Association de didactique du français langue étrangère
4 rue de Fleurus - 75006 PARIS
L'asdifle se mobilise contre une disposition du projet de loi Fioraso
Soumis par Asdifle le 27 mars, 2013
Chers tous,
L'asdifle vient de lancer une pétition en ligne contre une disposition du projet de loi FIORASO http://www.petitionpublique.fr/?pi=UFS2013 adopté au Conseil des ministres le 20 mars dernier. Ce projet de loi comporte des éléments qui, s’ils sont adoptés, porteront atteinte à l'usage de la langue française dans la transmission des savoirs dans l’enseignement supérieur.
L’adoption de ce texte a motivé une déclaration solennelle de l'Académie française datée du 21 mars 2013 :
http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-du-21-mars-2013).
La généralisation de l'anglais comporte des risques considérables pour la qualité de notre enseignement et pour notre politique d’influence.
À la liste des exceptions à l'obligation d'emploi du français déjà prévues, le nouveau texte indique que « des exceptions peuvent également être justifiées par la nature de certains enseignements lorsque ceux-ci sont dispensés pour la mise en œuvre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l'article L 123-7 ou dans le cadre d’un programme européen ».
De ce fait tout enseignement dispensé en France et lié à une coopération avec un ou plusieurs autres établissements étrangers pourrait être dispensé en anglais c’est-à-dire à terme tous les cours dispensés dans les universités françaises.
La limite la plus évidente de la généralisation de l’enseignement en anglais tient à la qualité même de l'enseignement qui sera dispensé et la qualité de sa réception par les étudiants compte tenu du niveau de maitrise de l'anglais des enseignants et des étudiants.
Cet enseignement aura des conséquences sociales et culturelles profondes sur notre société à long terme. Formés en anglais dans quelle langue les professionnels s’adresseront-ils aux usagers ? À leurs clients ? A-t-on considéré les conséquences sociales et culturelles d’une telle décision sur le territoire national alors même que le niveau de maitrise de la langue française est de plus en plus préoccupant ? Comment justifier le choix de l’anglais dans notre système d’enseignement supérieur alors que les autres langues régionales ou internationales (arabe, portugais…) parlées dans les familles, ne sont toujours pas largement enseignées dans le système éducatif français ? Par ailleurs cette mesure est en contradiction avec les efforts de l’Etat pour accompagner l’enrichissement de la langue française.
Enfin, notre politique d’influence serait très rudement affaiblie par une mesure aussi symbolique que celle-ci. Comment expliquer à nos partenaires de la francophonie cette mutation profonde de notre enseignement supérieur, lieu de formation des élites nationales ? Pourquoi promouvoir le français dans le monde si son emploi n'est pas assuré en France ?
Comment expliquer à un étudiant étranger (90 millions d’étudiants http://www.dglflf.culture.gouv.fr/publications/francais-monde.pdf) qu’il est utile d’apprendre le français pour contribuer à la diversité linguistique et culturelle ? Comment expliquer à celui qui aura fait le choix d’apprendre le français dans son pays qu'il poursuivra sa scolarité en France en anglais ?
L’argument selon lequel l’attractivité du territoire pour les étudiants étrangers grâce à une généralisation de l’anglais doit primer est irrecevable.
Les étudiants étrangers viennent certes sur notre territoire pour l’excellence de notre enseignement mais on oublie qu’en choisissant d’étudier dans notre pays, ils viennent chercher une autre manière d’apprendre (méthodologie à la française pour l’enseignement des mathématiques, de l’histoire, du droit par exemple), de dire et de penser le monde, une alternative culturelle. Quelle sera notre différence si nous faisons au mieux comme les autres ?
Les francophones sont des relais de notre culture, des promoteurs de la France (tourismes) et des produits français, des défenseurs des idées de démocratie, et d’égalité diffusées dans les médias de langue française, quel message leur adressons-nous en adoptant ce texte ?
