Sujet :

Le « Brevet communautaire » est inacceptable

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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LE « BREVET COMMUNAUTAIRE » EST INACCEPTABLE

 

 

Il est heureux que le Protocole de Londres du 29 juillet 2001 sur le «brevet européen», éliminant dans les faits la langue française, n’ait pas été soumis à ratification, la majorité des Parlementaires y étant opposée. Il apparaît en effet que la question y était présentée sous un aspect partiel, voire partial.

Le projet de « brevet communautaire » aggraverait cette reddition en la doublant d’une capitulation juridictionnelle, dessaisissant les tribunaux français et acceptant qu’une cour unique, sise à Luxembourg, statue dans la seule «langue facilement compréhensible» technocratique, à savoir l’anglais.

 

Du simple point de vue comptable, un examen attentif montre que

- les coûts de traduction en français sont fortement surestimés (ils sont de l’ordre de 25 € par page pour un traducteur indépendant), l’économie à attendre de leur suppression étant très faible, notamment du fait de l’absence totale de réciprocité avec les États-Unis d'Amérique ;

- le coût du brevet américain, lui, apparaît fortement sous-estimé par rapport à la réalité (25 000 $ et non 10 000 $) ;

- l’impact d’une suppression sur l’économie française serait globalement négatif (voir document joint, « Bilan comptable »).

Sans compter que l’on voit mal la justification d’une attitude discriminatoire envers les entreprises de traduction et traducteurs, qui sont des PME comme les autres, et dont l’apport à l’économie n’est pas négligeable.

Il n’existe pas en effet d’entreprises dont le bilan ne comporterait qu’un passif, sans rien reverser aux autres secteurs ni générer d’emplois induits.

Au surplus, les pays les plus conscients en matière de collecte de l’information scientifique et technique, qu’il s’agisse du Danemark ou du Japon, ne songent nullement à procéder à des restrictions à courte vue, et comptent proportionnellement un nombre très important de professionnels de la traduction.

Mais ce qui est sans doute le plus à regretter dans cette affaire, c’est que les services du Secrétariat d’État à l’Industrie n’aient pas considéré la question sous plusieurs aspects qui sont cependant fondamentaux.

Tout d’abord, il n’est aucunement démontré que ce serait la perspective des traductions qui retiendrait les PME de déposer des brevets - la traduction n’intervenant qu’après le délai dit de « priorité », ce qui permet d’apprécier pleinement l’intérêt économique de l’invention.

En second lieu, les annuités de validation sont nettement plus lourdes, et elles sont récurrentes, alors que la traduction ne doit être effectuée qu’une fois.

Enfin, il existe des structures de soutien, telles que l’ANVAR, qui sont susceptibles d’intervenir en cas de besoin.

Cependant, l’examen de la question montre que les sommes en cause sont en réalité faibles par rapport au produit de l’activité économique. Il semblerait paradoxal de penser engager une politique industrielle en commençant par éliminer tout un secteur des PME…

Le plus curieux de l’affaire, et les spécialistes qui suivent la question le savent bien, est que ce sont les grandes multinationales anglo-saxonnes qui se plaignent de ces frais de traduction, lesquels doivent bien évidemment rester à leur charge - et non à celle des contribuables français - ces frais représentant la contrepartie légale minimum de l’octroi d’un monopole.

Le Gouvernement souhaiterait-il favoriser les entreprises qui regroupent toutes leurs équipes de recherche aux États-Unis et qui utilisent exclusivement l’anglais ? Est-ce bien là un comportement à encourager ?

Il apparaît, de plus, choquant de considérer la langue française comme un obstacle, à contourner ou à découper en tranches, au risque de la mettre en situation d’infériorité sur le territoire même de la République, et de favoriser l’invasion du droit anglo-saxon et de ses coûteux professionnels et autres « lawyers ». L’un des traits les plus inacceptables de ce système juridique étant, précisément, son coût, son caractère jurisprudentiel et procédurier qui le met hors de portée de la plupart, le réserve en fait aux plus grandes multinationales, et viole, dans les faits, les principes républicains d’égalité devant la Loi auxquels nous sommes attachés.

Il ne faut pas, à ce propos, oublier que l’un des enjeux est celui de la permanence et du rayonnement du système juridique français, notre école de Droit étant renommée en matière de propriété intellectuelle. En revanche, une politique d’abandon inconsidéré ne pourrait rester sans conséquences pour l’ensemble des professions juridiques.

Quoi qu’il en soit, l’aspect proprement linguistique de la question reste absolument méconnu par les services du Secrétariat d’État à l’Industrie, qu’il s’agisse du risque de casser une base de données existant en France depuis la Révolution, d’éliminer le français de tout le domaine des nouvelles technologies, le reléguant au rang de langue vernaculaire, ou de casser le moteur de la créativité que constitue la possibilité de réfléchir, s’informer, s’exprimer et inventer dans sa langue.

Toutes ces raisons de fond, dont chacune est de nature absolument dirimante et suffirait à faire rejeter le projet d’accord en question, ne font qu’expliciter les justifications de l’état de notre droit positif, lequel, depuis la circulaire de M. le Premier Ministre sur l’emploi du français, en passant par la loi dite « Toubon » et l’article 2 de notre Constitution, jusqu’aux Principes Généraux du Droit, selon lesquels, si nul n’est censé ignorer la loi - pour des textes créateurs de droits et opposables à tous - nul ne doit être obligé d’en prendre connaissance dans une langue étrangère, s’oppose totalement à une telle perspective.

Il est à déplorer que les négociateurs français dans cette affaire, issus d’une administration technique et insuffisamment rompus aux aspects les plus larges des rapports internationaux, ne pensent apparemment ni tirer argument du statut du français comme langue officielle de l’Office Européen des Brevets, ni tirer parti de l’alliance à mener avec divers autres pays, en particulier de l’Europe du Sud, ni explorer d’autres voies ou s’intéresser à d’autres éléments tels que les critères de brevetabilité.

Au-delà de considérations techniques, enfin, il est permis d’attendre de représentants des autorités françaises une action concertée ne se contentant pas de se résigner à « refléter l’hégémonie européenne et mondiale de l’anglais comme langue scientifique et technologique ».

En définitive, un tel projet, négligeant totalement la position de notre pays dans le cadre de la Francophonie, porterait gravement atteinte au statut diplomatique de la France et ruinerait toute l’action de préservation de la diversité culturelle menée avec constance par le Gouvernement et par le Président de la République.

C’est pourquoi il convient de s’opposer avec la dernière énergie à ce projet, négocié en coulisses à la manière de l’AMI, qui mettrait en difficulté l’ensemble des PME françaises et européennes face aux grandes multinationales anglo-saxonnes, qui n’a fait l’objet d’aucun débat démocratique, et qui est contraire au principes les plus fondamentaux de la République et du contrat social.

Denis GRIESMAR

 

 

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