Sujet :

Les langues dans les procédures de dépôt de marque

Date :

11/07/2000

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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UTILISATION DES LANGUES DANS LES 

PROCÉDURES DE DÉPÔT DE MARQUE

Au cours des dernières années, on note un développement accru de l'utilisation de l'anglais, inévitablement au détriment des autres langues et plus particulièrement du français.

1/ La marque plurinationale dite O.M.P.I.

Il s'agit d'une institution regroupant une soixantaine de pays signataires :

toute personne physique ou morale ressortissant d'un des États membres peut, sur la base d'une marque nationale, en principe dans son pays d'origine, procéder à un dépôt centralisé auprès de l'O.M.P.I. à Genève en revendiquant tout ou partie des pays couverts par la marque plurinationale O.M.P.I.

Le texte fondateur de cette institution est un traité dénommé Arrangement de Madrid de 1891 : la langue dans laquelle les dépôts se font est le français, exclusivement jusqu'en 1996.

À cette date, un traité complémentaire dit Protocole de Madrid est entré en vigueur : sur le plan linguistique, il ouvre la possibilité aux États membres l'ayant ratifié de déposer leur marque plurinationale O.M.P.I. soit en français, soit en anglais ; point n'est besoin d'avoir beaucoup d'imagination pour deviner le choix de la majorité des déposants ...

À l'heure actuelle, 66 pays (3 d'entre eux, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas sont regroupés dans un territoire unique : le Bénélux) sont membres de la marque O.M.P.I.

- 21 n'ont pas signé le Protocole et ne peuvent donc utiliser que le français ;

- 32 (le Bénélux comptant pour 3) ont ratifié l'Arrangement de Madrid et le Protocole tandis que 14 n'ont ratifié que le Protocole : tous ces pays peuvent utiliser soit le français, soit l'anglais pour leur dépôt.

Cette révolution linguistique introduite par le Protocole (qui contient aussi des améliorations techniques indiscutables ne dépendant évidemment pas de l'aspect linguistique : cela n'entre pas dans le propos de cet article) a été, dit-on conçue pour favoriser l'adhésion de pays anglophones comme le Royaume-Uni (qui n'a ratifié que le Protocole, il y a de cela quelques années) et les États-Unis (qui n'ont toujours pas ratifié le Protocole ni, bien sûr, l'Arrangement de Madrid), car il aurait été intolérable pour eux d'adhérer à une institution multinationale n'employant pas l'anglais ...

On remarquera que parmi les pays qui acceptaient cette situation "intolérable" jusqu'en 1989, il y a avait l'Allemagne, l'Autriche, le Bénélux, la Corée du Nord, Cuba, l'Égypte l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la Roumanie, la Russie, la Tchécoslovaquie (scindée depuis en Républiques Tchèque et Slovaquie), la Suisse, l'Ukraine, le Viêt Nam, la Yougoslavie ; apparemment, ce qui était supportable par ces pays ne l'était absolument pas pour les anglophones ou d'autres récents adhérents du Protocole comme le Japon !

On fera observer que l'adhésion à la marque O.M.P.I., même avant 1989, entraînait pour les personnes physiques ou morale ressortissantes du nouvel État membre des avantages considérables : au lieu d'être obligé de déposer une marque dans chacun des pays les intéressant, ce qui multiplie les procédures et les coûts, il devient possible de couvrir plusieurs dizaines de pays par un dépôt unique (même si les procédures d'examen de la marque, notamment en cas d'objection officielle, se font pays par pays) : l'économie de temps et d'argent est absolument considérable. Autrement dit, tout pays non membre du système de la marque O.M.P.I. se retrouve objectivement en position de demandeur, même les États-Unis ou tout autre pays anglophone ; c'était donc à ces pays de faire le choix de l'adhésion, même à un système totalement francophone, et non à l'O.M.P.I. d'aller démarcher et solliciter ces pays en leur faisant une concession linguistique littéralement extraordinaire. Faut-il rappeler que dès que l'anglais (ou plutôt l'américain) est une des langues officielles dans une institution internationale, toute autre langue, même officielle, n'y est quasiment plus utilisée ?