La pétition en ligne http://www.petitionpublique.fr/?pi=UFS2013
Le Bureau de l'Asdifle
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Ministère de la Culture et de la Communication
Délégation générale à la langue française et aux langues de France
Rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française 2011
Avant-propos de Frédéric Mitterrand,
ministre de la Culture et de la Communication
Placer la langue française au cœur de la production et de la transmission des savoirs
I. L'enjeu du français dans
l'enseignement supérieur et la rechercheAlors que partout on s'efforce de promouvoir la diversité culturelle et linguistique (« La diversité des langues, une chance pour l'Europe » mise en exergue aux États généraux du multilinguisme en 2008), des voix s'élèvent pour considérer que cela constitue un obstacle à la transmission des savoirs dans l'enseignement et à leur production dans la recherche.
Le ministère de la culture et de la communication s'est penché sur cette question en faisant réaliser l'étude ELVIRE (Enquête sur les Langues Vivantes dans la Recherche) présentée dans les rapports 2008 et 2009 au Parlement et rappelée dans le rapport 2010. Ainsi les résultats apportent des précisions sur le niveau de maîtrise réel de la langue anglaise dans la recherche et soulignent les risques de perte de domaine et de fonctionnalité encourus par la langue française dans les sciences exactes et, dans une moindre mesure, dans les sciences humaines et sociales.
De son côté, dans un rapport publié en 2009, la British Academy met en garde les chercheurs britanniques, en sciences humaines et sociales comme en sciences exactes : maîtriser la seule langue anglaise, loin de constituer un atout constitue plutôt un handicap et les met en situation d'infériorité par rapport aux chercheurs plurilingues.
Le débat a pris une ampleur plus grande ces derniers mois, suite à la prise de position exprimée par M. Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles. En effet, celui-ci déclare : « Il faut enfin accepter qu'une partie significative des enseignements puisse être donnée en langue anglaise et abolir la loi Toubon dans l'enseignement supérieur » (in Le Monde du 1er mars 2011). Ce point de vue n'est pas partagé par M. Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), qui entend promouvoir, comme enjeu d'influence, le rayonnement culturel et scientifique de notre langue dans le monde francophone. Pour M. Bernard Ramanantsoa, directeur de l'école des hautes études commerciales (HEC), « L'enjeu, pour une institution comme HEC où l'enseignement se fait en français et partiellement en anglais, est de participer à la compétitivité économique et culturelle de la France ».
Du côté de la recherche, d'autres universitaires tels que et M. Claude Truchot, professeur émérite de l'université de Strasbourg et M. Bernard Sergent, chercheur au CNRS en histoire et archéologie, s'interrogent, quant à eux, sur les risques d'une colonisation linguistique qui conduirait à former des étudiants enfermés dans un seul mode d'expression et font partager leurs analyses sur la qualité des savoirs transmis. Ils font par ailleurs valoir qu'en omettant de faire la distinction entre ce qui relève de la transmission des savoirs et ce qui concerne leur production, on réduit les langues, à de simples outils de communication. Or il convient de se rappeler avec Michel Serres que « Nul n'invente que dans sa langue » et que les langues dans leur diversité sont vecteurs de pensée et riches de leurs contenus culturels et scientifiques. Ces différents enjeux ont fait l'objet d'une question écrite adressée par le sénateur Jacques Legendre au Premier ministre sur laquelle le ministère de la culture et de la communication a précisé la position du gouvernement.
1. Rappel du cadre légal
L’article 5 de la loi impose que les contrats auxquels une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont parties soient rédigés en langue française. Ils ne peuvent contenir ni expression ni terme étrangers lorsqu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions règlementaires relatives à l’enrichissement de la langue française. L’article 5 précise également que ces contrats, lorsqu’ils sont conclus avec un ou plusieurs cocontractants étrangers, peuvent comporter, outre la rédaction en français, une ou plusieurs versions en langue étrangère pouvant également faire foi.
