Sujet :

Le protocole de Londres au Sénat

Date :

05/10/2007

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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PÉTITION SÉNAT


 

Madame, Monsieur le Sénateur,

Du monde entier monte une immense inquiétude quant au sort de la langue française en cas d'adoption du « Protocole de Londres » sur les brevets d'invention.

Nous ne répèterons pas les arguments techniques, qui sont irréfragables, et qui s'opposent à la ratification de ce texte scélérat. Ils vous ont été fournis par ailleurs, et sont faciles à trouver, lorsqu'on cherche à s'informer au-delà des contre-vérités assenées avec aplomb par les partisans non désintéressés de cet accord, et par des services techniques qui semblent avoir perdu toute capacité d'analyse et de mise en perspective.

Il commence en effet à se savoir que ce sont les grandes multinationales pharmaceutiques, et elles seules, qui poussent depuis des années, à l'adoption d'un tel texte, parce qu'elles sont les seules à y trouver un intérêt, même si les économies qu'elles en escomptent paraissent ridicules au regard de l'enjeu. Tous les autres acteurs de l'économie, du droit et de la langue française, depuis les petites et moyennes entreprises jusqu'au salarié moyen, jusqu'au consommateur, qui est aussi un citoyen, ne peuvent que perdre à cette ratification.

Ils y perdraient de l'argent, des obstacles à leur développement, une possibilité de s'informer – à condition que cette base de données soit rendue accessible et mise en valeur, ce qui n'est pas le cas actuellement.

La langue française y perdrait la possibilité de suivre l'évolution des techniques.

Il est parfaitement clair que le français disparaîtrait à très court terme du domaine des brevets... en attendant d'autres...

Les fausses fenêtres pour la symétrie ne trompent personne. Le Protocole de Londres ne prévoit pas de véritable réciprocité, notamment à l'égard des États-Unis d'Amérique.

La France y perdrait son honneur.

Elle remettrait en cause des siècles d'Histoire. Elle obérerait gravement son avenir. Les Français pensent dans leur langue, et ont besoin que cet outil soit tenu à jour.

Chacun sait que le coût de la traduction mis en avant pour justifier ce texte est fantastiquement exagéré.

Nous ne voulons pas croire que les autorités française cautionnent un tel recul, alors que d'autres gouvernements, comme ceux de l'Italie et de l'Espagne, défendent, eux, leur langue et ses possibilités d'évolution créatrice.

C'est pourquoi nous vous prions instamment, au nom de cette langue que nous avons en partage, au nom de ce que le monde attend de la France, de ne pas ratifier le Protocole de Londres.

 

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réflexions

 

M. Griesmar :

Cela fait DIX ANS - DIX ANS ! - que nous - que je - proposons/propose des textes techniques, fouillés, non émotionnels. Il arrive un moment où l'on ne sait plus quoi dire.

C'est l'article de l'Humanité qui, en un sens, libère la parole, et l'indignation de personnes aussi variées que Jean-Pierre Brard (député communiste) et le prince Charles-Philippe d'Orléans.

Depuis (plus de) dix ans, on nous dit « c'est trop technique, votre truc, c'est un truc de technocrate, soyez pratiques.

Et aujourd'hui, des gens meurent à Épinal de la non traduction !

Nos politiques se foutent de la langue française.

Nos politiques se foutent de la Francophonie.

Ce qui peut les toucher, c'est d'apparaître publiquement comme vendus aux multinationales pharmaceutiques (bien que cela ne soit pas dit dans ces termes).

Et qu'on leur retire leur cache-sexe.

C'est bien pourquoi ils brandissent bien haut le drapeau controuvé de la « pérennisation » de la langue française.

L'honneur est un vieux saint, comme chacun sait... mais loin d'être l'unique apanage des vieux Messieurs, il est très vivant sur les terrains de sport.

Voyez la réaction de Sébastien Chabal :

(http://www.dailymotion.com/video/x2z7eb_sebastien-chabal-tu-parles-francais_fun).

Mais, sacrebleu, qu'il est difficile d'unifier tout ça !

Je ne dirai pas que je suis écoeuré : c'est intégré dès le départ.

Ce dont il faut s'étonner, c'est d'avoir pu tenir DIX ANS au milieu de tant de lâchetés, d'abandons, de désintérêt, de mauvaises excuses... avec, en face de soi, des intérêts aussi puissants.

Le coup de pied de l'âne venant du revirement de dernière minute des députés socialistes.

En réalité, il nous manque un Zola pour écrire « J'accuse ! ».

Ou plutôt, un journal pour le publier.

Deux précisions :

1) La DESCRIPTION d'un brevet est parfaitement lisible pour les spécialistes. Ils sont les seuls, d'ailleurs, à pouvoir lire des textes aussi indigestes, mais ils peuvent parfaitement le faire. C'est même là le fondement du droit des brevets!

En revanche, les REVENDICATIONS, elles, sont effectivement consignées (je ne dis pas « rédigées » ; il n'y a pas de verbes, ce ne sont pas des phrases) dans un langage totalement abstrus, et nécessitent une formation spécifique en droit de la propriété industrielle pour être décryptées.

C'est donc bien dans la description qu'on peut suivre l'évolution des techniques, et là que se forme, qu'évolue la langue technique.

Désolé, notre argument ici est parfaitement PERTINENT.

