Sujet :

Le Secrétariat d'État à l'Industrie capitulard linguistique

Date :

30/01/2003

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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CAVEANT CONSULES...

 

 

 

Avec une obstination d'insecte, le Secrétariat d'État à l'Industrie (SI) pousse ses pions dans ce qui n'est qu'une lamentable trahison.

Ce honteux Protocole de Londres, qui prévoit la renonciation à l'obligation de traduction dans les langues nationales de textes ayant une valeur juridique autant qu'un intérêt scientifique et technique, et qui établirait dans les faits le "tout anglais" sur notre continent, n'a été signé ni par l'Espagne, ni par l'Italie, ni par le Portugal, ni par la Grèce, ni par la Finlande, ni par la Belgique, ni par l'Irlande (pour des raisons constitutionnelles - mais n'en avons-nous pas nous aussi !), ni par l'Autriche. Par conséquent, tous les textes seront toujours traduits dans les langues latines, ainsi qu'en anglais (pour les quelques uns qui ne seraient pas rédigés directement dans cette langue) et en allemand. Le but de la manipulation est d'éliminer le français. La vassalisation des Pays-Bas et des pays scandinaves n'est pas une nouveauté.

Au surplus, il n'y a bien entendu aucune réciprocité vis-à-vis des États-Unis d'Amérique, et encore une fois le seul but de cette manœuvre est d'obliger les Français à rédiger en anglais, langue qu'ils maîtrisent mal, et par surcroît fort ambiguë (mais les avocats américains, aux dents longues, sont là, pour facturer leurs honoraires sans commune mesure avec l'établissement d'un texte français de référence par un traducteur spécialisé).

Il est facile de démonter point par point l'argumentation défaitiste du SI, qui utilise de façon perverse la technique dite « du salamia» pour réduire ce scandaleux « obstacle » que représente la langue française !

Le Droit est un tout. La Convention de Munich n'a été signée que parce que la France se réservait le droit (encore heureux) de faire traduire les textes destinés à avoir valeur juridique sur le territoire français. Il est d'ailleurs contradictoire de prétendre que la ratification du Protocole de Londres ne changerait rien à la situation juridique, et de tant insister pour que la France s'abandonne ainsi (au grand ébahissement des autres pays latins, pour ne parler que d'eux !)

Le brevet est un tout. Il n'est pas vrai de dire que la « description » ne crée pas de droit !

Il faut un culot particulier, ou un sens de l'humour noir extrêmement développé, pour prétendre que la limitation du français aux « revendications » (fort succinctes et incompréhensibles sans l'appui de la description) représente « un avantage considérable pour l'usage de notre langue qui est pérennisé par l'accord de Londres » (Réponse de Mme Fontaine à la question du sénateur André Lardeux, 26 déc. 2002-17 jan. 2003 - sic !)

Encore une fois, le dépôt de brevet proprement dit ne représente que 5% du total des dépenses menant à une invention, et la traduction une fraction de ces 5% !

Il faut savoir qu'un traducteur facture autour de 23 € la page, pour un brevet d'en moyenne 15 à 20 pages ! Même en incluant les honoraires du Conseil en propriété industrielle, et en tenant compte des quelques traductions nécessaires, selon les pays désignés pour la protection, on reste dans des sommes dérisoires !

Et le brevet français est un des moins chers des pays industrialisés. C'est en outre une contre-vérité flagrante que d'affirmer que le brevet européen est plus cher à l'obtention que le brevet américain, lorsqu'on sait les inévitables frais de procédure qu'entraîne ce dernier, dont le coût, de plus, ne cesse d'augmenter. Lorsqu'il est question, au bout du délai dit de « priorité », d'étendre la protection d'un brevet français à d'autres pays (et pas nécessairement à tous), donc de prendre un brevet européen, le déposant est parfaitement au fait de l'intérêt économique de l'invention, et la traduction ne représente qu'un coût annexe, non renouvelable, contrairement aux annuités de maintien du brevet, d'un montant beaucoup plus lourd !

Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage : si les traducteurs étaient des nababs, la chose se saurait. En réalité, leur niveau de vie ne cesse de baisser depuis des années. On impute donc à la traduction des coûts qui relèvent d'autre chose.

Mais la question n'est pas là. La traduction dans la langue de la République des brevets rédigés en langues étrangères assure l'information des consommateurs, qui sont aussi des citoyens, comme la sécurité juridique des déposants. La jurisprudence parle de la « loi des brevets », lesquels sont des contrats entre l'État et un déposant, instituant un monopole opposable à tous EN ÉCHANGE D'UNE DESCRIPTION DANS LA LANGUE NATIONALE.

Nul n'est censé ignorer la Loi, et donc nul ne doit être obligé d'en prendre connaissance dans une langue étrangère.

À quelles contorsions mentales ne faut-il pas se livrer pour affirmer que, tout d'un coup, après des décennies d'expansion économique (plus ou moins forte, il est vrai, mais sans récession véritable), il serait devenu « trop cher » de traduire en français !

Rappelons que le coût des traductions de ces monopoles octroyés est supporté par les déposants, comme il est normal, et non, contrairement à ce que voudrait instituer le Secrétariat d'État à l'Industrie (SI), de façon parfaitement inconstitutionnelle, par les contribuables !

Rappelons que les laboratoires pharmaceutiques (pour lesquels, d'ailleurs, on a laissé s'établir les conditions d'une concentration excessive et d'une mainmise des grands groupes multinationaux) n'hésitent pas à dépenser plus de 80 000 FF par médecin et par an en publicité, rien qu'en France !