L’article 6 de la loi impose aux organisateurs français de manifestations, congrès ou colloques internationaux se tenant en France, trois obligations :
> tout participant doit pouvoir s’exprimer en français ;
> les documents de présentation du programme doivent exister en français ;
> les documents préparatoires ou de travail remis aux participants doivent faire au moins l’objet d’un résumé en français, ainsi que les textes ou interventions figurant dans les actes ou comptes rendus de travaux publiés postérieurement à la manifestation.
En outre, lorsque ce sont des personnes publiques qui ont l’initiative de ces manifestations, un dispositif de traduction, simultanée ou consécutive, doit être mis en place.
2. Un débat dans l'enseignement supérieur et la recherche,
A . Le point de vue de quelques responsables de grandes écoles et d'universités
Pour M. Pierre Tapie, directeur général du groupe ESSEC et président de la Conférence des grandes écoles: « Les obstacles sont avant tout psychologiques. Il faut penser que l'influence future de la France dépend de l'ambition d'y former à grande échelle les prochaines élites mondiales. Il faut se dire que les espaces universitaires seront transformés si un tiers des étudiants y deviennent des étrangers qui auront fait le choix de la France. Il faut alors accepter d'en tirer les conséquences financières, qui iront concourir à la qualité des formations par les ressources nouvelles créées, alors que certaines charges seront marginales. Il faut enfin accepter qu'une partie significative de ces enseignements puisse être donnée en langue anglaise, et abolir la loi Toubon dans l'enseignement supérieur.
Le nombre de jeunes étrangers capables de suivre des cours en anglais est à peu près vingt fois supérieur à ceux capables de le faire en français. En les sélectionnant sur les critères adaptés à leur formation, et en intégrant une pratique obligatoire de la langue française en fin de formation, on défendra mieux la langue de Molière en développant des francophiles qui, en un second temps, deviendront francophones de surcroît, que si l'on impose à des jeunes de cultures différentes, qui ont déjà fait un effort considérable en apprenant l'anglais, de comprendre un français de niveau universitaire dès le début de leur séjour. Cela ne serait ni raisonnable ni efficace par rapport à l'objectif poursuivi. C'est en faisant découvrir et aimer la langue française à de nouveaux publics qu'elle rayonnera, comme conséquence de la francophilie ».
Mais d'autres points de vue se sont exprimés au cours de l'année 2010 et au début de l'année 2011. Ainsi M. Louis Vogel répond en ces termes à l'article de M. Pierre Tapie publié dans le journal Le Monde :
« Dans un article publié dans Le Monde du 1er mars, le président de la Conférence des grandes écoles, M. Pierre Tapie souhaite que les universités en France puissent enseigner en anglais ; il entend ainsi améliorer l'offre de ces établissements vis à vis des étudiants étrangers considérés comme un marché prometteur de retour sur investissements.
Les universités de notre pays sont attachées à la défense et à la promotion de la langue française et ont, dans le cadre des réponses aux appels d'offre des initiatives d'excellence, demandé à ce que les présentations des porteurs d'initiatives puissent être faites en français : afin de maintenir intactes les conditions d'égalité entre les différents candidats et également, d'affirmer collectivement que le français reste une langue capable de véhiculer « une modernité intelligible au-delà de nos frontières », comme le rappelle votre courrier.
Dans le même ordre d'idées, je tiens à vous informer que la Conférence des présidents d’université (CPU) a récemment reçu le recteur de l'Association Universitaire de la Francophonie (AUF), qui regroupe, sur tous les continents, 780 universités francophones ou partiellement francophones. L'association, qui célèbre cette année ces 50 années d'existence, illustre au quotidien le rayonnement culturel et scientifique de notre langue. Pour ces raisons, la CPU a décidé d'une part d'élaborer avec l'AUF une convention afin de matérialiser les relations des deux structures, d'autre part de faire traduire en français un ensemble de textes qui ne sont pour le moment disponibles qu'en anglais mais devraient, de par leur qualité, pouvoir être largement diffusés dans l'espace francophone, accroissant ainsi la capacité d'expression scientifique de la langue française.