Est-il besoin d'insister sur les conséquences de ce changement de 1989 ? Bien évidemment, dans nombre de pays, cela entraîne une moindre nécessité de maîtriser la langue française, au moins de façon minimale (compréhension et traduction du libellé de produits et services couverts par les marques O.M.P.I.) ; progressivement, dans la plupart des pays, on passe au tout anglais. Le fait qu'un déposant francophone puisse un jour étendre une marque en français au Japon, au Royaume-Uni et peut-être un jour, aux États-Unis n'est qu'une illusoire fausse fenêtre: entre 5 % et 10 % des marques O.M.P.I. voire moins, se feront en français.

2/ La marque communautaire (O.H.M.I.)

Depuis 1996, il est possible à toute personne physique ou morale, ressortissante ou non de l'un des États membre de l'Union Européenne, de procéder à un dépôt unique auprès de l'Office communautaire des marques dit O.H.M.I. qui est situé à Alicante ; ce dépôt unique couvre l'ensemble des territoires européens (donc pas le Groenland) et tous les départements (mais pas les territoires) d'outre mer français.

En matière linguistique, après de longs débats, un compromis a été adopté, sous la forme de l'utilisation de 2 langues pour chaque dépôt :

- langue dans laquelle le dépôt de la marque peut-être fait : toutes les langues officielles des États membres de l'UE ;

- langue "de travail", dans laquelle doivent notamment être traitées les procédures d'opposition : le déposant a le choix entre l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le français et l'italien.

On ne sera guère surpris d'apprendre que l'anglais est massivement désigné soit comme langue de dépôt, soit comme langue "de travail", or l'O.H.M.I. a pris l'habitude d'utiliser systématiquement la langue "de travail" dans le cadre des échanges de courriers lié à la procédure de dépôt, alors que c'est la langue de dépôt qui devrait être utilisée ; en pratique, dans plus de 80 % des cas, cela revient à ce que tous les échanges de courrier se font exclusivement en anglais, que ce soit au sujet de la procédure de dépôt ou d'une procédure d'opposition. Par exemple, si on dépose en danois en indiquant l'anglais comme langue "de travail", tous les échanges de courriers se font dans cette dernière ; autrement dit, sont en voie d'éradication à l'O.H.M.I. : le néerlandais, le grec, le danois, le finnois, le suédois, le gaélique et le portugais.

Il faut par ailleurs savoir que la création de la marque communautaire a constitué objectivement un cadeau unilatéral extraordinaire pour les principaux concurrents économiques de l'UE, à savoir les États-Unis, le Japon, la Corée, Taiwan, Hong-Kong ... qui ne font pas partie du système de la marque O.M.P.I. (décrite supra au paragraphe 1) : en effet :

- les pays membres de l'O.M.P.I. disposent déjà d'un système leur permettant de protéger à moindre coût une même marque dans quasiment tous les pays européens dont 14 des 15 États membres de l'UE ; pour les ressortissants de ces pays, la marque communautaire O.H.M.I. représente un instrument de plus ayant certains avantages (mais aussi certains inconvénients) par rapport à la panoplie d'outils juridiques préexistants : il serait trop long et trop technique de préciser tout cela ;

- en revanche, pour les ressortissants des États non membres de la marque O.M.P.I., l'apparition de la marque communautaire O.H.M.I. représente une possibilité d'économie de temps et d'argent considérable puisque, auparavant, la seule façon de protéger une même marque dans tous les pays membres de l'UE était de la déposer dans chacun des États ou territoires membres, soit 13 dépôts différents (le Bénélux regroupant 3 des 15 États de l'UE).

Bien entendu, en contrepartie de ce splendide cadeau unilatéral, rien n'a a été obtenu des heureux États bénéficiaires.

À vrai dire, on peut se demander si la création de la marque communautaire O.H.M.I. n'est pas en partie le résultat de la volonté des institutions communautaires de se donner tous les attributs d'un État, y compris dans les cas où ceci "doublonne" avec ce qui existe à d'autres niveaux, en l'espèce la marque O.M.P.I., dont seule l'Irlande n'est pas membre à ce jour. Loin du principe de subsidiarité, l'administration communautaire, composée de gens souvent très compétents et travailleurs, mais échappent à tout contrôle politique réel, se conduit comme ces nobliaux d'autrefois qui entassaient girouettes et clochetons au sommet de leurs châteaux pour faire étalage de leur grandeur, cela aux frais de leurs serfs et autres roturiers.

 

Pol Marolles, le 11 juillet 2000

 

 

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