Sujet :

La trahison de clercs

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES TRADUCTEURS

LANGUE FRANÇAISE :

 LA TRAHISON DES CLERCS

 

Ces temps de célébrations francophones ont quelque chose d'étrange : alors que d'aucuns, véritables saprophytes, prospèrent sur un pays qu'ils décrivent comme « moisi », tout en lui déniant le droit de défendre sa place au soleil, que d'autres, linguistes aveugles, cultivent une irresponsabilité byzantine en confondant enrichissement de la langue et suicide collectif, comme si les conditions de production du discours n'avaient pas changé depuis l'époque où Vaugelas prêtait l'oreille aux crocheteurs du Port-au-Foin, on ne peut se défaire de la pénible impression que les autorités responsables, pouvoirs publics, administrations, médias, ne croient plus en leur pays, ne croient plus en leur langue.

Timidité du discours, de la pensée, des mesures : à les en croire, nous devrions nous faire plus petits que nous ne sommes, et finalement nous excuser d'exister !

Certes, la France n'est sans doute plus la première puissance du monde ; la langue française n'est pas la plus parlée - mais l'anglais non plus ! La superpuissance actuellement dominante a-t-elle seule le droit de vivre ?

Ce n'est pas succomber à je ne sais quelle animosité ou nostalgie que de dire, simplement mais fermement, que cette démission n'a que trop duré.

Mais oui, il existe des intellectuels qui réfléchissent : citons, au premier rang, Régis Debray ou Emmanuel Todd. Pour ce qui nous concerne, il nous faut dire sans honte que l'uniformisation que l'on nous présente comme inéluctable conduit l'humanité à l'entropie maximale, à l'encéphalogramme plat, à la mort thermique. Nous avons besoin d'une véritable écologie de l'esprit. Alors qu'on découvre aujourd'hui que le quotient intellectuel n'a pas grand sens, que l'on parle de « quotient affectif », il nous appartient à nous, professionnels des langues, de dire que l'esprit se développe dans un terreau linguistique et culturel, que les langues sont les écoles de la pensée, et de souligner au passage que les scientifiques eux-mêmes pensent dans leur langue.

Des indications concordantes nous donnent à considérer qu'une véritable campagne est entreprise pour éliminer toute autre langue internationale que l'anglais, et en particulier le français. Les tueurs veulent faire vite, car la conscience finit par venir aux peuples.

Défendre le français, c'est donc défendre le multilinguisme, et c'est donc défendre la traduction. Et si dans le concert des langues, chacune a son rôle à jouer, il reste que les pays entièrement ou partiellement francophones représentent une force importante dans le monde, que l'on ne peut rayer d'un trait de plume.

Évidemment, la traduction, transmission de pensées, a un coût, tout comme la démocratie en général. Cela chagrine certaines multinationales, mais aussi, et c'est moins compréhensible, certaines institutions françaises.

On nous dira excessif, exagérément pessimiste. Il nous semble au contraire que le fond a été atteint. Le moment est venu de donner un coup d'arrêt aux monopoles, fussent-ils linguistiques. Mon centre est enfoncé ? Ma droite recule ? Situation excellente : j'attaque.

Denis Griesmar

 

 

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