Sujet :

"Pardon my French"

Date :

19/06/2013

De Denis Griesmar (denis.griesmar(chez)orange.fr) 

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"Pardon my French"

Fut un temps où la gauche voulait changer le monde, maintenant elle veut juste apprendre à s'y résigner.

Il y eut dans les rames de métro à Paris, des années durant, une campagne de publicité particulièrement tenace et agaçante pour les cours du Wall Street Institute. On y voyait un jeune cadre supérieur tirant une langue repeinte aux couleurs du drapeau américain, répondre avec un enthousiasme crétin à la question posée plus haut sur l'affiche : "Do you speak English ? Yes ! I speak Wall Street English."

C'est un peu dans ce monde-là hélas, le monde de l'esclave tertiaire supérieur affichant fièrement sa servitude, que nous avons l'impression d'avoir définitivement pénétré depuis l'adoption par l'Assemblée le 30 mai dernier du fameux article de la loi Fioraso étendant la possibilité de dispenser un enseignement quasi entièrement en anglais sur le sol de France.

On l'aura compris, ce n'est pas la langue de Byron et Melville qui se trouvera ainsi promue chez les étudiants, ni même l'anglais ordinaire que les politiques français échouent invariablement à acquérir depuis trente ans, suscitant l'hilarité de leurs concitoyens, mais bien l'anglais du commerce et des sciences dures, la langue de Goldman Sachs et de The Lancet, le nouvel esperanto mondial.

Il est vrai qu'il y a au moins dix ans que l'enseignement donné en anglais s'est massivement - en réalité illégalement - répandu à bas bruit, notamment dans les "business schools" (Note de l'Afrav, en français : école de commerce), obsédées par leur ranking (Note de l'Afrav, en français : leur place, leur rang) dans les classements internationaux.

Au point qu'un étudiant qui aujourd'hui n'y serait pas pratiquement bilingue ferait figure de dinosaure égaré dans un supermarché. Ainsi la ministre Geneviève Fioraso a-t-elle eu beau jeu de souligner qu'en l'occurrence il s'agissait plutôt d'aligner la situation des universités sur celle des grandes écoles et, donc, argument phare du socialisme contemporain entier, de mettre fin à une « formidable hypocrisie ».

La procréation médicalement assistée pour les couples gay ? Hâtons-nous de mettre fin à une hypocrisie ! L'euthanasie ? Vite, vite, sortons les seringues, coupons court sans délai à toutes les immémoriales hypocrisies ! « Tu ne tueras pas », entre autres tartuferies "old school" (vielle école). Même scénario aujourd'hui avec la loi Fioraso. La langue française - la seule à être présente sur cinq continents, ainsi que l'anglais - marque désormais le pas en tant que langue véhiculaire du savoir ? Ne perdons plus une minute ! Otons-lui toute possibilité hypocrite de s'incruster : sabordons-la toutes affaires cessantes !

Pendant ce temps, la Chine, elle, ainsi que le rappelait le linguiste Claude Hagège, l'un des plus féroces adversaires de cette loi, déploie aujourd'hui des moyens financiers considérables pour propager sa langue dans le monde. Un attachement nostalgique d'arriérés, sans aucun doute.

Fut un temps pourtant où la gauche voulait changer le monde, maintenant elle veut juste apprendre à s'y résigner. "Pardon my French", c'est la désopilante expression anglaise pour prévenir qu'on va dire quelque chose de déplacé. Alors voilà, messieurs les Socialistes, "Pardon my French", mais on ne vous pardonnera pas de nous avoir définitivement condamnés à l'anglais.

 

Source : marianne.net, le dimanche 16 juin 2013

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Réaction :

Ce "Wall Street Institute" m'a toujours intrigué et le fait qu'on retrouve exactement la même publicité dans plusieurs pays d'Europe continentale semble indiquer que l'on a affaire à une organisation d'envergure financée sur fonds étatsuniens par le biais de fondations prétendument privées. Enfin, rassurons-nous ! Le renseignement français, ainsi que celui des autres pays d'Europe continentale doivent être parfaitement au courant, mais n'en pipent pas un mot à la presse !

Encore un cas de « sciences dures » au lieu de « sciences exactes », alors même que le rédacteur de l'article voudrait promouvoir le français ! Enfin, je n'en suis pas totalement sûr quand il semble regretter l'anglais aux dépens du "globish". Un rejet total et systématique serait plus clair !

L'auteur de l'article ne semble pas comprendre qu'il n'y a pas d'institution plus sectaire que les universités qui devraient pourtant préparer les jeunes à la pensée autonome. Ce n'est pas le cas et, à quelques exceptions près, ne comptons pas sur les universitaires pour changer la situation. Les universitaires continueront et pour assez longtemps encore à faire des courbettes devant l'anglais. L'ouverture d'esprit et, surtout, le sens critique, devraient être les apanages de ce milieu et c'est tout à fait l'inverse. Cela, bien sûr, n'a pas toujours été ainsi. Les formations rigoristes d'antan, celle que j'ai connue par exemple en sciences exactes et lors de ma formation d'ingénieur nous aidaient considérablement à juger et évaluer et à rejeter si nécessaire ce qui ne tenait pas debout. Si on est assujetti à l'obligation de prouver, on n'accepte pas n'importe quoi. Or, l'anglicisation des programmes de formation nous en dit long sur la dégradation de la qualité dans la formation des esprits et j'irais même plus loin. Elle en dit long aussi sur les prétendues capacités de découverte et d'invention des Européens continentaux. Je ne crois pas, en effet, que des grands novateurs pourraient encore émerger aujourd'hui, dans une telle atmosphère et je pense bien entendu aux géants des mathématiques et de la physique du début du XXe siècle. Les novateurs en herbe existent certainement, mais ils ne prennent plus le chemin de l'université qui se retrouve peuplée de médiocres offrant des formations standardisées qui ne vaudront plus grand chose dans 20 ou 30 ans.

Madame Fioraso n'est pas seulement une sotte. Elle est le porte-parole des sots !

Charles Durand


 

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