C'est le cas, en particulier, des rapports publiés par l'association européenne de l'université (plus connue sous son sigle anglophone d'EUA), qui regroupe au niveau européen plus de 850 universités et conférences d'universités et dont les travaux n'existent pour le moment qu'en anglais. Le rapport récemment publié sur « les classements mondiaux d'universités et leur impact » sera ainsi traduit en français durant l'été et présenté lors du séminaire qu'organise la CPU sur ce thème le 15 septembre prochain.
Par ailleurs, la CPU est en faveur de mesures susceptibles de participer à la promotion de la langue et de la culture française, ainsi qu'au rayonnement de notre pays, les deux étant souvent liés. C'est dans cet esprit qu'il paraît nécessaire aux présidents d'université que, tout en approuvant les fondements de la loi du 4 août 1994, ses conditions de mise en œuvre puissent être assouplies.
En effet, des universités françaises en mesure de proposer des enseignements de qualité en langue étrangère participeraient davantage au renforcement de la mobilité internationale des étudiants, des enseignants et des chercheurs et à l'attractivité du système d'enseignement supérieur de notre pays envers des étudiants non francophones, en leur garantissant, outre un enseignement scientifique de qualité, un apprentissage linguistique intensif du français et une réelle immersion culturelle. Il nous semble que la combinaison de ces trois éléments est de nature à promouvoir l'excellence scientifique de la France, la langue française – objet de la loi de 4 août 1994 – la francophonie et, même, la francophilie dans le monde. Il est en effet reconnu que les étrangers qui ont étudié dans nos établissements en deviennent par la suite les meilleurs ambassadeurs, et les meilleurs soutiens de notre pays ».
À la cérémonie des « Mots d'or et Trophées du langage » de Bercy, le 16 mars 2011, M. Bernard Ramanantsoa, directeur général de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC) de Paris a déclaré qu'à HEC l'enseignement se fait en français et partiellement en anglais :
« L'enjeu, pour une institution comme HEC, est de participer à la compétitivité économique et culturelle de la France.
On pense qu'il y a deux types d'écoles de commerce dans le monde : celles qu'on qualifie péjorativement d'« offshore », qui pourraient être implantées dans plusieurs endroits, et des institutions comme HEC, qui se sentent fortement ancrées dans l'histoire nationale, dans le paysage culturel et économique français, mais qui, en même temps, revendiquent le fait de pouvoir profiter de cet ancrage pour se déployer à l'international et être compétitives dans l'univers concurrentiel des « business school ».
Tout d'abord, se pose la question de savoir comment participer à la compétitivité économique. Aujourd'hui, quand on revendique d'être dans le peloton de tête des « business school » mondiales, il y a deux règles qui sont absolument indispensables. La première, c'est d'être capable d'attirer les meilleurs étudiants du monde entier sur des critères les plus objectifs possibles. Il convient de souligner que parler français n'est pas un critère universel.
Il faut également être capable d'attirer et de garder les meilleurs enseignants chercheurs du monde. Le critère fondamental de leur recrutement est leur notoriété dans la communauté scientifique.
Ces deux critères permettent ainsi d'être concurrentiel dans notre univers. Aujourd'hui, HEC réussit pleinement dans ces domaines.
Dans le cadre du programme Grande École, qui délivre le diplôme HEC, 40% des élèves sont étrangers. Quant au programme MBA, qui s'adresse à des personnes qui ont 5 à 6 ans d'expérience professionnelle et ont à peu près 30 ans, 85% des étudiants sont étrangers.
Certes, ces étudiants ne sont pas recrutés sur le critère du français, mais leur scolarité les oblige à suivre des cours en français. Leur niveau est régulièrement évalué et les résultats sont très satisfaisants. Selon les années, entre 10 et 20% des étudiants n'arrivent pas ou ne veulent pas se mettre au français. Par contre, 80% des étudiants ont un niveau jugé satisfaisant, ce qui leur permet de choisir et de suivre les « électifs », c'est-à-dire des cours de français ou de gestion en français.
