Sujet :

« Non » au brevet communautaire unilingue anglais

Date :

02/10/2003

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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BREVETS : NON BIS IN IDEM

 

 

Après l’échec de l’arrangement boiteux que constituait le « Protocole de Londres », contraire aux intérêts supérieurs de la France, un petit groupe de technocrates acharnés poursuit, en-dehors de tout débat démocratique, des tractations visant à aggraver encore cette reddition planifiée, en instituant un « brevet communautaire » unilingue anglais (derrière une fausse fenêtre de façade). La leçon de l’AMI, de triste mémoire, ne semble pas avoir porté dans tous les services.

Cette ultime tentative est entachée d’un double aveuglement, dont on ne sait s’il est volontaire ou non :

La méconnaissance du rôle essentiel de la langue dans la définition de la citoyenneté et du droit qui la fonde. Il serait inacceptable de donner en France à l’anglais un statut privilégié par rapport à la langue française, ainsi expropriée du territoire de la République. S’agissant de textes créateurs de droits opposables aux tiers, il faut ici expliciter l’un des Principes Généraux du Droit, supérieur même à la Constitution :

NUL N’EST CENSÉ IGNORER LA LOI

par son corollaire :

NUL NE DOIT ÊTRE OBLIGÉ D’EN PRENDRE CONNAISSANCE DANS UNE LANGUE ETRANGÈRE.

Contrevenir à ce principe serait un renoncement lourd de conséquences dans tous les domaines, dans les usines, les laboratoires, les universités, la vie publique en général, et menacerait jusqu’à l’intégration des immigrés à un pays incapable de faire respecter sa propre langue chez lui.

Sans compter que ce serait là abandonner pieds et poings liés l’industrie française à l’ « industrie » anglo-saxonne du droit.

Employer sans précaution le « ou » logique (anglais OU français OU allemand) aboutirait rapidement, étant donné les pressions et les influences qui s’exercent, ouvertement ou non, à imposer le « tout anglais ».

Qualifier la « description » - corps même du brevet, indispensable à la compréhension de l’invention - d’ « annexe » secondaire (à ne pas traduire, donc) est d’une belle impudence.

Se résigner à instituer une « juridiction centralisée » dépouillerait les tribunaux français de leur compétence, pour statuer dans la seule « langue facilement compréhensible » (sic !)…

L’incompréhension des mécanismes en jeu dans les stratégies du brevet :

Il serait en effet simpliste de croire que le nombre de brevets déposés est une fonction linéaire de l’inventivité, alors que nombre d’intervenants de la filière ont intérêt à « faire du chiffre », à commencer par l’Office Européen des Brevets de Munich.

Certes, les entreprises françaises, notamment les PME, ont encore insuffisamment la « culture du brevet ». Certes, et le problème est grave et réel, la France a relâché ses efforts depuis quelques années. Il est vital de corriger cette tendance, mais cela demande une analyse pertinente, et la réduction aveugle de l’accessibilité de l’information en français n’y remédiera évidemment pas.

Quoi qu’il en soit, il serait aberrant de CASSER LA BASE DE DONNÉES EN FRANÇAIS, et de reléguer notre langue au rang d’idiome vernaculaire en lui interdisant d’intégrer l’innovation scientifique et technique.

L’activisme mal inspiré des services du Secrétariat d’État « français » (sic) à l’Industrie repose sur un fragile postulat, bien évidemment jamais démontré, selon lequel la perspective du coût des traductions à venir découragerait les inventeurs français de déposer des brevets !

En réalité, la traduction n’est demandée qu’au moment où le brevet est définitivement délivré, et après un délai de «apriorité » qui suffit largement pour percevoir l’intérêt économique de l’invention. Sans compter que les annuités de maintien du brevet représentent une charge financière beaucoup plus lourde, la traduction proprement dite intervenant à raison d’environ 1% du coût total du brevet, et non de 40 à 50% comme il est prétendu !

