo-Saxons ne rechignent pas à la dépense.

Une lettre de M. Orrin Hatch, président d'une importante commission du Sénat américain, publiée dans le courrier des lecteurs de "The Economist" en octobre 1997, expose que les États-Unis organisent la traduction à leurs frais de tous les brevets publiés dans le monde, même non déposés aux U.S.A. On dira que la situation n'est pas comparable. Mais sait-on que le Danemark, "petit pays", compte 10 000 traducteurs inscrits à une Association professionnelle ? En réalité, les différents pays sont plus ou moins conscients de ces problèmes. Si les P.M.E. françaises ne déposent pas assez de brevets, c'est bien parce qu'elles manquent de stratégie en la matière, et elles ont donc besoin de Conseils et de spécialistes de proximité.

 Devant cette situation, les Pouvoirs publics français semblent aveugles, et n'écoutent que la voix des multinationales, dont quelques françaises, dont les équipes d'ingénieurs sont en Amérique, pour qui la France n'est qu'un marché parmi d'autres, sur lequel ils n'ont certainement pas l'intention de créer des emplois, et qui ne songent qu'à maximiser les profits à court terme de leurs actionnaires, qui sont bien souvent des fonds de pension américains ! L'obsession de "réduction des coûts", relayée sans esprit critique par un petit groupe de fonctionnaires français, a poussé "la France" à convoquer une conférence intergouvernementale sur le sujet en juin 1999. Cette conférence a mis sur pied un Groupe de travail constitué de fonctionnaires français, portugais et suédois, le tout sans consultation des professionnels, sauf, en fin de parcours, les Conseils en Propriété Industrielle, piégés parce qu'ils sont au contact direct des multinationales. Malgré une bonne réaction du Ministère de la Culture, il est difficile de convaincre le Secrétariat d'État à l'Industrie qu'il fait fausse route.

Nous prenons donc contact avec les parlementaires, et cherchons par tous les moyens à arrêter cette machine infernale. Toutes les idées, toutes les énergies, toutes les bonnes volontés sont bienvenues ! Merci de vous reporter aux textes joints. Je suis à votre disposition pour plus de précisions.

 

Denis Griesmar

 

 

 

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