La participation d' HEC à la compétitivité culturelle est effective, car un étudiant vient à HEC en pensant, d'une part que c'est la meilleure école de commerce, et d'autre part, parce qu'il a envie d'être immergé dans la culture française, dans un environnement culturel français, et pour rencontrer des Français.
En ce qui concerne les étudiants français, il doivent obligatoirement avoir un très bon niveau d'anglais. C'est indispensable pour leur carrière, sauf exception. D'ailleurs l'anglais est une des deux langues au concours d'entrée du programme Grande École.
La formation à l'anglais se fera à travers les cours, et les stages à l'étranger. Mais cela ne se fera pas au détriment du français. En effet, pour rentrer à HEC, il faut une très bonne maîtrise de la langue française. Le concours d'entrée comporte une épreuve de français (sujet de dissertation du concours 2010 : « la vie est-elle le théâtre de la cruauté? ») qui est corrigée avec une très grande sévérité.
La compétitivité culturelle passe donc par la maîtrise de notre langue, dans toute sa subtilité, par les étudiants français comme par les étrangers. Une fois rentrés dans leur pays, ces étudiants étrangers seront les meilleurs ambassadeurs de la France, dans toutes ses dimensions et en particulier dans le domaine culturel ».
B . Deux points de vue de chercheurs
À la question : « Les universités doivent-elles passer à l'anglais ? »,Claude Truchot estime, dans un article de La recherche de juin 2011, que l'enseignement en anglais abaisse le niveau des formations.
« L’enseignement universitaire en anglais repose sur un postulat selon lequel il est possible de remplir avec une langue étrangère les tâches que l’on accomplit avec la langue dans laquelle on a été socialisé et éduqué, y compris celles aussi complexes et exigeantes qu’enseigner et apprendre. Cette représentation de ce qu’est connaître une langue est battue en brèche dès qu’on veut bien observer la réalité des pratiques, la qualité de la transmission des connaissances par les enseignants, la capacité des étudiants à s’approprier les connaissances et à s’exprimer, surtout par écrit, et les problèmes que pose l’évaluation des connaissances dans ces circonstances.
Plusieurs études, ainsi que des témoignages, commencent à mettre au jour ces pratiques. Elles révèlent les frustrations des enseignants, les limites d’un exercice convenu et figé qui consiste non pas à parler mais à oraliser de l’écrit, la pauvreté des échanges qui se déroulent dans un idiome approximatif, relevant plus du "globish" que de l’anglais. Elles mettent en garde contre l’homogénéisation d’un enseignement copiant les modèles mis en place dans les universités américaines et anglophones, et qui marginalise les savoirs écrits en d’autres langues et créés dans d’autres cultures.
Les qualifications linguistiques des enseignants sont très inégales, même en Europe du Nord, et à plus forte raison ailleurs. Les étudiants étrangers constituent la cible prioritaire du recrutement des filières « anglophones ». Les attirer est l’argument majeur donné pour justifier l’enseignement en anglais véhiculaire. Or, les étudiants qui veulent faire des études supérieures en anglais se tournent d’abord vers les universités des États-Unis et des pays anglophones qui prennent les meilleurs et ceux qui connaissent le mieux l’anglais. Ceux qui ne sont pas acceptés et se tournent vers les universités d’Europe continentale cumulent un triple handicap : ils ont un niveau de formation générale moins élevé, une connaissance de l’anglais approximative et se trouvent dans un environnement où ils ne peuvent progresser dans cette langue car elle n’y est pas parlée. Dans les filières « anglophones », ces étudiants étrangers sont en moyenne de moins bon niveau que les étudiants locaux, qui eux progressent plus difficilement qu’ils ne le feraient dans la langue dans laquelle ils ont été socialisés et éduqués.