Que penser, au surplus, du double langage de services qui manient avec constance et dextérité la plus épaisse langue de bois, depuis les « résumés de haute qualité » (qui cachaient mal une manœuvre de contournement de la souveraineté française par la Commission européenne) jusqu’au risible «pérenniser la place du français»…laissant entrevoir la plus étrange mauvaise conscience ?…

Ce qu’il faut souligner ici, c’est l’importance d’un autre phénomène, généralement méconnu en France : la STRATÉGIE INVASIVE des multinationales, notamment nord-américaines et japonaises. Les spécialistes savent bien qu’un grand nombre de textes déposés sont en réalité des « BREVETS BIDONS » ou des « BREVETS DUPLICATAa» gonflant les statistiques sans pour autant justifier d’une « hauteur inventive » suffisante. D’ailleurs l’action de l’OEB de Munich n’a abouti qu’à rendre les brevets extra-européens majoritaires sur notre continent, résultat dû en particulier à l’abaissement continu des CRITÈRES DE BREVETABILITÉ.

Vouloir maintenant corriger ces bévues en exterminant les spécialistes français du traitement de l’information scientifique et en ouvrant toutes grandes les portes au droit anglo-saxon et à ses coûteux "lawyers" serait une aberration. Les entreprises françaises ont besoin de conseillers de proximité, non d’être paralysées par une capitulation aveugle devant la « globalisation » la plus sauvage.

Il a déjà été maintes fois démontré que la suppression des traductions françaises de textes étrangers, qui sont, et doivent rester, à la charge des déposants - tout en représentant un coût tout à fait subalterne par rapport à l’activité industrielle : de l’ordre de 25 € la page, pour des textes de 30 pages en moyenne, soit une fraction des 5% que constitue le coût du dépôt de brevet par rapport à la dépense menant à une invention ! - ne profiterait évidemment en rien à nos entreprises (sans oublier qu’aucune réciprocité n’est prévue avec les États-Unis), mais qu’elle aggraverait leur dépendance et aboutirait à leur faire payer indûment tribut pour pouvoir poursuivre leur activité sur leur propre marché.

Il faut également garder à l’esprit que le brevet est un outil plus ou moins adapté à tel ou tel secteur, et qu’il convient par exemple très mal à celui de l’informatique ; mais il est clair qu’au-delà de cette constatation, une approche purement quantitative est totalement insuffisante. Autrement dit : si l’absence de brevet ouvre la porte à la contrefaçon, dont la France a beaucoup à souffrir, la surabondance de brevets aboutit à rétablir la loi de la jungle au profit des plus grandes multinationales. Il existe un optimum, modulable selon le type d’industrie.

Cependant, aucune nécessité, aucune urgence ne justifient la grossière surestimation du coût des traductions ni la sous-estimation du coût du brevet américain. Rien ne justifie la violation de la Loi - et du principe d’égalité devant la Loi - ni de la Constitution ou des Principes Généraux du Droit.

Il est insupportable de voir des hauts fonctionnaires français, appartenant à une administration technique et moins au fait, par nature, que le Ministère des Affaires Étrangères, des conséquences de tous ordres d’une négociation mal menée (qu’il s’agisse du rôle effectif des langues officielles d’un organisme tel que l’OEB, de la nécessité d’un équilibre et du maintien d’un minimum de diversité au niveau européen, de la solidarité entre les pays de langue latine, de la question des délais de délivrance, etc.) poursuivre obstinément dans une voie sans issue, sans tenir compte des remarques présentées ci-dessus, ni des CENTAINES DE QUESTIONS ÉCRITES POSÉES PAR LES PARLEMENTAIRES !

Effectivement, dans un tel désordre, si la technocratie est partout, la démocratie n’est nulle part.

Au total, et en dépit du "lobbying" forcené mené par certain groupe de pression fort influent, il apparaît clairement qu’il n’y a pas contradiction entre l’intérêt général de notre pays et celui de l’immense majorité des entreprises françaises. Vouloir faire faire des économies tout à fait marginales à celles qui prétendent instituer l’anglais comme leur seule langue officielle porterait en réalité atteinte à la créativité des Français, qui ne s’exprime pleinement que dans leur langue - cela n’empêchant aucunement l’ouverture la plus large possible à l’information et aux contacts venus d’ailleurs.

Une signature inconsidérée du projet de « brevet communautaire » tel qu’il est proposé porterait gravement atteinte au statut diplomatique de la France et RUINERAIT TOUTE L’ACTION DE PRÉSERVATION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE menée avec constance par le Gouvernement français et par le Président de la République.

 

Errare humanum est, perseverare diabolicum.

 

 

 

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