2) Dès le départ, j'ai évité absolument de me laisser enfermer sur le terrain « corporatiste » du chômage des traducteurs. Ces arguments doivent être développés, parce qu'après tout, le bilan comptable de la traduction est positif pour l'économie française - cela a été démontré en détail - et elle fait rentrer des devises en France, et de l'argent dans les caisses de l'État.

Mais, comme vous le soulignez, ce n'est pas là l'essentiel.

Et cela ne vient que comme conséquence accessoire d'une mesure qui est mauvaise en soi.

Vous avez parfaitement raison, et nous sommes d'accord.

Mais relisez mes textes, depuis le début. Je me suis toujours placé sur le terrain à la fois technique et géopolitique.

Croyez bien que j'ai - que nous sommes quelques uns à avoir - une conscience AIGUË, AIGUË, AIGUË de tout cela, depuis fort longtemps.

Les arguments techniques ont été déballés. Il fallait le faire. Il fallait que cela soit consigné, pour que, le jour du retour de bâton - qui viendra - on ne puisse pas dire que nous n'avons pas tout fait, rationnellement, pour tenter de persuader les responsables.

Les choses sont en réalité très simples. Les multinationales pharmaceutiques sont plus riches que la plupart des États. Les organismes noyautés, comme l'OEB de Munich, permettent, de la même manière que la banque de Francfort, à nos hauts fonctionnaires de faire carrière sur le dos des intérêts de la France. Ils s'efforcent donc de complaire à leurs maîtres anglo-saxons. Le député Jacques Myard nous l'a redit publiquement tout à l'heure à la réunion organisée par l'ADIS (Association pour le Droit à l'Information en Français).

En réalité, je m'émerveille encore d'avoir pu tenir si longtemps. C'est que l'apparence compte encore, pour les coquins. C'est pour cela qu'il faut leur enlever leur cache-sexe et dire que le roi est nu. C'est pour cela qu'il leur faut mentir de façon éhontée sur le prix des traductions. C'est pour cela qu'il leur faut proclamer bien haut que le Protocole de Londres, tout d'un coup, favorise la langue française. Chose que nous pouvons démentir facilement, notamment avec l'aide de Claude Hagège.

Même les parlementaires godillots de l'UMP ne sont pas dupes.

Maintenant l'important, c'est que les syndicats entrent dans la bagarre. La CGT nationale a pris position contre le Protocole. De même la CTFC, l'UNSA, etc.

Et la bataille qui se profile immédiatement est celle du droit à travailler en français dans l'entreprise. Et là ça va faire mal. Parce que c'est très émotionnel. Comme dit Myard, tous les empires se sont brisés sur la question linguistique. Et là, il y aura de la violence, et des gens dans la rue. Et là, tout d'un coup, nos politiques découvriront qu'ils ont fait une c...rie.

 

Charles Durand :

Si nos « élites » ne décidaient toujours qu'en fonction d'arguments logiques et rationnels, il y a longtemps que la cause aurait été entendu et que notre point de vue aurait triomphé. Or, comme Claude Piron l'a bien montré dans ses écrits, nous ne pouvons uniquement compter sur des arguments logiques pour influencer ou infléchir une tendance. Le sujet est émotionnellement chargé et il faut effectivement jouer sur tous les registres auxquels les gens sont sensibles. De toutes façons, les arguments techniques ont déjà été déballés depuis belle lurette. Comme je l'ai déjà dit, si la logique seule basée sur la poursuite de l'intérêt national présidait aux décisions des élus, nous n'en serions pas là.

Il y a aussi d'autres considérations à prendre en compte. Plus que l'intérêt national, nos élus poursuivent surtout leurs ambitions de carrière. Or, dans le système où nous sommes, un parlementaire ambitieux a tout intérêt à faire chorus avec ce qu'il perçoit être la tendance du moment. Il doit savoir discerner les opinions authentiques de ceux qui exercent un pouvoir réel dans la société et aller dans leur sens. Il va donc aller dans le sens des groupes de pression, dans le sens des avantages tangibles ou intangibles que le système est prêt à lui distribuer généreusement s'il se conforme et appuie l'opinion dominante et authentique de ceux qui détiennent réellement le pouvoir.

À une échelle bien moindre, dans mon cas personnel, que m'a valu d'aller contre l'opinion dominante avec mes livres, mes articles, mes conférences et mes pamphlets ? D'être marginalisé professionnellement et, n'étant pas protégé par le fonctionnariat, d'être mis au chômage ! Si la direction dans laquelle nous allons se confirme, je doute fort que des gens comme Nicolas Dupont-Aignan ou Jacques Myard se voient un jour absorbés par l'exécutif pour y exercer des fonctions ministérielles. Ils seront immanquablement marginalisés si ce n'est pas déjà fait.

Les valeurs collectives se sont remoulées en valeurs individuelles et même nos élus, qui sont censés nous représenter, sont davantage préoccupés par leurs intérêts personnels que par le nôtre, étendu à l'échelle de la société. Dans ce cas là, il convient de les stigmatiser auprès de nos compatriotes en usant d'arguments non techniques mais qui ne manqueront pas de laisser une certaine coloration à leurs actions. Les carriéristes sont toujours préoccupés par des retournements de tendance et d'opinion et, le jour où cela se produira effectivement, ne doutons pas du fait que, immédiatement, ils se déclareront être nos amis et nos alliés...

 

 

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