Immersion
Dans le cadre d’une internationalisation maîtrisée de l’enseignement supérieur, il est nécessaire de prendre en compte les différentes dimensions linguistiques de celle-ci. L’enseignement dans la langue du pays où se trouve l’établissement en est le socle. Les étudiants étrangers doivent pouvoir bénéficier d’une formation linguistique adéquate dans cette langue, favorisée par leur immersion dans l’environnement linguistique naturel du pays d’accueil. L’ouverture internationale des diplômes doit être assurée en outre par un apprentissage approfondi et diversifié des langues étrangères, et par une mobilité internationale bien conçue qui mette les étudiants en contact avec plusieurs langues et cultures (sur le modèle notamment des universités franco-allemandes ou franco-italiennes). Une telle politique linguistique d’établissement correspondrait beaucoup mieux aux attentes réelles et non fantasmées du monde du travail comme le montrent les observations de plus en plus nombreuses faites sur le terrain des entreprises. Malheureusement, dans le mode d’internationalisation actuel de l’enseignement supérieur, ce n’est pas ce traitement alternatif qui prévaut, puisque seule la langue anglaise paraît garantir un label international dans l’esprit des promoteurs de diplômes et des évaluateurs de l’enseignement supérieur. Au détriment en fin de compte de cet enseignement et paradoxalement de son rayonnement international ».
Enfin, dans Le Monde du 23 mars 2011, M. Bernard Sergent a publié, en guise de réponse à l'article de Pierre Tapie, une tribune dans laquelle il met en avant « les risques que cette entreprise fait courir par effet d'entraînement, au système éducatif dans son ensemble, à la francophonie universitaire dans le monde et in fine au capital que représente un véritable enseignement supérieur plurilingue. Ce que l’on présente comme une ouverture, une modernisation de l'appareil universitaire n’est rien d’autre, par la dynamique des facteurs dominants (concentration des moyens de diffusion de la science dans les revues anglophones ; unicité de l'anglo-américain comme langue de diffusion et d'enseignement des connaissances), qu’un véritable enfermement dans une logique de marché, aboutissant à réduire la diversité de pensée, par l’illusion qu'une langue est un simple véhicule d’informations. Si aucune langue ne peut épuiser les représentations du monde, une seule, en position d'hyperdomination, peut épuiser la qualité du savoir. Les choix linguistiques opérés pour produire ou pour transmettre des savoirs sont cruciaux : ils ont des effets structurants très profonds sur le reste de la société. Plus de 116 millions de personnes suivent un enseignement du ou en français dans le monde, comme le souligne le dernier rapport de l'Organisation internationale de la Francophonie. Observons qu’il serait contraire aux intérêts mis en évidence par M.Tapie, d'offrir à ceux d'entre eux qui souhaitent venir sur notre territoire prolonger leurs études à un niveau supérieur, des enseignements dans une autre langue que celle qu'ils ont fait le choix et l'effort d'apprendre. Il serait tout aussi contradictoire d'appeler les pays de la Francophonie à soutenir notre langue.
Revenons sur deux questions que ces articles soulèvent. Peut-on déplorer une rigidité française à l'égard du plurilinguisme, qu'exercerait la loi Toubon ? Cette loi prévoit (dans son article 11) que si « la langue de l'enseignement, des examens et concours ainsi que des thèses et mémoires est le français », échappent à l’obligation d’utiliser le français : les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère; les enseignements dispensés en langues étrangères par des professeurs associés ou invités étrangers ; les établissements dispensant un enseignement à caractère international (il s'agit, par exemple, des établissements offrant des formations en langues étrangères et en langue française, et comprenant au minimum 25% d'élèves ou d'étudiants étrangers) ; les formations dispensées en langues régionales ou étrangères dans le cadre des sections européennes ou à vocation bilingue et représentant au maximum 50% du volume total des enseignements de ces sections. Il y a là un dispositif véritablement ouvert ; il doit permettre une meilleure internationalisation des universités françaises, à la condition que leur projet réponde davantage à une politique linguistique réfléchie et explicitée, qu'à un simple désir d'adaptation au marché.