En réalité, le SI, qui atteint son seuil d'incompétence, et que l'on a laissé, bien à tort, négocier un accord international ayant des implications géostratégiques immenses, alors qu'il s'agit là d'une prérogative du Quai d'Orsay, mieux au fait de l'ensemble du problème, risque de nous entraîner sur une pente irréversiblement glissante.

Le non dit est que le SI, par mépris et/ou par inculture, tient les questions de langue pour négligeables. Ignorer à ce point le pouvoir des mots : s'agit-il vraiment de naïveté... ou de pire encore ? Quelle guerre économique prétend-on gagner lorsqu'on n'a plus ni drapeau, ni langue propre, et que rien ne permet plus de dire "nous" ? N'est-ce pas le moyen d'éradiquer toute manifestation de volonté collective?

Casser la base de données existant depuis la Révolution, dénier au français la possibilité de désigner les nouveautés technologiques, refuser à priori d'améliorer la vitesse et la diffusion de l'information en français, admettre en droit français des termes anglais, et donc, rapidement, le droit anglais, déstabiliser toutes les professions juridiques, ouvrir la porte à une "common law" jurisprudentielle, dans laquelle seuls les très riches pourront se défendre, donc renoncer à l'égalité devant la loi, adresser au monde entier le signal selon lequel, dès qu'il s'agit de choses sérieuses, le français est trop cher...!

Et c'est une administration française qui nous propose cela ?

Le SI, qui tient tant à faire faire des économies de bouts de ficelle aux multinationales (en s'abritant, toute honte bue, derrière un mythique inventeur individuel rebuté par le coût d'une traduction en français !) se rend-il compte que les seuls bénéficiaires de ce honteux Protocole de Londres seraient les multinationales (dont quelques unes d'origine française, mais qui n'ont plus rien de français) qui regroupent leurs activités de recherche aux États-Unis et qui fonctionnent uniquement en anglais ? Est-ce ce modèle de comportement que le Gouvernement français veut encourager ?

Le SI se rend-il compte que le fameux déséquilibre de la balance des brevets est dû à tout autre chose :

1°) Les entreprises françaises ont davantage la culture du secret que celle du brevet ;

2°) Les dépenses de recherche sont insuffisantes en France depuis quelques années ;

3°) L'Office Européen des Brevets (O.E.B.) joue un jeu pervers, en admettant comme brevets, par exemple de la part des Japonais, des textes de « hauteur inventive » insuffisante (qui mériteraient plutôt l’appellation de « certificats d’utilité »), qui gonflent les chiffres - et des pratiques perverses, de la part des Américains, qui déposent une grappe de brevets, au lieu d'un seul texte, ce qui leur coûte plus cher (mais après tout, cela les regarde, et ils y trouvent quand même leur compte, en dépit de ces «ainsupportables » traductions...), sans oublier le véritable racket que constitue la fragmentation d'un texte, les "continuation-in-part",. etc. qui permettent d'augmenter la durée de protection bien au-delà de vingt ans, …

En réalité, si l'on admettait comme brevets européens, et donc destinés potentiellement à être valables sur le territoire français, des textes américains, sans plus de formalité, d'un simple clic d'ordinateur, l'actuel déséquilibre se transformerait en tsunami ! D'ailleurs, actuellement, la moitié des brevets "européens" sont d'origine japonaise ou étatsunienne, à la suite des merveilleux efforts conjugués du SI et de l'OEB : on ne change pas une équipe qui perd !

Il faut bien voir les conséquences d'un tel état de fait sur les entreprises françaises, y compris les centaines de milliers de PME-PMI : il y a les brevets que l'on dépose, et ceux que l'on subit. L'actuel aveuglement aboutit à paralyser les entreprises françaises sur leur propre marché !

Il faut dire que le SI (plus précisément le petit groupe de technocrates obstinés payés avec nos impôts) ne trouve plus aucune pertinence à défendre des intérêts français, et parle, avec des trémolos dans la voix, de « nos entreprises européennes » ! Les Allemands, les Anglais, considèrent-ils leurs entreprises comme des entreprises « européennes », ou d'abord allemandes ou anglaises ? Cherchez l'erreur...

Un seul de ces arguments suffirait, et à vrai dire on a un peu honte, en tant que Français, d'avoir à dépenser tant de salive pour démontrer qu'il n'est pas « rentable » de renoncer à être nous-mêmes !

En fin de compte, les professionnels savent parfaitement d'où vient tout ce tintamarre: de l' "American Intellectual Property Law Association", représentant le "big business" des États-Unis. Il est honteux, pour une administration française, de faire miroiter de fausses économies de bouts de ficelle aux PME, qui supposeraient qu'elles fassent au préalable l'énorme investissement de s'angliciser totalement, et donc de s'auto-coloniser, réduisant la France à l'état du Québec d'avant la « Révolution tranquille » de 1960...

Malgré les énormes pressions exercées par des technocrates irresponsables au services des grandes multinationales, et le refus obstiné, ou l'incapacité, des services supposés « compétents » à envisager la question dans toutes ses dimensions, les contre-vérités diffusées à un haut niveau pour faire avaler une « pilule » qui ne peut pas passer, les Parlementaires ne doivent pas se laisser abuser.

Cet indigne projet fait bon marché de la Loi, de la Constitution, des principes généraux du Droit, et enfin de la République et du contrat social qui permet à une nation d'exister. Aucun pays qui se respecte ne peut admettre un tel suicide !

 

CAVEANT CONSULES NE QUID RESPUBLICA DETRIMENTI CAPIAT !

 

D. GRIESMAR

 

 

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