Le capital linguistique international peut être judicieusement exploité. Les universités peuvent le faire en créant des filiaires bi-plurilingues associant l'enseignement des connaissances en français, en arabe, en anglais, en espagnol, en mandarin, en russe, selon des projets interdisciplinaires, et des partenariats interuniversitaires qui permettraient de développer, dans les universités d'origine, des filières comparables où la langue française serait associée. Nous sommes ici dans un cadre de coopération ambitieux qu’ignore Pierre Tapie ; ce dernier envisage les seuls flux entre les établissements français et des individus que l’on attire par un produit conditionné pour l'international. L'internationalisation des universités ne doit pas reposer sur un modèle pauvre de captation de cerveaux ou d'impact d'influence ; il gagne à se fonder sur un modèle de construction coopérative des espaces universitaires nationaux et régionaux, où l'ensemble des langues internationales est considéré comme ressources de diffusion et d'enseignement. Faute de quoi, nous saperons le patient travail de réseaux des communautés scientifiques francophones dans le monde, l'investissement des pays de la Francophonie dans l'émergence d'une génération de chercheurs et d'enseignants francophones capables de jouer un rôle dans la production mondiale du savoir, les projets d'alliances diversifiées avec les espaces linguistiques universitaires en matière de projets d'enseignement, de recherche, d'édition, d'indexation.
Dans un rapport récent (2009), la British Academy met en garde les chercheurs britanniques, en sciences humaines et sociales comme dans les autres sciences (physique, chimie, biologie, etc.) : maîtriser la seule langue anglaise les met en situation d'infériorité par rapport aux chercheurs plurilingues. Ce n’est donc pas uniquement la compétitivité de l'enseignement et de la recherche qui est en jeu : c’est la capacité du pays à dialoguer avec le monde dans la langue de l'autre et pas seulement dans la langue d'un autre ».
3. La position du gouvernement
Les enjeux liés à cette problématique ont conduit la représentation nationale, par la voix du sénateur Jacques Legendre, a attirer l'attention du Premier ministre (dans une question écrite publiée dans le JO du Sénat du 31/03/2011) sur le non-usage du français au jury des projets d'initiatives d'excellence éligibles au grand emprunt.
« Un jury international examine actuellement les projets d'initiatives d'excellence qui pourront être éligibles au grand emprunt.
Il est surprenant d'apprendre que le support de l'intervention des représentants des universités françaises devant ce jury doit être préparé en anglais parce que « le jury est international ».
À juste titre, la Conférence des présidents d'université s'en est émue. Elle demande que « les porteurs d'initiatives d'excellence puissent exprimer dans leur langue toutes les nuances, les complexités, les ambitions des projets qui vont dessiner la carte de la France scientifique de demain… sans que soit mise en doute la vocation de la langue française à exprimer une modernité scientifique intelligible au-delà de nos frontières ».
À la suite de cette prise de position, la possibilité de recourir à un service de traduction a été accordée mais le recours à l'anglais reste recommandé.
Chacun admettra que le jury international doit pouvoir comprendre ce qu'il a à examiner. Mais la seule disposition, conforme à la loi française et au bon sens, est évidemment que les Français puissent s'exprimer en français et que la traduction de leurs propos soit assurée.
Il lui demande quelles initiatives il compte prendre, en cette semaine où dans le monde entier, on célèbre la francophonie pour faire respecter chez nous la loi sur la langue française, tout en assurant aux scientifiques étrangers la possibilité de nous comprendre ».
La réponse du Ministère de la Culture et de la Communication publiée dans le JO Sénat du 02/06/2011 fut la suivante :
Les candidats aux projets d'initiatives d'excellence éligibles au grand emprunt ont été informés que, compte tenu du caractère international du jury, ils devaient préparer leur support d'intervention en anglais, l'utilisation de cette langue étant par ailleurs fortement recommandée pour la présentation proprement dite du projet ainsi que pendant toute la durée des échanges. Cette décision n'était pas conforme à notre cadre constitutionnel et légal, à l'application duquel il revient au ministère chargé de la culture de veiller. Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, en particulier la décision n° 99-412 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, précisent en effet que l'« usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'usage de traductions ». Le fait de contraindre à l'usage d'une langue autre que le français, dans le cadre d'un programme « investissements d'avenir », dont le Commissariat général à l'investissement est le principal opérateur, contrevenait manifestement à la volonté du législateur. Consciente des risques inhérents à cette pratique, la Conférence des présidents d'université a dès lors effectué une mise au point en demandant que les porteurs d'initiatives d'excellence puissent « exprimer dans leur langue toutes les nuances, les complexités, les ambitions des projets qui vont dessiner la carte de la France de demain ». Elle a, ce faisant, exprimé sa confiance dans la capacité de la langue française à exprimer « une modernité scientifique intelligible au-delà de nos frontières ». Cette position sans ambiguïté conforte les efforts conduits par le dispositif interministériel d'enrichissement de la langue française pour doter notre langue des ressources nécessaires à l'expression des réalités du monde contemporain, dans toutes les disciplines des sciences et des techniques. Devant l'émoi suscité par cette décision dans la communauté scientifique, des dispositions ont été prises par l'Agence nationale de la recherche pour permettre aux porteurs de projets de s'exprimer en français, via un dispositif de traduction. Cette mesure permet de rendre effective la garantie apportée par notre droit de permettre à tout chercheur de s'exprimer en français ; le Gouvernement rendra compte des conditions de son application dans le rapport sur l'emploi de la langue française qu'il remettra aux assemblées le 15 septembre prochain. Plus généralement, il convient d'observer qu'inciter des candidats, dans un processus de sélection, à recourir à une langue autre que celle de la République (leur droit à l'expression en français fût-il reconnu) pourrait créer entre eux une inégalité de traitement. Dans un dispositif administré par la puissance publique - différent par nature d'un colloque ou d'un séminaire dans lequel un chercheur vient exposer les résultats de ses travaux devant ses pairs - ouvrir à ceux qui le souhaitent la possibilité d'une expression dans une langue autre que le français pourrait introduire, devant un jury sensible à l'emploi de la langue dite « globale », une inégalité entre des candidats qui, à qualité de dossier équivalente, présenteraient leur dossier en français et d'autres qui le feraient en anglais, voire entre ceux qui le feraient avec une expression parfaite en français et ceux qui le feraient dans un anglais médiocre, mais compréhensible par le jury. Seul un recours au français de plein droit et généralisé à tous les candidats, accompagné, si nécessaire, d'un dispositif de traduction, serait susceptible de lever cette ambiguïté, en créant une égalité de fait - et non plus seulement de droit - entre les candidats. Sans doute une telle mesure, pour souhaitable qu'elle soit, se heurterait-elle au poids prépondérant pris par la langue anglaise dans la recherche - plus manifeste d'ailleurs dans les sciences exactes que dans les sciences humaines et sociales : force est de constater qu'il est nécessaire aux chercheurs de maîtriser cette langue, ne serait-ce que pour qu'ils puissent communiquer entre eux par-delà les frontières. Il n'en reste pas moins que des garde-fous sont indispensables pour permettre l'expression en français de tous ceux qui souhaitent recourir à notre langue et il revient à l'État, garant de la cohésion de notre pays et de l'égalité entre les citoyens, d'y veiller.
II. Favoriser la diffusion de la pensée française
Le rapport de forces entre les langues est tel aujourd’hui que si les chercheurs français n’ont pas l’assurance, grâce à la traduction, d’être compris d’un lectorat non francophone, ils renonceront à terme à publier (1), et plus généralement à « penser » en français - c’est à dire à produire des concepts dans notre langue. Le maintien d'une pensée française dans les sciences humaines et sociales n’est donc pas seulement un enjeu majeur pour l’influence française dans le monde, mais aussi pour l’emploi du français en France même, dans un secteur crucial pour la vie intellectuelle et culturelle de notre pays.
[1] Au reste, les dispositifs d’évaluation mis en place par l’ANR et l’AERES les incitent à publier directement en anglais, afin d’être « référencés » dans cette langue.